Problématique : Quelle est la place de l'écrit dans le monde contemporain ? Un vestige du passé en voie de disparition, ou un phénomène en pleine expansion ?
Observez la photographie de Nicolas Damiens. Qu'est-ce qui vous frappe ?
Selon vous, quelle est la place de l'écrit aujourd'hui ? Écrit-on, lit-on plus, autant ou moins qu'au début du xxème siècle ?
1. Classez les différentes formes d'écrit recensées dans le texte de Robert Massin.
2. À quoi sert l'écrit dans la ville ?
La grande artère new-yorkaise de Broadway — et son epicentre Times Square — ont la plus forte densité typographique du monde.
Les enseignes de cinéma, temples de lumière, dans la 42e Rue. L'enseigne géante de l'hôtel Stardust à Las Vegas, faite de 45 000 ampoules ; celle de Macy's à New York (The World's Largest Store) couvrant six étages. Un Américain moyen peut voir jusqu'à 1 500 annonces dans la même journée. Le point critique est atteint à Las Vegas (de jour comme de nuit) et à Hong Kong.
La ville est un grand livre ouvert, d'une écriture anonyme. Il suffit de regarder : les images vous parlent.
Nicolas Damiens, Tokyo No Ads, 2015.
Les stations-services hérissées de mâts, de piliers, d'oriflammes dont les labels géants claquent au soleil.
Les affiches du métro penchées au-dessus de voyageurs endormis.
Les murs qui parlent et font des bulles, les ballons qui emportent la parole dans le ciel où des avions capricieux tracent des messages.
Les colonnes Morriss et les affiches lacérées qui composent des slogans inconnus. Les graffiti.
Les enseignes du siècle dernier, oubliées.
Les ardoises des marchés, les caisses d'emballage aux lettres exotiques, les féeries foraines.
L'épicerie et sa vitrine en damier d'affichettes multicolores, le mur de papier des kiosques à journaux, les puzzles de couleur des droguistes parisiens, les vitres des cafés psalmodiant leurs titres gothiques (banana split, ice cream soda), les barbouillages au blanc d'Espagne, les stores des magasins, la surenchère des soldes, les liquidations totales qui habillent les façades de calicot.
Les étiquettes de prix géantes des Prisunic, les murs peints, les maisons bigarrées, les messages des hippies, " we love you", les affiches mortuaires italiennes, les numéros minéralogiques, les plans.
Les journaux, les magazines, les prospectus, les tracts, les affiches, la posologie, le courrier, les télégrammes, les livres, les dictionnaires, les annuaires, les thèses, les modes d'emploi, les cartes de géographie, les petites annonces et le courrier du cœur.
Les téléscripteurs, les bandes dessinées, les jetons, les tickets et les billets de banque, les menus calligraphiés, les vitrines de libraires et des agents immobiliers. Et tous les néons qui courent, les mots qui clignotent, les lettres qui grimpent aux enseignes ou en dégringolent. Les caravanes publicitaires, la publicité ambulante, les hommes-sandwiches et les pochettes d'emballage qui marchent de conserve avec les piétons.
L'arithmétique mystérieuse qui couvre les wagons de marchandises, la course des chiffres sur les compteurs.
Le pavillon de Cuba à Montréal, subversif, dramatique, entièrement typographique en noir et blanc, murs, sol, plafond.
Les poteaux indicateurs et les bras multiples, toutes les pancartes qui pendent au-dessus de la rue, surgissent des façades, des pignons, des renfoncements, zèbrent les espaces morts, montent à l'assaut des étages. Les affichettes ne soyez plus ridicule apprenez à danser qui descendent des gouttières parisiennes, les distributeurs automatiques, les machines qui font tilt, les boîtes aux lettres, les lambeaux d'affiches qui frissonnent au vent, les inscriptions qui courent sur la chaussée, les placards administratifs, les surenchères électorales, les guérites de la Loterie nationale, les horaires, les plaques de rues, les défense d'afficher ou les papiers s.v.p.
Et tous les danger, fragile, attention à la peinture, sortie de secours, police, wait, walk, no parking (Sunday parade), no entry, sans parler de toutes ces prépositions à la hauteur de l'œil et de la main : in, out, up, down, pull, push...
Massin, La Lettre et l'image, in Communication et langages, vol. 6, 1970.
Quelle est la forme et la fonction des différents écrits ci-contre ?
En vous inspirant des derniers exemples ci-contre, réalisez une affiche de sensibilisation sur les formes et les fonctions de l'écriture, que ce soit pour soi ou pour autrui.
