Objet d'étude : La littérature d'idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle
Problématique : Qu'est-ce qu'on entend par "crise de la lecture" ? Y a-t-il vraiment une "crise de la lecture" ? Quelles en sont les causes ? Quelles seraient les remèdes ?
Résumez cet article en 90 mots environ.
Comment cet article définit-il la "crise de la lecture" ?
Y a-t-il, selon vous, d'autres causes à cette "crise de la lecture" ?
Lourds nuages, houle énorme, c'est sur une mer bien hostile que les éditeurs français ont dû naviguer en 2017. "Le premier semestre s'est révélé apocalyptique", affirme l'éditrice Héloïse d'Ormesson, patronne de la maison du même nom. "Désastreux", selon Pierre Conte, directeur général du groupe Editis (Robert Laffont, Plon, Belfond, La Découverte...). "Horribilis", aux yeux de Sébastien Rouault, directeur du panel Livres de l'institut d'études de marché GFK, selon qui "le marché a chuté de 6 % en volume comme en chiffre d'affaires au cours des six premiers mois, du jamais-vu." [...]
La concurrence entre la lecture et les autres loisirs est indéniable. "Le livre, depuis longtemps en concurrence avec le théâtre, les concerts et la télévision, affronte désormais le jeu vidéo, les réseaux sociaux, les séries... alors que le temps consacré aux loisirs reste le même", note Vincent Monadé [président du Centre national du livre]. "Dans les dîners en ville, on parle davantage des séries que l'on a vues que des livres que l'on vient de lire", ajoute Laurent Laffont [directeur général de JC Lattès]. La compétition s'envenime. "Force est de constater qu'un roman coûte le prix de deux mois d'abonnement à Netflix", dit Pierre Conte. L'arbitrage financier ne s'effectue plus forcément en faveur de la littérature.
"On assiste à un changement de paradigme. La crise de la lecture n'est pas un vain mot",explique Sabine Wespieser [à la tête de sa maison d'édition indépendante]. "Il n'y a plus de gros lecteurs, de ceux qui lisent tout Zola", déplore Claude de Saint-Vincent, directeur général de Média Participations. "Jadis, à 18 ans, on avait forcément lu Le Comte de Monte-Cristo. Aujourd'hui, les adolescents peuvent rester treize heures devant un écran à dévorer Le Bureau des légendes." Et pour les plus jeunes, "l'utilisation du passé simple dans Le Club des Cinq, d'Enid Blyton, a été supprimée et l'histoire encore simplifiée", constate-t-il, en se demandant s'il faut hurler de rire ou en pleurer... "On n'a pas réussi à démontrer que le livre peut être sexy ", regrette Vincent Monadé. C'est sans doute à cette tâche à la fois complexe et grisante que devront s'atteler les éditeurs, pour enfin redonner de l'appétit aux lecteurs.
Nicole Vulser, "L'édition en 2017 : coups de roulis", Le Monde des Livres, 12 janvier 2018
1. Comparez ces deux scènes de lecture.
2. Laquelle vous paraît relever de la "crise de la lecture" ?
3. De laquelle vous sentez-vous le plus proche ? Pourquoi ?
Racontez, dans l'ordre que vous le souhaitez, mais de façon précise, votre pire et votre meilleure expérience de lecture, que ce soit à l'école ou en dehors.
1. Selon vous, les fameuses "fiches de lecture" sont-elles utiles ? Pourquoi ?
2. Faites la liste des activités que vous avez menées, au cours des années précédentes, sur les livres, et classez-les, de celles que vous avez le plus aimées, à celles que vous avez le moins aimé.
1. L'épouse défunte très jeune du narrateur.
Le personnage principal de ce roman, "le vieux", vit en Amazonie, parmi les indiens Shuars. C'est un passionné de romans "à l'eau de rose".
Après avoir mangé les crabes délicieux, le vieux nettoya méticuleusement son dentier et le rangea dans son mouchoir. Après quoi il débarrassa la table, jeta les restes par la fenêtre, ouvrit une bouteille de Frontera et choisit un roman.
La pluie qui l'entourait de toutes parts lui ménageait une intimité sans pareille.
Le roman commençait bien.
"Paul lui donna un baiser ardent pendant que le gondolier complice des aventures de son ami faisait semblant de regarder ailleurs et que la gondole, garnie de coussins moelleux, glissait sur les canaux vénitiens."
Il lut la phrase à voix haute et plusieurs fois.
Qu'est-ce que ça peut bien être, des gondoles ?
Ça glissait sur des canaux. Il devait s'agir de barques ou de pirogues. Quant à Paul, il était clair que ce n'était pas un individu recommandable, puisqu'il donne un "baiser ardent" à la jeune fille en présence d'un ami, complice de surcroit.
