L'Illusion comique

Objet d'étude : Le texte théâtral et sa représentation, du XVIIème siècle à nos jours

Problématique générale : Le théâtre, simple divertissement ou réflexion de la réalité ?

Support : Corneille, L'Illusion comique, coll. Livre de Poche, éd. LGF (texte conforme à l'édition de 1639).

Choix de mises en scène :

- Marion Bierry au théâtre de Poche Montparnasse à Paris en 2006 ;

- Matthieu Amalric, L'Illusion comique, La Comédie Française et France Télévision, 2010.

- Éric Vigner au théâtre de Lorient en 2015.

Séance 01

"Un étrange monstre"

Observation

Que représente ce tableau ?

Pistes

Notion : Le baroque

En peinture, le genre des Vanités est, pendant la première moitié du XVIIe s., un lieu commun. Le mot "vanité" est à prendre au sens de "apparence sans réalité, illusion." La banière indique : "Aeterne pungit, cito volat et occidit" : "Il pique sans cesse, vole rapidement et tue."

Le rêve du chevalier

A. de Pereda, Le Rêve du chevalier, 1655, 152x217cm.

Document B

La Vie est un songe raconte l'histoire de Sigismond, retenu dans une tour depuis sa naissance, par son père, le roi de Pologne, averti par les étoiles qu'il serait un tyran. Cependant, pour le mettre à l'épreuve, son père fait en sorte qu'il se réveille un matin dans le lit royal, avec tous ses pouvoirs, comme si sa captivité n'avait été qu'un rêve. D'abord sceptique, Sigismond se livre ensuite sans retenue à ses désirs : il essaie de tuer son précepteur, tente de violer une jeune femme. Au réveil, il est de nouveau en captivité, dans sa tour, et toute cette journée n'a semblé être qu'un rêve.

Clothalde

Comme nous avions parlé

De cet aigle, quand tu t'es endormi,

Tu as rêvé d'empires ;

Mais même en rêve il eût convenu,

Sigismond, d'honorer alors

Celui qui s'est donné tant de mal

Pour t'élever; même en songe, en effet,

Ce n'est jamais en vain que l'on pratique le bien.

Il sort.

Sigismond

Cela est vrai. Eh bien, réprimons alors ce naturel sauvage,

Cette furie, cette ambition,

Au cas où nous aurions un songe de nouveau.

C'est décidé, nous agirons ainsi

Puisque nous habitons un monde si étrange

Que la vie n'est rien d'autre que songe ;

Et l'expérience m'apprend

Que l'homme qui vit, songe

Ce qu'il est, jusqu'à son réveil.

Le Roi songe qu'il est un roi, et vivant

Dans cette illusion il commande,

Il décrète, il gouverne ;

Et cette majesté, seulement empruntée,

S'inscrit dans le vent,

Et la mort en cendres

La change, oh ! cruelle infortune !

Qui peut encor vouloir régner,

Quand il voit qu'il doit s'éveiller

Dans le songe de la mort ?

Le riche songe à sa richesse,

Qui ne lui offre que soucis ;

Le pauvre songe qu'il patit

De sa misère et de sa pauvreté ;

Il songe, celui qui prospère;

Il songe, celui qui s'affaire et prétend,

Il songe, celui qui outrage et offense ;

Et dans ce monde, en conclusion,

Tous songent ce qu'ils sont,

Mais nul ne s'en rend compte.

Moi je songe que je suis ici,

Chargé de ces fers,

Et j'ai songé m'être trouvé

En un autre état plus flatteur.

Qu'est-ce que la vie ? Un délire.

Qu'est-ce donc la vie ? Une illusion,

Une ombre, une fiction ;

Le plus grand bien est peu de chose,

Car toute la vie n'est qu'un songe,

Et les songes ne sont rien d'autre que des songes.

