Johnny got his gun

Johnny got his gun est d'abord un roman de Dalton Trumbo qui sort en 1939, deux jours après l'entrée en guerre des Etats-Unis. Le livre, inspiré d'un fait divers réel, raconte l'histoire d'un soldat mutilé au front lors de la première guerre mondiale. Réalisé en 1971 par l'auteur, ami de Luis Buñuel, le film inspiré du roman reçoit la palme d'or à Cannes en pleine guerre du Viêt Nam.

C'est dire à quel point le film est lié à la guerre, à la fois par son propos mais aussi par son histoire.

Table des matières

Synopsis

Biographie de Dalton Trumbo

Fiche technique

Etude de séquences

Pistes d'études

Découpage technique

Bibliographie

Synopsis

Durant la Première Guerre mondiale, un jeune soldat est blessé par une mine : il a perdu ses bras, ses jambes et toute une partie de son visage. Il ne peut ni parler, ni entendre, ni sentir mais reste conscient. Dans la chambre d'un hôpital, il tente de communiquer et se souvient de son histoire.

Biographie de Dalton Trumbo

Dalton Trumbo nait dans le Colorado en 1905. À l'âge de vingt ans, il part pour la Californie. Il y travaille comme boulanger la nuit, tandis que le jour il étudie à l'Université de Californie du sud. À la fin de ses études, il commence à écrire des articles en tant que journaliste indépendant.

En 1933, il devient rédacteur en chef de la revue Hollywood Spectator, une publication de critique cinématographique. La revue cesse un an plus tard. Trumbo est alors engagé comme lecteur à la Warner Bros jusqu'en 1936. Il est renvoyé, car il refuse de démissionner de la Screen writer's guild, un syndicat fortement ancré à gauche. Il écrit quelques scenarii sans grande importance pour la Screen writer's guild et il devient militant dans plusieurs associations de gauche : la Anti-nazi league (ligue anti-nazi), le Committee in defense of negro rights (comité de défense des droits des noirs), le Committee against war and fascism (comité contre la guerre et le fascisme).

En 1938, il épouse Cléo Beth Fincher, il aura trois enfants avec elle. Cette année-là, il écrit Johnny Got His Gun. Il écrit également le scénario de son premier "grand film", A man to remember de Garson Kanin. Il devient rapidement l'un des scénaristes les mieux payés d'Hollywood. En 1941, Kitty Foyle, réalisé par Sam Wood, est nommé pour l'Oscar du meilleur scénario. Il est également un grand pamphlétaire.

Le roman Johnny got his gun sort en 1939, deux jours après l'entrée en guerre des Etats-Unis. Le roman connaît un succès important, et il est rapidement épuisé, mais il est récupéré par l'extrême droite américaine, qui l'utilise pour protester contre la guerre et de demander une paix immédiate avec l'Allemagne nazie. Plusieurs militants demandent à Trumbo et à son éditeur de rééditer le livre, mais ces derniers refusent.

En octobre 1947, la House Un-American Activities Committee (commission des activités antiaméricaines) se réunit à Washington et commence des audiences afin de déterminer quels sont les individus « déviants » du monde hollywoodien. Trumbo est l'un des Dix d'Hollywood qui refusent de répondre à la question : « Êtes-vous encore, ou avez-vous été membre du parti communiste ? ». Trumbo est condamné à une peine de prison de onze mois qu'il effectue en 1950.

De plus il est inscrit sur la "liste noire d'Hollywood" ce qui dans les faits lui interdit de travailler dans le cinéma. Il s'exile au Mexique avec Hugo Butler et sa femme eux aussi sur la liste noire. Il y rencontre Luis Buñuel et une relation amicale se noue entre les deux cinéastes. Il lui parle alors d'un projet qui lui tient à cœur : l'adaptation au cinéma du livre qu'il a écrit en 1938, Johnny s'en va-t-en guerre. De là-bas, il continue à écrire pour le cinéma américain sous des noms d'emprunts, Millard Kaufman (Gun Crazy en 1950) ou encore Robert Rich, avec qui il remporte même l'Oscar du meilleur scénario pour Les clameurs se sont tues de Irving Rapper, en 1956.

Il sort officiellement de la liste noire en 1960, lorsque Otto Preminger demande que Dalton Trumbo soit crédité sous son vrai nom au générique d'Exodus. La compagnie United Artists, de tradition libérale et de gauche, accepte. Kirk Douglas fait alors rétroactivement la même chose avec le film sorti la même année, Spartacus, réalisé par Stanley Kubrick.

En 1971, en pleine guerre du Viêt Nam, il réalise son unique film, une adaptation de son roman Johnny s'en va-t-en guerre. Le film est montré au festival de Cannes et est congratulé par Jean Renoir et Luis Buñuel. Il obtient le Grand prix du jury.

Il décède d'un infarctus du myocarde à l'âge de 71 ans, le 10 septembre 1976.

Fiche technique

Pays : Etats-Unis

Durée : 1h40

Année : 1971

Genre : Drame, guerre

Réalisation : Dalton Trumbo

Production : Bruce Campbell

Scénario : Dalton Trumbo

Interprètes :

Récompenses au Festival International du Film de Cannes 1971

Equipe technique :

Etude de séquences

1. Le dialogue avec le père (00:35:06-00:38:24)

Cette séquence présente un dialogue traité de façon très conventionnel dans l'image, mais beaucoup plus original dans le dialogue.

Joe. - Au secours, Papa! Je suis dans le pétrin. Papa, tu m'entends?

Le Père. - Je suis aussi dans le pétrin. Je possède rien qui vaille. Une petite maison, un petit boulot, un petit salaire. Un fiston petit. Et ma femme. Je ne suis pas un aigle. Autour de moi, tout est petit, minable... sauf cette canne à pêche. Tous les ans, j'achète le meilleur fil de soie. Et cette laque. Elle vient de Chine. La meilleure du monde. Et ça? De l'ambre pure. Personne ici n'a une canne comme ça. Même pas le banquier. Ma vie est si misérable que sans cette canne... j'ai rien de marquant. Rien qui puisse me distinguer. C'est pourquoi je l'aime tant.

