Infernal Affairs

Table des matières

Synopsis | Étude de l'affiche | Pistes d'études | Étude de séquences | Fiche technique | Découpage technique | Bibliographie

Synopsis

L'histoire commence dans les années 90 à Hong Kong. Sam, chef d'une triade, donne à ses plus jeunes recrues la mission d'intégrer l'école de police. Le commissaire Wong, en même temps, renvoie un des meilleurs élèves de l'école de police pour infiltrer les triades.

Chan Wing Yan

Lau Kin Ming

Années 1990
Années 2000

Dix ans plus tard, Yan est devenu l'un des bras droits de Sam. Le commissaire Wong veut l'utiliser pour mettre un terme aux trafics. Lau est devenu inspecteur. Sam l'utilise pour connaître les plans de la police.

Très vite, les deux hommes comprennent qu'il y a une taupe dans leurs rangs.

Étude de l'affiche

L'affiche souligne d'abord la symétrie entre les deux personnages : même attitude, même tenue (veste sombre, chemise blanche). Cette disposition annonce deux intrigues parallèles dans le film.

Les "deux héros tragiques" paraissent à part, isolés au sein d'un monde infernal peuplé de silhouettes fantomatiques.

L'affiche est composée selon un principe très rigoureux : devant chaque personnage net, la silhouette floue de son mentor (le commissaire Wong ou Sam), son avenir possible ; derrière, la silhouette de son double jeune, sa "vie antérieure". Entre les deux, l'un des personnages secondaires du film, qui prendra toute son importance dans le dénouement.

En d'autres termes, ces deux personnages nets au milieu de silhouettes floues sont en quête de leur identité, pris entre un passé inaccessible et un avenir incertain.

Le titre joue sur les mots : le nom "affaires internes" ("internal affairs") désigne une police des polices, qui enquête sur les soupçons de corruption. C'est le poste que détiendra Lau dans le film. Le changement de consonnes ("internal" devient "infernal") modifie l'enjeu du film : d'un polar, il devient une réflexion métaphysique sur le secret ("trop lourd à porter") et la souffrance qu'il entraîne.

On voit sur l'affiche le remarquable travail sur la couleur, qui sera sera largement développé dans le film. La figure des deux personnages est en effet soulignée par un halo de couleur : bleu-vert autour de Lau, rouge autour de Yan.

Enfin, l'affiche attire notre attention sur deux acteurs : Andy Lau et Tony Leung. Réalisé au début des années 2000, pendant une période de crise du cinéma de Hong-Kong, le film exprime aussi la quête d'identité de ce cinéma face aux grandes productions américaines.

Pistes d'études

Montage alterné

Les deux infiltrés se croisent à plusieurs reprises dans le film avant la confrontation finale.

Le secret

Le film est entièrement construit sur la figure du montage alterné : deux histoires parfaitement symétriques sont racontées en même temps, celle du flic infiltré dans la mafia, et celle du malfrat infiltré dans la police. Les séquences sur l'un et l'autre alternent de façon quasiment continue.

Si l'affiche suggère une symétrie entre les deux personnages, les deux destins sont cependant très différents.

Pour Lau, le secret est une menace. Il essaie de se construire une carrière, un foyer. Mais si son secret est découvert, tout est fini. Il supprime alors son ancien patron, efface le dossier de Yan, supprime son 'frère' de triade... Mais il ne parvient jamais à complètement effacer son passé. A la fin, l'équilibre est précaire : Mary sait, les enregistrements audio ne sont pas détruits.

Pour Yan, au contraire, le secret est garant de son identité réelle. Or dès le début, la survie de ce secret est problématique : l'un des deux fonctionnaires qui l'ont recruté est mort. Wong est le dernier à savoir. Une fois le commissaire mort, le dossier effacé, personne ne connaît plus la vérité. Yan confie alors son secret au docteur Lee.

Cette opposition se perçoit dans le jeu et l'apparence des deux personnages.

Lau est un personnage entreprenant. Il est affable, avenant et s'efforce de faire de son mieux pour correspondre à ce qu'on attend de lui : on note souvent son sérieux, la qualité de ses résultats, sa présentation irréprochable. Toujours soucieux de plaire à son interlocteur, Lau est un caméléon, un homme aux multiples visages, comme Mary le définit : l'épisode de la transformation en avocat l'illustre bien. Mais ses actes sont, comme lui, très ambigus : tue-t-il Sam pour venger Wong et se racheter, ou pour effacer les traces de son passé et assurer sa carrière ?

