La bonne éducation

Problématique : Qu'est-ce qu'une bonne éducation ? Existe-t-il une forme d'éducation qui soit "la" bonne ?

Séance 01

La bonne éducation

Observation

Ce tableau s'intitule "La Bonne éducation". Qu'en pensez-vous ?

Pistes

Lexique

"Éduquer" : trouvez des synonymes. Quelles différences de sens entre chacun ?

Prolongement

Selon vous, qu'est-ce que l'éducation doit apporter en priorité aujourd'hui ? Pourquoi ? Comment ?

Chardin, "La Bonne éducation", 1749.

Séance 02

L'éducation positive

Lecture

Lisez le texte et préparez-vous à expliquer, à l'oral, de façon précise, ce qu'il dit.

Pistes

Prolongement

Catherine Gueguen invite les parents à "éprouver de l'empathie et de la compassion pour [le jeune enfant], au lieu de le punir." Selon vous, faut-il bannir punitions et sanctions ?

Auparavant, petit, l'enfant était étiqueté comme "capricieux", "tyrannique", "infernal", "méchant". Les recherches actuelles nous disent au contraire que l'enfant, dès sa naissance, est ouvert aux autres affectivement, qu'il est empathique, capable de sentir les émotions de son entourage, avide d'échanges, et qu'il montre très rapidement, au bout de quelques mois seulement, des capacités d'altruisme. Ce sont des atouts incroyables. En revanche, il a un immense besoin d'être sécurisé, rassuré quand il est en détresse, car il est extrêmement fragile, immature et dépendant de vous !

Ces observations doivent vous aider à poser un tout autre regard sur votre enfant et vous inciter à éprouver de l'empathie et de la compassion pour lui, au lieu de le punir.

Le cerveau de votre enfant est extrêmement malléable et les relations qu'il va nouer avec son entourage vont le modifier en profondeur. Ses cellules cérébrales, ses molécules, ses circuits neuronaux, ses structures cérébrales, ses connexions neuronales et même l'expression de ses gènes peuvent être influencés par ce qu'il vit et par votre attitude, selon que vous êtes empathique, ou à l'inverse vous montrez humiliant envers lui, souvent sans en avoir conscience. [...]

Vous avez constaté que votre enfant petit connaît de véritables tempêtes émotionnelles qui l'amènent à hurler, à se rouler par terre, à jeter ses jouets, à taper, griffer, mordre.

Pourquoi ? Parce qu'il subit ses émotions sans aucun filtre. Elles sont extrêmement intenses puisque son cortex orbitofrontal, je le répète, n'est pas encore mature. Il lui est donc impossible de s'apaiser seul, de prendre du recul, de se dire par exemple : "Ce qui m'arrive n'est peut-être pas si grave ; je vais y faire face ; je dois pouvoir trouver des solutions pour me sortir de là !" Non, l'enfant vit de véritables tsunamis intérieurs qui génèrent un très grand stress en lui. Tout se passe comme s'il était totalement submergé par d'immenses colères, de très grands chagrins, de véritables paniques qu'il ne contrôle pas. [...]

Quand vous éprouvez de la colère, de la tristesse, de la peur ou de la jalousie, vous sentez bien que ce sont des émotions très désagréables et qu'elles entraînent un mal-être en vous, une souffrance même. Mettez-vous à la place de votre enfant : lorsqu'il subit ces violentes perturbations émotionnelles, il souffre réellement. Et il a besoin de vous, parent, pour le comprendre, l'apaiser et l'aider à mettre des mots sur ce qu'il vit. [...]

L'Unicef nous le répète : les enfants sont les êtres les plus humiliés dans la société, et ce sur toute la planète. Pourquoi ? Sans doute parce qu'en voyant les petits crier, taper, mordre, se rouler par terre, jeter leurs jouets, les adultes ont cru que l'enfant était un animal sauvage qu'il fallait dresser et que la bonne solution passait par les punitions verbales ou physiques, les gifles, les fessées.