Joe. - Tu l'aimes plus que moi?

Le Père. - Et comment! Qu'est-ce qui peut bien te distinguer? Tu n'as rien de spécial.

Joe. - Si, Papa. Peut-être pas encore mais plus tard.

Le Père. - Bien sûr. Tu vas apporter la démocratie au monde!

Joe. - C'est quoi la démocratie ?

Le Père. - J'en sais trop rien. Comme le reste... ça doit faire s'entretuer les jeunes.

Joe. - Pas les vieux?

Le Père. - Ils doivent faire bouillir la marmite.

Joe. - Les jeunes peuvent pas faire ça?

Le Père. - Les jeunes n'ont rien. C'est pourquoi ils vont s'entretuer.

Joe. - Tu voudras que j'y aille aussi?

Le Père. - Pour la démocratie tout homme donnerait son fils unique.

Joe. - Pas moi.

Le Père. - Je serai plus là pour l'empêcher. Serre-moi fort. J'ai besoin de ta chaleur contre la mort.

Joe. - Je ne peux pas.

Le Père. - S'il te plaît...

Joe. - Non. (Joe s'enfuit)

Le Père. - Ça finit toujours comme ça. On doit affronter la mort seul.

La séquence du rêve se présente comme un souvenir : aucune distortion dans l'image ou le son, un cadre réaliste. A priori, aucune différence entre cette séquence et les souvenirs précédents : on retrouve le père déjà aperçu, Joe enfant, en conversation comme dans la scène qui se déroule en barque sur le lac (00:33:21).

Cependant, on se rend vite compte que cette scène ne peut pas être un simple souvenir. D'abord, les paroles du père sont étranges. Le regard qu'il porte est sévère : "Autour de moi, tout est petit, minable, sauf cette canne à pêche." Certes, le personnage a déjà montré des traits d'humour singulier ("Il y a longtemps on chassait les Indiens par ici. On les foutait à l'eau, ficelés à des pierres. A peu près où on est. Le coin est devenu bon pour la pêche"). Cependant, le personnage devient ici froid ("Joe. - Tu l'aimes plus que moi? Le père. - Et comment!") et prêt à sacrifier son fils pour une cause confuse à laquelle il semble ne pas vraiment s'intéresser. Dernier détail troublant : si on penche pour l'hypothèse d'un souvenir de Joe, comment expliquer les derniers plans de ce dialogue où on reste avec le père ? Le point de vue ne peut pas être celui de Joe, qui est parti.

Un rêve, alors ? Lorsque son père lui demande de le serrer dans ses bras, Joe répond : "Je ne peux pas". Ses bras ballants évoquent sa mutilation. Après le départ de Joe, le père constate : "Ça finit toujours comme ça. On doit affronter la mort seul." (00:38:18). Les parallèles entre cette séquence et la réalité présente de Joe sont donc nombreux : le besoin de réconfort, la solitude, l'impossibilité de communiquer, l'angoisse de la mort qui approche.

Mais, curieusement et symboliquement, les rôles sont inversés. C'est le père qui exprime l'angoisse de la mort, le besoin de réconfort, la solitude. La séquence commence par la réponse du père : "Joe. - Au secours, Papa! Je suis dans le pétrin. Le père. - Je suis dans le pétrin aussi." Réagissant en miroir, non seulement le père n'aide pas son fils, mais en plus il lui demande son aide. Cette inversion est récurrente : ce sont les enfants qui vont se battre pour protéger les pères, tandis que ceux-ci restent eux dans la sécurité du foyer. C'est le père qui demande au fils de le serrer dans ses bras.

Ce dialogue souligne donc l'ambiguïté de la relation entre les fils et les pères, qui les aiment mais n'hésitent pas à les sacrifier. Le parallèle avec le sacrifice du Christ est explicite : "Pour la démocratie tout homme donnerait son fils unique." En anglais, c'est l'expression biblique qui est utilisée : "his only begotten son". Lorsque Joe s'enfuit, on ne sait pas s'il refuse de serrer son père dans ses bras, ou s'il refuse cette vision du monde.

Plus qu'un souvenir ou qu'un rêve, cette séquence tient donc de la parabole : elle met en évidence le renversement de ce monde où les pères sacrifient les fils pour conserver leur vie.

2. Le dialogue avec Jésus (00:44:14-00:48:18)

Joe, dans la réalité (noir et blanc). - Comment savoir la différence ?

Jésus, dans un atelier de menuiserie (couleur). - Il faut hurler. Je rêve toujours qu'on veut me tuer. Mon père et ma mère en fuite. J'entends les soldats charger la nuit... et les cris, et je hurle. Ça me réveille. Il faut hurler.

Joe. - Mais je ne peux même pas chuchoter.

Jésus. - Ça ne servirait à rien. On peut aussi se dire "C'est un rêve." Et on s'éveille pour l'arrêter. On ouvre de force ses yeux... le rêve est parti.

Joe. - J'ai plus d'yeux.

Jésus. - Ça complique les choses. Essaie de discipliner ton esprit. Dis-toi: "Je vais dormir... et je n'aurai pas de cauchemar." Ça peut se faire. Tu t'assoupis.

Joe. - Je ne m'assoupis jamais.

Jésus. - Jamais ?... (Il va signer un papier que lui apporte un manutentionnaire occupé à charger des croix dans un camion). Il faut s'y prendre autrement. Supposons que... tout est un rêve. En gros, c'est vrai. La vie est un rêve, que l'on soit endormi ou éveillé. Le jour, nous contrôlons nos rêves. La nuit, c'est le rêve qui nous contrôle. Pense à ça. Quand tu rêves que le rat est là, tu contrôles le rêve... ou le rêve te contrôle?

