Le Misanthrope

Objet d'étude : le théâtre, texte et représentation, du XVIIe s. à nos jours.

Support : Molière, Le Misanthrope, coll. Le théâtre de poche, Le Livre de Poche, éd. LGF.

Problématique : Comédie classique ou critique de la comédie ?

Exposés possibles : une 'carte de Tendre' ; les apparences sont trompeuses ; une galerie de portraits.

Séance 01

Un misanthrope

Observation

Qu'est-ce que cette couverture et cette affiche suggèrent sur la pièce de Molière et ses personnages ?

Séance 02

La question de l'hypocrisie

Oral

Selon vous, l'hypocrisie est-elle toujours une mauvaise chose ?

Observation

Comparez les interprétations d'Alceste dans la mise en scène d'Antoine Vitez (1988) et de Jean-Pierre Miquel (2000, de 1'23 à 5'56).

Pistes

Explication

Vous étudierez la première scène de la pièce.

Philinte

Qu'est-ce donc ? Qu'avez-vous ?

Alceste, assis.

Laissez-moi, je vous prie.

Philinte

Mais encor, dites-moi, quelle bizarrerie...

Alceste

Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher.

Philinte

Mais on entend les gens au moins sans se fâcher.

Alceste

Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre.

Philinte

Dans vos brusques chagrins je ne puis vous comprendre ;

Et, quoique amis enfin, je suis tous des premiers...

Alceste, se levant brusquement.

Moi, votre ami ? Rayez cela de vos papiers.

J'ai fait jusques ici profession de l'être ;

Mais, après ce qu'en vous je viens de voir paraître,

Je vous déclare net que je ne le suis plus,

Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus.

Philinte

Je suis donc bien coupable, Alceste, à votre compte ?

Alceste

Allez, vous devriez mourir de pure honte ;

Une telle action ne saurait s'excuser,

Et tout homme d'honneur s'en doit scandaliser.

Je vous vois accabler un homme de caresses,

Et témoigner pour lui les dernières tendresses ;

De protestations, d'offres, et de serments,

Vous chargez la fureur de vos embrassements :

Et quand je vous demande après quel est cet homme,

À peine pouvez-vous dire comme il se nomme ;

Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant,

Et vous me le traitez, à moi, d'indifférent !

Morbleu ! c'est une chose indigne, lâche, infâme,

De s'abaisser ainsi jusqu'à trahir son âme ;

Et si, par un malheur, j'en avais fait autant,

Je m'irais, de regret, pendre tout à l'instant.

Philinte

Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable ;

Et je vous supplierai d'avoir pour agréable,

Que je me fasse un peu grâce sur votre arrêt,

Et ne me pende pas pour cela, s'il vous plaît.

Alceste

Que la plaisanterie est de mauvaise grâce !

Philinte

Mais, sérieusement, que voulez-vous qu'on fasse ?

Alceste

Je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme d'honneur

On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.

Philinte

Lorsqu'un homme vous vient embrasser avec joie,

Il faut bien le payer de la même monnoie,

Répondre, comme on peut, à ses empressements,

Et rendre offre pour offre, et serments pour serments.

Alceste

Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode

Qu'affectent la plupart de vos gens à la mode ;

Et je ne hais rien tant que les contorsions

De tous ces grands faiseurs de protestations,

Ces affables donneurs d'embrassades frivoles,

Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles,

Qui de civilités avec tous font combat,

Et traitent du même air l'honnête homme et le fat.

Quel avantage a-t-on qu'un homme vous caresse,

Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,

Et vous fasse de vous un éloge éclatant,

Lorsque au premier faquin il court en faire autant ?

Non, non, il n'est point d'âme un peu bien située

Qui veuille d'une estime ainsi prostituée ;

Et la plus glorieuse a des régals peu chers

Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers :

Sur quelque préférence une estime se fonde,

Et c'est n'estimer rien qu'estimer tout le monde.