A. Calderon, La Vie est un songe, deuxième journée, 1636 (trad. de B. Sesé).

Recherche

En vous appuyant sur L'Examen qui précède le texte de la pièce, et votre lecture de la pièce, complétez le tableau ci-contre.

Pistes

I II III IV V
Action et personnages représentés
Lieu et moment
Dramaturge(s) : celui (ceux) qui fait (font) mouvoir les personnages sur scène
Spectateur(s)
Genre

Séance 02

"Cette grotte obscure..."

Oral

Après avoir lu la première scène de la pièce, proposez :

- une scénographie

- des costumes

Recherche

Proposez une lecture analytique de cet extrait.

Dorante

Ce mage qui d'un mot renverse la nature

N'a choisi pour palais que cette grotte obscure.

La nuit qu'il entretient sur cet affreux séjour

N'ouvrant son voile épais qu'aux rayons d'un faux jour,

De leur éclat douteux n'admet en ces lieux sombres

Que ce qu'en peut souffrir le commerce des ombres.

N'avancez pas : son art au pied de ce rocher

A mis de quoi punir qui s'en ose approcher ;

Et cette large bouche est un mur invisible,

Où l'air en sa faveur devient inaccessible,

Et lui fait un rempart, dont les funestes bords

Sur un peu de poussière étalent mille morts.

Jaloux de son repos plus que de sa défense,

Il perd qui l'importune, ainsi que qui l'offense ;

Malgré l'empressement d'un curieux désir,

Il faut, pour lui parler, attendre son loisir :

Chaque jour il se montre, et nous touchons à l'heure

Où, pour se divertir, il sort de sa demeure.

Pridamant

J'en attends peu de chose, et brûle de le voir.

J'ai de l'impatience, et je manque d'espoir.

Ce fils, ce cher objet de mes inquiétudes,

Qu'ont éloigné de moi des traitements trop rudes,

Et que depuis dix ans je cherche en tant de lieux,

A caché pour jamais sa présence à mes yeux.

Sous ombre qu'il prenait un peu trop de licence,

Contre ses libertés je roidis ma puissance ;

Je croyais le dompter à force de punir,

Et ma sévérité ne fit que le bannir.

Mon âme vit l'erreur dont elle était séduite :

Je l'outrageais présent, et je pleurai sa fuite ;

Et l'amour paternel me fit bientôt sentir

D'une injuste rigueur un juste repentir.

Il l'a fallu chercher : j'ai vu dans mon voyage

Le Pô, le Rhin, la Meuse, et la Seine, et le Tage :

Toujours le même soin travaille mes esprits ;

Et ces longues erreurs ne m'en ont rien appris.

Enfin, au désespoir de perdre tant de peine,

Et n'attendant plus rien de la prudence humaine,

Pour trouver quelque borne à tant de maux soufferts,

J'ai déjà sur ce point consulté les enfers ;

J'ai vu les plus fameux en la haute science

Dont vous dites qu'Alcandre a tant d'expérience :

On m'en faisait l'état que vous faites de lui,

Et pas un d'eux n'a pu soulager mon ennui.

L'enfer devient muet quand il me faut répondre,

Ou ne me répond rien qu'afin de me confondre.

Dorante

Ne traitez pas Alcandre en homme du commun,

Ce qu'il sait en son art n'est connu de pas un.

Je ne vous dirai point qu'il commande au tonnerre,

Qu'il fait enfler les mers, qu'il fait trembler la terre ;

Que de l'air, qu'il mutine en mille tourbillons,

Contre ses ennemis il fait des bataillons ;

Que de ses mots savants les forces inconnues

Transportent les rochers, font descendre les nues,

Et briller dans la nuit l'éclat de deux soleils ;

Vous n'avez pas besoin de miracles pareils :

Il suffira pour vous qu'il lit dans les pensées,

Qu'il connaît l'avenir et les choses passées ;

Rien n'est secret pour lui dans tout cet univers,

Et pour lui nos destins sont des livres ouverts.