Joe. - Il me contrôle.

Jésus. - C'est ça. Si le rat était vraiment là, tu le repousserais. Si tu ne le fais pas, c'est que c'est un rêve.

Joe. - Non, ça marche pas! Si le rat est vrai, je ferai rien. J'ai plus de bras. J'ai rien. Je survis comme un morceau de viande.

Jésus. - Que tu sois vivant est le pire des cauchemars. Ce serait cruel de prétendre que quelqu'un peut t'aider. Ce qu'il te faut, c'est un miracle.

Joe. - Non, dites-moi que le rat est vrai, et que je suis un rêve.

Jésus. - Il vaut mieux que tu partes. Tu n'as vraiment pas de chance et c'est contrariant.

Joe. - Je m'en vais, mais dites-moi si nous sommes vraiment ici, vous et moi, ou si je rêve?

Jésus. - Tu rêves. Je suis un rêve.

Joe. - Je vous crois pas.

Jésus. - Personne ne me croit. C'est pourquoi je suis aussi irréel que n'importe quel autre rêve qui ne s'est pas réalisé.

Ce dialogue est d'abord un moment de comédie. Les clins d'oeil à l'histoire sainte sont nombreux. Jésus fait des cauchemars à cause du massacre des Innocents (encore des soldats tuant des enfants, l'armée a décidément toujours le mauvais rôle). Il semble à la tête d'une entreprise de charpenterie qui fabrique et expédie une production abondante de croix. Les conseils de Jésus se heurtent aux réalités de la situation de Joe dans une répétition comique : "Jésus. - Il faut hurler. Joe. - Mais je ne peux même pas chuchoter... Jésus. - On ouvre de force ses yeux... Joe. - J'ai plus d'yeux... Jésus. - Tu t'assoupis. Joe. - Je ne m'assoupis jamais." Réduit à l'impuissance par la complexité du cas de Joe, il renonce en déclarant : "Ce qu'il te faut, c'est un miracle." A la fin du dialogue, il constate avec amertume son échec, qui apparaît comme un prolongement des difficultés rencontrées lors de sa vie terrestre : "Personne ne me croit."

Il y a presque quelque chose de burlesque dans le jeu de Donald Sutherland, qui interprète un Jésus plein de bonnes intuitions, mais bientôt dépassé et vexé. Peu à peu, en effet, dans le dialogue, les rôles se renversent. Alors qu'au début, Jésus pense pouvoir aider Joe à trouver un moyen pour sortir de son doute, c'est Joe qui amène peu à peu Jésus à constater son impuissance. De façon assez ironique de la part de Trumbo, cette prise de conscience amène agacement et gène dans le personnage de Jésus, qui évite le regard de Joe à la fin de la scène et le congédie : "Il vaut mieux que tu partes. Tu n'as vraiment pas de chance et c'est contrariant."

Comme dans beaucoup de séquences de rêve, Trumbo joue ici sur le registre allégorique. S'il est un personnage religieux familier avec la souffrance et la mort, c'est bien Jésus-Christ. Or, cette séquence souligne son impuissance : "Que tu sois vivant est le pire des cauchemars. Ce serait cruel de prétendre que quelqu'un peut t'aider". Les croix, symboles de morts et de souffrance, expédiées en nombre pendant le dialogue, rappellent que les morts et les agonies se poursuivent. De nombreux martyrs sont évoqués ainsi par métonymie, comme le carton final l'explicitera.

3. "Tuez-moi" (1:32:45 - 1:39:23)

Cette séquence représente l'aboutissement de tout le film : Joe est enfin considéré comme un homme. Ses semblables le regardent et l'écoutent.

Le général de brigade apparaît comme le pivot de cette séquence, construite autour d'une série de gros plans. Ces gros plans ont une double fonction : d'une part, ils soulignent les émotions du personnage, qui, après une douloureuse prise de conscience, paraît indigné par l'erreur inadmissible du général Tillery ; d'autre part, ils installent le personnage comme référence. Il est celui qu'on regarde, celui vers qui on se tourne, le détenteur de l'autorité morale et hiérarchique. Et, dans un premier temps, le spectateur est séduit par ce personnage dont dépend le sort de Joe et qui paraît porteur d'humanité et d'espoir. Il ordonne à l'interprète de lui demander ce qu'il veut dans l'objectif de l'aider.

La question recentre la séquence sur Joe, vers qui tous les regards convergent désormais. La question posée par les militaires suscite une réflexion en deux temps de Joe. D'abord, il exprime pour lui-même le désir de sortir, de sentir l'air frais sur sa peau.

Puis, comprenant que cette demande est irréalisable, il formule dans un deuxième temps ce qui parait une demande délirante : devenir une attraction de foire, une démonstration de ce que l'armée fait des hommes. Cette seconde demande est accompagnée visuellement d'une surimpression : au "visage" de Joe se superpose l'image du convoi de "freaks" en marche. A la voix off de Joe se superpose la musique du stand de foire. La demande formulée explicitement par Joe devient finalement un éloge grinçant de l'armée, qui "forge les hommes". Joe devient une sorte de bannière, comme le drapeau agité par les "freaks", contre le discours militaire.

Les personnages qui entourent le lit sont saisis par des gros plans qui soulignent l'émotion croissante des personnages et dramatisent l'échange.

Lorsque le général refuse cette demande, Joe formule alors une seconde requête : "Tuez-moi". Or, entre les deux demandes, un changement essentiel est intervenu : désormais, la voix off est muette. Joe ne parle plus que par la bouche de l'interprète. Or, paradoxalement, ce mutisme renforce l'intensité dramatique, beaucoup plus que les gros plans des personnages bouleversés, parfois un peu didactiques. On peut y voir une forme de litote : dire moins pour exprimer plus. On verra plus bas que c'est la logique du film. Peut-être aussi parce que la voix off créait un espace second, à côté de l'espace des autres personnages, et que le silence de Joe exprime de façon beaucoup plus réelle son isolement et sa dépendance totale.