Yan, au contraire, est un personnage passif et plutôt silencieux. Quand le film commence, il avoue qu'il est brisé par sa trop longue infiltration. Le bras cassé en est l'image évidente. Il y a quelque chose du Jefferies de Fenêtre sur cour dans le personnage de Yan. Tout au long du film, il parle peu, agit rarement et esquive les affrontements, que ce soit avec les hommes de Sam, ou avec la police lors de la deuxième transaction. Le commissaire Wong lui reproche sa violence au début du film ; pourtant, il ne touche presque jamais une arme, sauf pour arrêter Lau dans les toutes dernières minutes. C'est surtout un personnage à l'écoute : il écoute l'homme de main de Sam qui lui révèle le lieu où la drogue est débarquée, Sam lui parler de ses projets, son ancienne petite amie, Keung mourant...

Le cinéma de Hong-Kong

Le cinéma de Hong-Kong a longtemps été connu pour ses films de sabre et de Kung-Fu, puis, à la fin des années 80, pour les films fantastiques de Tsui Hark et les polars de John Woo. Mais c'est aussi un cinéma d'auteurs, marqué par plusieurs 'Nouvelles Vagues', dont le représentant le plus connu en Occident est Wong Kar-Wai.

Infernal Affairs marque un tournant dans l'histoire de ce cinéma : héritier des films de John Woo, il propose une nouvelle esthétique du polar ; produit dans un contexte de crise important, il redonne un nouveau souffle à une industrie moribonde.

Peu avant les années 2000, le cinéma de Hong-Kong traverse une crise importante.

Au milieu des années 90, presque tous les rénovateurs sont rentrés dans le rang ou émigrent à l'étranger (Hollywood, Canada, Australie). La mode est aux films pour jeunes qui évoquent les triades redevenues toutes puissantes (Andrew LAU, Young and dangerous, 1996). Face à une crise sans précédent, conséquence, entre autres, du piratage vidéo et du succès du cinéma américain

A. Z. Labarrère, Atlas du cinéma, coll. Encyclopédies d'aujourd'hui, Livre de Poche, éd. LGF, 2002.

Le réalisateur Andrew Lau Wai-keung s'est d'abord forgé une réputation comme chef-opérateur et directeur de la photographie, travaillant entre autres avec Wong Kar-wai. Passé à la réalisation dans les années 1990, il collabore avec le scénariste Alan Mak pour écrire et réaliser le film.

Andrew Lau: C'était un moment difficile, une époque horrible à Hong Kong. Les chiffres du box office étaient très bas.

Alan Mak : Avant qu'Infernal Affairs ne sorte, Andrew était à Pékin en train de tourner un autre film. Nous étions très inquiets parce c'était dix jours avant que la sortie du film ne soit programmée. A peu près au même moment, un autre film sur les policiers infiltrés était sorti et avait fait un gros flop. Seulement une centaine de personnes s'était déplacée pour voir ce film. Nous ne pensions pas à sauver l'industrie quand le film est sorti, juste essayer de s'en sortir avec.

Interview avec Andrew Lau et Alan Mak sur le site Hong Kong Cinemagic

Or c'est justement ce contexte de crise qui va donner sa qualité au film, en permettant à nombre d'artistes de se retrouver sur un projet ambitieux.

Infernal Affairs parle de deux hommes qui jouent un rôle, et une grande partie du film repose sur le jeu de ces acteurs d'exception, le charismatique Andy Lau, souvent comparé à Tom Cruise, et Tony Leung, tout en discrétion.

Le montage du film est de Danny Pang, co-réalisateur de Bangkok dangerous (1999) et The Eye (2002).

Un nouveau genre de polar

A la fin des années 80, John Woo renouvelle le polar dans le cinéma de Hong Kong avec des films comme A better tomorrow (1986) : les fusillades épiques s'organisent en ballets qui s'organisent suivant une chorégraphie impressionnante, héritière des films d'arts martiaux.

Deux films de John Woo ont largement inspiré Infernal Affairs :

- Hard boiled (1992) met en scène Tony Leung dans le rôle d'un flic infiltré ;

- Face/Off (1997) raconte l'histoire d'un policier qui prend l'apparence d'un criminel pour déjouer un attentat ; mais pendant ce temps, le criminel prend sa place. "Aux alentours de 1998, j'ai vu FACE/OFF, j'ai vraiment aimé ce film... L'idée de la chirurgie plastique permettant de changer de visage et de changer de corps était néanmoins peu crédible. Donc avec ce film comme inspiration, j'ai commencé à réfléchir à une histoire dans laquelle deux personnes interchangeraient leur identité. Infernal Affairs est vraiment parti de là." (Alan mak, Interview avec Andrew Lau et Alan Mak sur le site Hong Kong Cinemagic).

