Systèmes hypothétiques

La notion de « subordonnée conditionnelle » ou « subordonnée hypothétique » peut s'avérer trompeuse. Il ne s'agit pas, en effet, d'une subordination, c'est-à-dire de l'inclusion d'une phrase dans une autre, mais d'une relation dissymétrique entre deux phrases complémentaires, la validation de l'une dépendant de celle de l'autre. Or cette mise en relation ne passe pas nécessairement par l'emploi du subordonnant si; pour l'établir, la langue dispose de ressources variées.

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

1. Le principe de l'hypothèse

Considérons tout d'abord un système hypothétique canonique:

Si je suis malade (A), tu resteras chez toi (B)

Il y a là système hypothétique parce que le locuteur construit à travers (A) une situation fictive et à partir d'elle pose comme valide un énoncé (B). On ne peut pas dire qu'entre (A) et (B) il y ait subordination, inclusion; on parle plutôt d'implication. Ces deux énoncés (A) et (B) sont indissociables: si l'on remplaçait le présent de (A) par un imparfait, l'énoncé (B) passerait automatiquement au conditionnel. Chacun des deux verbes varie ainsi en fonction de l'autre.

Avec "si" l'ordre des deux énoncés est indifférent: (B) pourrait précéder (A): la présence de si suffit en effet à indiquer lequel des deux énoncés pose la situation fictive qui sert de point de repère. Mais ce n' est pas toujours vrai; ainsi dans :

Je partirais (A), tu serais triste (B)

l'ordre joue un rôle crucial pour déterminer quel énoncé constitue la protase (A) et quel énoncé l'apodose (B).

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

2. Les subordonnées hypothétiques conditionnelles

2.1. Les systèmes en "si"

Avec si, les systèmes hypothétiques sont assez complexes et ambigus.

2.1.1 Potentiel

Si + Présent (A), Futur/Présent (B) :

S'il vient, je partirai/je Iui parle

Si + Imparfait (A), Conditionnel (B) :

S'il venait, je partirais

Avec les formes en -ais, le potentiel est plus faible, la réalisation moins probable qu' avec le présent/futur.

2.1.2. Irréel du présent ou irréel « absolu »

Si + Imparfait (A), Conditionnel (B)

2.1.3. Irréel du passé

Si + Plus-que-parfait (A), Conditionnel composé (B).

2.1.4. Autres valeurs de si

Le si est fréquemment associé à des morphèmes qui en infléchissent notablement la valeur modale: si seulement, si jamais, si par malheur; si encore, si même... Il existe par ailleurs quelques subordonnants spécialisés dans l'expression de l'hypothèse: au cas où / à (la) condition que / à moins que / à supposer que / supposé que... Ils imposent des contraintes spécifiques à la phrase qu'ils introduisent: tel appelle le conditionnel, tel autre le subjonctif, etc. On notera que le subordonnant si peut avoir d'autres valeursqu'hypothétiques. En particulier temporelle, pour exprimer une répétition ( « Si ( = chaque fois que ) Paul était malade, Marie le soignait ») et concessive ( « S'il est intelligent (= en admettant que), il le cache bien » ).

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

2.2. Diversité des sytèmes hypothétiques

2.2.1. L'adjonction du clitique sujet à droite du verbe associée à une mélodie montante dans la protase

Vient-il à perdre, tout s'arrangera

On sait que ce type d'inversion a pour effet de suspendre la vérité de la phrase; elle est donc compatible avec l'hypothèse.

2.2.2. Que et le verbe au subjonctif

Qu'il parte (et) je ne pleurerai pas

On retrouve ici la structure de la complétive, qui elle aussi ne fait pas l'objet d'une assertion.

2.2.3. L'impératif

Critiquez (et) vous serez craint

Il est précisément de l'essence de l'impératif de poser un énoncé comme non validé, en mettant sa réalisation à la charge de l' allocutaire; l'écart entre le dire et le faire permet donc d'exprimer le fictif.

