Objet d'étude : La littérature d'idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle.
Problématique : Comment la presse nous permet-elle de prendre part aux grands débats de société de notre temps ?
D'où vient le mot "reportage" ?
1. Sur le film : comment nous permet-il de voir le travail de l'abattoir ?
2. Sur le texte :
a. Quels procédés le journaliste utilise-t-il pour décrire l'abattoir ?
b. Comment le travail de l'abattoir est-il présenté dans ce début de reportage ?
Comparez les deux documents. Au-delà du thème, quels points communs pouvez-vous identifier ?
Raphaël Girardot et Vincent Gaullier, Saigneurs, 2017.
Le reportage suivant a été récompensé par la fondation Varenne. Une plongée dans le quotidien du plus gros abattoir porcin de France, à Lamballe.
REPORTAGE. Quarante minutes. C'est le temps qu'il aura fallu au cochon pour entrer vivant dans l'abattoir et en ressortir en deux moitiés de carcasse parfaitement nettoyées, prêtes à être réfrigérées. Entre-temps, la bête a été étourdie par trois électrodes, saignée, suspendue à des crochets par les pattes arrière, plongée cinq minutes dans une eau à 60°C pour ramollir la peau - l'échaudage -, épilée, puis flambée dans d'immenses fours qui lui brûlent les poils restants. Viennent ensuite l'ouverture de l'abdomen, l'éviscération, la découpe de l'anus, la séparation de la tête, le tranchage vertical, le retrait de la panne et enfin les contrôles et la pesée. Une cinquantaine d'opérations au total, pour passer du cochon au porc.
A la Cooperl de Lamballe (Côtes-d'Armor), le plus gros abattoir porcin de France, on tue un animal toutes les cinq secondes, 700 par heure, 50000 par semaine. Une tuerie de masse, orchestrée méthodiquement pour produire les jambons, les saucisses, les rôtis et les lardons engloutis par des consommateurs dont la demande de viande ne cesse d'augmenter dans le monde entier.
Si une partie des tâches est automatisée, la majorité reste effectuée par des ouvriers. Sur le site historique du groupe, ils sont 2000 salariés chargés de l'abattage, de la découpe, de la salaison, de la saucisserie ou de l'expédition. Un travail à la chaîne, physiquement et moralement éprouvant. Cadences élevées, horaires décalés, tâches harassantes, éprouvantes, répétitives et parfois dangereuses, effectuées dans un bruit incessant, dans le froid et l'humidité, avec du sang au sol et sur les vêtements: les postes, durs et ingrats, figurent parmi les pires de l'industrie française. [...]
De salle en salle, des kilomètres de rails et de tapis convoyeurs fendent sols et plafonds. Les machines soufflent, crissent, claquent, grondent et grincent - jusqu'à 85 décibels - à tel point qu'il faut parfois crier pour s'entendre. Seuls les ouvriers, bouchons aux oreilles, travaillent en silence, vêtus de la même tenue blanche, concentrés sur ces gestes mécaniques qu'ils répètent cent, mille fois par jour.
"On ne peut pas tout mécaniser"
Pour réduire la pénibilité de leurs tâches, la direction a multiplié les aménagements. Ici, une filmeuse automatique de palettes, une laveuse de bacs et une ficeleuse de rôtis. Là, une machine à affûter les couteaux. "De bons outils permettent aux opérateurs de moins forcer pour couper les morceaux de viande", confirme Arnaud Cyté, responsable de la sécurité du site. Plus loin, une plate-forme élévatrice évite aux salariés de trop se pencher et des équilibreurs limitent le port d'outils lourds. [...]
Pourtant, au détour d'un couloir, deux hommes portent à bout de bras une grille de jambons, 120kg en tout. "Ils ne devraient pas faire ça", indique, gêné, Arnaud Cyté. "Ça arrive tout le temps quand on charge des chariots de viande fraîche", rétorque Frédérick Rakotofiringa. Le jeune homme de 32 ans revient de deux mois d'arrêt de travail. "J'ai fait un faux mouvement sur un poste que je ne connaissais pas. Sur la moelleuse: on est face au porc coupé en deux et on aspire la moelle épinière, raconte-t-il. J'ai eu une lombalgie aiguë. J'avais déjà subi une tendinite aiguë à l'épaule." L'ouvrier, maintenant affecté à l'emballage des travers de porc, vient d'être nommé représentant syndical CFDT au comité d'entreprise pour "faire changer les choses".
