Négation

Pour le grammairien, le terme de négation recouvre à la fois un phénomène sémantique et les formes lexicales et grammaticales sous lesquels il se réalise. Pour le logicien, l'opérateur de négation inverse la valeur de vérité d'une proposition. En d'autres termes, le locuteur, qui assigne une valeur négative à un contenu propositionnel, asserte la non-correspondance de celui-ci à la réalité. Dans cet emploi, la négation est purement descriptive, alors qu'elle peut aussi constituer le rejet d'une assertion: dans ce cas, nier, c'est refuser, c'est s'opposer à un fait ou une idée. Le fonctionnement de la négation en français pose deux problèmes généraux. D'une part, l'expression de la négation varie en fonction des niveaux de langue et de la distinction entre l'oral et l'écrit. D'autre part, l'incidence syntaxique de la négation ne recouvre pas toujours sa portée sémantique; autrement dit, la place des termes négatifs n'indique pas automoatiquement quel segment est affecté par la négation. Dans l'interprétation des énoncés, il faudra donc s'interroger sur la porteé de la négation.

Grammaire méthodique du français, Riegel, Pellat, Rioul, PUF, 1994

La négation constitue un des problèmes majeurs de toute sémantique,en raison de la relation qu'elle entretient avec le vrai et le faux, de la possibilité qu'elle offre à la langue d'exprimer des états de chose qui n'existent pas. Mais le fonctionnement de la négation linguistique est particulièrement complexe: non seulement elle peut avoir une portée très variable, mais encore la présence d'un marqueur de négation ne suffit pas à conférer une valeur négative à un énoncé.

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

A. Le système de la négation

En français, la négation repose sur la combinaison obligatoire d'un élément "ne", un clitique qui précède tous les pronoms compléments:

je ne le lui ai pas donné / *je le ne lui...

et d'un élément (nom, déterminant, adverbe) que Damourette et Pichon ont appelé un forclusif : pas, aucun, rien...Ce forclusif peut précéder ne ou le suivre :

Aucun homme n'est venu

Personne ne l'a vue

Je ne connais personne

Je ne vois aucun chat

À l'oral le ne est souvent élidé. Le couple que forment ne et le forclusif est soumis à des règles de placement très strictes. C' est vrai du ne placé entre le sujet et les autres clitiques, mais aussi des forclusifs hors de la position sujet :

- jamais, pas, plus, rien sont placés après le verbe à la forme simple et après le verbe auxiliaire à la forme composée :

Je ne viens jamais ici

Paul n'a pas voulu de thé

- personne, aucun + Nom, nulle part sont placés après le participe passé, non après l'auxiliaire :

Je ne suis allé nulle part

* Je ne suis nulle part allé

Je n'ai acheté aucun livre

* Je n'ai aucun livre acheté

- à l'infinitif ne et les forclusifs pas, plus sont placés devant le verbe :

Pour ne pas fumer, il faut être courageux

Mais après un verbe à temps fini, la place de la négation dépend du verbe recteur et de sa relation avec l'infinitif :

Je m'efforce de ne pas le rencontrer

Paul ne sait plus travailler

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

B. Ne employé seul

Il arrive que le ne soit employé seul, dans des contextes variés :

- dans des tours figés ( « Aux dieux ne plaise! » ) ;

- avec certains verbes, tels oser, cesser, pouvoir, savoir... ( « Je n'ose vous parler » ) ;

- après qui interrogatif ( « Qui ne songe à partir ? » ) ;

- dans des tours dits explétifs où ne n'a pas d'interprétation négative. C'est le cas après les locutions conjonctives à moins que, avant que, sans que, dans les comparatives d'inégalité, mais aussi après de peur que, de crainte que ou certains verbes exprimant un rejet ( redouter, prendre garde, empêcher... ) :

Je partirai à moins qu'il ne cède

Il est moins bête qu'il ne paraît

Je redoute que Luc ne vienne

Je le redis, de peur que vous n'oubliez

Pour ces emplois explétifs il semble que la présence de ne soit liée à une disjonction; soit parce que la subordonnée ne peut être vraie en même temps que principale, soit parce que le sujet de la principale espère la non-réalisation de la subordonnée.