Face à la demande de Joe, le général, un temps désarçonné, ferme les portes entrouvertes. Il referme littéralement les volets, et ferme tout espoir de changement pour Joe. Après une brève confrontation avec le prêtre, le sort de Joe est scellé.

Pistes d'études

Un film de guerre sans action

Un combat moral

Johnny got his gun entre dans la catégorie des films de guerre : le personnage principal est un soldat, l'action tourne autour la première guerre mondiale. Et pourtant, si l'on excepte les séquences d'archives, les scènes de combat durent trois minutes sur l'ensemble du film. En fait, ce n'est pas vraiment de la guerre dont il est question, mais des conséquences de la guerre sur un homme singulier.

A la différence de ce qu'on pourrait attendre d'un film qui dénonce la guerre, Johnny got his gun ne montre ni les combats, ni les blessures, ni le corps mutilé de Joe. Le film fonctionne en fait comme une gigantesque litote, montrant le moins possible pour exprimer le plus possible.

L'essentiel du film réside dans un combat moral, mené par Johnny, assisté par quelques infirmières.

Une première partie du film retrace la découverte de son "nouveau" corps. Dans un deuxième temps, il explore son environnement à l'aide du sens qui lui reste, le toucher. La troisième partie du film montre la façon dont il entre en contact avec les hommes.

Entre ombre et lumière

Deux forces contradictoires sont à l'oeuvre dans le film. D'un côté, les militaires et les médecins dénient toute existence à Joe, et en font un objet, qu'ils repoussent dans l'obscurité. De l'autre, certaines infirmières s'efforcent de faire revenir Joe à la lumière, et de lui rendre son statut de sujet, malgré son infirmité. Paradoxalement, d'ailleurs, même lorsque l'infirmière tente de mettre fin à la vie de Joe, c'est encore une façon de lui rendre son statut de sujet, puisqu'elle se accomplit à sa volonté.

Toute l'histoire de Joe peut donc se résumer comme un combat pour sortir de la nuit, de cette demi-mort à laquelle il est condamnée, pour retourner au grand jour.

Deux séquences se répondent d'un bout à l'autre du film.

Au début, Joe est placé dans une pièce, l'infirmière éteint la lumière, referme la porte, tout bascule dans le noir. Puis, insensiblement, une forme apparaît, et un lent travelling avant nous rapproche d'elle, tandis qu'une voix off fait son apparition (de 6:00 à 6:50).

A la fin, Joe est maintenant dans une pièce aux volets fermés. Le général de brigade éteint la lumière, referme la porte. Le demi-jour qui passe par les fentes des volets éclaire Joe. Un lent travelling arrière nous éloigne de lui, tandis que la voix off répète de plus en plus lentement : "S.O.S... Aidez-moi..." (de 1:43:03 à 1:45:15).

A la dérive

Sur cette trame se greffe une infinité de digressions. A partir d'une réflexion, d'une sensation, d'un mouvement, par un jeu d'associations parfois surprenantes, les souvenirs et les rêves affluent.

Dans certains cas, le lien est explicite.

Lorsque Joe s'interroge sur les raisons qui ont pu pousser les médecins à le laisser vivre ainsi, la question - "C'était une expérience ?" (00:29:55) - fait surgir la vision d'un orateur vantant les progrès de la médecine accomplis grâce à la guerre : "Mes chers élèves. La guerre n'a pas le même sens pour tous. Elle permet au savant d'être libre d'imaginer et d'accomplir des expériences brillantes."

Au moment où Joe a compris sa nouvelle situation, désespéré, il convoque les souvenirs de son enfance heureuse en famille : "Pour Los Angeles. Je me rappelle tout." (00:31:36). Les plans suivants montrent les souvenirs.

Le baiser et le soin de l'infirmière évoque le souvenir ambigu d'une prostituée indécente et maternelle (01:07:18). La transition se fait à la fois de façon explicite (Joe s'interroge : est-elle américaine, et se souvient d'une Américaine rencontrée en France) et implicite (dans les deux cas, la figure féminine est ambiguë, à la fois tendre - le baiser de l'infirmière, le tricot de la mère - et sexualisée - le baiser annonce la scène d'amour, la prostituée est indécemment nue.)

Lorsque l'infirmière souhaite "Joyeux Noël" à Joe, le rêve sur un Noël à la boulangerie surgit (01:19:19).

Transposer les sensations en images

Dans d'autres cas, la transition est beaucoup plus implicite. Par exemple, lorsque le corps de Joe est emmené sur un chariot, le mouvement d'un autre chariot y est associé : celui des pains à la boulangerie. La transition se fait sur le mouvement et associe dès lors Joe à un objet, une marchandise : il parlera à son sujet d'un "morceau de viande" (00:47:22).

Parfois, la transition se fait sur une sensation. Quand Joe est mis sous sédatif, il sombre dans l'inconscience. Cette plongée, cette impression de flotter est rendue par l'image des squelettes au fond du lac, une pierre à leurs pieds (01:31:38).

L'une des gageures de ce film est de pouvoir exprimer les seules sensations qui restent au personnage principal, c'est-à-dire des sensations tactiles, par des images et des sons.

La séquence dans le désert est exemplaire à cet égard. Autour du chariot, le discours du père, la quête de l'ouvreuse suggèrent une foule. Mais celle-ci est invisible et inaudible, ce qui nous renvoie à la cécité et à la surdité de Joe. Seul reste le toucher : une main semble toucher les fesses de l'ouvreuse, qui se retourne pour gifler l'indélicat. Le désert traduit la solitude de Joe, tandis que l'immobilité du chariot évoque sa situation sans évolution et sans espoir de changement.