Puisque vous y donnez dans ces vices du temps,

Morbleu ! vous n'êtes pas pour être de mes gens ;

Je refuse d'un cœur la vaste complaisance

Qui ne fait de mérite aucune différence ;

Je veux qu'on me distingue ; et, pour le trancher net,

L'ami du genre humain n'est point du tout mon fait.

Molière, Le misanthrope, I, 1, 1666.

Séance 03

"À Paris, dans la maison de Célimène"

Observation

Étudiez les deux scénographies ci-contre.

Pistes

Mise en scène de Clément Hervieu-Léger, Comédie-Française, 2018.

Mise en scène d'Alain Françon, Théâtre de Carouge, Atelier de Genève, 2019.

Séance 04

Le masque et le miroir

Oral

Au choix.

1. Jouez cet échange de répliques.

2. Lors d'une répétition, un metteur en scène conseille ses acteurs sur la façon de jouer cette scène.

Pistes

Explication

Étudiez la réplique de Célimène.

Prolongement

Selon vous, va-t-on au théâtre pour voir un masque ou un miroir ?

Exposé : une galerie de portraits

Arsinoé

Leur départ ne pouvait plus à propos se faire.

Célimène

Voulons-nous nous asseoir ?

Arsinoé

Il n'est pas nécessaire

Madame, l'amitié doit surtout éclater

Aux choses qui le plus nous peuvent importer ;

Et comme il n'en est point de plus grande importance

Que celles de l'honneur et de la bienséance,

Je viens, par un avis qui touche votre honneur,

Témoigner l'amitié que pour vous a mon cœur.

Hier j'étais chez des gens de vertu singulière,

Où sur vous du discours on tourna la matière ;

Et là, votre conduite avec ses grands éclats,

Madame, eut le malheur qu'on ne la loua pas.

Cette foule de gens dont vous souffrez visite,

Votre galanterie, et les bruits qu'elle excite,

Trouvèrent des censeurs plus qu'il n'aurait fallu,

Et bien plus rigoureux que je n'eusse voulu.

Vous pouvez bien penser quel parti je sus prendre ;

Je fis ce que je pus pour vous pouvoir défendre ;

Je vous excusai fort sur votre intention,

Et voulus de votre âme être la caution.

Mais vous savez qu'il est des choses dans la vie

Qu'on ne peut excuser, quoiqu'on en ait envie ;

Et je me vis contrainte à demeurer d'accord

Que l'air dont vous vivez vous faisait un peu tort ;

Qu'il prenait dans le monde une méchante face ;

Qu'il n'est conte fâcheux que partout on n'en fasse,

Et que, si vous vouliez, tous vos déportements

Pourraient moins donner prise aux mauvais jugements.

Non que j'y croie au fond l'honnêteté blessée :

Me préserve le ciel d'en avoir la pensée !

Mais aux ombres du crime on prête aisément foi,

Et ce n'est pas assez de bien vivre pour soi.

Madame, je vous crois l'âme trop raisonnable

Pour ne pas prendre bien cet avis profitable,

Et pour l'attribuer qu'aux mouvements secrets

D'un zèle qui m'attache à tous vos intérêts.

Célimène

Madame, j'ai beaucoup de grâces à vous rendre.

Un tel avis m'oblige ; et, loin de le mal prendre,

J'en prétends reconnaître à l'instant la faveur,

Par un avis aussi qui touche votre honneur ;

Et comme je vous vois vous montrer mon amie,

En m'apprenant les bruits que de moi l'on publie,

Je veux suivre, à mon tour, un exemple si doux,

En vous avertissant de ce qu'on dit de vous

En un lieu, l'autre jour, où je faisais visite,

Je trouvai quelques gens d'un très rare mérite,

Qui, parlant des vrais soins d'une âme qui vit bien,

Firent tomber sur vous, madame, l'entretien.