Audrey Garric, "Les Saigneurs des abattoirs", Le Monde, publiée le 28 juin 2016
Lisez le texte ci-contre.
1. Résumez le texte ci-contre en 250 mots.
2. Selon vous, faut-il considérer les animaux comme "des presque nous-mêmes" ?
ENQUÊTE. [...] Parmi ceux de plus en plus nombreux qui s'indignent des mauvais traitements infligés aux animaux d'élevage, on distingue deux grands courants d'idées. Le premier, le plus couramment partagé, est le welfarisme, de l'anglais welfare, "bien-être" : il s'agit d'un mouvement réformiste qui ne vise pas à abolir l'exploitation animale mais à limiter la souffrance qu'elle génère il promeut notamment un élevage et un abattage plus respectueux des animaux, afin que leur bien-être soit pris en compte. Le second, l'antispécisme, découle directement du terme qui lui est opposé, le spécisme : un concept forgé en analogie avec les termes racisme et sexisme, en 1970, par le psychologue britannique Richard D. Ryder, et popularisé quelques années plus tard par le philosophe australien Peter Singer dans un livre majeur, La Libération animale (1975).
Comme le raciste et le sexiste,qui n'ont pas la même considération morale envers des personnes en fonction de leur supposée race ou de leur sexe, le spéciste établit une hiérarchie entre les espèces. Autant dire que nous le sommes tous, ou presque : depuis Aristote, nous admettons la prééminence de l'espèce humaine sur toutes les autres, et nous nous réservons la mise en oeuvre d'une éthique de la personne.Pour l'antispéciste, en revanche, l'espèce (à l'instar de la "race" et du sexe) ne peut constituer un critère pertinent de considération morale. Seul l'intérêt des individus est à prendre en compte, plus encore quand ils sont capables de plaisir et de souffrance. "Je soutiens qu'il ne peut y avoir aucune raison hormis le désir égoïste de préserver les privilèges du groupe exploiteur de refuser d'étendre le principe fondamental d'égalité de considération des intérêts aux membres des autres espèces", écrit Peter Singer.
"L'idée n'était pas de réclamer une égalité de nature ou de traitement entre les humains et les animaux, mais de pointer une faute dans le raisonnement et d'affirmer que d'autres espèces que la nôtre ont droit à voir leurs intérêts pris en compte, précise la philosophe Corine Pelluchon. Les animaux comptent parce qu'ils sont sensibles. Leur existence nous oblige." Selon cette logique, les poissons, les vaches, les cochons et les poules ont un intérêt évident à ne pas souffrir et à ne pas se faire tuer. La science ayant par ailleurs montré de façon récente au regard de notre histoire que l'homme peut rester en bonne santé sans consommer de produits d'origine animale, le mouvement antispéciste conteste donc la légitimité de l'élevage, de la pêche et des abattoirs. Quand le welfarisme cherche à agrandir les cages, l'antispécisme, lui, vise à les abolir.
Ce radicalisme est loin de convaincre le plus grand nombre. "L'antispécisme pose une question intéressante, qui touche à la fois une fibre implicite et essentielle la raison pour laquelle nous traitons notre espèce différemment des autres et l'un des aspects les plus quotidiens de notre alimentation", souligne Thierry Hoquet. Ce philosophe des sciences ne s'en dit pas moins mal à l'aise face aux interdits alimentaires stricts prônés par cette doctrine radicale, qu'il compare à "une pensée religieuse". "Cela m'a été utile de réfléchir à ce que je mettais dans mon assiette, mais l'acte de manger ne se limite pas à respecter des impératifs éthiques. Il comporte également des aspects nutritionnels, gastronomiques et culturels ce que nous appellerions aujourd'hui le "vivre-ensemble"", souligne-t-il.
Manger de la viande ? Se l'interdire ? Pour le philosophe Emanuele Coccia, il s'agit tout simplement d'un faux débat. "Nous ne sommes pas des plantes, nous ne sommes donc pas capables de vivre sans toucher à d'autres êtres vivants, sans leur arracher leur chair, leur vie et leur énergie, rappelle-t-il. Pour le dire de façon négative : notre vie est toujours un sacrifice d'autres êtres vivants, animaux ou végétaux. Pour le dire de façon positive : notre vie est la chance de réincarnation donnée à des poulets et à des salades." Plutôt que d'essayer de se blanchir la conscience en ne mangeant pas les êtres qui souffrent, il serait préférable de "resacraliser l'acte de l'alimentation, d'en faire une sorte de rituel qui nous oblige à nous souvenir, chaque fois qu'on mange, qu'on prend la vie d'une autre espèce". Pour l'auteur de La Vie des plantes (Rivages, 2016), l'antispécisme, en se préoccupant des intérêts des bêtes, a "étendu le narcissisme humain au royaume animal" : Darwin nous ayant appris que notre propre espèce appartenait au règne animal, il devient de plus en plus difficile de manger ceux qui nous ressemblent, car ils sont devenus des presque nous-mêmes. [...]
