Objet d'étude : La poésie du XIXème au XXème siècle : du romantisme au surréalisme
Problématique générale : Le poète, artisan du vers, ou visionnaire en rupture avec le monde ?
Sur le tableau de C. Friedrich :
1. Quelles remarques pouvez-vous faire sur le paysage représenté ?
2. Où se trouve le personnage ? Qu'est-ce que cette position suggère ?
Comparez avec le poème. Les deux documents ont-ils la même définition de l'artiste ?
C. D. Friedrich, Le voyageur contemplant une mer de nuages, 1817.
Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
Il est l'homme des utopies.
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C'est lui qui sur toutes les têtes.
En tout temps, pareil aux prophètes.
Dans sa main, où tout peut tenir.
Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue.
Comme une torche qu'il secoue,
Faire flamboyer l'avenir !
Il voit, quand les peuples végètent !
Ses rêves, toujours pleins d'amour.
Sont faits des ombres que lui jettent
Les choses qui seront un jour.
On le raille. Qu'importe ! il pense.
Plus d'une âme inscrit en silence
Ce que la foule n'entend pas.
Il plaint ses contempteurs frivoles ;
Et maint faux sage à ses paroles
Rit tout haut et songe tout bas !
V. Hugo, "Fonction du poète", Les Rayons et les ombres, 1840.
Mettez en voix l'un de ces textes.
En quoi consiste la poésie dans ces textes ?
Vous commenterez le poème en prose en vous appuyant sur les axes suivants :
- un poème amoureux
- un voyage immobile
Un pauvre homme passait dans le givre et le vent.
Je cognai sur ma vitre ; il s'arrêta devant
Ma porte, que j'ouvris d'une façon civile.
Les ânes revenaient du marché de la ville,
Portant les paysans accroupis sur leurs bâts.
C'était le vieux qui vit dans une niche au bas
De la montée, et rêve, attendant, solitaire,
Un rayon du ciel triste, un liard de la terre,
Tendant les mains pour l'homme et les joignant pour Dieu.
Je lui criai : - Venez vous réchauffer un peu.
Comment vous nommez-vous ? - Il me dit : - Je me nomme
Le pauvre. - Je lui pris la main : - Entrez, brave homme. -
Et je lui fis donner une jatte de lait.
Le vieillard grelottait de froid ; il me parlait.
Et je lui répondais, pensif et sans l'entendre.
- Vos habits sont mouillés, dis-je, il faut les étendre
Devant la cheminée. - Il s'approcha du feu.
Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu,
Étalé largement sur la chaude fournaise,
Piqué de mille trous par la lueur de braise,
Couvrait l'âtre, et semblait un ciel noir étoilé.
Et, pendant qu'il séchait ce haillon désolé
D'où ruisselait la pluie et l'eau des fondrières,
Je songeais que cet homme était plein de prières,
Et je regardais, sourd à ce que nous disions,
Sa bure où je voyais des constellations.
Victor Hugo, Les Contemplations, 1856.
Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air.
Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique.
Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.
Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur.
Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.
Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco.
Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.
C. Baudelaire, Le Spleen de Paris, 1869.
Enregistrez et mixez une fiction radiophonique à partir du texte du 'Bateau ivre'.
Pour les bruitages et sons d'ambiance, vous pouvez utiliser freesound (une inscription est nécessaire) ou soundbible ; pour les musiques, jamendo.
Vous commenterez le texte en vous appuyant sur le parcours de lecture suivant :
1. L'histoire d'une libération
2. Un voyage en terre inconnue
1. Personne ou animal qui remorque un bateau.
2. Lanternes.
3. Acides.
4. Nom inventé par Rimbaud à partir de l'adjectif bleu.
5. Orthographe de Rimbaud.
6. Retour des vagues sur elles-mêmes.
Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs1 :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.
Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'œil niais des falots2 !
Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures3,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;
Où, teignant tout à coup les bleuités4, délires
Et rhythmes5 lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !
Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs6, et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !
A. Rimbaud, "Le Bateau ivre" (extrait), Poésies, 1871.
Le poème de Rimbaud a probablement été inspiré par l'histoire du HSM Resolute, un navire américain pris dans les glaces du Pôle, qui a erré sans équipage pendant plus d'un an.