Le corps étranger

Les étreintes et les contacts

Le film est dès le début inscrit sous le signe de la sensualité. Les étreintes et les contacts sont les premiers souvenirs évoqués.

A plusieurs reprises, des personnages demandent à Joe de les serrer dans ses bras : "Serre-moi très fort... Avec tes deux bras" le supplie Kareen (15:45). Lorsqu'il rentre chez lui à l'annonce de la mort de son père, il étreint avec force sa mère (21:15). Son père répète les mêmes paroles : "Serre-moi fort... J'ai besoin de ta chaleur contre la mort." (37:52).

D'abord synonymes de tendresse, ces étreintes et ces contacts prennent cependant vite un goût amer. Plusieurs scènes nous montrent ainsi un Joe impuissant, incapable de bouger : lorsque son père lui demande de le serrer dans ses bras (37:52), lorsque qu'il est avec la prostituée américaine (1:07:27), lorsqu'il avoue à son père qu'il a perdu sa canne à pêche (01:15:34) ou lorsqu'il s'effondre après avoir vainement poursuivi Kareen (01:28:00).

Les trois dernières images soulignent l'impuissance du jeune homme. Dans l'appartement de la prostituée, l'image est coupée en deux. À gauche, le jeu des couleurs souligne la sensualité de ce corps féminin offert. À droite, Joe repose sur un lit dans des couleurs froides. Bien que voisins, les deux espaces sont nettement différenciés et séparés. L'épisode de la canne à pêche impossible à rattraper évoque également cette impuissance, de même que lorsque Joe court vainement après Kareen dans les bois.

Les métamorphoses

Deux métamorphoses se jouent dans ce film.

La première est brutale, initiale, instantanée : d'un beau jeune homme, Joe devient un morceau de viande, un corps amputé, sans bras, ni jambes, ni visage.

La seconde est longue et occupe tout le film : ce morceau de viande redevient peu à peu un être humain.

Cette seconde métamorphose, une fois accomplie, pose le problème de l'euthanasie : comment doit-on considérer un être humain placé dans une telle situation ? On peut évoquer des rapprochements avec des films récents qui traitent cette question, comme Mar adentro (2004) ou Million Dollar Baby (2004).

Une solitude infinie

Joe vit dans un univers à part des autres. Il est condamné à vivre à côté des hommes. Un peu comme un esprit qui resterait sur terre après sa mort, il perçoit le monde, sans pouvoir exister réellement, et sans que les hommes le perçoivent.

Ce cloisonnement apparaît de différentes façons.

Par l'image, tout d'abord.

Au début du film (17:20), un split-screen sépare visuellement les deux amants : les adieux angoissés de Kareen sur le quai de la gare d'une part, et d'autre part la fuite vaine de Joe sur le front et l'explosion. Plus tard dans le film, cette séparation de l'image en deux se retrouve dans la chambre de la prostituée américaine (1:08:00).

Un élément du décor matérialise cette séparation. Joe est derrière une porte. Cette porte est toujours fermée à clé, même lorsque l'infirmière est dans la pièce pour effectuer des soins. Lorsque la dernière infirmière va chercher des gens pour établir un dialogue, significativement, elle laisse la porte ouverte, ce que Joe perçoit : "elle n'a pas fermé la porte à clé." (1:32:26)

Par le son, ensuite.

Dans le film, deux bandes-sons se superposent. Les sons de la réalité, et la voix off presque permanente de Joe. Cette voix off crée, à côté de la réalité montrée par l'image, un espace mental qui en est nettement distinct.

La religion : entre abandon et secours

La forme institutionnelle de la religion est sévèrement critiquée dans sa collusion avec le politique et le militaire. Le film montre de façon satirique l'orateur sur le quai de la gare (15:55) et les prêtres absolvant les héros de guerre (42:18).

Le dogme est cruellement démenti par l'histoire du film. Parmi les souvenirs évoqués figure en effet un sermon que le garçon écoute religieusement : ""L'Esprit est vrai et éternel... La Matière irréelle et temporelle... L'Esprit est Dieu... L'homme a été créé à Son image... L'homme est donc Esprit, et non Matière..."" (00:33:59). Or c'est la condition proposée par le film : un homme qui est un pur esprit, une conscience presque sans corps. L'idée du mépris du corps est donc démentie par tout le film.

En fait, le film associe une forme privée de religion, liée aux sentiments, avec les figures féminines. Face à l'orateur sur le quai de la gare, Kareen dit : "je ne peux pas prier comme ça" (16:05). Et elle demande à Dieu de protéger Joe. L'infirmière la plus proche de Joe est souvent montrée en prière. Dans certaines images, elle apparaît dans une posture extrêmement proche de l'iconographie religieuse (1:32:10).

La dénonciation de la guerre

Les images des armées

Le film est encadré par un générique qui en explicite, si besoin était, la portée.

Le générique d'ouverture est constitué d'images d'archives. La première, une image fixe, met le spectateur face à un immense canon pointé vers lui.

Les nombreuses images d'archive qui suivent sont des images de célébration. Elles soulignent la grandeur et la puissance des armées. Généraux et officiers célèbres se succèdent, tandis que paradent les régiments. Toutes ces images sont accompagnées d'une musique martiale qui en souligne le souffle épique.

La mobilisation des civils qui succède en est à la fois la suite et l'imitation. Mais, dans la bande-son, se superpose désormais à la musique militaire le sifflement d'un obus qui tombe. Le générique se termine sur une image d'explosion qui suit immédiatement celle d'un défilé de civils.

Le message est double : la guerre tue les civils, évidemment ; mais aussi, le film vise à détruire ces belles images épiques de la guerre.

Le regard des militaires

La première image du film proprement dit (si l'on excepte les images d'archives) montre trois silhouettes de chirurgien penchées. L'image est en noir et blanc, sans profondeur de champ (derrière les trois chirurgiens, c'est la nuit) et très contrastée (les vêtements blancs des chirurgiens s'opposent à l'arrière-plan noir).

