Lieux communs

Objet d'étude : Le roman et la nouvelle au XIXème siècle : réalisme et naturalisme

Problématique générale : Les descriptions du roman réaliste, inutiles ou essentielles ?

Séance 01

Définitions du roman

Oral

Observez les définitions contenues dans les documents A et B.

Parmi les romans proposés, lesquels vous semble correspondre à ces définitions ? Lesquels ne correspondent pas ?

Pistes

Notion : le réalisme

Écriture

Proposez une mise à jour de la définition du roman.

Document A

Roman. s. m. Ouvrage en prose, contenant des advantures fabuleuses, d'amour, ou de guerre. Les vieux romans. Les romans modernes. Le roman de Lancelot du Lac, de Perceforest. Le roman de la Rose. Le roman d'Amadis. Un roman nouveau. Le roman d'Astrée, de Polexandre, de Cyrus, de Cassandre. Il y a dequoy faire un roman. Le Heros, l'Heroïne du roman. Style de roman. Cela tient du roman.

On dit, d'une adventure qui paroist surprenante, C'est une adventure de Roman.

Dictionnaire de l'Académie Française, 1ère édition (1694).

Document B

ROMAN. sub. mas. Ouvrage ordinairement en prose, contenant des fictions qui représentent des aventures rares dans la vie, et le développement entier des passions humaines. Un roman nouveau. Il y a dans sa vie de quoi faire un roman. Le Héros, l'Héroïne du roman. Style de roman. Cela tient du roman. C'est une aventure de roman.

On dit d'un récit destitué de vraisemblance et de preuves, Cela a tout l'air d'un roman. L'histoire que cet homme nous a débitée étoit un roman.

On distingue plusieurs genres de fictions romanesques; Les vieux romans de Chevalerie; Les romans de Féerie, où le merveilleux est employé; Les romans satiriques, qui contiennent la satire des divers etats, etc. etc.

Dictionnaire de l'Académie Française, 5ème édition (1798).

Document C

Séance 02

Une étude d'avoué

Oral

Quel intérêt, pour un romancier, de décrire des lieux que ses contemporains connaissent ?

Explication

Qu'est-ce qui vous paraît intéressant, surprenant ou problématique dans ce texte ?

Pistes

Notes

1. Chicane : terme familier et dévalorisant pour parler du Droit.

2. Fange : boue épaisse.

3. Secrétaire à cylindre : meuble.

4. Principal : Clerc principal.

5. Le Palais : le Palais de Justice.

Honoré de Balzac fait commencer son roman dans l'étude d'un avoué, profession qui tient du notaire et de l'avocat. Y travaillent des employés, les clercs, chargés de la rédaction des actes légaux.