2.2.4. La juxtaposition d'énoncés au conditionnel

J'aurais tout vu, je l' aurais dit

Je serais riche, ça se saurait

Ce tour est rejeté par les puristes mais très vivant à l'oral. Il exploite la capacité du conditionnel à poser du fictif.

2.2.5. La juxtaposition de deux énoncés au présent ou à /'imparfait avec une mélodie montante, puis descendante

Il vient me voir, je l'invite à rester

Il venait me voir, je l'invitais à rester

Le présent permet d'exprimer le potentiel et l'imparfait l'irréel. On constate une fois de plus la remarquable symétrie entre le présent et l'imparfait. Ces deux temps sont préci-sément ceux qu'utilise le système en si ( « si je suis / étais... »). Le présent et l'imparfait sont donc susceptibles de valeurs modales nettes.

2.2.6. La juxtaposition d'énoncés non verbaux organisés autour d'éléments de sens contraires

Rapide à la course, lent au réveil (= « Si on est rapide. .., alors. ..» ).

2.2.7. Le conditionnel dans les deux phrases A et B et la présence de que devant B

Il le dirait (= même s'il le disait ) que ce serait inutile.

2.2.8. Des gérondifs antéposés

En prenant le train, tu arriverais à l'heure.

2.2.9. Le détachement de divers groupes syntaxiques qui font fonction de protase : des participes ou des adjectifs, des GN, des GP :

Vaincu (= s'il était vaincu), il se soumettrait

Heureux (= s'il avait été heureux), il aurait agi autrement

Soldat (= s'il est soldat), il obéira

Avec son matériel (= s'il avait son matériel) il réussirait

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

3. Les pseudo- hypothétiques

Ces propositions établissent tantôt un rapport d'implication non réversible ( c'est le cas lorsque'elles expriment la nécessité logique ), tantôt ne marquent même plus le rapport d'implication, mais posent d'autres relations logiques ( simple conjonction, opposition ou cause ).

3.1. Expression de la nécessité logique

Si Dieu existe, il est bon

L'assertion n'a de sens que dans la mesure où si P est déclaré vrai, n'est pas soumis à la négation. Le rapport d'implication est de type définitoire ( il décrit les propriétés théoriques impliquées par l'être en cause), il n'est donc pas soumis à de svariations de circonstance.

3.2. Expression de la conjonction logique

S'il vous a mal répondu, c'est qu'il était fatigué

Ici, les faits mis en rapport au moyen de la conjonction si n'entretiennent plus entre eux de rapport d'implication: P est avéré ( il est vrai que il vous a mal répondu ), et ne constitue donc pas une hypothèse. La principale n'en énonce pas les conséquences, mais vient justifier le fait subordonné. Il y a ici, en réalité, deux énonciations successives: il vous a mal répondu et il était fatigué.

3.3. Expression du contraste et de la comparaison

Si la Cité est le coeur de Paris, le quartier latin en est l'âme.

Aucune relation de dépendance logique n'est posée entre les deux propositions: la négation de l'une ne modifie ni n'interdit l'énoncé de l'autre. Il s'agit simplement de mettre en parallèle, pour établir un contraste, deux propositions sémantiquement indépendantes.

Grammaire du français, D. Denis, A. Sancier-Chateau, LGF, 1994

4. De la circonstancielle à la complétive

Je vous demande pardon si j'ai des sentiments qui vous déplaisent.

On observe ici que la proposition introduite par si vient s'inscrire, à l'instar d'une complétive, dans la dépendance d'un verbe ou d'une locution verbale: à la limite, la subordonnée peut commuter avec de ce que ( j'ai des sentiments... ). Empruntat la forme d'une hypothèse, la subordonnée évoque en réalité un fait avéré. Elle entre dans le groupe verbal et ne fonctionne plus comme un complément circonstanciel.

Grammaire du français, D. Denis, A. Sancier-Chateau, LGF, 1994