Analyse structurale du récit

1. Schéma narratif

Pour qu'il y ait récit, il faut que se succèdent des actions accomplies par un héros qui réagit aux évènements ou à d'autres actions, en fonction d'un but qu'il veut atteindre. Il faut ainsi qu'une causalité s'introduise dans l'ordre temporel.

Un récit transforme un état de choses donné en son contraire, ou bien restaure un état perdu. De là la symétrie qui se retrouve dans le schéma: à une situation initiale doit correspondre une situation finale, à un élément de perturbation doit correspondre un élément de résolution qui rétablira l'ordre des choses.; entre les deux s'insère une succession d'actions liées par une causalité ( les péripéties ), c'est-à-dire le chemin parcouru par le héros pour parvenir de la perturbation à sa résolution.

D. Maingueneau, E. Pellet, Les notions grammaticales, coll. Guides Belin, éd. Belin, 2005

2. Schéma actanciel

Le schéma narratif est inséparable du schéma actanciel, c'est-à-dire du rôle que jouent les personnages dans un récit. On doit en effet poser une distinction entre les personnages, qui sont dotés d'un nom propre, d'un état civil particulier, et le rôle qu'ils jouent dans l'intrigue. Un même personnage peut remplir des rôles différents, et deux personnages le même rôle. La narratologie postule que tout récit implique a priori un certain nombre de rôles préétablis que viennent occuper des personnages individualisés. Dans le cadre de l'analyse structurale du récit, le terme d'actant désigne ces différents rôles.

La narratologie distingue ainsi divers actants fondamentaux: un Sujet part en quête d'un Objet de valeur, il est aidé par un Adjuvant, contrecarré par un Opposant. Le sémioticien Algirdas Greimas a ajouté le rôle de Destinateur. Ce dernier est l'instance qui communique au Sujet non seulement sa compétence mais encore les valeurs en jeu dans la quête; c'est aussi à lui qu'est communiqué le résultat de cette quête; ce rôle de Destinateur est souvent tenu par Dieu, l'humanité, etc.

D. Maingueneau, E. Pellet, Les notions grammaticales, coll. Guides Belin, éd. Belin, 2005

3. Ordre du récit

Les rapports entre ordre du récit et ordre de l'histoire (ou ordre des faits) conduisent à distinguer le récit chronologique, dans lequel l'ordre du récit coïncide avec l'ordre des faits, cas extrêmement rare dans la pratique, et le récit non chronologique, dans lequel il y a discordance entre l'ordre des faits et l'ordre du récit.

D. Maingueneau, E. Pellet, Les notions grammaticales, coll. Guides Belin, éd. Belin, 2005

4. Mode du récit

La question de la focalisation ( ou du point de vue ) dans le récit est dominée en France depuis 1972 par la typologie de Gérard Genette, qui distingue:

- la focalisation zéro du romancier omniscient;

- la focalisation interne, selon laquelle le lecteur perçoit les évènements et les situations à travers la conscience d'un personnage;

- la focalisation externe, qui décrit un personnage de l'extérieur, sans qu'on ait accès à sa conscience.

L'accent est mis davantage aujourd'hui sur les marques linguistiques qui signalent au lecteur que l'on perçoit telle ou telle situation à travers le point de vue d'une conscience. Le passage à l'imparfait joue un rôle important dans ce domaine.

D. Maingueneau, E. Pellet, Les notions grammaticales, coll. Guides Belin, éd. Belin, 2005

5. Voix du récit

Les rapports entre narrateur et personnage constituent la problématique de la voix narrative. Gérard genette distingue ainsi les cas où le narrateur n'apparaît pas comme personnage du récit ( narrateur hétérodiégétique, comme dans L'Iliade ) de ceux où il est un protagoniste du récit ( narrateur homodiégétique ), parmi lesquels il distingue ceux où le narrateur n'est qu'un témoin secondaire ( comme dans Le Grand meaulnes, Moby Dick ou Lord Jim ), sans rôle actanciel majeur, de ceux où il est aussi l'acteur principal, le héros ( narrateur autodiégétique, comme dans Gil Blas ).

Dans le récit autobiographique, où l'auteur est censé raconter sa vie, auteur, narrateur et héros se confondent. Toutefois, du fait du décalage temporel ( par exemple entre la jeunese de l'auteur-héros et la vieillesse de l'auteur-narrateur, comme dans L'Enfant de Jules Vallès ), la distinction entre narrateur et personnage demeure.