Honoré de Balzac, La Femme supérieure, 1re partie, Manuscrit autographe et épreuves corrigées, mai-juin 1837 |
Georges Perec, "Cahier des charges" de La Vie mode d'emploi (paru en 1978). |
La Ligue contre le cancer, 'Autopsie d'un meurtrier', 2004. |
Quels sont les différences entre ces deux modes de correspondance ?
Pensez-vous qu'on puisse réellement connaître quelqu'un à travers des messages écrits ? Justifiez votre point de vue en vous appuyant sur des exemples tirés de votre culture.
Un(e) ami(e) a rencontré quelqu'un sur les réseaux sociaux. Il(elle) n'est pas sûr(e) de ses sentiments, et vous demande votre avis : doit-il(elle) s'engager davantage dans une telle relation ?
Vous lui répondez dans un long message argumenté. Votre réponse fera plusieurs paragraphes.
Le niveau de langue sera correct.
Vous proposerez une synthèse organisée et objective de ces trois documents en vous appuyant sur les questions suivantes.
1. Pourquoi écrit-on ?
2. Faut-il du temps pour écrire ?
3. Que se passe-t-il, une fois la lettre envoyée ?
1. Irritation, désagrément.
2. Petite pièce à l'écart, l'expression désigne ici l'intérieur du carrosse.
3. Plaque ou objet exprimant la gratitude dans une église ou chapelle en remerciement d'une grâce obtenue ; ici remerciement pour avoir survécu à un naufrage.
4. Votre attitude révélera vos sentiments.
Madame de Sévigné entretient avec sa fille, Madame de Grignan, une correspondance intense depuis le mariage et l'éloignement géographique de cette dernière. Madame de Sévigné écrit cette lettre alors qu'elle voyage en France.
A Blois, jeudi 9 mai 1680
Je veux vous écrire tous les soirs, ma chère enfant ; rien ne me peut contenter que cet amusement. Je tourne, je marche, je veux reprendre mon livre ; j'ai beau tourner une affaire, je m'ennuie, et c'est mon écritoire qu'il me faut. Il faut que je vous parle, et qu'encore que cette lettre ne parte ni aujourd'hui, ni demain, je vous rende compte tous les soirs de ma journée.
Mon fils est parti cette nuit d'Orléans par la diligence, qui part tous les jours à trois heures du matin, et arrive le soir à Paris ; cela fait un peu de chagrin1 à la poste. Voilà les nouvelles de la route, en attendant celles de Danemark. Nous sommes montés dans le bateau à six heures par le plus beau temps du monde ; j'y ai fait mettre le corps de mon grand carrosse, d'une manière que le soleil n'a point entrée dedans : nous avons baissé les glaces ; l'ouverture du devant fait un tableau merveilleux ; celle des portières et des petits côtés nous donne tous les points de vue qu'on peut imaginer. Nous ne sommes que l'abbé et moi dans ce joli cabinet2 , sur de bons coussins, bien à l'air, bien à notre aise. [...]
Enfin nous sommes arrivés ici de bonne heure ; chacun tourne, chacun se rase, et moi j'écris romanesquement sur le bord de la rivière, où est située notre hôtellerie : c'est la Galère ; vous y avez été.J'ai entendu mille rossignols ; j'ai pensé à ceux que vous entendez sur votre balcon. Je n'ose vous dire, ma fille, la tristesse que l'idée de votre délicate santé a jetée sur toutes mes pensées : vous le comprenez bien, et à quel point je souhaite que cette santé se rétablisse ; si vous m'aimez, vous y mettrez vos soins et votre application, afin de me témoigner la véritable amitié que vous avez pour moi : cet endroit est une pierre de touche 4.
Bonsoir, ma très chère ; adieu jusqu'à demain à Tours.
Madame de Sévigné, Lettre à Madame de Grignan.
C. Wajsbrot est romancière, traductrice et essayiste. Dans un article consacré à la lettre et à sa temporalité, elle analyse le rapport au temps crée par l'activité épistolaire.
Que veulent dire ces gestes, se mettre à une table, prendre une feuille de papier et écrire, écrire, tandis que le temps passe, puis plier et glisser cette feuille dans l'enveloppe, les gestes de toujours, les gestes de longtemps, inchangés malgré les changements et le progrès, la première carte postale apparue en Autriche, et les stylos à encre, et les stylos à bille, et les claviers d'ordinateurs ? [...]
C'est le paradoxe de la correspondance. Voilà comment nous paraissons : seuls chez nous ou parmi d'autres, silencieux, immobiles et pourtant à l'écoute de quelqu'un comme nous ne le sommes, ne le serons jamais en sa présence, à l'écoute de celui auquel nous nous adressons, pas par intérêt ou par occupation, pas par divertissement ou par distraction, mais simplement parce que nous avons quelque chose à lui dire, quelque chose d'important. [...]