Si l'inspiration du film est évidente, celui-ci se démarque néanmoins très nettement des oeuvres de John Woo : sur près de deux heures, il y a une seule brève fusillade lors de la mort du commissaire Wong (moins d'une minute). Les coups de feu échangés et les courses poursuites sont rares.

Tout l'intérêt du film est déplacé vers l'enfer psychologique de l'infiltration : "Depuis le début je voulais rallonger les scènes d'action de trois ou quatre minutes, mais Andrew ne voulait pas en entendre parler, parce qu'il pensait que l'histoire était ce qui intéresserait plus le public" (Alan mak, Interview avec Andrew Lau et Alan Mak sur le site Hong Kong Cinemagic).

Les plans débullés disséminés tout au long du film soulignent le déséquilibre induit par cette situation fausse.

L'un des intérêts majeurs du film repose sur l'ambiguïté morale des personnages : Lau veut être un flic honnête, mais il est prisonnier de son passé ; Yan veut rester flic, mais perd pied dans sa longue infiltration.

La morale du film est très sombre : A la fin, le policier intègre est mort, et l'ancien membre des Triades est devenu officier. La corruption triomphe donc dans les faits. En Chine, la censure a imposé une autre fin dans laquelle Lau est découvert et arrêté.

Des espaces de couleurs distincts

Les séquences s'organisent avant tout selon des ambiances. Ces ambiances sont définies par les éclairages. On peut globalement distinguer quatre types d'espaces dans le film, nettement distingués par leurs couleurs.

Dans les bureaux de la police, avec Lau, une lumière blanche, froide

Dans l'univers criminel, les teintes vertes des profondeurs dans lesquels les personnages évoluent

Souvent autour de Yan, des teintes chaudes, évoquant la douceur d'un foyer

Pour les deux personnages, le bleu du ciel, qui se couvrira à la fin du film

Andrew Lau, directeur de la photographie de formation, précise sa démarche : "Quand je travaillais sur CITY ON FIRE, l'éclairage du film, les images sombres, les mouvements de caméra étaient très différents de ce qui se faisait habituellement à Hong Kong. J'utilisais beaucoup le vert et le bleu sur la palette des couleurs." (Interview avec Andrew Lau et Alan Mak sur le site Hong Kong Cinemagic).

Quand on réduit le film à un code-barre (une image = un pixel en largeur), on voit nettement l'alternance des ambiances pendant le film.

Les teintes chaudes sont utilisés dans deux contextes : le feu, l'enfer, les triades, mais aussi le foyer, la chaleur. Cette ambivalence constitue l'un des problèmes de Yan : le monde des triades est devenu son foyer, et il est pris entre deux allégeances.

Une descente aux enfers

L'une des figures tutélaires de John Woo, le français Jean-Pierre Melville fait commencer un de ses films, Le Cercle rouge, par une citation du Bouddha : "le Bouddah se saisit d’un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : Quand les hommes, même s’ils s’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents ; au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge.".

Infernal Affairs commence par des images de synthèse qui parcourent en très gros plan une statue bouddhiste. Puis apparaît une citation :"Des 8 Enfers, le plus terrible est l'Enfer Perpétuel. Dans cet État, la souffrance ne connaît pas de fin." Sûtra du Nirvana" - Verset 19. Le second épisode de la trilogie précisera qu'il s'agit de l'enfer Avici.

Dans le Bouddhisme, Avici ou Avichi, est le plus bas niveau de l'enfer, dans lequel renaissent les morts qui ont commis de graves méfaits. Il est enfoui profondément sous la surface de la terre. Avici est souvent traduit par «infini» ou «perpétuel», parce que ceux qui y sont envoyés souffrent éternellement. Les autres enfers fonctionnent comme le Purgatoire, où, après un temps de souffrance, on peut renaître sous une autre forme dans un endroit moins horrible; mais ceux qui sont envoyés dans l'enfer Avici n'ont pas d'espoir de rémission ou de répit.

Wikipedia (version anglaise, septembre 2014).

L'infiltration, composante régulière du polar, est devenu un problème métaphysique, qui est posé dans le film en termes religieux : chacun des deux personnages est mort à son ancienne vie, et s'est réincarné dans une autre forme (le policier est devenu criminel, et vice-versa). Mais cette réincarnation est pour eux une plongée en enfer : leur identité et leur apparence ne correspondent pas, et ils sont écartelés entre ce qu'ils paraissent et ce qu'ils sont.