Moi-même, ainsi que vous, je ne pouvais le croire :

Mais sitôt qu'il me vit, il me dit mon histoire ;

Et je fus étonné d'entendre le discours

Des traits les plus cachés de toutes mes amours.

Pridamant

Vous m'en dites beaucoup.

Dorante

J'en ai vu davantage.

Pridamant

Vous essayez en vain de me donner courage ;

Mes soins et mes travaux verront, sans aucun fruit,

Clore mes tristes jours d'une éternelle nuit.

Dorante

Depuis que j'ai quitté le séjour de Bretagne

Pour venir faire ici le noble de campagne,

Et que deux ans d'amour, par une heureuse fin,

M'ont acquis Sylvérie et ce château voisin,

De pas un, que je sache, il n'a déçu l'attente :

Quiconque le consulte en sort l'âme contente.

Croyez-moi, son secours n'est pas à négliger :

D'ailleurs, il est ravi quand il peut m'obliger ;

Et j'ose me vanter qu'un peu de mes prières

Vous obtiendra de lui des faveurs singulières.

Pridamant

Le sort m'est trop cruel pour devenir si doux.

Dorante

Espérez mieux : il sort, et s'avance vers nous.

Regardez-le marcher ; ce visage si grave,

Dont le rare savoir tient la nature esclave,

N'a sauvé toutefois des ravages du temps

Qu'un peu d'os et de nerfs qu'ont décharnés cent ans,

Son corps, malgré son âge, a les forces robustes,

Le mouvement facile, et les démarches justes :

Des ressorts inconnus agitent le vieillard,

Et font de tous ses pas des miracles de l'art.

Pierre Corneille, L'Illusion comique, I, 1, 1636.

Séance 03

Un soldat qui rêve

Oral

Faites une proposition dessinée de costume pour le Matamore.

Pistes

Explication

Commentez le texte ci-contre.

Prolongement

1. Quelle influence le personnage de Matamore a-t-il sur l'action dans les actes II, III et IV ?

2. Quel est, selon vous, l'intérêt de ce personnage dans la pièce ?

Clindor

Quoi ! monsieur, vous rêvez ! et cette âme hautaine,

Après tant de beaux faits, semble être encore en peine !

N'êtes-vous point lassé d'abattre des guerriers ?

Et vous faut-il encor quelques nouveaux lauriers ?

Matamore

Il est vrai que je rêve, et ne saurais résoudre

Lequel je dois des deux le premier mettre en poudre,

Du grand sophi de Perse, ou bien du grand mogor.

Clindor

Eh ! de grâce, monsieur, laissez-les vivre encor.

Qu'ajouterait leur perte à votre renommée ?

D'ailleurs, quand auriez-vous rassemblé votre armée ?

Matamore

Mon armée ? Ah, poltron ! ah, traître ! pour leur mort

Tu crois donc que ce bras ne soit pas assez fort ?

Le seul bruit de mon nom renverse les murailles,

Défait les escadrons, et gagne les batailles.

Mon courage invaincu contre les empereurs

N'arme que la moitié de ses moindres fureurs ;

D'un seul commandement que je fais aux trois Parques,

Je dépeuple l'État des plus heureux monarques ;

Le foudre est mon canon, les Destins mes soldats :

Je couche d'un revers mille ennemis à bas.

D'un souffle je réduis leurs projets en fumée ;

Et tu m'oses parler cependant d'une armée !

Tu n'auras plus l'honneur de voir un second Mars ;

Je vais t'assassiner d'un seul de mes regards,

Veillaque : toutefois, je songe à ma maîtresse ;

Ce penser m'adoucit. Va, ma colère cesse,

Et ce petit archer qui dompte tous les dieux

Vient de chasser la mort qui logeait dans mes yeux.

Regarde, j'ai quitté cette effroyable mine

Qui massacre, détruit, brise, brûle, extermine ;

Et pensant au bel œil qui tient ma liberté,

Je ne suis plus qu'amour, que grâce, que beauté.

