Registre

On appelle ici registres les catégories de représentation et de perception du monde que la littérature exprime, et qui correspondent à des attitudes en face de l'existence, à des émotions fondamentales : ainsi au sentiment qui naît de la conscience de la condition mortelle et au désespoir qu'elle engendre,le registre tragique; à l'admiration, l'épidictique ; à la colère, le polémique,

Le dictionnaire du littéraire, coll. Dicos poche, éd. Quadrige / PUF, 2002

1. Historique de la notion de registre

1.1. Les registres dans l'Antiquité grecque

La notion de registre est efficiente dans l'antiquité grecque, quoiqu'elle ne soit pas théorisée en tant que telle dans la Poétique d'Aristote -elle y est plutot considérée comme allant de soi. Elle y était d'autant plus opératoire que les différents genres utilisaient des dialectes différents: oriental pour l'épopée, attique pour la tragédie, koinè pour la comédie. Elle unissait donc une indication de registres de langage ( des dialectes anciens et nobles opposés au dialecte commun, donc plus "vulgaire" ), des sujets; et des catégories d'émotions proposées au public: langage noble pour des histoires "sérieuses" impliquant des personnages eux-mêmes nobles dans l'épopée et la tragédie, langage ordinaire pour des personnages et des sujets ordinaires dans la comédie. Les émotions proposées étaient elles-mêmes distinctes et hiérarchisées : admiration pour l'épopée, qui faisait place au merveilleux, désespoir et compassion ( "terreur et pitié" ) pour la tragédie - qui permet la catharsis -, gaieté pour la comédie. Ainsi s'unissaient une conception des affects et une poétique.

Le dictionnaire du littéraire, coll. Dicos poche, éd. Quadrige / PUF, 2002

1.2. Les registres dans l'Antiquité latine et au Moyen-Age

Un même principe de distinction est repris chez Virgile puis, au Moyen Age, chez ses premiers glossateurs, mais avec des différences liées au corpus pris pour référence. Ce système est représenté par un schéma appelé "la roue de virgile ". Il distingue: l'épique ou héroïque pour parler de héros dans un style soutenu ( modèle: l'Énéide) , le didactique, pour parler des travaux des hommes libres, dans un style" moyen" (modèle : les Géorgiques ), le bucolique pour parler des divertissements de bergers, en style familier ( modèle: les Bucoliques ).

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2. Genre, registre, vision, tonalité

Genre et registre ne se superposent pas: le premier est une catégorie plus formelle que sémantique, le second, renvoyant à une émotion, implique un sens. Le registre ne peut non plus être pris pour synonyme de "vision du monde", qui implique un ensemble mêlé de sentiments dans un groupe social donné à un moment historique précis, alors que les registres s'inscrivent dans l'ordre général des affects. Enfin, la notion ne peut être réduite à la simple idée de tonalité: un "ton" est une inflexion donnée à un propos mais qui ne constitue qu'un effet superficiel.

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3. Liste des différents registres

On peut retenir, pour l'essentiel :

  • le tragique, lié à la conscience de la mort inéluctable,
  • le comique, lié à la joie et au rire,
  • l'épique, lié à la fascination devant ce qui dépasse la nature humaine,
  • l'épidictique, associé à l'admiration,
  • l'élégiaque, à la plainte,
  • le polémique, à la colère,
  • le lyrique, à l'épanchement attendri,
  • le pathétique, à la pitié,
  • le délibératif, associé à l'exercice de la raison sur les passions,
  • le didactique, à la curiosité, au désir de savoir,
  • le satirique, à l'indignation et au blâme.

Mais il est des spécifications plus détaillées. Ainsi on peut distinguer dans le comique, des "sous-registres", comme l'ironique et même le "satirique" ( puisque l'indignation emprunte la voie du rire pour se faire entendre ).

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4. Registre et esthétique

Les esthétiques de caractère qu'on peut dire "classiques" mettent en avant la concordance entre genre, "style" ( soutenu, moyen et familier ) et sujet, répartissant ainsi les oeuvres en registres repérables : par exemple, la tragédie dit le tragique en disant l'illusion de l'homme qui croit pouvoir maîtriser sa condition, l'élégie dit l'élégiaque en faisant de la mort inéluctable la matière à un propos de déploration sans illusion. Mais le brouillage de ces catégories s'est répété au fil du temps.

L'un des enjeux majeurs de la notion de registre tient à la place qu'on lui donne dans l'analyse des oeuvres. S'il s'agit de gloser les textes, le registre devient une spécification parmi d'autres (dès lors, selon certains, la notion de "tonalité" peut suffire). En revanche, si le but retenu est de faire du littéraire une voie de connaissance de l'humain, les affects mis en jeu constituent un élément crucial de la signification des oeuvres.

Le dictionnaire du littéraire, coll. Dicos poche, éd. Quadrige / PUF, 2002