Le film se ferme également sur une citation du Bouddha : "Celui qui est dans l'enfer perpétuel ne meurt jamais. La longévité y est une dure épreuve."

Les escaliers et les ascenseurs sont l'une des métaphores récurrentes du film. Les personnages ne cessent de monter et de descendre, voire de chuter, au fil de leurs choix. Plusieurs moments sont significatifs : Lau descend des marches en acceptant de faire des recherches pour Sam, et il monte les degrés de son service après l'avoir abattu.

Une métaphore politique

La chronologie du film s'étend sur une dizaine d'années. Mais deux périodes sont réellement évoquées : le début des années 90, et le début des années 2000. Entre les deux, un montage rapide évoque les deux carrières des agents infiltrés. Une ellipse nous fait passer des personnages jeunes aux deux trentenaires.

Or cette ellipse recouvre justement une période très importante pour Hong Kong, celle de la rétrocession. A la suite d'un accord avec les autorités britanniques, la colonie anglaise est redevenue en 1997, après 150 ans, une province chinoise dotée d'un statut spécifique, une 'région administrative spéciale' (RAS). Le principe de ce fonctionnement est résumé dans une formule : "Un pays, deux systèmes" (au sein de la Chine, le système chinois et le système hongkongais).

Or nos deux héros peuvent être perçus comme deux visages de Hong Kong. L'un veut s'intégrer à toute force au nouveau système et effacer son passé. L'autre veut à tout prix garder son passé, garant de son identité, et ne peut s'intégrer au nouveau système.

L'idée même d'un double système est au coeur de l'intrigue : deux organisations s'affrontent, celle des triades, la plus ancienne, et celle de la police, plus récente.

Suites et remakes

En 2003, Andrew lau et Alan Mak réalisent Infernal Affairs II, qui est un prequel : le film raconte de façon détaillée la jeunesse des deux héros principaux, et l'émergence de Sam comme chef de triade. Le film montre explicitement la rétrocession de Hong-Kong.

Infernal Affairs III, réalisé la même année, est une suite beaucoup plus convenue, qui montre Lau sombrer peu à peu dans la folie, à cause de son secret trop lourd à porter.

En 2006, le réalisateur américain Martin Scorcese réalise un remake, The Departed, qui a reçu plusieurs oscars : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario adapté, meilleur montage.

Le scénariste et co-réalisateur du film, Alan Mak, a exprimé sa joie ("C'est comme si Infernal Affairs recevait un Oscar") mais aussi une certaine déception : "Le film est si proche de l'original qu'on a l'impression qu'ils ont juste refait Infernal Affairs" (chinapost.com). Ses remarques soulignent aussi des modifications qui altèrent le sens de l'oeuvre : "Avec la mort du personnage de Matt Damon, on perd le symbolisme du film - il a été conçu pour que l'opportuniste vive et doive porter le poids d'une existence construite sur des mensonges" (chinapost.com).

Etude de séquences

Le magasin de musique (00:08:00 - 00:10:30)

La séquence qui suit le générique s'écarte du ton donné dans le prologue. Nous sommes loin des affrontements entre la police et les triades. Un homme entre dans un magasin de matériel hi-fi, savoure un moment de musique avec le vendeur, et achète un ampli. La scène est donc un acte de consommation assez ordinaire. Plusieurs points sont cependant remarquables.

D'abord, le 'vendeur' n'en est pas un. Yan se présente dès les premières images comme un personnage à l'identité fuyante. Il surgit de nulle part au sein du magasin en apparence vide. On le croit vendeur, on s'aperçoit vite qu'il n'en est rien. On le croit membre d'une triade, mais il conseille au véritable vendeur de ne pas payer d''assurance'. Paradoxalement, il se caractérise par son intégrité.

A l'opposé de ce personnage insaisissable, Lau se construit une identité, en commençant à équiper son futur foyer.

Les deux héros communient pourtant un instant autour d'une voix féminine. Le plaisir éprouvé par les deux hommes à écouter cette femme chanter souligne leur difficulté à construire un foyer et une identité durable. Le temps semble arrêté un instant : un léger travelling avant souligne l'émotion de l'écoute. La nostalgie de cette séquence est d'autant plus forte que le titre choisi, 'Those were the days' de tsai Chin évoque un passé révolu et inaccessible, image saisissante de leur situation.

Enfin, dernier point remarquable : le matériel acheté est lié au son. C'est une image récurrente dans le film : Les micros, les écouteurs, la technologie. Au début des années 2000, le film est aussi une réflexion sur l'écoute et les possibilités offertes par les nouvelles technologies.

