Imaginez et écrivez une quatrième de couverture.
Feuilletez le livre. Qu'y trouve-t-on ? Pourquoi, selon vous ?
1. Comment "la ville des termites" est-elle décrite ? Dessinez le paysage en vous appuyant sur le texte.
2. Comment se comportent les deux enfants ? Que ressentent-ils ?
3. Quel regard le narrateur adulte porte-t-il sur cet épisode ?
Pourquoi raconter un tel souvenir ? Qu'a-t-il, selon vous, d'important ? Quel problème ce récit pose-t-il à l'auteur ?
Au milieu de la plaine, à une distance suffisante pour que nous ne puissions plus voir notre case, il y avait des châteaux. Le long d'une aire dénudée et sèche, des pans de murs rouge sombre, aux crêtes noircies par l'incendie, tels les remparts d'une ancienne citadelle. De loin en loin, le long des murs, se dressaient des tours dont les sommets paraissaient becquetés d'oiseaux, déchiquetés, brûlés par la foudre. Ces murailles occupaient une superficie aussi vaste qu'une ville. Les murs, les tours étaient plus hauts que nous. Nous n'étions que des enfants, mais dans mon souvenir j'imagine que ces murs devaient être plus hauts qu'un homme adulte, et certaines des tours devaient dépasser deux mètres.
Nous savions que c'était la ville des termites.
Comment l'avons-nous su ? Peut-être par mon père, ou bien par un des garçons du village. Mais personne ne nous accompagnait. Nous avons appris à démolir ces murs. Nous avions dû commencer par jeter quelques pierres, pour sonder, pour écouter le bruit caverneux qu'elles faisaient en heurtant les termitières. Puis nous avons frappé à coups de bâton les murs, les hautes tours, pour voir s'écrouler la terre poudreuse, mettre au jour les galeries, les bêtes aveugles qui y vivaient. Le jour suivant, les ouvrières avaient colmaté les brèches, tenté de reconstruire les tours. Nous frappions à nouveau, jusqu'à en avoir mal aux mains, comme si nous combattions un ennemi invisible. Nous ne parlions pas, nous cognions, nous poussions des cris de rage, et de nouveaux pans de murs s'écroulaient. C'était un jeu. Était-ce un jeu ? Nous nous sentions pleins de puissance. Je m'en souviens aujourd'hui, non pas comme d'un divertissement sadique de sale gosse – la cruauté gratuite que des petits garçons peuvent aimer exercer contre une forme de vie sans défense, couper les pattes des doryphores, écraser les crapauds dans l'angle d'une porte –, mais d'une sorte de possession, que nous inspiraient l'étendue de la savane, la proximité de la forêt, la fureur du ciel et des orages. Ou peut-être que nous rejetions de cette manière l'autorité excessive de notre père, rendant coup pour coup avec nos bâtons. [...]
Quand mon père était absent, quand ma mère dormait, nous nous échappions, la prairie fauve nous happait. Nous courions à toute vitesse, pieds nus, loin de la maison, à travers les hautes herbes qui nous aveuglaient, sautant par-dessus les rochers, sur la terre sèche et craquelée par la chaleur, jusqu'aux cités des termites. Nous avions le cœur battant, la violence débordait avec notre souffle, nous prenions des pierres, des bâtons et nous frappions, frappions, nous faisions écrouler des pans de ces cathédrales, pour rien, simplement pour le bonheur de voir monter les nuages de poussière, entendre crouler les tours, résonner le bâton sur les murs durcis, pour voir s'offrir à la lumière les galeries rouges comme des veines où grouillait une vie pâle, couleur de nacre. Mais peut-être qu'à l'écrire je rends trop littéraire, trop symbolique la fureur qui animait nos bras quand nous frappions les termitières. Nous étions seulement deux enfants qui avaient traversé l'enfermement de cinq années de guerre, élevés dans un environnement de femmes, dans un mélange de crainte et de ruse, où le seul éclat était la voix de ma grand-mère maudissant les "Boches". Ces journées à courir dans les hautes herbes à Ogoja, c'était notre première liberté. La savane, l'orage qui s'accumulait chaque après-midi, la brûlure du soleil sur nos têtes, et cette expression trop forte, presque caricaturale de la nature animale, c'est cela qui emplissait nos petites poitrines et nous lançait contre la muraille des termites, ces noirs châteaux hérissés contre le ciel. Je crois que je n'ai jamais ressenti un tel élan depuis ce temps-là. Un tel besoin de me mesurer, de dominer. C'était un moment de nos vies, juste un moment, sans aucune explication, sans regret, sans avenir, presque sans mémoire.