L'étude était une grande pièce ornée du poêle classique qui garnit tous les antres de la chicane1. Les tuyaux traversaient diagonalement la chambre et rejoignaient une cheminée condamnée sur le marbre de laquelle se voyaient divers morceaux de pain, des triangles de fromage de Brie, des côtelettes de porc frais, des verres, des bouteilles, et la tasse de chocolat du Maître clerc. L'odeur de ces comestibles s'amalgamait si bien avec la puanteur du poêle chauffé sans mesure, avec le parfum particulier aux bureaux et aux paperasses, que la puanteur d'un renard n'y aurait pas été sensible. Le plancher était déjà couvert de fange2 et de neige apportée par les clercs. Près de la fenêtre se trouvait le secrétaire à cylindre3 du Principal4, et auquel était adossée la petite table destinée au second clerc. Le second faisait en ce moment le Palais5. Il pouvait être de huit à neuf heures du matin. L'étude avait pour tout ornement ces grandes affiches jaunes qui annoncent des saisies immobilières, des ventes, des licitations entre majeurs et mineurs, des adjudications définitives ou préparatoires, la gloire des études ! Derrière le Maître clerc était un énorme casier qui garnissait le mur du haut en bas, et dont chaque compartiment était bourré de liasses d'où pendaient un nombre infini d'étiquettes et de bouts de fil rouge qui donnent une physionomie spéciale aux dossiers de procédure. Les rangs inférieurs du casier étaient pleins de cartons jaunis par l'usage, bordés de papier bleu, et sur lesquels se lisaient les noms des gros clients dont les affaires juteuses se cuisinaient en ce moment. Les sales vitres de la croisée6 laissaient passer peu de jour. D'ailleurs, au mois de février, il existe à Paris très peu d'études où l'on puisse écrire sans le secours d'une lampe avant dix heures, car elles sont toutes l'objet d'une négligence assez concevable : tout le monde y va, personne n'y reste, aucun intérêt personnel ne s'attache à ce qui est si banal ; ni l'avoué, ni les plaideurs, ni les clercs ne tiennent à l'élégance d'un endroit qui pour les uns est une classe, pour les autres un passage, pour le maître un laboratoire. Le mobilier crasseux se transmet d'avoués en avoués avec un scrupule si religieux que certaines études possèdent encore des boîtes à résidus, des moules à tirets, des sacs provenant des procureurs au Chlet, abréviation du mot CHÂTELET, juridiction qui représentait dans l'ancien ordre de choses le tribunal de première instance actuel. Cette étude obscure, grasse de poussière, avait donc, comme toutes les autres, quelque chose de repoussant pour les plaideurs, et qui en faisait une des plus hideuses monstruosités parisiennes. Certes, si les sacristies humides où les prières se pèsent et se payent comme des épices, si les magasins des revendeuses où flottent des guenilles qui flétrissent toutes les illusions de la vie en nous montrant où aboutissent nos fêtes, si ces deux cloaques de la poésie n'existaient pas, une étude d'avoué serait de toutes les boutiques sociales la plus horrible. Mais il en est ainsi de la maison de jeu, du tribunal, du bureau de loterie et du mauvais lieu. Pourquoi ? Peut-être dans ces endroits le drame, en se jouant dans l'âme de l'homme, lui rend-il les accessoires indifférents : ce qui expliquerait aussi la simplicité des grands penseurs et des grands ambitieux.

H. de Balzac, Le Colonel Chabert, 1844.

Séance 03

La veuve Vauquer et Madame Bovary

Lecture

1. Comparez les deux lieux. Sont-ils similaires ?

2. Comment les deux femmes s'y sentent-elles ?

3. À quoi sert la description des lieux dans chacun de ces textes ?

Pistes

Notion : les fonctions de la description, en particulier dans le récit réaliste

Notes

1. La salle à manger de la pension.

2. Tulle : Tissu mince, léger et transparent qui sert à réaliser des rideaux et des voiles.

3. Fétide : Qui a une odeur répugnante, puant.

4. Renfrognement : Contraction du visage qui exprime le mécontentement.

5. Monsieur : Charles Bovary, le mari d'Emma.

6. Levrette : femelle du lévrier, chien haut et très mince.

7. Hêtraie : lieu planté de hêtres.

8. Digitales : fleurs qui ont la forme d'un doigt de gant.

9. Ravenelles : nom donné à la moutarde des champs.

Document A

Le roman de Balzac commence par la description d'une pension dans laquelle logent les principaux personnages de l'histoire.

Cette salle1, entièrement boisée, fut jadis peinte en une couleur indistincte aujourd'hui, qui forme un fond sur lequel la crasse a imprimé ses couches de manière à y dessiner des figures bizarres. Elle est plaquée de buffets gluants sur lesquels sont des carafes échancrées, ternies, des ronds de moiré métallique, des piles d'assiettes en porcelaine épaisse, à bords bleus, fabriquées à Tournai. Dans un angle est placée une boite à cases numérotées qui sert à garder les serviettes, ou tachées ou vineuses, de chaque pensionnaire. Il s'y rencontre de ces meubles indestructibles, proscrits partout, mais placés là comme le sont les débris de la civilisation aux Incurables. Vous y verriez un baromètre à capucin qui sort quand il pleut, des gravures exécrables qui ôtent l'appétit, toutes encadrées en bois verni à filets dorés; un cartel en écaille incrustée de cuivre; un poêle vert, des quinquets d'Argand où la poussière se combine avec l'huile, une longue table couverte en toile cirée assez grasse pour qu'un facétieux externe y écrive son nom en se servant de son doigt comme de style, des chaises estropiées, de petits paillassons piteux en sparterie qui se déroule toujours sans se perdre jamais, puis des chaufferettes misérables à trous cassés, à charnières défaites, dont le bois se carbonise. Pour expliquer combien ce mobilier est vieux, crevassé, pourri, tremblant, rongé, manchot, borgne, invalide, expirant, il faudrait en faire une description qui retarderait trop l'intérêt de cette histoire. [...]