Or dresser c'est contraindre, instituer des rapports de force c'est punir, crier, menacer, humilier verbalement, physiquement. Je n'en veux pas aux adultes, car aujourd'hui encore, ils pensent bien agir. Ils sont persuadés que c'est ainsi que l'enfant, à l'avenir, va bien se comporter, progresser et apprendre. Mais on sait désormais qu'il faut absolument renoncer à cette façon d'élever les enfants.

Catherine Gueguen, Lettre à un jeune parent, 2020, éd. Les Arènes.

Séance 02

L'éducation par l'expérience

Lecture

Lisez le texte et préparez-vous à expliquer, à l'oral, de façon précise, ce qu'il dit.

Pistes

Prolongement

John Dewey affirme : "La première approche de tout sujet à l'école, s'il s'agit de développer la pensée et non d'apprendre des mots, doit être aussi peu scolaire que possible".

Selon vous, faut-il toujours partir de l'expérience réelle pour enseigner ?

Notes

1. Empirique : qui ne s'appuie que sur l'expérience, l'observation, non sur une théorie ou le raisonnement.

En général, l'erreur fondamentale des méthodes d'enseignement tient à ce que l'on suppose que les élèves possèdent déjà l'expérience. Nous insistons au contraire sur la nécessité pour la pensée de partir d'une situation empirique1 réelle. L'expérience a ici le sens que nous lui avons donné précédemment : elle consiste à essayer de faire une chose et à subir effectivement une conséquence que la chose nous impose en retour. L'erreur consiste à croire qu'on peut commencer avec un sujet d'étude tout fait : arithmétique, géographie, ou autre chose, sans avoir soi-même l'expérience personnelle directe d'une situation. [...] Même les techniques des jardins d'enfants et de Montessori sont si soucieuses d'établir des distinctions intellectuelles sans "perte de temps" qu'elles tendent à ignorer – ou à réduire – la manipulation brute et immédiate des objets familiers de l'expérience et à mettre les élèves tout de suite en contact avec des objets qui sont l'expression de distinctions intellectuelles établies par les adultes. Mais la première étape du contact avec de nouveaux objets, à n'importe quel âge, doit inévitablement être du genre essai et erreur. Un individu doit essayer réellement, dans le jeu ou le travail, à faire quelque chose avec les objets en exerçant ses propres activités impulsives et à noter alors les interactions de son énergie avec les objets utilisés. C'est ce qui se passe quand un enfant commence par manipuler un jeu de construction et c'est également ce qui se passe quand un savant commence par faire des expériences avec des objets qui ne lui sont pas familiers.

Par conséquent, la première approche de tout sujet à l'école, s'il s'agit de développer la pensée et non d'apprendre des mots, doit être aussi peu scolaire que possible. Pour nous faire une idée de ce que signifie une expérience ou une situation empirique, il nous faut avoir à l'esprit le genre de situation qui se présente en dehors de l'école, le genre d'occupations qui suscitent l'intérêt et mettent l'activité en branle dans la vie ordinaire. Et si l'on examine soigneusement les méthodes qui réussissent toujours dans l'éducation organisée, que ce soit en arithmétique ou dans l'apprentissage de la lecture, dans l'étude de la géographie, de la physique ou d'une langue étrangère, on constatera que leur efficacité repose sur le fait qu'elles recourent au type de situation qui provoque la réflexion hors de l'école dans la vie ordinaire. Elles donnent à l'élève quelque chose à faire et non à apprendre, et l'action est telle qu'elle oblige à penser ou à noter des rapports entre les choses, ce qui conduit naturellement à apprendre. [...]

Que la situation soit de nature à susciter la pensée signifie, bien entendu, qu'elle suggère quelque chose qui ne relève ni de la routine ni du caprice – qui soit, en d'autres termes, nouveau (et donc incertain ou problématique) et cependant suffisamment lié aux habitudes prises pour pouvoir provoquer une réponse efficace. Une réponse est efficace quand elle produit un résultat perceptible, par opposition à une activité purement fortuite dans laquelle on ne peut pas relier mentalement les conséquences avec ce qui est fait. Par suite, la question la plus pertinente que l'on puisse poser concernant une situation ou une expérience proposée pour amener un élève à apprendre consiste à savoir quelle est la nature du problème qu'elle implique.