Ce début lui plaisait.
Il était reconnaissant à l'auteur de désigner les méchants dès le départ. De cette manière, on évitait les malentendus et les sympathies non méritées.
Restait le baiser – quoi déjà ? – "ardent". Comment est-ce qu'on pouvait faire ça ?
Il se souvenait des rares fois où il avait donné un baiser à Dolores Encarnación del Santísimo Sacramento Estupiñán Otavalo1. Peut-être, sans qu'il s'en rende compte, l'un de ces baisers avait-il été ardent, comme celui de Paul dans le roman.
En tout cas il n'y avait pas eu beaucoup de baisers, parce que sa femme répondait par des éclats de rire, ou alors elle disait que ça devait être un péché.
Un baiser ardent. Un baiser. Il avait découvert récemment qu'il n'en avait guère donné, et seulement à sa femme, car les Shuars ne connaissent pas le baiser.
Il existe chez eux, entre hommes et femmes, des caresses sur tout le corps, sans se préoccuper de la présence de tiers. Même quand ils font l'amour, ils ne se donnent pas de baisers. [...]
Non, chez les Shuars le baiser n'existe pas.
Il se souvenait aussi d'avoir vu, une fois, un chercheur d'or culbuter une femme jivaro, une pauvresse qui rôdait chez les colons et les aventuriers en mendiant une gorgée d'aguardiente. Tous les hommes qui en avaient envie pouvaient l'emmener dans un coin et la posséder. Abrutie par l'alcool, la malheureuse ne se rendait pas compte de ce qu'on faisait d'elle. Cette fois-là, un aventurier l'avait prise sur la plage et avait cherché à coller sa bouche à la sienne.
La femme avait réagi comme un animal sauvage. Elle avait fait rouler l'homme couché sur elle, lui avait lancé une poignée de sable dans les yeux et était allée ostensiblement vomir de dégout.
Si c'était cela un baiser ardent, alors le Paul du roman n'était qu'un porc.
Quand arriva l'heure de la sieste, il avait lu environ quatre pages et réfléchi à leur propos, et il était préoccupé de ne pouvoir imaginer Venise en lui prêtant les caractères qu'il avait attribués à d'autres villes, également découvertes dans des romans.
Luis Sepúlveda, Le vieux qui lisait des romans d'amour, 1989.
Dans cet essai, Daniel Pennac réfléchit sur l'enseignement de la lecture dans le monde scolaire. L'essai est rempli de scènes fictives, comme celle qui suit.
Reste la question du grand, là haut, dans sa chambre.
Lui aussi, il aurait besoin d'être réconcilié avec "les livres" !
Maison vide, parents couchés, télévision éteinte, il se retrouve donc seul… devant la page 48.
Et cette "fiche de lecture" à rendre demain…
Demain…
Bref calcul mental :
446 – 48 = 398.
Trois cent quatre-vingt-dix-huit pages à s'envoyer dans la nuit !
Il s'y remet bravement. Une page poussant l'autre. Les mots du "livre" dansent entre les oreillettes de son walkman. Sans joie. Les mots ont des pieds de plomb. Ils tombent les uns après les autres, comme ces chevaux qu'on achève. Même le solo de batterie n'arrive pas à les ressusciter. (Un fameux batteur, pourtant, Kendall !) Il poursuit sa lecture sans se retourner sur le cadavre des mots. Les mots ont perdu leur sens, paix à leurs lettres. Cette hécatombe ne l'effraye pas. Il lit comme on avance. C'est le devoir qui le pousse. Page 62, page 63.
Il lit.
Que lit-il ?
L'histoire d'Emma Bovary.
L'histoire d'une fille qui a beaucoup lu :
"Elle avait lu Paul et Virginie et elle avait rêvé la maisonnette de bambous, le nègre Domingo, le chien Fidèle, mais surtout l'amitié douce de quelque bon petit frère, qui va chercher pour vous des fruits rouges dans des grands arbres plus hauts que des clochers, ou qui court pieds nus sur le sable, vous apportant un nid d'oiseau. "
Le mieux est de téléphoner à Thierry, ou à Stéphanie, pour qu'ils lui passent leur fiche de lecture, demain matin, qu'il recopiera vite fait, avant d'entrer en cours, ni vu ni connu, ils lui doivent bien ça.
"Lorsqu'elle eut treize ans, son père l'amena lui-même à la ville pour la mettre au couvent. Ils descendirent dans une auberge du quartier Saint-Gervais où ils eurent à leur souper des assiettes peintes qui représentaient l'histoire de mademoiselle de La Vallière. Les explications légendaires, coupées çà et là par l'égratignure des couteaux, glorifiaient toutes la religion, les délicatesses du cœur et les pompes de la Cour."