Clindor

O dieux ! en un moment que tout vous est possible !

Je vous vois aussi beau que vous étiez terrible,

Et ne crois point d'objet si ferme en sa rigueur,

Qu'il puisse constamment vous refuser son cœur.

Pierre Corneille, L'Illusion comique, 2, II (v. 221-256).

Séance 04

Une servante tragique

Oral

"Le style semble assez proportionné aux matières, si ce n'est que Lyse, en la sixième scène du troisième acte, semble s'élever un peu trop au-dessus du caractère de servante."

Corneille, Examen de L'Illusion comique, 1636.

Pistes

Explication

Commentez le monologue de Lyse (III, 6, v. 815 à 852).

Lyse

L'ingrat ! il trouve enfin mon visage charmant,

Et pour me suborner il contrefait l'amant :

Qui hait ma sainte ardeur m'aime dans l'infamie,

Me dédaigne pour femme, et me veut pour amie !

Perfide, qu'as-tu vu dedans mes actions

Qui te dût enhardir a ces prétentions ?

Qui t'a fait m'estimer digne d'être abusée,

Et juger mon honneur une conquête aisée ?

J'ai tout pris en riant, mais c'était seulement

Pour ne t'avertir pas de mon ressentiment,

Qu'eût produit son éclat que de la défiance ?

Qui cache sa colère, assure sa vengeance,

Et ma feinte douceur, te laissant espérer,

Te jette dans les rets que j'ai su préparer,

Va, traître ; aime en tous lieux, et partage ton âme,

Choisis qui tu voudras pour maîtresse et pour femme,

Donne à l'une ton coeur ; donne à l'autre ta foi,

Mais ne crois plus tromper Isabelle, ni moi.

Ce long calme bientôt va tourner en tempête,

Et l'orage est tout prêt à fondre sur ta tête,

Surpris par un rival dans ce cher entretien,

Il vengera d'un coup son malheur et le mien.

Toutefois qu'as-tu fait qui t'en rende coupable ?

Pour chercher sa fortune est-on si punissable ?

Tu m'aimes mais le bien te fait être inconstant,

Au siècle où nous vivons qui n'en ferait autant ?

Oublions les projets de sa flamme maudite,

Et laissons-le jouir du bonheur qu'il mérite.

Que de pensers divers en mon coeur amoureux !

Et que je sens dans l'âme un combat rigoureux !

Perdre qui me chérit ! Épargner qui m'affronte !

Ruiner ce que j'aime ! aimer qui veut ma honte !

L'amour produira-t-il un si cruel effet ?

L'impudent rira-t-il de l'affront qu'il m'a fait ?

Mon amour me séduit, et ma haine m'emporte,

L'une peut tout sur moi, l'autre n'est pas moins forte,

N'écoutons plus l'amour pour un tel suborneur,

Et laissons à la haine assurer mon honneur.

Pierre Corneille, L'Illusion comique, III, 6.

Séance 05

Apprendre à mourir

Recherche

1. Remettez en ordre le monologue.

2. Comment ce monologue progresse-t-il ? Distinguez les différentes parties et expliquez leur enchaînement.

Pistes

Document A

Dans l'essai Que philosopher, c'est apprendre à mourir, Montaigne évoque le commun du peuple, qui s'efforce de ne pas penser à la mort, puis propose une voie toute différente.

Apprenons à soutenir son assaut de pied ferme et à le combattre. Et, pour commencer à lui ôter son plus grand avantage contre nous, prenons une voie toute contraire à la voie commune. Ôtons-lui son étrangeté, fréquentons-le, accoutumons-nous à lui. N'ayons rien aussi souvent dans la tête que la mort. A tous instants représentons-la à notre imagination et avec tous ses visages. Au faux pas d'un cheval, à la chute d'une tuile, à la moindre piqure d'épingle, ressassons soudain : "Eh bien ! quand ce serait la mort elle-même !" et, là-dessus, raidissons-nous et faisons effort sur nous-mêmes. Au milieu des fêtes et de la joie, ayons toujours le refrain que constitue le souvenir de notre condition et ne nous laissons pas emporter si fort vers le plaisir sans que repassent parfois en notre mémoire les multiples façons dont notre allégresse est en butte à la mort et les multiples prises dont celle-ci la menace. Ainsi faisaient les Égyptiens qui, au milieu de leurs festins et parmi leurs meilleurs plats, faisaient apporter le squelette d'un homme mort pour servir d'avertissement aux convives.