À première vue, on pourrait croire que les méthodes scolaires qui ont cours répondent bien aux exigences requises. Donner des problèmes à résoudre, poser des questions, assigner des tâches, faire ressortir des difficultés, constitue une grande part du travail scolaire. Mais il est indispensable de distinguer entre des problèmes réels et des problèmes fictifs. Les questions suivantes peuvent aider à établir la distinction, a) Y a-t-il autre chose qu'un problème ? La question est-elle posée naturellement dans le cadre d'une situation ou d'une expérience personnelle ? Ou bien, est-ce une question abstraite, un problème simplement destiné à enseigner quelque chose sur un sujet scolaire ? Est-ce que ce qui est demandé conduira l'élève à observer et à expérimenter en dehors de l'école ? b) Est-ce un problème qui intéresse personnellement l'élève, ou est-ce un problème proposé par le maître ou le manuel et qui devient un problème pour l'élève uniquement parce qu'il doit le résoudre pour obtenir la note requise, passer dans la classe supérieure ou s'attirer les bonnes grâces du maître ? Bien évidemment ces deux questions se chevauchent. Ce sont deux manières de parvenir au même point : est-ce que l'expérience est une chose personnelle ainsi faite qu'elle stimule et dirige l'observation des liaisons impliquées et conduit à inférer et à mettre l'inférence à l'épreuve ? Ou bien, l'expérience est-elle imposée de l'extérieur, et le problème de l'élève est-il simplement de se plier à ces exigences extérieures ?

Ces questions peuvent nous donner l'occasion de nous demander dans quelle mesure les pratiques courantes permettent le développement des habitudes de réflexion. Le mobilier et l'organisation matérielle de la salle de classe habituelle s'opposent à l'existence de situations réelles d'expérience. Qu'y a-t-il là qui ressemble aux conditions de la vie de tous les jours et qui soit de nature à engendrer des difficultés ? Presque tout atteste le prix que l'on attache à ce que l'élève écoute, lise et reproduise ce qu'il entend et lit. Il est difficilement possible de surestimer l'opposition entre ces conditions et les situations de contact effectif avec les choses et les gens à la maison, sur le terrain de jeu, dans l'accomplissement des devoirs de la vie de tous les jours. La plupart ne sont même pas comparables avec les questions qui peuvent naître dans l'esprit d'un garçon ou d'une fille quand ils bavardent ou lisent un livre en dehors de l'école. Personne n'a jamais expliqué comment il se fait que les enfants aient tant de questions à poser en dehors de l'école (à telle enseigne qu'ils empoisonnent la vie des adultes si on les encourage en répondant) et témoignent une absence totale de curiosité concernant l'objet des leçons à apprendre pour l'école. Si l'on réfléchit à cette opposition frappante, on comprendra qu'habituellement les conditions scolaires ne fournissent pas un contexte d'expérience dans lequel les problèmes se posent naturellement d'eux-mêmes. Quelle que soit l'amélioration que l'on apporte à la technique personnelle de l'enseignant, on ne pourra pas complètement remédier à cet état de choses. Il y faut plus d'objets réels, de matières, d'instruments et d'occasions de faire des choses. Alors seulement, l'écart entre les deux types de situation pourra être comblé. Quand les enfants sont en train de faire des choses et discutent de ce qui se passe pendant qu'ils les font, on constate que, même avec des méthodes d'enseignement comparativement médiocres, les recherches de ces enfants sont spontanées et multiples et les solutions proposées variées et ingénieuses.

