Interrogation

La phrase interrogative exprime une demande d'information adressée à un interlocuteur; elle constitue une question qui appelle généralement une réponse. Elle correspond, comme acte de langage direct, à l'acte de questionner ou d'interroger; selon la situation, l'interrogation connaît différents degrés, de la question juridique contraignante pour autrui à la question que l'on pose à soi-même. L'interrogation recourt à une intonation spécifique et à des moyens morphologiques et syntaxiques particuliers et variés, qui sont conditionnés par les registres de langue et marqués par l'opposition entre l'oral et l'écrit.

Grammaire méthodique du français, Riegel, Pellat, Rioul, PUF, 1994

L'interrogation ne doit pas être confondue avec la structure interrogative. L'interrogation est un type de modalisation qui s'oppose à l'assertion ou à l'injonction et qui peut investir des structures syntaxiques diverses. Elle doit être rapprochée de la négation qui peut également être partielle ou totale, et de la relativisation, avec laquelle elle partage une bonne part de son matériel morphologique et de son fonctionnement syntaxique.

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

A. Interroger

Interroger quelqu'un, c'est accomplir un acte de discours qui place l'interlocuteur dans l'alternative répondre / ne pas répondre et, s'il répond, qui l'oblige à le faire à l'intérieur du cadre imposé par la question. Ainsi à la question: « Quand arrives-tu ? » on n'est pas censé répondre « avec Marie » mais par exemple « demain ».

On ne doit pas confondre « interrogation » et « demande d'information ». Un grand nombre d'énoncés interrogatifs sont des assertions détournées, des questions rhétoriques : certaines sont codées ( « Qu'y puis-je ? », « Que voulez-vous que ça me fasse ? »...), mais la plupart s'interprètent comme telles grâce au contexte. D'autresinterrogations sont des demandes de confirmation, en particulier àla forme négative ( « J'ai pas raison ? », « N'es-tu pas heureuse ici ? » ) qui appellent une réponse en si, des requêtes indirectes ( « Veux-tu ouvrir la porte ? » ), des rappels à l'ordre indirects ( « Sais-tu que tu commences à m'ennuyer ? » ), etc. Il faut donc biendistinguer deux niveaux: la structure interrogative et l'interprétation de l'énoncé en contexte.

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

B. L'interrogation totale

L'interrogation totale peut investir diverses structures syntaxiques; mais elle est constamment associée à une mélodie montante, suspensive. Il peut s'agir :

- d'une structure identique à celle de l'assertion mais portée par la mélodie interrogative ( « Tu viens ? », « Paul est là ? » ) ;

- de l'inversion du clitique sujet ( « Vient-il ? », « Paul vient-il ? » ). Comme le montrent ces deux exemples, il y a deux types d'inversion: l'inversion simple du sujet clitique, et l'inversion complexe. Dans ce dernier cas, le GN sujet demeure à sa place, tandis qu'un clitique de 3e personne est adjoint à droite du verbe. Dans l'usage familier, le clitique n'apparaît pas nécessairement: « Quand Paul arrive ? ».L'interrogation en est-ce que est une structure à inversion simple qui a tendance à se figer. Ainsi « Est-ce que Paul vient ?» correspond à l'assertion: « C'est que Paul vient. » Ce tour présente l'avantage de ne pas modifier la place des éléments de la subordonnée: « Paul vient » reste ainsi invariant dans: « Paul vient ? » comme dans: « Est-ce que Paul vient ? ».

On s'accorde en général à percevoir une différence sémantique entre « Tu pars ? », « Pars-tu ? » et « Est-ce que tu pars ? ». En effet, « Tu pars ? », s'emploie plutôt pour un allocutaire qui semble agir en vue d'un départ ; en revanche, « Est-ce que tu pars ? » ou « Pars-tu ? » préjugent moins de la réponse, laissent ouverte l'alternative. L'inversion du clitique sujet n'est nullement réservée à l'interrogation ; on la retrouve dans les incises, les hypothétiques, etc. Il semble qu'elle permette de suspendre l'assertion; ce qui est requis dans l'interrogation. Mais l'inversion dite « complexe » ( « Pierre est-il là ? ») se laisse moins facilement expliquer.

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

C. L'interrogation partielle

On oppose les interrogations partielles, qui portent sur un constituant de la phrase, aux interrogations totales qui portent sur l' ensemble de la phrase. Cette distinction peut être égarante. En effet, une interrogation comme « Es-tu là pour me voir ? » peut sembler « partielle » dans la mesure où la question porte sur le motif de la venue. En fait, on parle d'interrogation partielle quand on est censé répondre par oui/non; en revanche, si l'on dit: « Qui vient ? », on parcourt mentalement l'ensemble des individus susceptibles devenir et l'on demande à l'allocutaire d'en sélectionner un parmi tous les possibles.

Ces interrogations partielles sont riches en présupposés, qui contribuent à enfermer l'allocutaire, à contraindre sa réponse; demander « Qui vient ? » ou « Pourquoi est-il en retard ? », c'est présupposer que quelqu'un est venu ou qu'il est en retard. Il arrive qu'un même énoncé supporte plus d'une interrogation partielle à la fois: « Qui est venu quand ? », « Qui a parlé à qui ? » Cette possibilité qu'a l'interrogation de porter sur l'ensemble de la phrase ou sur un seul constituant se retrouve dans la négation qui, elle aussi peut être partielle: « Je n'ai vu personne » ou totale: « Je n'ai pas vu Paul. »

Ces deux opérations d'interrogation et de négation ne relèvent pas du système des fonctions syntaxiques, mais de la modalisation par l' énonciateur. L'interrogation partielle exploite le même matériel morphologique que les relatives, sauf quand il s'agit de circonstances ( quand ?, comment ?, pourquoi ?) ou de quantifieurs (combien de N ?), qui n'ont pas de contrepartie chez les relatifs. L'interrogation partielle dispose de deux stratégies :

- maintenir dans sa position l'élément interrogé :

Paul arrive quand ?