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

C. Portée de la négation

1°) Négation totale/négation partielle

La négation totale, qui porte globalement sur la proposition entière, s'exprime au moyen de pas ou point, associés à ne: "Claire n'est pas rentrée". Elle correspond à la négation logique: "il est faux que Claire soit rentrée", et elle s'oppose à la phrase positive ( "Claire est rentrée" ), qui répond positivement à la même question ( "Claire est-elle rentrée ?" ).

La négation partielle porte sur une partie seulement de la proposition. Elle s'exprime au moyen de mots négatifs associés à "ne", qui identifient explicitement le constituant visé par la négation et qui l'opposent au constituant positif correspondant. Un pronom négatif représente la négation d'un groupe nominal ( "personne n'est venu", "il n'a rien compris" ). un déterminant négatif indique l'absence ou nie l'existence du référent du groupe nominal ( quantification nulle ). Un complément circonstanciel de temps ou de lieu peut être nié par un groupe prépositionnel contenant un terme négatif ou par un adverbe ou une locution adverbiale de sens négatif ( "elle ne vient jamais", "on ne la rencontre nulle part" ).

Grammaire méthodique du français, Riegel, Pellat, Rioul, PUF, 1994

Comme l'interrogation, la négation peut porter sur l'ensemble de la phrase ( négation totale ) ou seulement sur un de ses constituants (négation partielle). Un énoncé comme «Je n'ai pas vu Paul » est susceptible des deux lectures: « Ilest faux que j'ai vu Paul » (négation totale) et: « Ce n'est pas Paul que j'ai vu/Je n'ai pas vu Paul, je l'ai entrevu » (négation partielle). La négation partielle implique une mise en relief intonative de l'élément nié ou un contexte qui désambiguïse. Des constructions « clivées » en c'est... que (cf « Ce n'est pas Paul que j'ai vu ») permettent d'éviter tout équivoque.

Les forclusifs qui servent à la négation totale sont pas, point, nullement. Alors que ceux de la négation partielle sont combinables entre eux ( « Rien ne plaît à personne » ), ceux de la négation totalesont seuls dans leur phrase: « *Rien n'est pas arrivé », « *Il n' a nullement parlé à personne ».

Les forclusifs de la négation partielle peuvent apparaître sans ne, dans des énoncés qui ne sont pas négatifs. En particulier dans les interrogatives ( « A-t-il jamais réussi ? » ), après sans que, avant que ( « Il a réussi sans qu'il ait jamais fait d'efforts » ) et dans les comparatives d'inégalité ( « Il est plus malin que personne » ). Ils ont alors un sens d'indéfini (rien = « quelque chose », jamais = « un jour », etc.). La valeur négative de ces forclusifs partiels résulte donc de leur association avec ne.

La différence entre forclusifs de la négation partielle et de la négation totale se perçoit également dans la distance qui peut les séparer du ne. Pour la négation totale, ne et le forclusif doivent encadrer le verbe principal; pour la négation partielle, le forclusif peut se trouver dans un infinitif complément :

*Je ne veux [voir pas mes amis]

Je ne veux [voir [venir aucun ami]]

Mais il doit s'agir d'infinitifs ( «*Je ne veux que Pierre tue personne »). Cela illustre la moindre autonomie de l'infinitif à l'égard du verbe principal.

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

2°) Négation exceptive ( ou restrictive )

La négation exceptive ( ou restrective ) n'est pas à proprement parler une négation. Elle est restrictive en ce qu'elle exclut de son champ tout autre terme que celui qu"elle introduit.

Marcello ne s'interesse qu'au cinéma.

Grammaire méthodique du français, Riegel, Pellat, Rioul, PUF, 1994

Il faut isoler le cas de ne... que qui n'a pas non plus une interprétation négative et indique l'exception. Dire « Je ne vois pas mes amis », c'est exclure un certain ensemble, mes amis, en laissant ouverte la possibilité qu'il y ait d'autres éléments (« Je ne vois pas mes amis mais ma famille »). En revanche, avec « Je ne vois que mes amis », seul le constituant qui suit que est posé comme valide: la négation porte en quelque sorte sur les autres éléments que mes amis qui auraient pu ou dû figurer ici.