Omnem crede diem tibi diluxisse supremum

Grata superveniet, quae non sperabitur hora.1

Nous ne savons pas où la mort peut nous attendre, attendons-la partout. La méditation préalable de la mort est aussi celle de la liberté. Celui qui a appris à mourir a désappris à être esclave.

M. de Montaigne, Les Essais, I, XX, 1595, coll. Quarto, éd. Gallimard.

Document B

Clindor est l'amant d'Isabelle. Son rival, Adraste, jaloux, le provoque en duel et meurt dans le combat : Clindor est arrêté et attend en prison son éxécution.

Clindor, en prison


Aimables souvenirs de mes chères délices,

Qu'on va bientôt changer en d'infâmes supplices,

Que, malgré les horreurs de ce mortel effroi,

Vos charmants entretiens ont de douceurs pour moi !

Ne m'abandonnez point, soyez-moi plus fidèles

Que les rigueurs du sort ne se montrent cruelles ;

Et lorsque du trépas les plus noires couleurs

Viendront à mon esprit figurer mes malheurs,

Figurez aussitôt à mon âme interdite

Combien je fus heureux par delà mon mérite

Lorsque je me plaindrai de leur sévérité,

Redites-moi l'excès de ma témérité ;

Que d'un si haut dessein ma fortune incapable

Rendait ma flamme injuste, et mon espoir coupable ;

Que je fus criminel quand je devins amant,

Et que ma mort en est le juste châtiment.


Quel bonheur m'accompagne à la fin de ma vie !

Isabelle, je meurs pour vous avoir servie ;

Et de quelque tranchant que je souffre les coups,

Je meurs trop glorieux, puisque je meurs pour vous.

Hélas ! que je me flatte, et que j'ai d'artifice

À me dissimuler la honte d'un supplice !

En est-il de plus grand que de quitter ces yeux

Dont le fatal amour me rend si glorieux ?


L'ombre d'un meurtrier creuse ici ma ruine ;

Il succomba vivant, et mort, il m'assassine ;

Son nom fait contre moi ce que n'a pu son bras ;

Mille assassins nouveaux naissent de son trépas ;

Et je vois de son sang, fécond en perfidies,

S'élever contre moi des âmes plus hardies,

De qui les passions, s'armant d'autorité,

Font un meurtre public avec impunité.

Demain de mon courage on doit faire un grand crime,

Donner au déloyal ma tête pour victime ;

Et tous pour le pays prennent tant d'intérêt,

Qu'il ne m'est pas permis de douter de l'arrêt.

Ainsi de tous côtés ma perte était certaine.

J'ai repoussé la mort, je la reçois pour peine.

D'un péril évité je tombe en un nouveau,

Et des mains d'un rival en celles d'un bourreau.


Je frémis à penser à ma triste aventure ;

Dans le sein du repos je suis à la torture ;

Au milieu de la nuit, et du temps du sommeil,

Je vois de mon trépas le honteux appareil ;

J'en ai devant les yeux les funestes ministres ;

On me lit du sénat les mandements sinistres ;

Je sors les fers aux pieds ; j'entends déjà le bruit

De l'amas insolent d'un peuple qui me suit ;

Je vois le lieu fatal où ma mort se prépare :

Là mon esprit se trouble, et ma raison s'égare ;

Je ne découvre rien qui m'ose secourir,

Et la peur de la mort me fait déjà mourir.