Cette pièce est dans tout son lustre au moment où, vers sept heures du matin, le chat de madame Vauquer précède sa maîtresse, saute sur les buffets, y flaire le lait que contiennent plusieurs jattes couvertes d'assiettes, et fait entendre son rourou matinal. Bientôt la veuve se montre, attifée de son bonnet de tulle2 sous lequel pend un tour de faux cheveux mal mis; elle marche en traînassant ses pantoufles grimacées. Sa face vieillotte, grassouillette, du milieu de laquelle sort un nez à bec de perroquet; ses petites mains potelées, sa personne dodue comme un rat d'église, son corsage trop plein et qui flotte, sont en harmonie avec cette salle où suinte le malheur, où s'est blottie la spéculation et dont madame Vauquer respire l'air chaudement fétide3 sans en être écoeurée. Sa figure fraîche comme une première gelée d'automne, ses yeux ridés, dont l'expression passe du sourire prescrit aux danseuses à l'amer renfrognement4 de l'escompteur, enfin toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne.

Balzac, Le Père Goriot, 1835.

Document B

Emma est une jeune femme dont la jeunesse a été imprégnée de la lecture d'histoires romanesques. Son mariage avec un modeste officier de santé la conduit à de cruelles désillusions.

Un garde-chasse, guéri par Monsieur5, d'une fluxion de poitrine, avait donné à Madame une petite levrette6 d'Italie ; elle la prenait pour se promener, car elle sortait quelquefois, afin d'être seule un instant et de n'avoir plus sous les yeux l'éternel jardin avec la route poudreuse.

Elle allait jusqu'à la hêtraie7 de Banneville, près du pavillon abandonné qui fait l'angle du mur, du côté des champs. Il y a dans le saut-de-loup, parmi les herbes, de longs roseaux à feuilles coupantes.

Elle commençait par regarder tout alentour, pour voir si rien n'avait changé depuis la dernière fois qu'elle était venue. Elle retrouvait aux mêmes places les digitales8 et les ravenelles9, les bouquets d'orties entourant les gros cailloux, et les plaques de lichen le long des trois fenêtres, dont les volets toujours clos s'égrenaient de pourriture, sur leurs barres de fer rouillées. Sa pensée, sans but d'abord, vagabondait au hasard, comme sa levrette, qui faisait des cercles dans la campagne, jappait après les papillons jaunes, donnait la chasse aux musaraignes ; ou mordillait les coquelicots sur le bord d'une pièce de blé. Puis ses idées peu à peu se fixaient, et, assise sur le gazon, qu'elle fouillait à petits coups avec le bout de son ombrelle, Emma se répétait :

- Pourquoi, mon Dieu ! me suis-je mariée ?

Elle se demandait s'il n'y aurait pas eu moyen, par d'autres combinaisons du hasard, de rencontrer un autre homme ; et elle cherchait à imaginer quels eussent été ces événements non survenus, cette vie différente, ce mari qu'elle ne connaissait pas. Tous, en effet, ne ressemblaient pas à celui-là. Il aurait pu être beau, spirituel, distingué, attirant, tels qu'ils étaient sans doute, ceux qu'avaient épousés ses anciennes camarades du couvent. Que faisaient-elles maintenant ? À la ville, avec le bruit des rues, le bourdonnement des théâtres et les clartés du bal, elles avaient des existences où le cœur se dilate, où les sens s'épanouissent. Mais elle, sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne est au nord, et l'ennui, araignée silencieuse, filait sa toile dans l'ombre à tous les coins de son cœur.

G. Flaubert, Madame Bovary, 1857.

Questions

1. Comment la premier paragraphe est-il composé ?

2. Remettez dans l'ordre les différentes parties du second paragraphe. Justifiez votre réponse.

3. Élaborez le troisième paragraphe à partir des citations proposées.

Qu'est-ce qui vous paraît intéressant dans ce texte ?


Ce que je trouve intéressant dans ce texte, c'est la peinture d'un personnage prisonnier d'un lieu ordinaire.