Là, votre pruderie et vos éclats de zèle

Ne furent pas cités comme un fort bon modèle ;

Cette affectation d'un grave extérieur,

Vos discours éternels de sagesse et d'honneur,

Vos mines et vos cris aux ombres d'indécence

Que d'un mot ambigu peut avoir l'innocence.

Cette hauteur d'estime où vous êtes de vous,

Et ces yeux de pitié que vous jetez sur tous,

Vos fréquentes leçons et vos aigres censures

Sur des choses qui sont innocentes et pures ;

Tout cela, si je puis vous parler franchement,

Madame, fut blâmé d'un commun sentiment.

À quoi bon, disaient-ils, cette mine modeste,

Et ce sage dehors, que dément tout le reste ?

Elle est à bien prier exacte au dernier point ;

Mais elle bat ses gens, et ne les paye point.

Dans tous les lieux dévots elle étale un grand zèle,

Mais elle met du blanc, et veut paraître belle.

Elle fait des tableaux couvrir les nudités ;

Mais elle a de l'amour pour les réalités.

Pour moi, contre chacun je pris votre défense,

Et leur assurai fort que c'était médisance ;

Mais tous les sentiments combattirent le mien,

Et leur conclusion fut que vous feriez bien

De prendre moins de soin des actions des autres,

Et de vous mettre un peu plus en peine des vôtres ;

Qu'on doit se regarder soi-même un fort long temps

Avant que de songer à condamner les gens ;

Qu'il faut mettre le poids d'une vie exemplaire

Dans les corrections qu'aux autres on veut faire ;

Et qu'encor vaut-il mieux s'en remettre, au besoin,

À ceux à qui le ciel en a commis le soin.

Madame, je vous crois aussi trop raisonnable

Pour ne pas prendre bien cet avis profitable,

Et pour l'attribuer qu'aux mouvements secrets

D'un zèle qui m'attache à tous vos intérêts.

Molière, Le Misanthrope, III, 4, 1666.

Séance 05

Une carte de Tendre

Observation

Quels territoires, quels chemins nous indique cette carte ?

Pistes

Exposé : Le Misanthrope, une carte de Tendre

Cette célèbre gravure représente la carte d'un pays imaginaire appelé "Tendre".

François Chauveau, Carte du Pays de Tendre, d'après Clélie, histoire romaine de Madeleine de Scudéry.

Séance 06

Une galerie de portraits

Oral

Le Misanthrope, galerie de portraits ou galerie des glaces ?

Pistes

Mise en scène d'Alain Françon, Théâtre de Carouge, Atelier de Genève, 2019.

Mise en scène de Clément Hervieu-Léger, Comédie-Française, 2018.

Galerie des glaces, Versailles.

Mise en scène de Jean-François Sivadier, Théâtre de l’Odéon, 2013.

Séance 07

Un dénouement de comédie ?

Lecture

Vous commenterez l'extrait ci-contre en vous appuyant sur le parcours de lecture suivant :

1. Quels éléments font de ce dénouement un dénouement de comédie ?

2. Montrez pourquoi Alceste et Célimène rompent définitivement.

3. Commentez la sortie des deux personnages principaux.

Pistes

Prolongement

Ce dénouement résout-il les différents fils de l'intrigue ?

Exposé : les apparences sont trompeuses

Alceste, à Célimène.

Hé bien, je me suis tu, malgré ce que je voi,

Et j'ai laissé parler tout le monde avant moi.

Ai-je pris sur moi-même un assez long empire,

Et puis-je maintenant... ?

Célimène

Oui, vous pouvez tout dire ;

Vous en êtes en droit, lorsque vous vous plaindrez,

Et de me reprocher tout ce que vous voudrez.

J'ai tort, je le confesse ; et mon âme confuse

Ne cherche à vous payer d'aucune vaine excuse.

J'ai des autres ici méprisé le courroux ;

Mais je tombe d'accord de mon crime envers vous.