Isabelle, toi seule, en réveillant ma flamme,

Dissipes ces terreurs et rassures mon âme ;

Et sitôt que je pense à tes divins attraits,

Je vois évanouir ces infâmes portraits.

Quelques rudes assauts que le malheur me livre,

Garde mon souvenir, et je croirai revivre.

Mais d'où vient que de nuit on ouvre ma prison ?

Ami, que viens-tu faire ici hors de saison ?

P. Corneille, L'Illusion comique, IV, 7, 1639.

Document C

Cette fable est une réécriture d'une fable d'Esope.

LA MORT ET LE BUCHERON

Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,

Sous le faix du fagot aussi bien que des ans

Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,

Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.

Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,

Il met bas son fagot, il songe à son malheur.

Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?

En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?

Point de pain quelquefois, et jamais de repos.

Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,

Le créancier et la corvée

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.

Il appelle la Mort ; elle vient sans tarder,

Lui demande ce qu'il faut faire.

C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère.

J. de la Fontaine, La mort et le bûcheron, I, 16, 1668

Document D

G. de La Tour a fait plusieurs versions autour de ce personnage biblique. Marie-Madeleine, ou Marie de Magdala, est un personnage dont la légende a fait une courtisane convertie par sa rencontre avec le Christ.

Madeleine à la veilleuse

G. de la Tour, Madeleine à la veilleuse, 1625-1650, 133×102cm

Séance 07

Représenter l'illusion

Observation

1. Commentez les oppositions à l'oeuvre dans ces quatre scénographies.

2. Comment ces quatre scénographies représentent-elles l'illusion théâtrale ?

L'Illusion comique, mise en scène de L. Jouvet à la Comédie-Française à Paris en 1937.

L'Illusion comique, mise en scène de J.-M. Villegier au théâtre de l'Athénée à Paris en 1997.

L'Illusion comique, mise en scène de B. Jacques-Wajeman au théâtre de Genève en 2005.

L'Illusion comique, mise en scène de M. Bierry au théâtre de Poche Montparnasse à Paris en 2006.

Séance 08

Le théâtre, un art difficile ?

Oral

À la fin de la représentation d'Honneur à notre élue (présentation de Bélier-Garcia, interview d'Isabelle Carré) un échange a lieu entre l'équipe et le public, en majorité scolaire.

Après le salut de l'équipe, et lors des premières questions, l'un des jeunes spectateurs s'exclame : "On n'a rien compris !"

C'est votre jour de chance ! Vous serez

Isabelle Carré, l'actrice principale

Vous aimez le mystère de votre personnage et la fascination qu'elle exerce sur sa ville.

C'est votre jour de chance ! Vous serez

Frédéric Bélier-Garcia, le metteur en scène

Vous aimez l'actualité et le mystère du texte de l'auteur, Marie NDiaye.

C'est votre jour de chance ! Vous serez

Chantal Thomas, la scénographe

Vous avez à coeur de mieux expliquer l'importance de votre profession, qui contribue à faire d'un texte un véritable spectacle.

Coach de l'acteur

Vous aidez l'acteur à se préparer : argumentaire, réaction face au public, caractère, etc.

Coach du metteur en scène

Vous aidez le metteur en scène à se préparer : argumentaire, réaction face au public, caractère, etc.

Coach du scénographe

Vous aidez le scénographe à se préparer : argumentaire, réaction face au public, caractère, etc.

C'est votre jour de chance ! Vous serez

Un premier élève parmi le public

Vous avez assisté à la représentation de la pièce, mais vous n'avez pas du tout compris le personnage joué par l'acteur, ni les choix de l'acteur pour incarner le personnage.

C'est votre jour de chance ! Vous serez

Un deuxième élève parmi le public

Vous avez assisté à la représentation de la pièce, mais vous n'avez pas du tout compris l'histoire, ni les choix de mise en scène.

