Objet d'étude : Le personnage de roman, du XVIIème siècle à nos jours
Problématique générale : Dans quelle mesure le personnage de Bardamu nous fait-il entendre une voix qu'on n'avait jamais entendue auparavant ?
A partir de l'entretien de Céline, indiquez quelle est la vision du roman qu'il propose.
1. Préparez une lecture orale de la première page du roman.
2. Qu'est-ce qui rend cette prise de parole surprenante ?
1. Y a-t-il un ordre dans ce tableau ?
2. Décrivez la scène représentée par l'artiste.
3. Quel point de vue le peintre a-t-il choisi sur cette scène ?
P. Brueghel L'Ancien, Le Combat de Carnaval et de Carême, XVIe s.
Dans une lettre à un écrivain, Céline écrit :
Vous connaissez certainement, Maître, l'énorme fête des fous de P. Brughel. Elle est à Vienne. Tout le problème n'est pas ailleurs pour moi...
Je voudrais bien comprendre autre chose - je ne comprends pas autre chose. Je ne peux pas. Tout mon délire est dans ce sens et je n'ai guère d'autres délires.
Je ne me réjouis que dans le grotesque aux confins de la mort. Tout le reste m'est vain. A bientôt, Maître, et très sincèrement reconnaissant.
Destouches
Lettre à Léon Daudet, Vienne, le 30 décembre 1932.
1. Quel mot Céline utilise-t-il pour décrire son inspiration ?
2. En quoi peut-on rapprocher le tableau du roman de Céline ?
3. A quelle tradition se rattache l'alliance du grotesque et de la mort ?
Un récit comique ou horrible ?
Ferdinand Bardamu s'est engagé dans l'armée française, lors de la Première Guerre mondiale, et se trouve au front. Alors qu'il accompagne un colonel, un messager arrive.
Nos allemands accroupis au fin fond de la route venaient justement de changer d'instrument. C'est à la mitrailleuse qu'ils poursuivaient leurs sottises; ils en craquaient comme de gros paquets d'allumettes et tout autour de nous venaient voler des essaims de balles rageuses, pointilleuses comme des guêpes.
L'homme arriva tout de même à sortir de sa bouche quelque chose d'articulé:
- Le maréchal des logis Barousse vient d'être tué, mon colonel, qu'il dit tout d'un trait.
- Et alors ?
- Il a été tué en allant chercher le fourgon à pain sur la route des Etrapes, mon colonel !
- Et alors ?
- Il a été éclaté par un obus !
- Et alors, nom de Dieu !
- Et voilà ! Mon colonel...
- C'est tout ?
- Oui, c'est tout, mon colonel.
- Et le pain ? demanda le colonel.
Ce fut la fin de ce dialogue parce que je me souviens bien qu'il a eu le temps de dire tout juste: "Et le pain ?" Et puis ce fut tout. Après ça, rien que du feu et puis du bruit avec. Mais alors un de ces bruits comme on croirait jamais qu'il en existe. On en a eu tellement plein les yeux, les oreilles, le nez, la bouche, tout de suite, du bruit, que je croyais bien que c'était fini que j'étais devenu du feu et du bruit moi-même.
Et puis non, le feu est parti, le bruit est resté longtemps dans ma tête et puis les bras et les jambes qui tremblaient comme si quelqu'un vous les secouait de par derrière. Ils avaient l'air de me quitter, et puis ils me sont restés quand même mes membres. Dans la fumée qui piqua les yeux encore pendant longtemps, l'odeur pointue de la poudre et du souffre nous restait comme pour tuer les punaises et les puces de la terre entière.
Tout de suite après ça, j'ai pensé au maréchal des logis Barousse qui venait d'éclater comme l'autre nous l'avait appris. C'était une bonne nouvelle. Tant mieux ! que je pensais tout de suite ainsi: "C'est une bien grande charogne en moins dans le régiment !" Il avait voulu me faire passer au Conseil pour une boîte de conserve. "Chacun sa guerre !" que je me dis. De ce côté-là, faut en convenir, de temps en temps, elle avait l'air de servir à quelque chose la guerre ! J'en connaissais bien encore trois ou quatre dans le régiment, de sacrées ordures que j'aurais aidé bien volontiers à trouver un obus comme Barousse.
Quant au colonel, lui, je ne lui voulais pas de mal. Lui pourtant aussi il était mort. Je ne le vis plus, tout d'abord. C'est qu'il avait été déporté sur le talus, allongé sur le flanc par l'explosion et projeté jusque dans les bras du cavalier à pied, le messager, fini lui aussi. Ils s'embrassaient tous les deux pour le moment et pour toujours, mais le cavalier n'avait plus sa tête, rien qu'une ouverture au-dessus du cou, avec du sang dedans qui mijotait en glouglous comme de la confiture dans la marmite. Le colonel avait son ventre ouvert, il en faisait une sale grimace. Ça avait dû lui faire du mal ce coup-là au moment où c'était arrivé. Tant pis pour lui ! S'il était parti dès les premières balles, ça ne lui serait pas arrivé.
Toutes ces viandes saignaient énormément ensemble.
Des obus éclataient encore à la droite et à la gauche de la scène.
J'ai quitté ces lieux sans insister, joliment heureux d'avoir un aussi beau prétexte pour foutre le camp. J'en chantonnais même un brin, en titubant, comme quand on a fini une bonne partie de canotage et qu'on a les jambes un peu drôles. "Un seul obus ! C'est vite arrangé les affaires tout de même, avec un seul obus", que je me disais. "Ah ! dis donc ! que je me répétais tout le temps. Ah ! dis donc !..."