Comme les matériaux et les occupations qui engendrent de vrais problèmes font défaut, les problèmes de l'enfant ne sont pas vraiment les siens ou plutôt ce sont les siens seulement en qualité d'élève, non en qualité d'être humain. Il en résulte un lamentable gâchis quand il s'agit d'appliquer aux affaires de la vie, en dehors de la salle de classe, tout le talent qu'on y a consacré à l'école. L'élève a un problème, mais celui-ci consiste à satisfaire aux exigences particulières du maître. Il s'agit pour lui de déterminer ce que le maître veut, ce qui lui fait plaisir en matière de récitation des leçons, d'examens et de maintien extérieur. Le rapport avec le sujet n'est plus direct. Les occasions et la matière de la pensée ne se trouvent pas dans l'arithmétique, l'histoire ou la géographie elle-même, mais dans l'adaptation adroite de ce matériel aux exigences du maître. L'élève étudie, mais inconsciemment les objets de son étude sont les conventions et les règles du système scolaire et des autorités scolaires, non les études elles-mêmes. La pensée ainsi produite est, au mieux, artificiellement unilatérale. Au pis, le problème de l'élève n'est pas de savoir comment satisfaire aux exigences de la vie scolaire, mais de faire semblant d'y parvenir en en faisant juste assez pour éviter les complications. Le type de jugement acquis de cette façon ne contribue guère à la formation du caractère telle qu'on la souhaite. Si ce que nous venons de dire donne une image un peu trop haute en couleur des méthodes scolaires en usage, la part d'exagération qu'il comporte peut au moins servir à illustrer ce que nous voulons dire : il est indispensable de fournir à l'élève des occupations effectives requérant l'utilisation des objets pour réaliser des fins, si l'on veut le placer dans des situations qui engendrent normalement des problèmes occasionnant des recherches réfléchies.

John Dewey, Démocratie et éducation, éd. Armand Colin, 2011 (première publication en 1916).

Séance 03

L'éducation négative

Lecture

1. En quoi cette éducation est-elle "négative" ? Qu'y a-t-il de "révolutionnaire" dans cette forme d'éducation ? (§ 1 et 2)

2. Quelle expérience propose Rousseau ? Quels rôles jouent la nature et l'enseignant dans cette expérience ? (§3 et 4)

Pistes

Rendez votre élève attentif aux phénomènes de la nature, bientôt vous le rendrez curieux ; mais, pour nourrir sa curiosité, ne vous pressez jamais de la satisfaire. Mettez les questions à sa portée, et laissez-les lui résoudre. Qu'il ne sache rien parce que vous le lui avez dit, mais parce qu'il l'a compris lui-même ; qu'il n'apprenne pas la science, qu'il l'invente. Si jamais vous substituez dans son esprit l'autorité à la raison, il ne raisonnera plus ; il ne sera plus que le jouet de l'opinion des autres.

Vous voulez apprendre la géographie à cet enfant, et vous lui allez chercher des globes, des sphères, des cartes : que de machines ! Pourquoi toutes ces représentations ? que ne commencez-vous par lui montrer l'objet même, afin qu'il sache au moins de quoi vous lui parlez !

Une belle soirée on va se promener dans un lieu favorable, où l'horizon bien découvert laisse voir à plein le soleil couchant, et l'on observe les objets qui rendent reconnaissable le lieu de son coucher. Le lendemain, pour respirer le frais, on retourne au même lieu avant que le soleil se lève. On le voit s'annoncer de loin par les traits de feu qu'il lance au-devant de lui. L'incendie augmente, l'orient paraît tout en flammes ; à leur éclat on attend l'astre longtemps avant qu'il se montre ; à chaque instant on croit le voir paraître ; on le voit enfin. Un point brillant part comme un éclair et remplit aussitôt tout l'espace ; le voile des ténèbres s'efface et tombe. [...]L'homme reconnaît son séjour et le trouve embelli. La verdure a pris durant la nuit une vigueur nouvelle ; le jour naissant qui l'éclaire, les premiers rayons qui la dorent, la montrent couverte d'un brillant réseau de rosée, qui réfléchit à l'œil la lumière et les couleurs. Les oiseaux en chœur se réunissent et saluent de concert le père de la vie ; en ce moment pas un seul ne se tait ; leur gazouillement, faible encore, est plus lent et plus doux que dans le reste de la journée, il se sent de la langueur d'un paisible réveil. Le concours de tous ces objets porte aux sens une impression de fraîcheur qui semble pénétrer jusqu'à l'âme. Il y a là une demi-heure d'enchantement auquel nul homme ne résiste ; un spectacle si grand, si beau, si délicieux, n'en laisse aucun de sang-froid.