Les trois chirurgiens sont montrés en contre-plongée. Le spectateur est à la place du corps qu'ils observent. Ou, pour le dire autrement, ces trois chirurgiens se penchent sur le spectateur. Dans ce monde nocturne, l'homme est un objet d'étude, observé par des dieux insensibles, auxquels il ne peut parler.

Le dialogue souligne ce déni d'existence. Après avoir appris que le corps était impossible à identifier, l'un des trois médecins militaires déclare : "Alors il est à nous."

Les hommes confiés à leurs soins ne sont pour les militaires que des objets : Joe est "rangé" dans un placard, comme un balai ou un seau. "Il est impossible à un être décervelé d'éprouver douleur, plaisir, de rêver, d'avoir un souvenir ou une pensée. Il n'aura ni sentiment ni pensée, et ce jusqu'à sa mort" : l'affirmation du colonel Tillery est immédiatement contredite par la voix off. Une fois de plus, le film fonctionne comme un discours polémique, dont le but est de contredire les discours tenus par les militaires.

La voix des orateurs

Les orateurs sont nombreux dans le film. Si l'image de l'orateur dans le générique ne donne lieu à aucun commentaire, dès les premières minutes du film, la représentation de l'orateur sur le quai de la gare est très satirique et donne lieu à des remarques désabusées de Kareen. Dans la vision éthérée de Joe, l'orateur qui vante les progrès de la médecine est associé à un jeu de mimes qui fait de son discours un moment presque surréaliste.

Dans la scène du bal, l'orateur est devenu une mécanique, une figure grotesque, répétant en boucle des paroles de plus en plus vides de sens.

Ces paroles sont reprises en choeur par les gens ordinaires : "Chantons : "Continuons à faire bouillir la marmite pendant que nos coeurs sanglotent pour nos gars au loin qui rêvent du pays. Un rayon de soleil percera les nuages et ramènera la lumière au retour de nos gars..."" (01:22:10).

Une ironie féroce

Dans la scène du bal, Joe s'éloigne finalement de ce choeur absurde, justification dérisoire et unanime du sacrifice de milliers de jeunes gens. Comme il le dira quelques instants plus tard, il est un monstre "fait par les gens" (01:35:26). Le propos critique de Trumbo ne vise pas que l'armée, mais toute la société.

Finalement, Joe lui-même se fait "orateur" "face" aux officiers : il fait un éloge férocement ironique de la guerre : "Qu'on fasse de moi le dernier homme qui s'est engagé car l'armée forge les hommes. Enrôlez-vous, les gars ! Sous n'importe quel drapeau. Tous ont besoin de soldats et l'armée forge les hommes". La citation prend une résonance terrible : Joe est l'incarnation de ce que l'armée fait des hommes et de la vie qu'elle leur offre.

La citation finale ("Il est doux et beau de mourir pour la patrie") s'inscrit dans le même registre oratoire (l'usage de la langue de Cicéron) et ironique (comment croire à ces belles paroles après un tel film ?).

Le travail du rêve

L'image à l'oeuvre

Au noir et blanc de l'affreuse réalité s'oppose la couleur de l'univers intérieur de Joe. Mais, même au sein de ces images, il faut distinguer différentes catégories : les contours de certains rêves sont floutés par des gélatines troubles (une façon de montrer le flou provoqué par les médicaments ?). Certains autres baignent dans une lumière irréelle (quand Joe retrouve Kareen dans les ruines, quand Joe retrouve son père dans la forêt, au bord d'un ruisseau de lait). D'autres enfin se situent dans un décor irréel, avec des êtres grotesques (le père bonimenteur de foire avec son chariot, sa troupe de "freaks" - nains, femme à barbe, siamoises -, son ouvreuse à moitié nue, au milieu du désert).

Derrière le terme générique de rêve, il faut distinguer rêveries, délires dans tous les sens du terme (clinique et familier). Parfois, réel et irréel se mêlent d'une façon très fine, comme dans la conversation dans l'atelier avec le père.

Où situer dans tout ça les conversations avec Jésus ? Aucune distorsion de l'image ou du son n'intervient. Elles sont filmées dans des décors très réalistes (gare, atelier). Et, malgré le tour burlesque qu'elles prennent parfois, le discours développé est très concret : les différentes morts des soldats, des conseils pratiques pour distinguer rêve et réalité...

Un travail de recyclage constant

On retrouve facilement dans les rêves de Joe des souvenirs recyclés. Cette transposition se fait dans un double sens. Les rêves, d'une part, reprennent des éléments du souvenir : on retrouve les paysages et les personnages. Mais, en même temps, ils les inversent : le paysage réduit s'oppose au paysage immense, le patron renfrogné s'oppose au personnage clownesque, le dessus s'oppose au dessous, le jour s'oppose à la nuit.

Les souvenirs de Joe eux-mêmes sont des souvenirs de l'auteur recyclés : on retrouve dans la biographie de Dalton trumbo l'enfance dans le Colorado, le travail à la boulangerie industrielle.

Le mélange des registres

Le film mélange sans cesse différents registres. Méditant sur l'horreur de sa situation, Joe imagine le formidable numéro de foire que son père pourrait animer. D'une situation tragique, on bascule donc dans un registre grotesque, avec de lourdes plaisanteries, un jeu burlesque, pour retrouver au premier plan un Joe prostré et désespéré.

Les contrastes ne sont pas simplement entre noir et blanc d'un côté, couleur de l'autre, mais aussi entre différentes tonalités : gravité de la réalité, humour grinçant de certaines visions.