Rendez-vous sur les toits (00:10:30 - 00:13:50)

En sortant du magasin de musique, Yan annonce qu'il se rend à un enterrement. La séquence qui suit est composé de deux moments distincts, assemblées dans un montage parallèle : dans la rue, Yan salue le convoi du directeur de l'école des cadets, l'un des deux hommes qui l'ont recruté pour sa mission d'infiltration ; sur le toit d'un immeuble, Yan rencontre le commissaire Wong, le deuxième homme qui l'a recruté.

Les images du convoi encadrent la discussion avec le commissaire Wong et lui donnent une coloration funèbre. Avec la mort de cet officier, c'est une partie de la vie de Yan qui disparaît. Le danger, pour lui, n'est pas tant que son secret ne soit découvert, mais plutôt qu'il soit perdu. Sur le toit d'immeuble, Wong le dit avec ironie : "Sois un peu plus courtois. Je suis le seul à connaître ton identité. Si j'efface ton dossier, tu seras un mafieux à jamais."

Plusieurs flash-backs en noir et blanc rappellent l'entretien de recrutement, le départ de l'école des cadets. Le changement de couleur indique qu'il s'agit de "temps révolus", comme la chanson que les deux hommes écoutaient dans le magasin. Et le danger que la séquence souligne n'est pas celui d'être découvert par Sam, mais celui de perdre son identité : "Ça fait presque dix ans... Que dois-je faire ? Me répéter que je suis flic ?".

Sur le toit d'immeuble, les travellings incessants autour des deux personnages créent une atmosphère d'instabilité et de suspicion. Ces mouvements de caméras sont l'une des figures récurrentes du film : c'est comme si la caméra essayait constamment sans jamais vraiment y parvenir de cerner et d'approcher des personnages.

Finalement, le salut solitaire de Yan, dans une ruelle isolée, a quelque chose de tragique. Il affirme malgré le temps et les circonstances la permanence de son identité de policier. A l'opposé de l'hommage final de Lau, c'est un hommage que personne ne voit, l'hommage d'un homme isolé mu seulement par son sens du devoir.

La transaction avec les Thaïlandais (00:24:00-00:32:20)

La transaction criminelle est une séquence emblématique du polar. Dans Infernal Affairs, le spectateur est confronté à un jeu de stratégie plus qu'à des séquences d'action.

Après avoir conclu affaire avec des Thaïlandais, Sam envoie ses hommes prendre livraison d'une cargaison de cocaïne.

Le montage alterné de cette séquence nous montre tantôt l'univers des triades, tantôt la planque des policiers. Les deux univers sont aisément reconnaissables aux teintes et aux couleurs utilisées : vertes pour le premier, blanches pour le second. Les deux univers sont donc nettement distincts, mais pourtant ils interagissent constamment.

Chacun observe en effet l'autre et agit en conséquence : Les policiers observent Sam, qui les écoute le surveiller. Les agents en civil observent les hommes de Sam, pendant que Lau surveille le commissaire Wong. Les gros plans soulignent l'attention soutenue des uns et des autres.

Figure traditionnellement utilisée pour les poursuites, le montage alterné nous montre dans cette séquence une 'poursuite immobile' : chacun des protagonistes s'efforce de prendre de vitesse son adversaire dans la course à l'information, mais les mouvements physiques sont rares : les images nous montrent les personnages principaux dans les mêmes positions, aux mêmes endroits.

Les modes de communication sont multiples : téléphone portable, talkie-walkie, ordinateur, microphone. Sam écoute la fréquence de la police d'une oreille, et parle à ses hommes en même temps. Le commissaire Wong a deux écouteurs, l'un sur la fréquence de la police, l'autre pour le microphone donné à Yan. Un raccord nous montre tantôt le doigt de Yan qui tape sur la vitre pour composer un message, tantôt la main de Wong qui reproduit le même geste.

La communication est toujours indirecte : chacun des deux camps, pour atteindre son objectif, doit éviter tout contact direct. Mais parfois, la communication semble percer cette frontière tacite : au moment où Sam passe un appel, le téléphone de Billy sonne, comme si un de ses collègues l'avait appelé inconsidérément.

La séquence souligne la complexité des circuits d'information dans une société de surveillance.