Plein de l'enthousiasme qu'il éprouve, le maître veut le communiquer à l'enfant : il croit l'émouvoir en le rendant attentif aux sensations dont il est ému lui-même. Pure bêtise ! c'est dans le cœur de l'homme qu'est la vie du spectacle de la nature ; pour le voir, il faut le sentir. L'enfant aperçoit les objets, mais il ne peut apercevoir les rapports qui les lient, il ne peut entendre la douce harmonie de leur concert. Il faut une expérience qu'il n'a point acquise, il faut des sentiments qu'il n'a point éprouvés, pour sentir l'impression composée qui résulte à la fois de toutes ces sensations. [...]S'il n'a longtemps parcouru des plaines arides, si des sables ardents n'ont brûlé ses pieds, si la réverbération suffocante des rochers frappés du soleil ne l'oppressa jamais, comment goûtera-t-il l'air frais d'une belle matinée ? comment le parfum des fleurs, le charme de la verdure, l'humide vapeur de la rosée, le marcher mol et doux sur la pelouse, enchanteront-ils ses sens ? Comment le chant des oiseaux lui causera-t-il une émotion voluptueuse, si les accents de l'amour et du plaisir lui sont encore inconnus ? Avec quels transports verra-t-il naître une si belle journée, si son imagination ne sait pas lui peindre ceux dont on peut la remplir ? Enfin comment s'attendrira-t-il sur la beauté du spectacle de la nature, s'il ignore quelle main prit soin de l'orner ?

Ne tenez point à l'enfant des discours qu'il ne peut entendre. Point de descriptions, point d'éloquence, point de figures, point de poésie. Il n'est pas maintenant question de sentiment ni de goût. Continuez d'être clair, simple et froid ; le temps ne viendra que trop tôt de prendre un autre langage.

Élevé dans l'esprit de nos maximes, accoutumé à tirer tous ses instruments de lui-même, et à ne recourir jamais à autrui qu'après avoir reconnu son insuffisance, à chaque nouvel objet qu'il voit il l'examine longtemps sans rien dire. Il est pensif et non questionneur. Contentez-vous de lui présenter à propos les objets ; puis, quand vous verrez sa curiosité suffisamment occupée, faites-lui quelque question laconique qui le mette sur la voie de la résoudre. Dans cette occasion, après avoir bien contemplé avec lui le soleil levant, après lui avoir fait remarquer du même côté les montagnes et les autres objets voisins, après l'avoir laissé causer là-dessus tout à son aise, gardez quelques moments le silence comme un homme qui rêve, et puis vous lui direz : Je songe qu'hier au soir le soleil s'est couché là, et qu'il s'est levé là ce matin. Comment cela peut-il se faire ? N'ajoutez rien de plus : s'il vous fait des questions, n'y répondez point ; parlez d'autre chose. Laissez-le à lui-même, et soyez sûr qu'il y pensera.

Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l'éducation, 1762.

Nous eûmes assez longtemps un vent favorable pour aller en Sicile ; mais ensuite une noire tempête déroba le ciel à nos yeux, et nous fûmes enveloppés dans une profonde nuit. À la lueur des éclairs, nous aperçûmes d'autres vaisseaux exposés au même péril ; et nous reconnûmes bientôt que c'étaient les vaisseaux d'Énée : ils n'étaient pas moins à craindre pour nous que les rochers. Alors je compris, mais trop tard, ce que l'ardeur d'une jeunesse imprudente m'avait empêché de considérer attentivement. Mentor parut, dans ce danger, non-seulement ferme et intrépide, mais encore plus gai qu'à l'ordinaire : c'était lui qui m'encourageait ; je sentais qu'il m'inspirait une force invincible. Il donnait tranquillement tous les ordres, pendant que le pilote était troublé. Je lui disais : Mon cher Mentor, pourquoi ai-je refusé de suivre vos conseils ? Ne suis-je pas malheureux d'avoir voulu me croire moi-même, dans un âge où l'on n'a ni prévoyance de l'avenir, ni expérience du passé, ni modération pour ménager le présent ? Oh ! si jamais nous échappons de cette tempête, je me défierai de moi-même comme de mon plus dangereux ennemi : c'est vous, Mentor, que je croirai toujours.