On qualifie souvent Johnny got his gun d'oeuvre antimilitariste. Certes, mais le film ne dénonce pas seulement l'armée, mais aussi la société et les pères qui ont envoyé leurs fils mourir pour une idéologie confuse. Le film ne montre quasiment jamais la guerre, ni le sang, ni les corps mutilés. Il fait entendre la voix des morts par un homme resté entre-deux, véritable incarnation de notre mauvaise conscience.

Découpage technique

Image

Son

0 - 2:19

Le film commence par des images d'archives en noir et blanc.

On voit des revues militaires, des défilés, des charges de cavaliers.

Puis le président Wilson signer un appel à volontaires. De nombreux civils s'enrôlent et partent pour le front.

La séquence se termine par une explosion et un fondu au noir.

Musique martiale (tambours).



Sifflement d'une bombe qui tombe, puis explosion.

2:19 - 6:50

Noir.

Trois médecins sont penchés sur un blessé (qu'on devine en hors-champ), dont il ne reste que le tronc, une partie de la tête et les organes vitaux.

Il est diagnostiqué mort cérébralement. Le colonel Tillery veut étudier son cas et le fait transporter à l'hôpital.

Le corps est laissé dans une pièce sans lumière.

On entend, dans le noir, le bruit d'une respiration.



On entend, dans le noir, le tic-tac d'une horloge. Un Gong résonne à intervalles réguliers. Une voix off appelle "Kareen" et demande où elle est.

6:50 - 17:25

Joe se souvient de la dernière soirée avant le départ. Seul avec Kareen, dans le salon, ils s'étreignent, quand le père, un cheminot, arrive et les interrompt de façon bourrue, puis les envoie tous deux dans la chambre. Les deux jeunes gens admirent leurs corps, puis se rejoignent dans le lit de la jeune fille.

Le lendemain, sur le quai de la gare. Le jeune homme dit au revoir à sa petite amie. Un orateur fait un discours enflammé et invite la foule à prier.

Départ du jeune homme. Monté sur les marches du train, il voit Kareen pour la dernière fois.

Split - screen : à gauche, l'image de Kareen ; à droite, Joe qui court sur le Front et tombe dans un trou.

Fondu au blanc.

La radio diffuse une rengaine.



Une fanfare militaire joue ; au fond, on entend le discours d'un orateur.



Sifflement d'une bombe qui tombe, puis explosion.

17:25 - 20:05

A l'hôpital. Le chariot avec le corps est dans une pièce aux fenêtres ouvertes. Joe comprend qu'il est sourd. Le colonel vient le voir, constate la guérison des plaies, et donne l'ordre de le transporter à l'hôpital Jeanville, à Saint-Cloud.

La voix off de Joe essaie de comprendre cet environnement dont ne lui parviennent que les sensations tactiles.

20:05 - 23:11

Flash-back. A la boulangerie, Joe apprend le décès de son père. Il rentre chez lui pour voir le corps une dernière fois.

23:11 - 25:58

A l'hôpital, sous la direction du colonel, le personnel médical enlève une partie des bandages. Joe sent qu'il n'a plus de bras. Il est emmené dans un débarras.

25:58 - 28:53

Une salle, qui ressemble à un atelier. Jésus est au milieu d'un groupe de soldats américains en train de jouer. Tous sont morts et vont partir. Jésus conduit le train dans la nuit. Son immense foulard blanc flotte dans le vent.

Des bruits de train évoquent une gare.

28:53 - 30:56

Sous le regard du colonel, des infirmières enlèvent les bandages inférieurs.

Seul dans le noir, Joe s'interroge sur les motivations qui ont poussé les médecins à le conserver en vie : un pari ? une expérience ?

Vision éthérée d'un orateur (joué par Dalton Trumbo) qui vante les progrès médicaux accomplis grâce à son cas. Derrière lui, deux hommes et deux femmes en tenue médicales miment des poses avec des raquettes et des balles de tennis.

La voix off de Joe se désole de la perte de ses jambes. En même temps, en arrière-plan sonore, on entend ses hurlements de désespoir.

Choeurs discordants. Les voix qui devraient exprimer l'admiration évoquent nettement la déception.

30:56 - 34:41

A l'hôpital, Joe appelle sa mère à l'aide.

Flash-back. Souvenirs d'enfance : la maison au Colorado ; les animaux derrière le poêle ; les toilettes à l'extérieur de la maison ; Noël en famille ; l'apiculture avec son père ; une promenade en barque avec son père, pendant laquelle il lui raconte l'histoire des Indiens jetés dans le lac, les pieds attachés à une pierre ; un sermon à l'Eglise.

34:41 - 38:24

A l'hôpital, Joe essaie d'attirer l'attention par des mouvements. Il est mis sous sédatif. Il appelle son père à l'aide.

La scène qui suit oscille entre souvenir et rêve. Joe enfant parle avec son père dans son atelier. Ce dernier est très fier de sa canne à pêche. Il fait l'éloge de la démocratie, pour laquelle "tout homme donnerait son fils unique." Il demande à Joe de le prendre dans ses bras, ce que Joe ne peut plus faire.

38:24 - 42:08

Panique de Joe, qui comprend qu'il n'a plus de visage non plus.

Vision éthérée d'un intérieur d'église. Sur la chaire, trois hommes : un prêtre catholique, un prêtre bouddhiste, et un imam. Le prêtre catholique donne l'absolution aux héros morts au combat.

Une musique d'Eglise, et les choeurs discordants déjà entendus.

42:45 - 48:23

A l'hôpital, Joe ne sait pas comment interpréter les sensations qui lui parviennent. Il imagine un rat qui grimpe sur lui et le mord.

Dans un atelier, Joe parle avec Jésus de la façon dont il peut distinguer rêve et réalité. En arrière-plan, un homme charge des croix blanches de grande taille sur un camion. Jésus essaie de lui donner des conseils, mais aucun n'est applicable. Finalement, agacé, Jésus demande à Joe de partir, il ne peut pas l'aider. Seul un miracle pourrait le sauver.