Le personnage, Emma Bovary, s'ennuie dans des endroits où rien ne change, où on voit toujours les mêmes choses, aux mêmes endroits. Les indications de lieux soulignent la monotonie de cette vie : pour fuir "l'éternel jardin avec la route poudreuse", elle va dans un endroit où tout est toujours identique : les mêmes fleurs aux "mêmes places", les volets "toujours clos". L'usage de l'imparfait souligne l'aspect répétitif de ces promenades, toujours les mêmes. L'ennui d'Emma, dans ce passage, est donc souligné par la description des lieux toujours identiques dans lesquels elle répète ses promenades comme dans une cour de prison.

(a) Le lieu choisi est un "grenier", c'est à dire une pièce peu visitée, où l'on range les objets inutiles. (b) L'extrait se termine sur une longue métaphore filée qui illustre la situation et les émotions du personnage. Plusieurs figures de style se succèdent en effet pour représenter ce que vit Emma Bovary. (c) Les analogies suggèrent donc la laideur et la tristesse de la vie d'Emma, condamné à l'oubli, comme les objets dans le grenier, par sa vie monotone et obscure. (d) Ça commence par une comparaison : "sa vie" (comparé) est associée à "un grenier dont la lucarne est au nord" (comparant) pour mettre en valeur une qualité commune, la froideur, l'humidité. (e) Une métaphore filée vient prolonger la première image : "l'ennui" (comparé) est associé à une "araignée... filant sa toile"; l'animal choisi est associé à des connotations très négatives.

"Pourquoi, mon Dieu ! me suis-je mariée ?" ; "elle cherchait à imaginer quels eussent été ces événements non survenus" ; "Que faisaient-elles maintenant ?"

Séance 04

L'écriture réaliste, mode d'emploi

Oral

1. Lequel parmi les lieux suivants peut apparaître dans une description de roman réaliste ? Pourquoi ? Vous vous appuierez sur les textes et les notions étudiées pour répondre.

Une salle de réception de l'Élysée

Le hall d'un lycée

Les vestiaires d'une usine

Une plage au coucher de soleil

À l'intérieur d'un sous-marin nucléaire

Dans un cachot du château d'Angers

Un parking souterrain

Une rue dans une ville bombardée en Syrie

Un couloir d'hôpital

Comment écrire une description réaliste ? Proposez un mode d'emploi. Vous n'êtes pas obligé de rédiger.

Pistes

Séance 05

La fabrique de L'Assommoir

Oral

Observation

1. Soit l'ensemble de documents suivants. Organisez-les et classez-les en suivant un ordre logique.

2. Que révèlent ces documents sur la façon dont l'écrivain réaliste travaille ? Expliquez.

Pistes

Prolongement

Qu'est-ce que l'étude des documents de travail de Zola ajoute à ce qui nous avons dit sur l'écriture réaliste ?

Document A

E. Zola, L'ébauche de L'Assommoir, notes de travail, feuillet 152, à partir de 1868.

Document B

E. Zola, L'ébauche de L'Assommoir, notes de travail, feuillets 102, 103 et 104, à partir de 1868.

Document C

Gervaise reprit lentement sa marche. Dans le brouillard d'ombre fumeuse qui tombait, les becs de gaz s'allumaient ; et ces longues avenues, peu à peu noyées et devenues noires, reparaissaient toutes braisillantes, s'allongeant encore et coupant la nuit, jusqu'aux ténèbres perdues de l'horizon. Un grand souffle passait, le quartier élargi enfonçait des cordons de petites flammes sous le ciel immense et sans lune. C'était l'heure, où, d'un à l'autre des boulevards, les marchands de vin, les bastringues, les bousingots, à la file, flambaient gaiement dans la rigolade des premières tournées et du premier chahut. La paie de grande quinzaine emplissait le trottoir d'une bousculade de gouapeurs tirant une brodée. Ça sentait dans l'air la noce, une sacrée noce, mais gentille encore, un commencement d'allumage, rien de plus. On s'empiffrait au fond des gargotes ; par toutes les vitres éclairées, on voyait des gens manger, la bouche pleine, riant sans même prendre la peine d'avaler. Chez les marchands de vin, des pochards s'installaient déjà, gueulant et gesticulant. Et un bruit de tonnerre de Dieu montait des voix glapissantes, des voix grasses, au milieu du continuel roulement des pieds sur le trottoir. "Dis donc ! viens-tu becqueter ?... Arrive, clampin ! je paie un canon de la bouteille... Tiens ! v'la Pauline ! ah bien ! non, on va rien se tordre !"