Votre ressentiment sans doute est raisonnable ;

Je sais combien je dois vous paraître coupable,

Que toute chose dit que j'ai pu vous trahir,

Et qu'enfin vous avez sujet de me haïr.

Faites-le, j'y consens.

Alceste

Hé ! le puis-je, traîtresse ?

Puis-je ainsi triompher de toute ma tendresse ?

Et quoique avec ardeur je veuille vous haïr,

Trouvé-je un cœur en moi tout prêt à m'obéir ?


(À Éliante et à Philinte.)


Vous voyez ce que peut une indigne tendresse,

Et je vous fais tous deux témoins de ma faiblesse.

Mais, à vous dire vrai, ce n'est pas encor tout,

Et vous allez me voir la pousser jusqu'au bout,

Montrer que c'est à tort que sages on nous nomme,

Et que dans tous les cœurs il est toujours de l'homme.


(à Célimène.)


Oui, je veux bien, perfide, oublier vos forfaits ;

J'en saurai, dans mon âme, excuser tous les traits,

Et me les couvrirai du nom d'une faiblesse

Où le vice du temps porte votre jeunesse,

Pourvu que votre cœur veuille donner les mains

Au dessein que j'ai fait de fuir tous les humains

Et que dans mon désert où j'ai fait vœu de vivre,

Vous soyez, sans tarder, résolue à me suivre.

C'est par là seulement que, dans tous les esprits,

Vous pouvez réparer le mal de vos écrits,

Et qu'après cet éclat qu'un noble cœur abhorre,

Il peut m'être permis de vous aimer encore.

Célimène

Moi, renoncer au monde avant que de vieillir,

Et dans votre désert aller m'ensevelir !

Alceste

Et, s'il faut qu'à mes feux votre flamme réponde,

Que vous doit importer tout le reste du monde ?

Vos désirs avec moi ne sont-ils pas contents ?

Célimène

La solitude effraye une âme de vingt ans.

Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte,

Pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte.

Si le don de ma main peut contenter vos vœux,

Je pourrai me résoudre à serrer de tels nœuds ;

Et l'hymen...

Alceste

Non, mon cœur à présent vous déteste,

Et ce refus lui seul fait plus que tout le reste.

Puisque vous n'êtes point, en des liens si doux,

Pour trouver tout en moi, comme moi tout en vous,

Allez, je vous refuse ; et ce sensible outrage

De vos indignes fers pour jamais me dégage.


Célimène se retire, et Alceste s'adresse à Éliante.


Madame, cent vertus ornent votre beauté,

Et je n'ai vu qu'en vous de la sincérité ;

De vous depuis longtemps je fais un cas extrême ;

Mais laissez-moi toujours vous estimer de même,

Et souffrez que mon cœur, dans ses troubles divers,

Ne se présente point à l'honneur de vos fers ;

Je m'en sens trop indigne, et commence à connaître

Que le ciel pour ce nœud ne m'avait point fait naître ;

Que ce serait pour vous un hommage trop bas,

Que le rebut d'un cœur qui ne vous valait pas ;

Et qu'enfin...

Éliante

Vous pouvez suivre cette pensée :

Ma main de se donner n'est pas embarrassée ;

Et voilà votre ami, sans trop m'inquiéter,

Qui, si je l'en priais, la pourrait accepter.

Philinte

Ah ! cet honneur, madame, est toute mon envie,

Et j'y sacrifierais et mon sang et ma vie.

Alceste

Puissiez-vous, pour goûter de vrais contentements,

L'un pour l'autre à jamais garder ces sentiments !

Trahi de toutes parts, accablé d'injustices,

Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices ;

Et chercher sur la terre un endroit écarté

Où d'être homme d'honneur on ait la liberté.

Philinte

Allons, madame, allons employer toute chose

Pour rompre le dessein que son cœur se propose.

Molière, Le Misanthrope, V, 4, 1666.