Tu as vu qui ?

- le placer dans le complémenteur :

Quand Paul arrive-t-iI ?

Qui as-tu vu ?

Quand vient Paul ?

Le dernier exemple nous montre qu'il est possible de postposer le GN sujet au lieu d'utiliser l'inversion complexe; la postposition du GN n'est obligatoire qu'avec que objet direct ou attribut:

*Que Paul est ?/*Que Paul est-il ?

*Que Paul voit ?/*Que Paul voit-il ?

Il existe d'autres impossibilités, en particulier avec qui ou lequel. Le recours à est-ce que permet de les contourner: « Qui est-ce qui est venu ? », « Quand est-ce que Paul part ? », etc. C'est probablement une des raisons de son succès. L'usage familier dispose d'un tour qui élimine même l'inversion de ce :

Quand c'est qu'il vient ? Qui c'est qui l'a vu ?

voire la présence d'un mot interrogatif dans le complémenteur en utilisant la structure emphatique en c'est. ..que...

C'est quand qu'il vient ? C'est qui qui l'a vu ?

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

D. Le mot interrogatif dans le complémenteur

L'interrogation partielle, en plaçant des constituants dans le complémenteur, permet d'établir des relations entre des éléments distants l'un de l'autre. Considérons les énoncés suivants :

(1) Qui crois-tu que Paul a vu ( ) ?

(2) À qui crois-tu qu'on dit que je parle ( ) ?

Qui et à qui se trouvent dans le COMP d'une phrase dans laquelle ils n'ont pas de fonction, puisque dans l'exemple (1), qui est objet de a vu et dans l'exemple (2), à qui objet indirect de parle. Ceci n'est possible que parce que les COMP inférieurs ( encadrés dans les exemples) ne sont pas occupés. Certes, on y trouve un que mais il s'agit d'un subordonnant dépourvu de tout contenu. Il suffit que ce COMP soit occupé par une unité lexicale « pleine » pour que la relation entre l'interrogatif en tête de phrase et la position qui lui donne sa fonction soit bloquée :

(3) *Qui penses-tu-savoir si j'ai vu ( ) ?

L'exemple (3) est agrammatical parce que si n'est pas vide de sens.

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

E. L'interrogation indirecte

Les interrogatives indirectes sont des subordonnées compléments d'un verbe et non des actes d'interrogation. Comme ce sont des subordonnées, elles n'impliquent pas d'intonation montante ou d'inversion du sujet, c'est-à-dire de marques de suspension de la valeur assertive. Quand l'interrogation est totale, elle est introduitepar un si ( « Paul m' a demandé si j' étais malade » ) ; lorsqu'elle est partielle, elle recourt à un mot interrogatif, placé dans la position COMP ( « On sait quel homme j' ai vu » ). Il peut y avoir une interrogation indirecte incluse dans une interrogation directe: « Sais-tu si Marie est venue ? »

Certains verbes introducteurs ont un sens interrogatif ( demander;se demander; s'enquérir), d'autres non (savoir; chercher;regarder;...). Dans une phrase comme: « Je sais s'il est là », c'est donc la présence de si qui permet de savoir que l'on a affaire à une interrogative et non à une complétive. L'interrogation indirecte partielle est lacunaire:

*Je me demande quoi / qu'aime Pouline

Je me demande qui aime Pierre

* Je me demande que tu es

Etc.

Pour remédier à ces lacunes, on recourt à la structure de relatives à interprétation interrogative ( « Je me demande ce que tu es/aimes » ). Signalons le cas d'autres relatives, sans ce, qui s'interprètent également comme des interrogatives indirectes partielles : « Je sais la personne que tu as vue ».

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

Sur le plan formel, il s'agit bien de la transposition de phrases interrogatives ( on reconnaîtra les formes classiques de l'interrogation totale ou partielle ) en compléments de verbe ou exceptionnellement en sujets ( "s'il a fait cela m'interesse peu" ). Sur le plan sémantique, elle réfère toujours à un savoir en suspens que le sujet de l'énoncé ( sujet grammatical ) ou celui de l'énonciation ( locuteur ) ignore, recheche, néglige ou encore tient hors de portée du destinataire, ce qui est tout autre chose qu'une "interrogation".

L'examinateur sait très vite si le candidat est sérieux.

J'ai étudié comment les oursins se reproduisent.

D'une façon générale, un sens assertif et positif favorise la construction avec "que"; un sens négatif, interrogatif, injonctif ou volitif rend possible ou probable l'interrogation indirecte.

1°) Interrogation totale

La seule structure possible utilise la conjonction "si" pour introduire la subordonnée interrogative.

Estragon se demande si Godot viendra.

2°) Interrogation partielle

L'interrogation sur le sujet, l'objet ou l'attribut animé utilise le pronom "qui", comme dans l'interrogation directe. L'interrogation sur le sujet, l'objet ou l'attribut animé utilise le pronom démonstratif "ce" suivi des relatifs "qui" ( sujet) ou que ( objet ou attribut ). L'interrogation sur les circonstances utilise les mêmes adverbes que l'interrogation directe.

Grammaire méthodique du français, Riegel, Pellat, Rioul, PUF, 1994