Mentor, en souriant, me répondait : Je n'ai garde de vous reprocher la faute que vous avez faite ; il suffit que vous la sentiez, et qu'elle vous serve à être une autre fois plus modéré dans vos désirs. Mais, quand le péril sera passé, la présomption reviendra peut-être. Maintenant il faut se soutenir par le courage. Avant que de se jeter dans le péril, il faut le prévoir et le craindre ; mais, quand on y est, il ne reste plus qu'à le mépriser. Soyez donc le digne fils d'Ulysse ; montrez un cœur plus grand que tous les maux qui vous menacent.

La douceur et le courage du sage Mentor me charmèrent ; mais je fus encore bien plus surpris quand je vis avec quelle adresse il nous délivra des Troyens. Dans le moment où le ciel commençait à s'éclaircir et où les Troyens, nous voyant de près, n'auraient pas manqué de nous reconnaître, il remarqua un de leurs vaisseaux qui était presque semblable au nôtre, et que la tempête avait écarté. La poupe en était couronnée de certaines fleurs : il se hâta de mettre sur notre poupe des couronnes de fleurs semblables ; il les attacha lui-même avec des bandelettes de la même couleur que celles des Troyens ; il ordonna à tous nos rameurs de se baisser le plus qu'ils pourraient le long de leurs bancs, pour n'être point reconnus des ennemis. En cet état, nous passâmes au milieu de leur flotte : ils poussèrent des cris de joie en nous voyant, comme en voyant des compagnons qu'ils avaient crus perdus.

Fénelon, Thélémaque, livre premier, 1699.

Le lion court au chien : "Ami, je te confie

Le bonheur de l'État et celui de ma vie ;

Prends mon fils, sois son maître, et, loin de tout flatteur,

S'il se peut, va former son cœur."

Il dit, et le chien part avec le jeune prince.

D'abord à son pupille il persuade bien

Qu'il n'est point lionceau, qu'il n'est qu'un pauvre chien,

Son parent éloigné. De province en province

Il le fait voyager, montrant à ses regards

Les abus du pouvoir, des peuples la misère,

Les lièvres, les lapins mangés par les renards,

Les moutons par les loups, les cerfs par la panthère,

Partout le faible terrassé,

Le bœuf travaillant sans salaire,

Et le singe récompensé.

Le jeune lionceau frémissait de colère.

"Mon père, disait-il, de pareils attentats

Sont-ils connus du roi ?" - "Comment pourraient-ils l'être ?

Disait le chien : les grands approchent seuls du maître,

Et les mangés ne parlent pas."

Ainsi, sans raisonner de vertu, de prudence,

Notre jeune lion devenait tous les jours

Vertueux et prudent : car c'est l'expérience

Qui corrige, et non les discours.

Florian, "L'Éducation du Lion", Fables, 1793.

Lexique

1. Quels sont tous les sens du mot "objet" dans ces expressions : un objet céleste, un objet volant non identifié, une vente d'objets, un objet de dégoût/d'admiration, l'objet d'une réunion, une plainte sans objet, complément d'objet ?

2. Trouvez le plus de mots possibles dérivés du mot "objet".

Séance 04

La négation

Observation

1. Comparez la négation dans les deux phrases suivantes : "Qu'il ne sache rien", "qu'il n'apprenne pas la science".

2. Expliquez ce que signifie la négation dans la phrase suivante : "il ne sera plus que le jouet de l'opinion des autres."

Notion

La négation

Application

1. Identifiez et analysez les différentes négations présentes dans cette phrase : "N'ajoutez rien de plus : s'il vous fait des questions, n'y répondez point."

2. Qu'est-ce que la négation suivante a d'inhabituel : "Que ne commencez-vous par lui montrer l'objet même [?]"

3. La négation suivante est-elle totale ou partielle ? "Pour nourrir sa curiosité, ne vous pressez jamais de la satisfaire".