Dans ce texte, c'est le navire qui parle. Le personnage paraît très dynamique, heureux d'être libre. Il part d'un espace restreint (les Fleuves) et se dirige vers des espaces de plus en plus vastes (la Mer), synonymes de liberté. Par ailleurs, le bateau perd peu à peu tout ce qui pourrait permettre de le diriger ("dispersant gouvernail et grappin").
L'ivresse évoquée est donc une métaphore : sans pilote, sans ancre, sans gouvernail, le navire erre, et paraît ivre.
Mais cette errance est une expérience merveilleuse. Libre, le bateau peut découvrir des paysages merveilleux, que nul n'a jamais vus, pleins de couleurs : "les azurs verts", "les bleuités", "les rousseurs". Dans ces régions, ciel et mer se confondent : "le Poème / De la Mer, infusé d'astres, et lactescent, / Dévorant les azurs verts".
Cette errance est le moyen de connaître ce que personne n'a jamais connu. Le poème se termine par une série d'anaphores : "Je sais les cieux crevant en éclairs", "je sais le soir". Finalement, par l'errance, le bateau peut voir : "Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !"
Derrière l'histoire, il y a une allégorie de la création poétique. Après tout, le bateau ne se baigne-t-il pas "dans le Poème / de la Mer", pour entendre des "rhythmes lents" "plus vastes que nos lyres." Comme le navire, le poète doit partir à l'aventure, sans attaches, pour devenir voyant, comme l'écrivait Rimbaud dans une lettre célèbre.
Comment les artistes -poètes, peintres, etc.- redéfinissent-ils leur rôle XIXe s. ?
1. Comment ces documents soulignent-ils l'étrangeté du rêve ?
2. Qu'est-ce qui fait la beauté de ces évocations de rêves ?
En quoi ces oeuvres sont-elles poétiques ?
1. C’est à Dijon, de temps immémorial, la place aux exécutions. [Note de l'auteur]
2. Membre d'une confrérie religieuse qui s'impose volontairement des pratiques de pénitence, c'est-à-dire des pratiques destinées à se faire souffrir pour expier ses péchés.
3. Religieux de l'ordre de Saint François.
4. Pièce éclairée par des cierges où est exposé un mort avant l'enterrement.
5. Pâle.
6. L'intonation.
7. La poitrine.
Aloysius Bertrand est un poète français, ami du sculpteur David d'Angers. Il est l'auteur d'un recueil de poèmes en prose, Gaspard de la nuit, qui sera publié de façon posthume.
J’ai rêvé tant et plus, mais je n’y entends note.
Pantagruel, livre III.
Il était nuit. Ce furent d’abord, - ainsi j’ai vu, ainsi je raconte, - une abbaye aux murailles lézardées par la lune, - une forêt percée de sentiers tortueux, - et le Morimont1 grouillant de capes et de chapeaux.
Ce furent ensuite, - ainsi j’ai entendu, ainsi je raconte, - le glas funèbre d’une cloche auquel répondaient les sanglots funèbres d’une cellule, - des cris plaintifs et des rires féroces dont frissonnait chaque feuille le long d’une ramée, - et les prières bourdonnantes des pénitents2 noirs qui accompagnent un criminel au supplice.
Ce furent enfin, - ainsi s’acheva le rêve, ainsi je raconte, - un moine qui expirait couché dans la cendre des agonisants, - une jeune fille qui se débattait pendue aux branches d’un chêne, - et moi que le bourreau liait échevelé sur les rayons de la roue.
Dom Augustin, le prieur défunt, aura, en habit de cordelier3, les honneurs de la chapelle ardente4 ; et Marguerite, que son amant a tuée, sera ensevelie dans sa blanche robe d’innocence, entre quatre cierges de cire.
Mais moi, la barre du bourreau s’était, au premier coup, brisée comme un verre, les torches des pénitents noirs s’étaient éteintes sous des torrents de pluie, la foule s’était écoulée avec les ruisseaux débordés et rapides, - et je poursuivais d’autres songes vers le réveil.
A. Bertrand, "Un rêve", Gaspard de la nuit, 1842.
P. Verlaine place son premier recueil de poèmes sous le signe de la mélancolie et de la rêverie amoureuse.
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême5,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse? - Je l'ignore.
Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion6 des voix chères qui se sont tues.
Paul verlaine, Poèmes saturniens, 1866
Comme Breton et Desnos, P. Eluard publie une série de récits de rêves dans la revue Littérature. Il les insère ensuite dans certains de ses recueils de poésie.
Je tourne sans cesse dans un souterrain où la lumière n’est que sous-entendue. Attiré par son dernier reflet, je passe et repasse devant une fille forte et blonde à qui je donne le vertige et qui le redoute pour moi. Elle connaît le langage des sourds-muets, on s’en sert dans sa famille. Je ne suis pas curieux de savoir pourquoi on a tiré sur elle. La balle est restée près du cœur et l’émotion gonfle encore sa gorge7.
Et nous roulons en auto, dans un bois. Une biche traverse la route. La belle jeune fille claque de la langue. C’est une musique délicieuse. Elle voudrait voir la couleur de mon sang. Ses cheveux sont coupés à tort et à travers, un vrai lit d’herbes folles qu’elle cache. Quelqu’un près de moi désire confusément fuir avec elle. Je m’en irai et je m’en vais. Pas assez vite pour que, brusquement, je ne sente sa bouche fraîche et féroce sur la mienne.
P. Eluard, Les Dessous d'une vie, 1926, éd. Gallimard
Parfois nommé "le prince du rêve", O. Redon propose dans ses peintures des visions hallucinées.
O. Redon, Pégase et la muse, 1900.
Quels points communs pouvez-vous mettre en évidence entre les textes ci-contre ?
Choisissez le principe d'une de ces formes d'écriture et utilisez-le pour écrire un texte.
Prenez un journal.
Prenez des ciseaux.
Choisissez dans ce journal un article ayant la longueur que vous comptez donner à votre poème.
Découpez l'article.
Découpez ensuite avec soin chacun des mots qui forment cet article et mettez-les dans un sac.
Agitez doucement.
Sortez ensuite chaque coupure l'une après l'autre.
Copiez consciencieusement dans l'ordre où elles ont quitté le sac.
Le poème vous ressemblera.
Et vous voilà un écrivain infiniment original et d'une sensibilité charmante, encore qu'incomprise du vulgaire.
Tristan Tzara, Les Sept manifestes Dada (1924), dans Data est tatou. Tout est dada, éd. GF-Flammarion.
Le cadavre - exquis - boira - le vin - nouveau.
Le mille-pattes amoureux et frêle rivalise de méchanceté avec le cortège languissant.
La vapeur ailée séduit l'oiseau fermé à clé.
Le Surréalisme au service de la révolution, 1930-1933.
63. Saisir la malle du blond.
86. A quelque rose chasseur est bon.
111. Un albinos ne fait pas le beau temps.
123. Sourd comme l'oreille d'une cloche.
Paul Eluard, 152 proverbes mis au goût du jour en collaboration avec Benjamin Péret, 1925.
Faites-vous apporter de quoi écrire, après vous être établi en un lieu aussi favorable que possible à la concentration de votre esprit sur lui-même. Placez-vous dans l'état le plus passif, ou réceptif, que vous pourrez. Faites abstraction de votre génie, de vos talents et de ceux de tous les autres. Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout. Écrivez vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas retenir et ne pas être tenté de vous relire. La première phrase viendra toute seule, tant il est vrai qu'à chaque seconde il est une phrase étrangère à notre pensée consciente qui ne demande qu'à s'extérioriser. Il est assez difficile de se prononcer sur le cas de la phrase suivante ; elle participe sans doute à la fois de notre activité consciente et de l'autre, si l'on admet que le fait d'avoir écrit la première entraîne un minimum de perception. Peu doit vous importer, d'ailleurs ; c'est en cela que réside, pour la plus grande part, l'intérêt du jeu surréaliste. Toujours est-il que la ponctuation s'oppose sans doute à la continuité absolue de la coulée qui nous occupe, bien qu'elle paraisse aussi nécessaire que la distribution des nœuds sur une corde vivante. Continuez autant qu'il vous plaira. Fiez-vous au caractère inépuisable du murmure.
A. Breton, Manifeste du surréalisme, 1924.