E. Zola, L'Assommoir, Chapitre XII, 1877

Document D

Gervaise, née en 1828, 22 ans en 1850, bancale de naissance, la cuisse droite déviée et amaigrie, reproduction héréditaire des brutalités que sa mère avait eues à endurer dans une heure de lutte et de soûlerie furieuse, grande fille fluette, avec une jolie petite face ronde ; son infirmité est presque une grâce ; - a un enfant à quatorze ans, Claude, de Lantier, ouvrier tanneur à peine âgé de dix-huit ans ; quatre ans plus tard en a un autre enfant Etienne ; - se sauve à Paris dans les premiers jours de février avec son amant, en 1850 ; Claude a huit ans et Etienne quatre ans ; - est abandonnée par Lantier trois mois après son arrivée, dans les premiers jours de mai. A ce propos, voici l'histoire : ils sont descendus à la Villette, sur le boulevard extérieur, dans un hôtel, les deux amants et les deux enfants. Lantier, très gâté par sa mère, une maîtresse et digne femme, est venu à Paris, avec le petit héritage qu'elle lui a laissé, très peu de chose, dix-sept cents francs par exemple. Avec cela, il devait établir Gervaise, lui-même devait travailler, non pas de son état de tanneur, dont il a un peu honte, mais travailler à placer des produits du midi. Pourtant, ils sont restés à l'hôtel et ils ont tout mangé sans savoir à quoi ; après trois mois, le voyage, l'hôtel, les plaisirs ont mangé les dix-sept cents francs. Gervaise s'est tout de suite mis courageusement à la besogne. Elle fait tout ce qu'elle peut. Elle cherche de l'ouvrage. En attendant elle lave le linge de la famille. J'ouvre donc la scène un jour où elle est allée laver le linge, le jour même de l'abandon ; les enfants peuvent venir dire que "Papa" a emporté la malle, après avoir mis tout dedans. Lantier s'en va avec une ouvrière de madame Fauconnier, la grande Augustine, une belle fille, qui peut venir la narguer. "Est-ce que je sais où il est, votre homme" ou bien au contraire la tranquille impudeur, Oui, je l'ai pris après ? La bataille à coups de battoirs. Gervaise s'en va, pleurant, avec ses deux enfants, un dans chaque main. Ensuite, elle entrera chez madame Fauconnier. - Je fais donc de Gervaise une grande jeune femme de 22 ans, non pas si jolie, mais intéressante de figure. Je l'excuse d'avoir bu de l'anisette avec sa mère et de s'être livrée à Lantier à quatorze ans. Une bonne nature en somme, la reproduction de Fine. Elle aime ses enfants, et elle voit sérieusement la vie. Son idéal, ne pas être battue et manger. Une nature moyenne, qui pourrait faire une excellente femme, selon le milieu. L'étude du milieu sur une femme ni bonne ni mauvaise, qui a déjà eu de tristes exemples sous les yeux, mais prête par sa nature à réagir et à travailler ; un peu la bête qui songe à la niche et à la pâtée. Des faiblesses naturelles. Un être lancé au hasard et qui tombera pile ou face. - Comme hérédité, la fille de sa mère, une mule dévouée, dure au travail ; elle finira par grossir comme Fine. En somme très sympathique.

E. Zola, L'ébauche de L'Assommoir, notes de travail, feuillets 120 à 122, à partir de 1868.

Document E

Gervaise se retourna, regarda une dernière fois la maison. Elle paraissait grandie sous le ciel sans lune. Les façades grises, comme nettoyées de leur lèpre et badigeonnées d'ombre, s'étendaient, montaient ; et elles étaient plus nues encore, toutes plates, déshabillées des loques séchant le jour au soleil. Les fenêtres closes dormaient. Quelques-unes, éparses, vivement allumées, ouvraient des yeux, semblaient faire loucher certains coins. Au-dessus de chaque vestibule, de bas en haut, à la file, les vitres des six paliers, blanches d'une lueur pâle, dressaient une tour étroite de lumière. Un rayon de lampe, tombé de l'atelier de cartonnage, au second, mettait une traînée jaune sur le pavé de la cour, trouant les ténèbres qui noyaient les ateliers des rez-de-chaussée. Et, du fond de ces ténèbres, dans le coin humide, des gouttes d'eau, sonores au milieu du silence, tombaient une à une du robinet mal tourné de la fontaine. Alors, il sembla à Gervaise que la maison était sur elle, écrasante, glaciale à ses épaules. C'était toujours sa bête de peur, un enfantillage dont elle souriait ensuite.

