Le mot libertinage désigne la liberté ou "licence" de l'esprit en matière de pensée religieuse ou de moeurs. Il a été employé au XVII et XVIII s. pour nommer un mouvement philosophique, un courant littéraire et, plus largement, un comportement humain.
Le dictionnaire du littéraire, coll. Dicos poche, éd. Quadrige / PUF, 2002
Apparu à la fin du XVe s. comme traduction du latin libertinus (esclave affranchi), le terme de "libertin" réapparaît au milieu du XVIe s., dans un écrit de Calvin où celui-ci condamne les "libertins spirituels", athées adeptes du principe libertaire qui veut que chacun suive sa nature. Ainsi, dès le début, le terme relie un aspect spirituel et un aspect moral, intimement unis du fait que que l'athéisme, aux yeux de Calvin, mène droit à la dissolution des moeurs.
Vers 1620, le libertinage désigne un mouvement de pensée qui gagne de jeunes aristocrates, et dont Théophile de Viau donne un écho littéraire. La révolte contre la religion et la dissolution des moeurs caractérisent ces libres penseurs, qui veulent vivre une libération spirituelle, morale, et sensuelle.
Se développe en même temps un "libertinage érudit" (R. Pintard). Ce mouvement est divers, mais marqué par une résistance aux dogmes religieux, un scepticisme et parfois même un matérialisme tâtonnant, à la recherche d'une morale au nom de la Nature. L'enseignement des libertins érudits gagne l'aristocratie. Il devient alors un épicurisme mondain.
Sous la Régence, temps de libération des moeurs, le libertinage devient un jeu érotique à la mode. Dans la littérature, principalement le roman, mais aussi au théâtre et dans les chansons, le libertin prend désormais l'aspect du petit-maître, qui recherche l'amour-goût (Crébillon, Duclos), culte ds plaisirs accumulés réglés par le code de la décence : tout en donnant à la femme désirée la possibilité de feindre une défense, le petit maître ne choisit que des aventures sûres.
A partir de 1750, ces tendances jusque-là éparses se constituent en phénomène littéraire. celui-ci se présente, par réaction à la vogue du sentimentalisme, comme un code aristocratique où rien n'est plus compromettant que l'amour-passion, élément irrationnel dans un jeu intellectuel où s'exprime le souci de l'amour-propre et de la domination de l'autre autant que celui du plaisir physique. Vers la fin du siècle, le libertinage est ainsi devenu une pratique éminemment cérébrale dont Les Liaisons dangereuses (1782) offrent une image littéraire très achevée.
Le dictionnaire du littéraire, coll. Dicos poche, éd. Quadrige / PUF, 2002
Mouvement de longue durée et mouvement complexe, le libertinage est d'emblée pris dans une logique polémique. Le terme est mis en vogue en 1622 par les attaques du P. Garasse contre Théophile de Viau : pour lui, sont "libertins" ou "esprits forts" - parfois "beaux esprits" - tous ceux qui s'écartent du dogme religieux ou moral. Ainsi a-t-on pu appeler libertins pêle-mêle de simples débauchés, et des penseurs de premier ordre à la morale par ailleurs très sage (Gassendi). L'image de l'alliance de l'immoralisme et de l'incroyance a fini par se sédimenter dans la figure mythique de Don Juan.
Au siècle suivant, l'anticléricalisme et le septicisme de la libre-pensée influencent la philosophie des Lumières, mais le libertinage en tant que tel perd de sa signification philosophique. Il désigne surtout la littérature romanesque qui privilégie des stratégies de séduction, où la femme est le plus souvent la victime. Il s'agit de séductions visant non le mariage, mais la perversion de la proie.
Le dictionnaire du littéraire, coll. Dicos poche, éd. Quadrige / PUF, 2002