J. M. G. Le Clézio, L'Africain, 2004.
1. Comparez les constructions grammaticales ci-dessous.
a. "j'imagine que ces murs devaient être plus hauts qu'un homme adulte"
b. "la cruauté gratuite que des petits garçons peuvent aimer exercer contre une forme de vie sans défense"
c. "une sorte de possession, que nous inspiraient l'étendue de la savane, la proximité de la forêt, la fureur du ciel et des orages"
d. "Je crois que je n'ai jamais ressenti un tel élan depuis ce temps-là."
2. Trouvez d'autres constructions comme celles que vous avez identifiées.
Parcourez le livre. Quelle est votre photographie préférée ? Pourquoi ?
1. Observez les photographies p. 84 et p. 80. Comparez avec la description qu'en donne Le Clézio p. 84 et 87. Que remarquez-vous ?
2. Le texte évoque de nombreuses photos qui ne sont pas reproduites (v. par exemple p. 59, p. 73, p. 77). Quel est le point commun de toutes ces photos absentes ?
3. Lé Clézio écrit : "Les photos que mon père a aimé prendre, ce sont celles qui montrent..." Complétez cette phrase.
Susan Sontag écrit : "Grâce aux photographies, chaque famille brosse son propre portrait et tient sa propre chronique : portefeuille d'images qui témoignent de sa cohésion" (Susan Sontag, Sur la photographie, 1973-77, éd. Christian Bourgeois, coll. "Titre 88", trad. Philippe Blanchard, 2008).
Cette description correspond-elle, selon vous, à l'usage qu'en fait Le Clézio dans L'Africain ?
1. En vous appuyant sur les pages 47, 48, 57, 62, 63, 79, 94, 115, remettez dans l'ordre les étapes de l'histoire du père et placez-les sur la frise chronologique.
a. Le congé en France
b. Le départ de l'île Maurice.
c. Le départ pour l'Afrique
d. Le départ pour la Guyane Britannique
e. Le séjour à Banso
f. Le séjour à Ogoja
g. Le retour en France
h. Les retrouvailles avec sa femme et ses fils
1910 | 1920 | 1930 | 1940 | 1950 | 1960 | 1970 | 1980 | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
1910 | 1920 | 1930 | 1940 | 1950 | 1960 | 1970 | 1980 |
2. Comparez la façon dont l'Afrique est décrite p. 81-83 (de "Pendant plus de 15 ans"... à "...jamais connue ailleurs") et p. 97-99 (de "À partir de cet échec..." à "...six centimètres").
1. Quels sont les différents portraits d'Européens proposés dans cet extrait ?
2. Quel est le point commun de tous ces portraits ?
1. Comment, dans cet extrait, passe-t-on du point de vue du père à celui du fils ?
2. Quelle image de la colonisation est donnée dans le livre ?
Image caractéristique de la Colonie : des voyageurs européens, vêtus de blanc et coiffés du casque Cawnpore, sont débarqués dans une nacelle et transportés jusqu'à terre à bord d'une pirogue montée par des Noirs. Cette Afrique-là n'est pas très dépaysante : c'est l'étroite bande qui suit le contour de la côte, depuis la pointe du Sénégal jusqu'au golfe de Guinée, que connaissent tous ceux qui viennent des métropoles pour faire des affaires et s'enrichir promptement. Une société qui, en moins d'un demi-siècle, s'est architecturée en castes, lieux réservés, interdits, privilèges, abus et profits. Banquiers, agents commerciaux, administrateurs civils ou militaires, juges, policiers et gendarmes. Autour d'eux, dans les grandes villes portuaires, Lomé, Cotonou, Lagos, comme à Georgetown en Guyane, s'est créée une zone propre, luxueuse, avec pelouses impeccables et terrains de golf, et des palais de stuc ou de bois précieux dans de vastes palmeraies, au bord d'un lac artificiel, telle la maison du directeur du service médical à Lagos. [...]