E. Zola, L'Assommoir, Chapitre II, 1877

Document F

E. Zola, L'ébauche de L'Assommoir, notes de travail, feuillet 114, à partir de 1868.

Document G

E. Zola, L'ébauche de L'Assommoir, notes de travail, feuillet 113, à partir de 1868.

Document H

Le roman doit être comme ceci : montrer le milieu peuple, et expliquer par ce milieu les moeurs peuple ; comme quoi, à Paris, la soûlerie, la débandade de la famille, les coups, l'acceptation de toutes les hontes et de toutes les misères vient des conditions mêmes de l'existence ouvrière, des travaux durs, des promiscuités, des laisser-aller, etc. En un mot, un tableau très exact de la vie du peuple avec ses ordures, sa vie lâchée, son langage grossier ; et ce tableau ayant comme dessous -sans thèse cependant -, le sol particulier dans lequel poussent toutes ces choses. Ne pas flatter l'ouvrier, et ne pas le noircir. Une réalité absolument exacte. Au bout, la morale se dégageant elle-même. Un bon ouvrier fera l'opposition, ou plutôt non ; ne pas tomber dans le Manuel. Un effroyable tableau qui portera sa morale en soi.

Ma gervaise Macquart doit être l'héroïne. Je fais donc la femme du peuple, la femme de l'ouvrier.

E. Zola, L'ébauche de L'Assommoir, notes de travail, feuillets 158 à 161, à partir de 1868.

Document I

Rue de la Goutte d'or

Du côté de la rue des Poissonniers, très populeux. Du côté opposé, province.

La grande maison entre deux petites est près de la rue des Poissonniers, à quatre ou cinq maisons. Elle a onze fenêtres de façade et six étages. Toute noire, nue, sans sculptures ; les fenêtres avec des persiennes noires, mangées, et où des lames manquent. La porte au milieu, immense, ronde. À droite, une vaste boutique de marchand de vin, avec salles pour les ouvriers ; à gauche, la boutique du charbonnier, peinte, une boutique de parapluies, et la boutique que tiendra Gervaise et où se trouvait une fruitière. En entrant sous le porche, le ruisseau coule au milieu. Vaste cour carrée, intérieure. Le concierge, en entrant à droite ; la fontaine est à côté de la loge. Les quatre façades, avec leurs six étages, nues, trouées des fenêtres noires, sans persiennes ; les tuyaux de descente avec les plombs. En bas, des ateliers tout autour ; des menuisiers, un serrurier, un atelier de teinturerie, avec les eaux de couleur qui coulent. Quatre escaliers, un pour chaque corps de bâtiment A. B. C. D. Au dedans, de longs / couloirs à chaque étage, avec des portes uniformes peintes en jaune. Sur le devant, dans les logements à persiennes, logent des gens qui passent pour riches. Dans la cour, tous ouvriers ; les linges qui sèchent. Il y a le côté du soleil, et le côté où le soleil ne vient pas, plus noir, plus humide. Cour pavée, le coin humide de la fontaine. Le jour cru qui tombe dans la cour.

E. Zola, L'ébauche de L'Assommoir, notes de travail, feuillet 106, à partir de 1868.

Séance 06

L'écriture réaliste : La pratique

Écriture

Écrivez un texte réaliste sur le thème suivant : Un lycéen observe l'atrium.

1. Rassemblez des notes préparatoires avant de rédiger votre description :

  • des représentations du lieu choisi (listes, notes, descriptions, schémas, illustrations, photographies...) ;
  • une note d'intention : que voulez-vous montrer à travers la description du lieu choisi ? Quel personnage voulez-vous mettre en scène ? Pourquoi ? Quelle réflexion voulez-vous susciter ? Quel effet voulez-vous produire ?

2. Vous ferez une première ébauche de votre texte.

3. Vous réaliserez le texte.

Vous rendrez l'ensemble de ces documents.

Aptitudes

La grille s'appuie sur les aptitudes indiquées dans le Bulletin officiel spécial n°7 du 6 octobre 2011.