Si les antispécistes sont unanimes à vouloir abolir la chasse, la pêche et toute action humaine entraînant la souffrance ou la mort animale, certains poussent le débat plus loin encore. Doit-on, se demandent-ils, venir en aide à des êtres sensibles qui souffrent pour des raisons indépendantes de notre volonté, dans leur milieu naturel, où règne cruauté et loi de la jungle ? "Cela pose-t-il un problème moral que des lions mangent des gazelles ? Autrement dit : y a-t-il une nécessité morale à tenter de les en empêcher ?, reformule Thomas Lepeltier. C'est la même question qu'avec l'ingérence politique. Elle est à deux niveaux : ai-je le droit d'intervenir ? Et, si oui, est-ce que je ne vais pas causer plus de tort en le faisant qu'en ne le faisant pas ?" Il n'a pas la réponse, mais nous invite à y réfléchir.
Catherine Vincent, "Condition animale : les antispécistes vont-ils trop loin ?", lemonde.fr, le 29 mars 2019.
Quels sont les différents sens du mot 'tribune' ?
1. Oralisez le texte ci-contre en vous efforçant de travailler les intonations.
2. Quels procédés littéraires favorisent l'oralisation et la force de cette tribune ?
Comment l'orateur est-il représenté sur l'illustration d'Albert Eloy-Vincent ?
Dans son ouvrage Quand la faim ne justifie plus les moyens, l'organisation L214 appelle à dépasser les "oppositions stériles" entre végans et partisans d'une consommation modérée de viande pour sortir d'un "modèle agricole moribond et mortifère".
Albert Eloy-Vincent, Croquis pour servir à illustrer l'histoire de l'éloquence, 1910.
TRIBUNE. Nous, citoyennes, citoyens, organisations, conscients des enjeux éthiques, environnementaux, sanitaires et sociaux, ne voulons plus des élevages intensifs et industriels qui confinent les animaux dans des bâtiments fermés, dans des cages, dans des bassins en béton, les forçant à vivre dans des conditions de promiscuité extrêmes.
Nous ne voulons plus d'élevages intensifs non respectueux de l'environnement, fortement émetteurs de gaz à effet de serre, producteurs d'algues vertes et de pluies acides.
Nous ne voulons plus d'élevages intensifs destructeurs de la biodiversité, acteurs de la déforestation.
Nous ne voulons plus de ce système, soutenu par l'argent public, ennemi de l'intérêt général. Un système qui impose des conditions de travail éprouvantes, aliénantes et risquées, où les agriculteurs se suicident davantage que dans toute autre catégorie socioprofessionnelle.
Nous ne voulons plus des élevages intensifs qui favorisent l'antibiorésistance et l'émergence de nouveaux agents pathogènes extrêmement dangereux.
Nous ne voulons plus d'un système spéculatif créant des déséquilibres sociaux et économiques dans de nombreuses régions du monde.
Nous ne voulons plus d'un modèle alimentaire fortement carné et lacté qui sous-tend ces modes de production et qui met en danger notre santé.
Élus, responsables politiques, nous n'en pouvons plus, au mieux de votre immobilisme, au pire - et plus souvent - de votre soutien actif au lobby de l'élevage intensif.
L'urgence éthique, climatique, environnementale, sanitaire et sociale impose d'engager notre pays dans une transition agricole et alimentaire : nous devons nous diriger rapidement vers une consommation essentiellement végétale, durable, saine, respectueuse de l'environnement, des animaux et des humains.
Aujourd'hui, nous voulons des actes, des mesures fortes et concrètes pour sortir de l'impasse. Nous exigeons : un moratoire immédiat sur l'élevage intensif et l'interdiction de nouvelles constructions destinées à élever des animaux sans accès au plein air; un plan concret de sortie de l'élevage intensif, avec accompagnement des personnes qui en dépendent aujourd'hui vers des productions alternatives; une végétalisation d'ampleur de l'alimentation en restauration collective publique ou privée.
Elus, responsables politiques, serez- vous au rendez-vous ?
Le monde, Jeudi 5 septembre 2019.