C'est cette image que mon père a détestée. Lui qui avait rompu avec Maurice et son passé colonial, et se moquait des planteurs et de leurs airs de grandeur, lui qui avait fui le conformisme de la société anglaise, pour laquelle un homme ne valait que par sa carte de visite, lui qui avait parcouru les fleuves sauvages de Guyane, qui avait pansé, recousu, soigné les chercheurs de diamants et les Indiens sous-alimentés ; cet homme ne pouvait pas ne pas vomir le monde colonial et son injustice outrecuidante, ses cocktails parties et ses golfeurs en tenue, sa domesticité, ses maîtresses d'ébène prostituées de quinze ans introduites par la porte de service, et ses épouses officielles pouffant de chaleur et faisant rejaillir leur rancœur sur leurs serviteurs pour une question de gants, de poussière ou de vaisselle cassée.
En parlait-il ? D'où me vient cette instinctive répulsion que j'ai ressentie depuis l'enfance pour le système de la Colonie ? Sans doute ai-je capté un mot, une réflexion, à propos des ridicules des administrateurs, tel le district officer d'Abakaliki que mon père m'emmenait voir parfois et qui vivait au milieu de sa meute de pékinois nourris au filet de bœuf et aux petits gâteaux, abreuvés uniquement à l'eau minérale. Ou bien les récits de grands Blancs qui voyageaient en convoi, à la chasse aux lions et aux éléphants, armés de fusils à lunette et de balles explosives, et qui, lorsqu'ils croisaient mon père dans ces contrées perdues, le prenaient pour un organisateur de safaris et l'interrogeaient sur la présence d'animaux sauvages, à quoi mon père répondait : "Depuis vingt ans que je suis ici, je n'en ai jamais vu un, à moins que vous ne parliez de serpents et de vautours." Ou encore le district officer en poste à Obudu, à la frontière du Cameroun, qui s'amusait à me faire toucher les crânes des gorilles qu'il avait tués et me montrait les collines derrière chez lui en prétendant qu'on entendait le soir la pétarade des grands singes qui le provoquaient en se frappant la poitrine. Et surtout, l'image obsédante que j'ai gardée, sur la route qui conduisait à la piscine d'Abakaliki, la cohorte des prisonniers noirs enchaînés, marchant au pas cadencé, encadrés par les policiers armés de fusils.
J. M. G. Le Clézio, L'Africain, 2004.
1. Faites trois phrases à partir de la phrase suivante : "Sans doute ai-je capté un mot, une réflexion, à propos des ridicules des administrateurs, tel le district officer d'Abakaliki que mon père m'emmenait voir parfois et qui vivait au milieu de sa meute de pékinois nourris au filet de bœuf et aux petits gâteaux, abreuvés uniquement à l'eau minérale."
2. Analysez les relatives présentes dans cette phrase : "Ou encore le district officer en poste à Obudu, à la frontière du Cameroun, qui [...] me montrait les collines derrière chez lui en prétendant qu'on entendait le soir la pétarade des grands singes qui le provoquaient en se frappant la poitrine."
3. Même question : "les récits de grands Blancs qui voyageaient en convoi, à la chasse aux lions et aux éléphants, armés de fusils à lunette et de balles explosives, et qui, lorsqu'ils croisaient mon père dans ces contrées perdues, [...] l'interrogeaient sur la présence d'animaux sauvages, à quoi mon père répondait : "[...] je n'en ai jamais vu un. [...]""
1. En vous appuyant sur les passages ci-contre, faites le portrait du père. Justifiez vos réponses.
2. Quels sentiments Le Clézio éprouve-t-il vis-à-vis de son père ?
3. "Avec L’Africain, Le Clézio écrit un grand livre des regrets" écrit Michèle Levaux dans Études, 11, 2004. Partagez-vous ce point de vue ?
Le portrait du père | Les sentiments du fils | |
p. 48-50, de "Mon père m'a raconté un jour..." à "...inéluctablement étranger." | ||
p. 83-87, de "Ici, c'est un pays aux horizons lointains..." à "...où brillent des brins de paille." | ||
p. 94-97, de "C'est donc la guerre qui a cassé le rêve africain de mon père..." à "...il doit revenir en arrière, refaire la route jusqu'à Kano,, jusqu'à Ogoja." | ||
p. 108-112, de "Il m'est possible..." à "...ne pouvait pas être insensible." |
Vous choisirez l'une des consignes suivantes.