Éléments restrictifs

Une copie ne peut atteindre la moyenne si l'un des éléments suivants est présent : la consigne n'est pas du tout respectée / le devoir ne présente aucune recherche dans son écriture / le devoir n'est pas compréhensible en plusieurs endroits / le devoir est très court.

/20 De 1 à 5 De 6 à 10 De 11 à 15 De 16 à 20
Exercer sa faculté d'invention de façon raisonnée

Le texte évoque l'atrium.

Le texte évoque un personnage et décrit l'atrium de façon précise.

Le personnage et l'atrium sont décrits de façon précise.

Les détails choisis témoignent d'une intention réaliste.

La fiction est crédible.

Le personnage et l'atrium sont décrits de façon précise.

Les détails choisis contribuent à l'illusion de réalité.

La fiction est riche.

Le texte est inventif dans son écriture.

Construire un jugement argumenté

Un point de vue est évoqué dans les notes.

Le point de vue évoqué dans les notes est perceptible dans le texte rédigé.

Le lieu est plus qu'un simple décor.

Une progression est discernable.

Un point de vue pertinent est explicité dans les notes ; il apparaît de façon convaincante dans le texte rédigé.

Le lieu joue un rôle dans l'histoire (déterminant ou opposant).

La logique de la progression est explicite.

Maîtriser la langue et l'expression

La langue est partiellement maîtrisée.

La langue est correctement maîtrisée.

La langue est bien maîtrisée.

Le vocabulaire est précis et varié.


Les conseils
/4 1 2 3 4
Lire, analyser, interpréter

Un conseil est formulé.

Deux conseils sont formulés.

Les conseils donnés sont adaptés à l'ébauche proposée.

Les conseils sont variés et s'appuient sur une analyse fine de l'ébauche proposée.

Construire un jugement argumenté

Les conseils sont compréhensibles.

Les conseils donnés sont clairs.

Les conseils sont précis et indiquent des pistes concrètes d'amélioration.

Séance 07

Corniche Kennedy

Explication

Qu'est-ce qui vous paraît intéressant dans le texte ci-contre ? Vous répondrez et vous développerez votre propos dans trois paragraphes argumentés.

Débat

Selon vous, le rôle des romans est-il de nous proposer "une réalité absolument exacte", comme l'affirme Zola ?

Pistes

Les petits cons de la corniche. La bande. On ne sait les nommer autrement. Leur corps est incisif, leur âge dilaté entre treize et dix-sept, et c'est un seul et même âge, celui de la conquête : on détourne la joue du baiser maternel, on crache dans la soupe, on déserte la maison.

Nul ne sait comment cette plate-forme ingrate, nue, une paume, est devenue leur carrefour, le point magique d'où ils rassemblent et énoncent le monde, ni comment ils l'ont trouvée, élue entre toutes et s'en sont rendus maîtres ; et nul ne sait pourquoi ils y reviennent chaque jour, y dégringolent, haletants, crasseux et assoiffés, l'exubérance de la jeunesse excédant chacun de leurs gestes, y déboulent comme si chassés de partout, refoulés, blessés, la dernière connerie trophée en travers de la gueule ; mais aussi, ça ne veut pas de nous tout ça déclament-ils en tournant sur eux-mêmes, bras tendu main ouverte de sorte qu'ils désignent la grosse ville qui turbine, la cité maritime qui brasse et prolifère, ça ne veut pas de nous, ils forcent la scène, hâbleurs et rigolards, enfin se déshabillent, soudain lents et pudiques, dressent leur camp de base, et alors ils s'arrogent tout l'espace.