La formule : "Ils eurent à leur souper des assiettes peintes…" lui arrache un sourire fatigué : "On leur a donné à bouffer des assiettes vides ? On leur a fait becqueter l'histoire de cette La Vallière ? " Il fait le malin. Il se croit en marge de sa lecture. Erreur, son ironie a tapé dans le mille. Car leurs malheurs symétriques viennent de là : Emma est capable d'envisager son assiette comme un livre, et lui son livre comme une assiette.
Daniel Pennac, Comme un roman, 1992.
Lisez l'infographie réalisée par le Centre National du Livre sur "les jeunes Français et la lecture" en 2022.
1. Quels chiffres vous surprennent ? Pourquoi ?
2. Quels chiffres vous paraissent intéressants ? Pourquoi ?
3. Illustrez l'une de ces statistiques avec une anecdote ou une habitude personnelle.
Quelles sont, selon vous, les "différentes manières de ne pas lire un livre" ?
1. Quelle méthode de lecture nous est proposée dans cet extrait ?
2. Qu'en pensez-vous ?
Selon vous, est-on libre d'interpréter un texte comme on le souhaite ?
Dans un autre de ses romans, Oreiller d'herbes, Sôseki nous présente un peintre qui s'est retiré dans les montagnes pour faire le point sur son art. Un jour entre dans la pièce où il travaille la fille de sa logeuse, qui, le voyant avec un livre, lui demande ce qu'il est en train de lire. Le peintre lui répond qu'il l'ignore, puisque sa méthode consiste à ouvrir le livre au hasard et à lire la page qui lui tombe sous les yeux sans rien savoir du reste. Devant la surprise de la jeune femme, le peintre lui explique qu'il est pour lui plus intéressant de procéder ainsi : "J'ouvre le livre au hasard comme je tirerais au sort et je lis la page qui me tombe sous les yeux et c'est là ce qui est intéressant." La femme lui suggère alors de lui montrer comment il lit, ce qu'il accepte de faire, en lui donnant au fur et à mesure une traduction japonaise du livre anglais qu'il a en main. Il y est question d'un homme et d'une femme dont on ignore tout sinon qu'ils se trouvent sur un bateau à Venise. À la question de sa compagne, désireuse de savoir qui sont ces personnages, le peintre répond qu'il n'en sait rien, puisqu'il n'a pas lu le livre, et qu'il tient précisément à ne pas le savoir :
— Qui sont cet homme et cette femme ?
— Moi-même je n'en sais rien. Mais c'est justement pour cela que c'est intéressant. On n'a pas à se soucier de leurs relations jusque-là. Tout comme vous et moi qui nous retrouvons ensemble, ce n'est que cet instant qui compte.
Ce qui est important dans le livre lui est extérieur, puisque c'est le moment du discours dont il est le prétexte ou le moyen. Parler d'un livre concerne moins l'espace de ce livre que le temps du discours à son sujet. Ici, la véritable relation ne concerne pas les deux personnages du livre, mais le couple de ses "lecteurs". Or ceux-ci pourront d'autant mieux communiquer que le livre les gênera moins et qu'il demeurera un objet plus ambigu. C'est à ce prix que les livres intérieurs de chacun auront quelque chance [...] de se relier un bref moment les uns aux autres.
Ainsi convient-il, pour chaque livre surgi au hasard des rencontres, de se garder de le réduire par des affirmations trop précises, mais bien plutôt de l'accueillir dans toute sa polyphonie, pour ne rien laisser perdre de ses virtualités. Et d'ouvrir ce qui vient de ce livre – titre, fragment, citation vraie ou fausse –, comme ici l'image du couple sur le bateau à Venise, à toutes les possibilités de liens susceptibles, en cet instant précis, d'être créés entre les êtres.
Pierre Bayard, Comment parler des livres qu'on n'a pas lus, 2007.
Organisez, par groupes de 4, un débat sur le thème : "La crise de la lecture". Les personnages seront : un animateur ; un professeur de français ; un élève (lycée ou collège) ; un éditeur ou un libraire.
Votre débat pourra porter sur une ou plusieurs des questions suivantes : "Crise de la lecture" : Qu'est-ce que cette expression désigne ? Quelles en sont les causes ? Quelles conséquences ? Faut-il s'adapter ou lutter ? Pourquoi ? Comment ? ...
Vous pourrez prendre appui sur ce qui a été vu pendant le chapitre. Les prises de parole de chacun seront argumentées.