C'est votre jour de chance ! Vous serez

Un troisième élève parmi le public

Vous avez assisté à la représentation de la pièce, mais vous n'avez pas du tout compris le choix des décors et la scénographie.

Observateur

Vous êtes attentif à la façon dont l'acteur argumente : comment il prend la parole, comment il réagit aux critiques... Est-ce qu'il est convaincant ?

Observateur

Vous êtes attentif à la façon dont le metteur en scène argumente : comment il prend la parole, comment il réagit aux critiques... Est-ce qu'il est convaincant ?

Observateur

Vous êtes attentif à la façon dont le scénographe argumente : comment il prend la parole, comment il réagit aux critiques... Est-ce qu'il est convaincant ?

Secrétaire

Vous notez les arguments et les exemples utilisés par l'acteur.

Secrétaire

Vous notez les arguments et les exemples utilisés par le metteur en scène.

Secrétaire

Vous notez les arguments et les exemples utilisés par le scénographe.

Débriefing

Les observateurs commentent le jeu des acteurs et évaluent l'efficacité argumentative de chacun.

Les secrétaires rappellent l'argumentaire utilisé par chacun des personnages. Les autres élèves prennent en note.

Exploitation

Au choix :

1. Un lycéen raconte sa rencontre dans un article publié dans le journal du lycée.

2. Écrivez une courte pièce en prenant pour modèle cet échange.

Annexe

Lectures orales

Recherche

1. Lisez les phrases proposées en variant le débit, le volume et/ou l'intonation.

2. À deux, préparez une lecture orale des dialogues proposées ; vous veillerez à faire une voix très nettement identifiable pour chaque personnage.

3. Préparez une lecture orale des tirades et des monologues ci-contre en travaillant l'expressivité : un sentiment doit être nettement reconnaissable.

RÉPLIQUES

Alcandre

Votre fils tout d'un coup ne fut pas grand seigneur ;

Toutes ses actions ne vous font pas honneur,

Et je serais marri d'exposer sa misère

En spectacle à des yeux autres que ceux d'un père.

I, 3


Matamore

Les voilà, sauvons-nous. Non, je ne vois personne.

Avançons hardiment. Tout le corps me frissonne.

Je les entends, fuyons. Le vent faisait ce bruit.

Marchons sous la faveur des ombres de la nuit.

III, 7


Clindor

Ainsi de tous côtés ma perte était certaine.

J'ai repoussé la mort, je la reçois pour peine.

D'un péril évité je tombe en un nouveau,

Et des mains d'un rival en celles d'un bourreau.

IV, 7


Isabelle

Achevez, assassins, de m'arracher la vie.

Cher époux, en mes bras on te l'a donc ravie ! [...]

O clarté trop fidèle, hélas ! et trop tardive,

Qui ne fait voir le mal qu'au moment qu'il arrive !

V, 4


DIALOGUES

Clindor

Quoi ! monsieur, vous rêvez ! et cette âme hautaine,

Après tant de beaux faits, semble être encore en peine !

N'êtes-vous point lassé d'abattre des guerriers ?

Et vous faut-il encor quelques nouveaux lauriers ?

Matamore

Il est vrai que je rêve, et ne saurais résoudre

Lequel je dois des deux le premier mettre en poudre,

Du grand sophi de Perse, ou bien du grand mogor.

Clindor

Eh ! de grâce, monsieur, laissez-les vivre encor.

Qu'ajouterait leur perte à votre renommée ?

D'ailleurs, quand auriez-vous rassemblé votre armée ?

Matamore

Mon armée ? Ah, poltron ! ah, traître ! pour leur mort

Tu crois donc que ce bras ne soit pas assez fort ?

II, 1


Clindor

Qui serait le brutal qui ne t'aimerait pas ?

Lyse

De grâce, et depuis quand me trouvez-vous si belle ?

Voyez bien, je suis Lyse, et non pas Isabelle.

Clindor

Vous partagez vous deux mes inclinations :

J'adore sa fortune, et tes perfections.