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

D. Problème de quantification

La combinaison de la négation et de la quantification est source de bien des difficultés car elle engendre des ambiguïtés. Ainsi :

Tous les lions ne sont pas ici

ne signifie pas, contrairement à ce qu'on attendait, que tous les lions sont absents mais seulement certains d'entre eux. C'est-à-dire que l'ordre des constituants (tous... ne... pas) ne correspond pas à l'interprétation, qui serait plutôt: « Les lions ne sont pas tous ici. »

La variation de la portée de la négation rend ambiguës bien des combinaisons. Ainsi l'énoncé :

Je n'ai pas vu cinq papillons

peut signifier: « Il y a cinq papillons que je n'ai pas vus » (portée étroite de la négation) ou « Le nombre des papillons était distinct de cinq », « Il est faux que j'ai vu cinq papillons » (portée large de la négation). En logique, dans cette dernière interprétation, le nombre de papillons pourrait être supérieur à cinq, mais dans le discours ordinaire, on a tendance à comprendre qu'on a vu moins de cinq papillons.

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

E. Négation et discours

La valeur « pragmatique » de la négation linguistique, l'usage qui en est fait dans l'échange linguistique, montre son hétérogénéité. Il faut en effet distinguer entre trois valeurs essentielles que seul le contexte permet d'identifier. Considérons ces énoncés :

(1) Il ne pleut pas

(2) Thierry n'est pas aimable

(3) Alfred n'est pas revenu à Rio, il n'y est jamais allé

D'un point de vue syntaxique rien ne les distingue; leur valeur pragmatique peut néanmoins être très différente. On peut énoncer l'énoncé (1) pour décrire un état du monde, asserter un contenu négatif (négation descriptive). En revanche, on utilisera l'énoncé (2) plutôt pour s'opposer à une assertion antérieure, explicite ou implicite (négation polémique). Quant à l'énoncé (3), il suppose la présence d'un interlocuteur qui vient de dire qu' Alfred est revenu à Rio, il conteste les mots mêmes de l'énonciation précédente (négation métalinguistique). On notera que l'énoncé (1) pourrait aussi s'interpréter comme une négation polémique dans un contexte approprié.Il y a tout un débat pour savoir quelles sont les relations entre ces trois types de négation et en particulier pour savoir si l'une d'elles est « primitive », si les autres en dérivent.

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )

F. Non et la négation lexicale

La langue, à côté d'une négation syntaxique fondée sur le couple ne + forclusif, dispose d'une négation lexicale, grâce à des lexèmes variés de sens privatif ( « Il est sans intelligence/dépourvu d'intelligence » ...), grâce surtout à des préfixes spécialisés :

Il est in-intelligent

Il devient a-typique

Les deux préfixes réellement productifs sont in- et a- ; l'un et l'autre connaissent des variations selon le phonème qui les suit (illisible/irrecevable/immortalité..., agraphique/analphabète...). Des préfixes comme mal- (malcommode) ou des-/dis- (déshonnête,discourtois) sont peu ou pas productifs.

L'élément non joue un rôle privilégié, qui le rapproche de la négation syntaxique. Il se combine avec des noms « déverbaux » :

la non-réduction des armements...

Il peut aussi s' agir de propriétés : la non-violence, la non gratuité... On peut le combiner avec des adjectifs (les éditions non originales, les cadres non susceptibles deprogresser...) ou des participes passés (les livres non restitués...), qui, en tant que GA, sont exclus de la négation de phrase ( « *Les livres ne pas restitués »...). La langue distingue donc bien la négation de phrase et la négation de GN ou de GA. Quand il s'agit de noms ordinaires, qui ne désignent ni des processus ni des propriétés, non ne peut apparaître, à moins qu'il ne s'agisse de discours philosophique :

*la non-table

Mais cela devient possible avec des noms issus d'éléments à statut d'adjectifs, pour désigner le complémentaire d'un ensemble (les non-spécialistes, les non-combattants...).Non connaît d'autres emplois, liés également à la négation :

- pour former à lui seul un énoncé de contestation ou d'acquiescement :

Il est là / Il n'est pas là

- Non

D'autres séquences peuvent jouer le même rôle, mais avec des effets pragmatiques différents: pas du tout, nullement, jamais de la vie, penses-tu .etc. ,

- comme substitut d'une phrase négative régie par un verbe de dire ou d'opinion: « Il a dit/cru que non » ;

- pour opposer deux éléments d'une phrase: « J'ai vu Léa, (et) non Carole. » Dans cet emploi, il peut être remplacé par pas ou non pas.

Précis de grammaire pour les concours, D. Maingueneau, Nathan, 2001 ( troisième édition )