Il n'est rien de pire qu'une question sans réponse, et que dire d'une lettre sans réponse, une lettre qui est une série de questions adressées à quelqu'un. Quelle horreur lorsque les jours s'enchaînent aux jours et que rien ne vient, que chaque jour qui passe confirme que la réponse n'arrive pas - plus le temps passe, plus il est improbable qu'elle vienne - qu'elle ne viendra jamais, et on reste avec sa question en suspens. [...] Chaque mot de la lettre nous revient et se fiche comme la flèche qui vient blesser, une série de flèches qui se décochent l'une après l'autre et dire que personne n'est là pour les retirer, chaque mot de la lettre est un mot de trop, qu'aurions-nous fait à sa place, si nous l'avions reçue, nous ne savons pas trop, ce n'est pas une lettre si facile à recevoir - mais elle n'était pas si facile à écrire - certes, nous n'en savons rien mais nous savons quelque chose, nous savons que nous aurions répondu. [...]
Nous découvrons au fur et à mesure ce que nous allons dire, ce que nous écrivons, ce que nous avons à dire. C'est ainsi que s'instaure le dialogue et que se crée la relation de correspondance, une relation particulière qui n'est pas sur le ton de la conversation, où tout prend une autre durée et donc une autre valeur.
Car dans la vie courante, qui prend le temps de laisser à l'autre le temps de chercher ses mots et le temps du silence qui s'installe comme le soir descend ?
C. Wajsbrot, Ainsi, on attend LA lettre, in La Conversation, dir. Gérald Cahen, coll. Mutations, éd. Autrement, 1999.
Universitaire québecquois, B. Melançon s'est penché très tôt sur l'usage du courrier électronique. Dans une interview pour Libération, il livre ses réflexions sur l'e-mail et ses différences avec la lettre.
L'"e-mail" changerait le rapport au temps, à l'espace et à l'absence?
Ecrire une lettre supposait classiquement un rapport particulier au temps et à l'absence. L'absence constituait à la fois un thème de la lettre et sa condition d'existence.
Quand, comme moi, on lit beaucoup de lettres, on voit que les correspondants sont obsédés par le temps. "Je vous ai écrit il y a deux semaines, vous ne m'avez pas répondu." Mais les intervalles de temps dont se nourrissait la lettre ont été "écrasés" par la quasi-instantanéité du courrier électronique. On écrit un message en se disant qu'il arrivera tout de suite, que la personne soit dans la pièce d'à côté ou à l'autre bout de la planète. Traditionnellement, à cause de l'épaisseur du temps, la lettre obligeait à se mettre en scène. On écrivait: "Vous êtes en train de me lire", ce qui signifiait: "Nous sommes séparés, mais faisons comme si nous étions ensemble." De la fiction pure. Alors que dans l'e-mail, c'est vrai. Je suis en train de vous écrire et, dans vingt secondes, vous serez en train de me lire. A partir du moment où on sait qu'on est dans l'instantanéité, on ne raconte pas la même chose, pas de la même façon. Les lettres sont généralement plus longues que les e-mails, et l'épistolier ne cesse de se montrer en train d'écrire. Une introspection étrangère au courriel qui est fait pour faire et faire vite, et qui dit: "échangeons ce que nous avons à échanger, réglons ce que nous avons à régler". [...]
A quoi tient cette circulation "pandémique" des énoncés dont vous parlez?
D'abord, dans l'e-space, le temps est compté. L'internaute fait comme s'il était impératif, parfois au détriment de la réflexion, de répondre immédiatement à tout appel traversant son écran. Quitte à le regretter. Et à renvoyer un message disant: "J'ai répondu trop vite." Les mordus de l'ordinateur (comme la plupart des gens qui écrivent sur son rôle dans la société) sont des gens pressés, obsédés par la vitesse, pour qui l'instant a plus de valeur que la durée. Il y a aussi visiblement un plaisir à faire circuler l'information: on se met à envoyer des copies de ce qu'on reçoit à des tas de gens. Au XVIIIe siècle, il arrivait qu'on copie une lettre à la main, mais c'était long et compliqué. Photocopier un texte est déjà plus rapide, mais ce n'est pas un geste qu'on fait spontanément. En revanche, c'est "trop facile" de répercuter un message électronique à 50 personnes. Là où des règles relativement claires existaient (la lecture en cercle transformait parfois du privé en du public, on photocopiait parfois son courrier), il n'y a plus rien.
"Quelle différence avec la lettre ? Le fétichisme", entretien de N. Levisalles avec B. Mélançon, Libération, 15 janvier 1999.