Lyse

Vous en embrassez trop, c'est assez pour vous d'une,

Et mes perfections cèdent à sa fortune.

Clindor

Quelque effort que je fasse à lui donner ma foi,

Penses-tu qu'en effet je l'aime plus que toi ?

III, 5


Le Geôlier

Les juges assemblés pour punir votre audace,

Mus de compassion, enfin vous ont fait grâce.

Clindor

M'ont fait grâce, bons dieux !

Le Geôlier

Oui, vous mourrez de nuit.

Clindor

De leur compassion est-ce là tout le fruit ?

Le Geôlier

Que de cette faveur, vous tenez peu de compte !

D'un supplice public c'est vous sauver la honte.

Clindor

Quels encens puis-je offrir aux maîtres de mon sort,

Dont l'arrêt me fait grâce, et m'envoie à la mort ?

IV, 8


Alcandre

Laissez faire aux douleurs qui rongent vos entrailles,

Et pour les redoubler voyez ses funérailles.

Pridamant

Que vois-je ? chez les morts compte-t-on de l'argent ?

Alcandre

Voyez si pas un d'eux s'y montre négligent.

Pridamant

Je vois Clindor ! ah dieux ! quelle étrange surprise !

Je vois ses assassins, je vois sa femme et Lyse !

Quel charme en un moment étouffe leurs discords,

Pour assembler ainsi les vivants et les morts ?

Alcandre

Ainsi tous les acteurs d'une troupe comique,

Leur poème récité, partagent leur pratique :

V, 5

Tirades

Matamore

Le foudre est mon canon, les Destins mes soldats :

Je couche d'un revers mille ennemis à bas.

D'un souffle je réduis leurs projets en fumée ;

Et tu m'oses parler cependant d'une armée !

Tu n'auras plus l'honneur de voir un second Mars ;

Je vais t'assassiner d'un seul de mes regards,

Veillaque : toutefois, je songe à ma maîtresse ;

Ce penser m'adoucit. Va, ma colère cesse,

Et ce petit archer qui dompte tous les dieux

Vient de chasser la mort qui logeait dans mes yeux.

Regarde, j'ai quitté cette effroyable mine

Qui massacre, détruit, brise, brûle, extermine ;

Et pensant au bel œil qui tient ma liberté,

Je ne suis plus qu'amour, que grâce, que beauté.

II, 2


Lyse

Aime en tous lieux, perfide, et partage ton âme ;

Choisis qui tu voudras pour maîtresse ou pour femme

Donne à tes intérêts à ménager tes vœux ;

Mais ne crois plus tromper aucune de nous deux.

Isabelle vaut mieux qu'un amour politique,

Et je vaux mieux qu'un cœur où cet amour s'applique.

J'ai raillé comme toi, mais c'était seulement

Pour ne t'avertir pas de mon ressentiment. [...]

Toutefois qu'as-tu fait qui te rende coupable ?

Pour chercher sa fortune est-on si punissable ?

Tu m'aimes, mais le bien te fait être inconstant :

Au siècle où nous vivons, qui n'en ferait autant ?

III, 6


Clindor

Je frémis à penser à ma triste aventure ;

Dans le sein du repos je suis à la torture ;

Au milieu de la nuit, et du temps du sommeil,

Je vois de mon trépas le honteux appareil ; [...]

Je sors les fers aux pieds ; j'entends déjà le bruit

De l'amas insolent d'un peuple qui me suit ;

Je vois le lieu fatal où ma mort se prépare :

Là mon esprit se trouble, et ma raison s'égare ;

Je ne découvre rien qui m'ose secourir,

Et la peur de la mort me fait déjà mourir.

Isabelle, toi seule, en réveillant ma flamme,

Dissipes ces terreurs et rassures mon âme ;

Et sitôt que je pense à tes divins attraits,

Je vois évanouir ces infâmes portraits.

IV, 7