1. Imaginez la lettre que le docteur Le Clézio a pu adresser à son fils à la fin de sa vie. Votre lettre contiendra au moins trois références précises au livre.
2. Imaginez la lettre que Le Clézio a pu adresser à son père à la fin de sa vie. Votre lettre contiendra au moins trois références précises au livre.
3. Un personnage, en conflit avec l'un de ses parents, tombe sur la lecture d'un livre lu longtemps auparavant au lycée : L'Africain. Il se souvient des circonstances de sa lecture, des difficultés, des plaisirs et des déplaisirs rencontrés. Il se souvient de passages ou de phrases qui l'ont marqué. Il trouve un écho de sa situation et une réponse à ses questions dans L'Africain.
C'est à l'Afrique que je veux revenir sans cesse, à ma mémoire d'enfant. À la source de mes sentiments et de mes déterminations. Le monde change, c'est vrai, et celui qui est debout là-bas au milieu de la plaine d'herbes hautes, dans le souffle chaud qui apporte les odeurs de la savane, le bruit aigu de la forêt, sentant sur ses lèvres l'humidité du ciel et des nuages, celui-là est si loin de moi qu'aucune histoire, aucun voyage ne me permettra de le rejoindre.
Pourtant, parfois, je marche dans les rues d'une ville, au hasard, et tout d'un coup, en passant devant une porte au bas d'un immeuble en construction, je respire l'odeur froide du ciment qui vient d'être coulé, et je suis dans la case de passage d'Abakaliki, j'entre dans le cube ombreux de ma chambre et je vois derrière la porte le grand lézard bleu que notre chatte a étranglé et qu'elle m'a apporté en signe de bienvenue. Ou bien, au moment où je m'y attends le moins, je suis envahi par le parfum de la terre mouillée de notre jardin à Ogoja, quand la mousson roule sur le toit de la maison et fait zébrer les ruisseaux couleur de sang sur la terre craquelée. J'entends même, par-dessus la vibration des autos embouteillées dans une avenue, la musique douce et froissante de la rivière Aiya. [...]
Tout cela est si loin, si proche. Une simple paroi fine comme un miroir sépare le monde d'aujourd'hui et le monde d'hier. Je ne parle pas de nostalgie. Cette peine dérélictueuse ne m'a jamais causé aucun plaisir. Je parle de substance, de sensations, de la part la plus logique de ma vie. [...]
Si je n'avais pas eu cette connaissance charnelle de l'Afrique, si je n'avais pas reçu cet héritage de ma vie avant ma naissance, que serais-je devenu ? Aujourd'hui, j'existe, je voyage, j'ai à mon tour fondé une famille, je me suis enraciné dans d'autres lieux. Pourtant, à chaque instant, comme une substance éthéreuse qui circule entre les parois du réel, je suis transpercé par le temps d'autrefois, à Ogoja. Par bouffées cela me submerge et m'étourdit. Non pas seulement cette mémoire d'enfant, extraordinairement précise pour toutes les sensations, les odeurs, les goûts, l'impression de relief ou de vide, le sentiment de la durée.
C'est en l'écrivant que je le comprends, maintenant. Cette mémoire n'est pas seulement la mienne. Elle est aussi la mémoire du temps qui a précédé ma naissance, lorsque mon père et ma mère marchaient ensemble sur les routes du haut pays, dans les royaumes de l'ouest du Cameroun. La mémoire des espérances et des angoisses de mon père, sa solitude, sa détresse à Ogoja. La mémoire des instants de bonheur, lorsque mon père et ma mère sont unis par l'amour qu'ils croient éternel. Alors ils allaient dans la liberté des chemins, et les noms de lieux sont entrés en moi comme des noms de famille, Bali, Nkom, Bamenda, Banso, Nkongsamba, Revi, Kwaja. Et les noms de pays, Mbembé, Kaka, Nsungli, Bum, Fungom. Les hauts plateaux où avance lentement le troupeau de bêtes à cornes de lune à accrocher les nuages, entre Lassim et Ngonzin.
Peut-être qu'en fin de compte mon rêve ancien ne me trompait pas. Si mon père était devenu l'Africain, par la force de sa destinée, moi, je puis penser à ma mère africaine, celle qui m'a embrassé et nourri à l'instant où j'ai été conçu, à l'instant où je suis né.
J. M. G. Le Clézio, L'Africain, 2004.