D. Maingueneau, E. Pellet, Les notions grammaticales, coll. Guides Belin, éd. Belin, 2005

6. Durée du récit

La vitesse du récit se définira par le rapport entre une durée, celle de l'histoire, mesurée en secondes, minutes, heures, jours, mois et et années, et une longueur: celle du texte, mesurée en lignes et en pages. Théoriquement, en effet, il existe une gradation continue depuis cette vitesse infinie qui est celle de l'ellipse, où un segment nul de récit correspond à une durée quelconque d'histoire, jusqu'à cette lenteur absolue qui est celle de la pause descriptive, où un segment quelconque du discours narratif correspond à une durée diégétique nulle.

G. Genette, Figures III, coll. Poétique, éd. du Seuil, 1972

6.1. Sommaire

Le sommaire est resté, jusqu'à la fin du XIXe siècle, la transition la plus ordinaire entre deux scènes, le "fond" sur lequel elles se détachent, et donc le tissu conjonctif par excellence du récit romanesque, dont le rythme fondamental se définit par l'alternance du sommaire et de la scène.

G. Genette, Figures III, coll. Poétique, éd. du Seuil, 1972

6.2. Pause

Le roman balzacien, au contraire, a fixé un canon descriptif ( d'ailleurs plus conforme au modèle de l'ekphrasis épique ) typiquement extra-temporel, où le narrateur, abandonnant le cours de l'histoire ( ou, comme dans le Père Goriot ou la Recherche de l'absolu, avant de l'aborder ), se charge, en son propre nom et pour la seule information de son lecteur, de décrire un spectacle qu'à proprement parler, en ce point de l'histoire, personne ne regarde.

G. Genette, Figures III, coll. Poétique, éd. du Seuil, 1972

6.3. Ellipse

Il ne s'agit évidemment ici que de l'ellipse proprement dite, ou ellipse temporelle, en laissant de côté ces omissions latérales auxquelles nous avons réservé le nom de paralipse. Du point de vue temporel, l'analyse des ellipses se ramène à la considération du temps d'histoire élidé, et la première question est ici de savoir si cette durée est indiquée ( ellipses déterminées ) ou non ( ellipses indéterminées ).

[Elles] procèdent soit par indication ( déterminée ou non ) du laps de temps qu'elles élident, ce qui les assimile à des sommaires très rapides, de type "quelques années passèrent": c'est alors cette indication qui constitue l'ellipse en tant que segment textuel, alors non tout à fait égal à zéro; soit par élision pure et simple ( degré zéro du texte elliptique ) et indication du temps écoulé à la reprise du récit: type "deux ans plus tard"; cette forme est plus rigoureusement elliptique et donc nécessairement plus brève : mais le sentiment du vide narratif, de la lacune, y est mimé par le texte dune manière plus analogique, plus « iconique », au sens de Peirce et de Jakobson, L'une et l'autre de ces formes, d'ailleurs, peut ajouter à l'indication purement temporelle une information de contenu diégétique, du genre : « quelques années de bonheur se passèrent », ou : «après quelques années de bonheur ». Ces ellipses qualifiées sont une des ressources de la narration romanesque.

C'est-à-dire celles dont la présence même nest pas déclarée dans le texte, et que le lecteur peut seulement inférer de quelque lacune chronologique ou solutions de continuité narrative. La forme la plus implicite de l'ellipse est l'ellipse purement hypothétique, impossible à localiser, parfois même à placer en quelque lieu que ce soit, que révèle après coup une analepse.

G. Genette, Figures III, coll. Poétique, éd. du Seuil, 1972

6.4. Scène

Dans le récit romanesque tel qu'il fonctionnait avant la Recherche, l'opposition de mouvement entre scène détaillée et récit sommaire renvoyait presque toujours à une opposition de contenu entre dramatique et non dramatique, les temps forts de laction coïncidant avec les moments les plus intenses du récit tandis que les temps faibles étaient résumés à grands traits et comme de très loin, selon le principe que nous avons vu exposé par Fielding. Le vrai rythme du canon romanesque, encore très perceptible dans Bovary, est donc alternance de sommaires non dramatiques à fonction d'attente et de liaison, et de scènes dramatiques dont le rôle dans l'action est décisif.

Cette affirmation n'est évidemment pas à recevoir sans nuances. Ainsi, dans les Souffrances de l'inventeur, les pages les plus dramatiques sont peut-être celles où Balzac résume avec une sécheresse d'historien militaire les batailles de procédure livrées à David Séchard.

G. Genette, Figures III, coll. Poétique, éd. du Seuil, 1972