Wong ordonne aux policiers de cesser la filature ; la communication est écoutée par Sam, qui ordonne à ses hommes de se rendre vers leur destination. L'homme de main de Sam écoute les Thaïlandais qui parlent entre eux ; il rapporte incidemment à Yan leur point de rendez-vous ; Yan transmet en morse l'information à Wong, qui en informe son équipe. Lau, en retour, observe puis écoute la communication en morse de Wong ; il en informe Sam, qui doit ordonner à ses hommes de détruire les preuves.

Complexité des circuits, complexité des codes : l'information donnée en Thaïlandais est traduite en chinois, puis en morse, puis redonnée en chinois. La filature ne consiste plus à suivre une voiture mais à trouver, décoder et transmettre une information.

Les deux personnages principaux sont caractérisés par des techniques différentes. Yan, réfractaire aux micros, communique en utilisant un code ancien (le morse date de 1832). A l'inverse, Lau semble parfaitement s'être adapté aux nouvelles technologies : il peut scanner les portables, écouter le signal émis en morse par Yan, envoyer un message sur tous les portables d'une zone...

Dans cette séquence, les personnages, entièrement absorbés par l'écoute et l'observation, parlent peu. La bande-son, en revanche, est très fournie. Une attention particulière a été accordée à la musique. Andrew Lau explique : "Avec ce budget, j'ai pu utiliser un orchestre complet pour la musique. C'était la première fois dans l'histoire du film hongkongais qu'un orchestre symphonique était employé pour la musique." (Interview avec Andrew Lau et Alan Mak sur le site Hong Kong Cinemagic). A la musique se mêlent, lors des gros plans sur les mains qui codent, les coups répétés de Yan qui communiquent l'information et rythment l'action.

Au terme de la filature, les deux camps échouent. Sam perd sa marchandise. Les policiers ne parviennent pas à arrêter les malfrats avec la drogue.

Finalement, le seul gain réel pour les deux camps est une information : il y a une taupe de chaque côté. La narration se concentre sur le lieu où se trouvent Sam et ses hommes. A l'explosion de colère succède une série de regards tendus, marqués par des champs-contrechamps, d'abord entre Sam et ses hommes, puis entre Sam et les policiers.

Suspense et surprise alternent : dans la pièce, la tension monte. Les regards scrutateurs de Sam se fixent sur Yan, puis sur son plâtre. D'un geste soudain, il le brise. Un panoramique dévoile alors, derrière la vitre, le microphone utilisé par Yan pendant toute la séquence.

Lorsque les policiers entrent dans le local, la frontière tacite a été franchie : Wong apparaît dans un plan débullé au sein de l'univers verdâtre des triades et fait face à Sam. Cette transgression marque le début du face-à-face qui conduira à sa mort.

La fin du film (01:35:35 - 01:37:40)

"L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu", écrivait La Rochefoucault dans ses Maximes en 1664.

A la fin du film, un texte nous apprend que l'identité de Yan a finalement été révélée : le docteur Lee a retrouvé son dossier dans les fichiers de l'école de Police. Yan est donc devenu un héros, et on lui rend hommage, en plaçant sa tombe aux côtés de celle de Wong, et par une cérémonie. Mais, ironie du sort, c'est Lau, l'homme responsable de leurs deux morts, devenu officier, qui préside cette cérémonie.

Lau, dans les apparences, a triomphé. Mais sa réussite prend un goût amer : il doit fermer les yeux face à la tombe de Yan, seul véritable héros. Les femmes présentes lors de la cérémonie soulignent la victoire de Yan : May, sa fille, le docteur Lee sont présentes. L'absence de Mary, au contraire, rappelle la fragilité de la réussite de Lau : elle sait.

Devant la tombe de Yan, Lau revoit son renvoi de l'école de police. Un flash-back traditionnel nous montre des images du début du film, en noir et blanc. Mais ce flash-back engendre une rêverie, un fantasme en couleur : la scène est la même, mais les visages sont ceux des personnages adultes, et les paroles prononcées prennent un nouveau sens.

Au début du film, on voyait Yan franchir les grilles de l'école de police en civil. En hors-champ, l'instructeur exhortait les cadets à suivre le règlement, sous peine de finir comme lui, puis demandait : "Qui veut prendre sa place ? A quoi Lau répondait : "Moi."

Lau exprimait ainsi sa répugnance à vivre une double vie, et son aspiration à la liberté, son désir de sortir de cette école de cadets dont les grilles rappellent ceux d'un milieu carcéral. Son destin subi est dès le début pris dans une contradiction impossible à résoudre : contraint par un chef de triade d'être policier...