4. Mettez les phrases suivantes à la forme négative de plusieurs façons différentes : "Mettez les questions à sa portée".

Séance 05

La bonne éducation

Bilan

Quels textes, quels documents vous ont marqué pendant cette séquence ? Pourquoi ? Qu'est-ce que ces textes, ces documents vous ont appris ?

Écriture

Dans votre Journal de lecteur, écrivez le titre : "La bonne éducation" puis répondez à la question suivante, de façon argumentée : Selon vous, faut-il toujours répondre aux besoins et aux questions de l'enfant ?

On attend que vous exprimiez une opinion convaincante, que vous justifierez par des arguments et par des exemples littéraires, tirés notamment des textes étudiés en classe, mais aussi de vos lectures peronnelles.

Vous rédigerez au moins trois paragraphes.

Pistes

Essai

On s'efforce aujourd'hui de considérer l'enfant comme une personne, non comme une chose ou un animal, comme cela a pu être le cas autrefois. Mais, pour autant, doit-on toujours répondre à ses besoins et à ses questions ? Nous verrons dans un premier temps l'importance d'écuter l'enfant, puis dans un second temps comment ne pas répondre à ses besoins peut aider l'enfant à grandir.


Il devrait être évident pour tous aujourd'hui qu'un enfant est un être sensible, qui a besoin d'être écouté, parce qu'il ne peut pas satisfaire ses besoins seul. Il est dépendant de ses parents. Et cette dépendance reste importante pendant des années. Comme le montre Catherine Gueguen dans son livre Lettre à un jeune parent, ce constat devrait nous inciter à être plus sensible aux besoins et aux sentiments des enfants. C'est ce que promeut l'éducation positive : considérer l'enfant comme une personne, avec des besoins et des questionnements très forts, qui parfois le submergent. Inutile alors d'user de violence verbale ou physique. Il faut écouter, dialoguer et répondre aux enfants.

Cependant, il me paraît aussi nécessaire de ne pas répondre, du moins pas immédiatement, à certains besoins. L'enfant peut à la fois se sentir écouté, et comprendre qu'il doit attendre pour certaines choses. L'attente est un puissant facteur de développement. L'enfant va chercher par lui-même, essayer de trouver des moyens pour obtenir ce dont il a besoin pour devenir plus autonome ou bien apprendre la patience, la maîtrise de soi. C'est peut-être le message du tableau de Chardin, intitulé "La Bonne éducation". On y voit une jeune fille qui écoute patiemment. Et, sans doute, la patience est une qualité indispensable, comme le montre la célébre expérience du chamallow. Certes, l'enfant est un être sensible, qu'il faut écouter. Mais c'est aussi un être en devenir, qui doit développer la patience, la maîtrise de soi, et toutes les qualités qui lui permettront de vivre en société.

De même, laisser des questions en suspens est nécessaire selon moi. Si on répond tout le temps, il n'y a pas de recherche intellectuelle. Ce sont les questions, les doutes, les problèmes qui font progresser. C'est ce que montre Rousseau dans L'Émile : il recommande au pédagogue de faire en sorte que l'enfant se pose des questions, mais sans jamais y répondre, pour qu'il cherche par lui-même. Il propose, par exemple, au cours d'une sortie, d'amener l'enfant à constater que le soleil se couche et se lève en des points opposés, mais sans lui donner aucune explication. Savoir poser des problèmes et laisser l'enfant les résoudre est sans doute le fondement de la pédagogie.


Il me paraît donc nécessaire d'écouter l'enfant pour répondre à ses besoins, parce qu'il est en grande partie dépendant de nous pour cela. Cependant, pour certains besoins et certaines questions, temporiser, faire attendre me semble tout aussi indispensable pour l'éducation de l'enfant. De même, amener l'enfant à se poser des questions et à chercher par lui-même les réponses est nécessaire pour éveiller son esprit. Il me semble que, comme Montaigne le disait, il vaut mieux un esprit bien fait qu'un esprit bien plein.