48:23 - 53:11

Une infirmière en chef rend visite à Joe. Elle demande à ce qu'on ouvre les volets, qu'on mette des draps sur le lit. Joe comprend que le soleil entre dans la pièce.

Il prend conscience du temps qui s'écoule et compte les jours.

53:11 - 55:36

Joe retrouve le souvenir de l'explosion. Un officier leur avait ordonné d'aller, de nuit, enterrer un soldat allemand mort. Le petit groupe a été pris sous le feu ennemi. Joe a couru dans un trou, où l'obus est tombé.

55:36 - 58:27

Joe se souvient d'une sortie au cirque et des imitations de son père qui avaient suivi.

Il imagine la façon dont son père, assisté par sa mère, pourrait faire de lui un phénomène de foire. Devant le stand, au milieu du désert, un groupe de phénomènes : femme à barbe, naine, siamoises, etc. L'ouvreuse passe, à moitié nue, faire la quête parmi une foule imaginaire. Derrière un palmier, dos à la scène, au premier plan, Joe se tient recroquevillé.

La musique à la fin de la scène reprend le thème de Johnny.

58:27 - 1:00:26

Une nouvelle infirmière entre. Elle est bouleversée et pleure sur le corps mutilé de Joe.

1:00:26 - 1:05:07

Seul dans le noir, Joe appelle Kareen.

Il rêve qu'il se lève, et se rend dans un jardin avec des ruines (On reconnait le tableau de travers aperçu dans la chambre de Kareen). Il retrouve sa petite amie au milieu d'un tas de débris. Le père apparaît et les interrompt. Kareen s'éloigne. Une licorne apparaît en arrière plan. Toutes deux s'évanouissent. Joe court dans les ruines sans trouver d'issue.


Pendant la brève étreinte de Joe et Kareen, le thème de Johnny réapparaît.

1:05:07 - 1:12:26

A l'hôpital, l'infirmière arrange la chambre de Joe. Elle le quitte avec un baiser sur le front.

Joe se souvient d'une prostituée américaine. Epuisé, il s'était endormi dans son lit, pendant qu'elle tricotait pour son fils sur un rocking-chair.

Torturé par le souvenir de Kareen, il se débat. L'infirmière, émue de compassion, le caresse et le soulage.

1:12:26 - 1:16:05

Joe se souvient des dernières vacances avec son père, au bord du lac, dans le Colorado. Il perd par mégarde la canne à pêche de son père. À la nuit tombée, il avoue à son père la perte. Celui-ci, après un temps d'hésitation, prend son fils dans ses bras.

1:16:05 - 1:29:07

L'infirmière ouvre les volets. Il neige. Elle écrit sur le torse de Joe : "Joyeux Noël".

Dans une vision éthérée, on voit la boulangerie où travaillait Joe, parée de guirlandes, les couples danser au ralenti. Un homme en tenue de soirée répète avec majesté: "Je suis le patron. Voici du champagne. Joyeux Noël." Une vieille femme noire cherche son fils, Jésus-Christ. Un employé de bureau passe parmi les jeunes couples qui dansent pour expliquer aux jeunes hommes qu'ils doivent partir faire la guerre. Joe recule et sort de la pièce.

De l'autre côté, c'est la forêt au bord du lac. Son père mange du miel, Kareen dans ses bras. Tous les jeunes gens ont disparu, explique-t-il, les jeunes femmes cherchent les hommes d'âge mûr. Il part. On entend la voix de Kareen qui appelle Joe. Joe court sans parvenir à la rejoindre. Les rires se transforment en sanglots.

Le père réapparaît et suggère à Joe l'idée du morse.


La musique jouée par l'orchestre reprend le thème de Johnny.

les paroles du bonimenteur se répètent en boucle pendant toute la séquence du bal.

1:29:07 - 1:32:02

A l'hôpital, l'infirmière est perplexe devant les mouvements de tête de Joe. Elle appelle un médecin, qui lui donne un sédatif.

Joe, impuissant, sombre dans l'inconscience. Il rêve des indiens, jetés dans le lac, les pieds liés à une pierre.

1:32:02 - 1:45:22

Nouvelle tentative de Joe. L'infirmière amène un groupe d'officiers, dont le colonel Tillery devenu général. L'aide de camp comprend qu'il s'agit de morse. Le général de brigade est consterné. Tillery, accablé, sort. On demande à Joe ce qu'il désire.

Joe imagine le succès qu'il aurait comme phénomène de foire. Il fait un éloge paradoxal de l'armée, qui "forge les hommes" !

Il demande à sortir et à être montré aux gens. Cette demande est rejetée par le général. Joe demande à être tué. Le prêtre, bouleversé par Joe et révolté par l'attitude des militaires, refuse de lui prêcher. Tous sortent.

Une fois seule, l'infirmière tente de faire mourir Joe par asphyxie. Le général de brigade revient, et l'en empêche. Il administre de nouveau un sédatif à Joe, et part. Joe reste seul dans le noir.





Pendant toute la seconde partie du dialogue avec le général de brigade, la voix off de Joe a disparu.



La voix off de Joe répète lentement : "S.O.S. Aidez-moi." Un gong ponctue ses paroles.

1:45:22 - 1:45:33

Carton : "Morts à la guerre depuis 1914 : Environ 80 000 000
Disparus ou blessés : Environ 150 000 000"

En latin : "Il est doux et beau de mourir pour la patrie."

1:45:33 - fin

Générique

Bibliographie

Peter Hanson, Dalton Trumbo, Hollywood Rebel, 2007.

Peter Askin a réalisé en 2007 un documentaire nommé Trumbo qui met l'accent sur la traversée du désert de Dalton Trumbo, entre la fin de la guerre et la période des Dix d'Hollywood, et sa réhabilitation dans les années 60.

Je dois avouer ma dette envers Wikipedia, en particulier pour la biographie de Dalton Trumbo.