A la fin du film, Lau a été promu, il a vengé Wong. Mais malgré toutes ses tentatives pour "tourner la page", malgré sa réussite, il reste prisonnier de son mensonge. Un fondu enchaîné superpose les images des deux héros un instant, exprimant le voeu impossible de Lau : échanger sa place avec Yan.

Voie sans issue (c'est le sens du titre original, Mou gaan dou), le film se referme comme il a commencé, sur une citation : "Celui qui est dans l'enfer perpétuel ne meurt jamais. La longévité y est une dure épreuve." (Bouddha). "Celui qui ne meurt jamais", c'est évidemment Lau, condamné à vivre dans l'enfer de son mensonge.

Découpage technique

Prologue

Générique (00:00:00 - 00:02:50). Les crédits défilent sur des inserts d'une statue bouddhiste.

La naissance des taupes (00:02:50 - 00:07:58). Dans un temple bouddhiste, Sam engage ses jeunes recrues à faire carrière dans la police. A l'école de police, Lau fait ses classes, pendant que Yan est recruté par le commissaire Wong et le principal de l'école de police pour une mission d'infiltration. Il est renvoyé et s'enfonce dans les milieux criminels, alors que Lau grimpe les échelons de la hiérarchie.

"Infernal Affairs" (00:07:58 - 00:08:00). Le titre apparaît sur un fond noir.

Premières passes d'armes

Le magasin de musique (00:08:00 - 00:10:30). Lau cherche un équipement stéréo. Yan le conseille. Quand Lau part, le véritable vendeur revient et Yan lui conseille de ne pas payer les triades.

Rendez-vous sur les toits (00:10:30 - 00:13:50). Dans la rue, Yan salue le convoi funéraire du principal de l'école de police. Puis il retrouve le commissaire Wong sur le toit d'un immeuble. Celui-ci donne un micro et une montre à Yan. Il explique que Sam prépare une transaction avec des contacts thaïlandais.

L'homme aux multiples visages (00:13:50 - 00:17:37). Au commissariat, Lau se fait passer pour un avocat pour piéger un homme de main des triades.

La transaction avec les Thaïs (00:17:38 - 00:32:20). Tous les hommes de la brigade sont rassemblés pour intervenir lors de la transaction évoquée par Yan. Lau prévient Sam. Celui-ci fait affaire avec les Thaïlandais, et indique à ses hommes où récupérer la marchandise. Informé par Yan, la police intervient, mais Lau a le temps de prévenir Sam, et ses hommes parviennent à se débarrasser de la drogue avant d'être arrêtés. Sam sait désormais qu'il y a une taupe parmi ses hommes. La police les arrête.

L'affrontement ouvert

Le défi (00:32:20 - 00:35:02). Au commissariat, Sam est attablé, Ses hommes en rang derrière lui. Wong entre, ses hommes derrière lui. Les deux hommes se défient.

La mission (00:35:02 - 00:37:40). Au sortir du commissariat, Sam appelle Lau et lui ordonne de trouver la taupe. Le policier lui demande de lui fournir un dossier. Mary lui parle d'un roman qu'elle veut écrire sur un homme perdu dans ses multiples identités.

Chez le psy (00:37:40 - 00:41:11). Yan va dormir sur le divan du Dr Lee. Il confie sur le ton de la plaisanterie qu'il est en fait un flic.

Promotion sur les toits (00:41:11 - 00:42:32). Au cours d'un golf sur le toit d'un immeuble, le commandant indique à Lau qu'il est promu à l'Inspection Générale des Services. Sa mission sera de trouver la taupe de Sam.

Le dossier (00:42:32 - 00:46:00). Les hommes de Sam remplissent des questionnaires. Yan écrit quelques mots sur une enveloppe. Dans un cinéma, Sam remet cette enveloppe à Lau. Yan essaie de le suivre sans succès.

Le boudoir de Sam (00:46:00 - 00:47:58). Sam explique à Yan qu'il va prendre d'autres hommes pour ses prochaines affaires, et annonce qu'il saura bientôt qui est la taupe. Yan promet de s'en occuper.

Prise de fonctions (00:47:58 - 00:51:32). Au commissariat, Lau discute avec Wong. Une fois dans son bureau, il sort le dossier fourni par Sam, et commence à chercher. Dans son appartement, l'un des murs est couvert de notes. Mary continue à lui parler de son personnage perdu dans ses multiples identités. Il demande à Billy de suivre le commissaire Wong.

La fille de Yan (00:51:32 - 00:55:04). Au comptoir d'un fast-food, Keung et Piero discutent de la façon de reconnaître un flic. Yan les rejoint, il retrouve une ancienne petite amie, qui lui ment sur l'âge de sa fille.