La plate-forme — ils disent la Plate — est une portion de territoire longue de trente mètres environ, large de huit, un amalgame de grosses pierres concassées au bulldozer, assemblées en plan et cimentées d'une pâte crayeuse, grossière, friable. Elle est orange violine ou jaune-gris selon les heures et les saisons, mate aux extrémités du jour, rissolée à midi comme une assiette de nems, brûle alors la plante des pieds, et conserve la chaleur si bien que c'est délice le soir venu de s'y allonger sur le ventre, la peau nue, la joue posée à même la roche doucement cabossée. Quelques trous y réservent çà et là des mares d'eau stagnante qui puent le sel et la pisse, mais là où la mer affleure la roche se vernit de mousse topaze et glisse comme si nappée d'huile si bien que l'on se met à l'eau sur les fesses ; sinon une vieille échelle de piscine scellée dans la pierre, une poubelle, des touffes d'herbes maladives en jointure de blocs, quelques canettes, tubes de crème, éclats de verre, papiers gras et encore, derrière les rochers, une bouche d'égout hors service perce le mur de soutènement et propage aux heures chaudes un remugle de matériaux en décomposition et d'eaux usées, ça remonte par un tuyau de fer-blanc connecté au souterrain fangeux de la ville, et c'est comme une expiration soudaine sur la Plate, un souffle, l'haleine du plus noir et du plus honteux, ça stagne et ça s'évapore mais c'est bien à cause de ce trou que les habitants de la corniche évitent la Plate ­­— ça pue l'égout, disent-ils, ça pue, types louches qui se branlent et morveux qui pétaradent, voilà, nous on n'y va pas. Mais, en avant du plateau, des rochers sont éparpillés dans la mer, comme s'ils avaient été catapultés au-delà de leur cible : engloutis, ils sont réformés en planques à oursins et friture future, en abris à poulpes ; émergés, les plus éloignés mutent îlots pour amoureux, radeaux à conspiration, plongeoirs à frime.

Puisque frimer précisément, tchatcher, sauter, plonger, parader, c'est ce qu'ils font quand ils sont là, c'est ce qu'ils viennent faire. La Plate est une scène où ils s'exhibent, terrain de jeu et place des lices, puisque filles et garçons, c'est un tournoi : il s'agit de se foncer dessus sans esquiver le rituel. Le prologue est invariable : les filles s'installent à proximité de l'échelle, en bordure de Plate, quand les garçons, eux, se regroupent sur les rochers, en recul, partition sexuelle du terrain vouée rapidement à l'explosion. Afin d'échauffer celui ou celle d'en face, les plus frontaux outrent leur genre et leur disponibilité – fausses salopes, faux baiseurs sans scrupules –, quand la plupart combinent des stratégies d'approche vieilles comme le monde – contournements ostentatoires, évitements, envoi de messagers dévoués : le théâtre ne peut se séparer de la vie.

Ils y ont ensemble des pauses indéfinies, vautrés les uns contre les autres en formation arachnéenne, ou étalés, nénuphars très ouverts, dessinant sur la pierre telle arborescence bizarre, tel cadastre secret, et ils glandent au soleil, des heures durant pigmentent leur peau, jouent, rient et divaguent, disponibles, effroyablement disponibles, comme fondus dans l'air du temps et contemporains du plus petit nuage, capteurs sensibles de la moindre forfaiture de langue, du moindre geste faisant image – un penalty de folie tiré la veille au Vélodrome par un attaquant de dix-sept ans, un service canon pour une balle de match au tennis, une figure de breakdance, une attaque de batterie avec baguettes invisibles tenues entre mains nerveuses, un ride de malade sur un skate pourri ou sur un surf sublime dans le tube d'une vague géante de Mavericks, la réplique mythique de leur film fétiche –, attitudes qui toutes signent leur communauté, leur jeunesse et leur force, disponibles à ce point c'est une blague qui ne fait pas rire tout le monde – foutent rien ces gosses, toute la journée se prélassent, ne pensent qu'à sauter dans la mer et à se rouler des joints, à faire joujou sur les portables, changent de jingle toutes les deux minutes et prennent des photos n'importe comment, que des conneries, voilà, aucun sens de l'effort, des merdeux, des branleurs, auraient bien besoin qu'on leur foute des coups de pied au cul, qu'on leur apprenne un peu la vie – mais, princes du sensible, ils sont beaux à voir, assurément.

Soudain les voilà qui se lèvent et changent de régime, quelque chose les accroche, un événement les excite, ils désertent l'aléatoire pour réagir au quart de tour, hop, debout, éméchés, bruyants, le sang activé dans les artères fémorales, les poings serrés, ils montrent les dents et parfois même on les voit se poursuivre, s'insulter, se battre, singerie borderline violente, prête à mal tourner, quoi, qu'est-ce t'as dit, hein qu'est-ce t'as dit, tu m'reparles comme ça et j't'éclate la gueule.

Maylis de Kerangal, Corniche Kennedy, éd. Gallimard, 2008.