La mort de Wong (00:55:04 - 01:03:15). Wong se rend à son rendez-vous avec Yan. Billy prévient Lau, qui informe Sam. Sur le toit de l'immeuble, Yan reçoit un appel lui demandant de venir pour s'occuper de Wong et de la taupe. Il s'échappe par les échafaudages, tandis que Wong essaie de passer par l'ascenseur. En revenant devant l'immeuble, Yan voit le commissaire tomber devant lui. Une fusillade entre la police et les hommes de Wong éclate. Yan et Keung s'enfuient.

Crépuscule (01:03:15 - 01:07:49). Devant l'immeuble, sous les lumières des ambulances, Lau regarde le lieu où Wong est mort. Au commissariat, la télévision annonce officiellement la mort de Wong. Dans une voiture, Keung, touché par une balle, meurt en évoquant l'absence de Yan.

Changement d'alliances

Le dossier crypté (01:07:49 - 01:09:36). Pendant une réunion des chefs de service au commissariat, on apprend l'existence d'un dossier crypté sur l'ordinateur de Wong.

Passage de relais (01:09:36 - 01:12:52). Sam annaonce à Lau qu'il n'a désormais plus besoin de lui. Dans son bureau, Lau trouve le téléphone de Wong, et rappelle le dernier numéro. Yan décroche mais ne répond pas. Lau commence un message en morse. Yan raccroche. Plus tard, il rappelle et Lau lui propose de collaborer.

Keung, policier infiltré ? (01:12:52 - 01:13:40). La télévision annonce la mort de Keung, présenté comme un policier infiltré. Yan dit à Sam qu'il s'est occupé de lui.

La seconde transaction (01:13:40 - 01:19:26). Au commissariat, Lau mobilise plusieurs services pour arrêter Sam. Sur les indications de Yan, les policiers suivent les véhicules de la triade. Dans un parking, Sam effectue une transaction. Au moment de partir, Yan reste en arrière. Les voitures de Sam sont bloquées, ses hommes arrêtés. Lui seul réussit à s'enfuir. Quand il compose le numéro de Lau, la sonnerie retentit tout près de lui. Lau apparaît derrière un pilier, et abat son ancien chef.

Le retour du passé

La rencontre (01:19:26 - 01:23:50). Au commissariat, Lau est applaudi. Il retrouve Yan dans son bureau, qui lui donne le mot de passe du dossier crypté. Pendant son absence, Yan découvre le dossier donné par Sam. Quand Lau revient, Yan a disparu ; Lau comprend qu'il sait et efface son dossier.

Rendez-vous avec le Dr Lee (01:23:50 - 01:26:35). Yan trouve refuge dans le cabinet du docteur Lee à qui il a donné rendez-vous. Il lui confirme qu'il est flic. Au matin, Lee trouve un mot lui demandant de ne pas oublier son secret.

Troubles domestiques (01:26:35 - 01:28:55). Chez lui, Lau retrouve Mary effondrée. Un CD est dans le lecteur. Sur le CD, une conversation entre l'officier de police et Sam. Yan l'appelle pour lui fixer rendez-vous.

Le dénouement (01:28:55 - 01:35:35). Lau se rend dans un immeuble. Sur le toit, il est menotté par Yan. Billy met Yan en joue, mais ce dernier s'abrite derrière Lau. Au moment de prendre l'ascenseur, Billy abat Yan. Un flash-back nous montre qu'il est aussi un homme des triades. Il offre ses services à Lau, mais celui-ci l'abat dans l'ascenseur. En sortant de l'ascenseur, Lau brandit sa carte de policier.

Epilogue (01:35:35 - 01:37:40). Le dossier de Yan est retrouvé par Lee à l'école de police. Au cours d'une cérémonie, Lau lui rend les honneurs.

générique de fin (01:37:40 - 01:40:48).

Bibliographie

A. Z. Labarrère, Atlas du cinéma, coll. Encyclopédies d'aujourd'hui, Livre de Poche, éd. LGF, 2002.

Interview avec Andrew Lau et Alan Mak sur le site Hong Kong Cinemagic.

Emrik Gouneau et Léonard Amara, Encyclopédie du cinéma de Hong Kong, éd. Les Belles Lettres, 2006.

Infernal Affairs writer criticizes Oscar-winning take on his work, chinapost.com, 2007.

Gina Marchetti, Andrew Lau and Alan Mak's Infernal Affairs - The trilogy, Hong Kong University press, 2007.

Dictionnaire du cinéma asiatique, Nouveau Monde éditions, 2008.

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