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, coll. Folio, éd. Gallimard, 1952.
1. Comment le tableau est-il composé ?
2. Observez la présence humaine dans le paysage.
3. En quoi ce tableau est-il expressionniste ?
4. En quoi peut-on rapprocher ce tableau du texte de Céline ?
O. Dix, engagé volontaire lors de la première guerre mondiale, exprime dans ses toiles expressionnistes l'horreur de la guerre. Ce tableau, inspiré par Le Feu, d'H. Barbusse, est l'une de ses dernières toiles sur ce thème.
O. Dix, Flandres, 1934.
Organisez un débat littéraire autour du roman de Céline. Six élèves incarneront les cinq critiques et Céline.
Selon Bernanos, "la peinture de M. Céline est [...] vraie."
Pensez-vous que les personnages de roman, et en particulier ceux du Voyage, puissent permettre de connaître la vérité du coeur humain ?
1"Le livre de M. Louis-Ferdinand Céline couvre également six cents pages ; tant de grossièretés et d'obscénités le déparent qu'on ne peut en parler qu'avec précaution. Imaginez une espèce d'autobiographie frénétique et truculente, qui tour à tour évoque M. Blaise Cendrars, M. Aragon ou Laurent Tailhade. Le talent de l'auteur est incontestable ; son imitation de la langue parlée brille par un naturel et une fécondité rares. Les premiers chapitres, quoique d'une violence si continue que les effets s'y perdent, ont de la tenue. Le ton dégénère ensuite, et la littérature envahit peu à peu le style. Le héros, d'abord à la guerre, puis étudiant puis colonial, enfin médecin de banlieue, semble voir l'existence à travers d'étranges lunettes. Il est doué pour la satire. Mais il trouve moyen d'être bien fastidieux à force de verve, et bien gris à force de couleur." André Thérive, dans Le Temps, 24 novembre 1932, in Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, coll. Folio, éd. Gallimard 2"Pour nous la question n'est pas de savoir si la peinture de M. Céline est atroce, nous demandons si elle est vraie. Elle l'est. Et plus vrai encore que la peinture, ce langage inouï, comble du naturel et de l’artifice, inventé, créé de toutes pièces à l’exemple de la tragédie , aussi loin que possible d’une reproduction servile du langage des misérables, mais fait justement pour exprimer ce que le langage des misérables ne saura jamais exprimer, la sombre enfance des misérables. Oui, telle est la part maudite, la part honteuse, la part réprouvée de notre peuple. Et certes, nous conviendrons volontiers qu'il est des images plus rassurantes de la société moderne, et par exemple l'image militaire: à droite les Bons Pauvres gratifiés d'un galon de premier soldat, de l'autre côté les Mauvais, qu'on fourre au bloc... Seulement n'importe quel vieux prêtre de la Zone, auquel il arrive parfois de confesser les héros de M. Céline, vous dira que Céline a raison." Georges Bernanos, "Au bout de la nuit", dans Le Figaro, 13 décembre 1932, in Céline, coll. Découvertes Gallimard, éd. Gallimard. 3"Ce livre asphyxiant dont on n'a que trop parlé à l'occasion des derniers prix, et dont il ne faut conseiller la lecture à personne, possède le pouvoir de nous faire vivre au plus épais de cette humanité désespérée qui campe aux portes de toutes les grandes villes du monde moderne." François Mauriac, L'Echo de Paris, 31 décembre 1932, in Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, coll. Folio, éd. Gallimard |
4"Une invitation au voyage est toujours tentante, même si ce voyage doit nous conduire "au bout de la nuit", et c'est celui-là que nous propose M. Louis-Ferdinand Céline. Avant de nous mettre en chemin, nous savons que la route sera longue et que pour arriver où M. Céline s'offre à nous mener il faudra traverser six cent vingt-trois pages d'un texte serré... [...] J'avoue que le roman ne semble pas gagner beaucoup à ces dimensions démesurées. En tout cas, celui de M. Céline ne contribuera pas à m'en donner le goût. J'ai éprouvé à le lire un lourd ennui, et j'ajoute que ce n'est pas seulement de l'ennui que j'en ai retiré... Je n'y ai trouvé, en effet, ni sujet ni composition, et la structure en est d'une assez grossière simplicité. c'est ce que l'on pourrait appeler un récit "à tiroirs" sans intrigue, sans action et qui consiste en une suite de tableaux et d'épisodes destinés à nous donner des vues sur la vie, les êtres et sur le narrateur de cette fastidieuse, morne et répugnante confession qui pourrait se continuer indéfiniment, qui commence sans raison et se termine de même. Le narrateur est un sombre bavard et un raseur impitoyable dont il nous faut écouter l'intarissable monologue. [...] Pour le suivre en ce "voyage au bout de la nuit", mettons-nous des bottes d'égoutier et bouchons-nous le nez. Cette "esthétique" se rattache à l'esthétique du Naturalisme de 1880 que M. Céline continue et à celle des satiristes de tous les temps. A ces derniers on a toujours concédé une certaine liberté et une certaine crudité de langage. [...] Il est convenu, en effet, que le satiriste a droit à son franc-parler et que nous devons accepter l'expression de ses violences, aussi bien que l'éxagération de ses haines et de ses invectives, mais M. Céline n'a ni la verve ironique d'un Voltaire ni la tragique éloquence d'un Agrippa d'Aubigné. Sa satire est déplorablement dépourvue d'esprit et de lyrisme. M. Céline s'en tient à un réalisme bassement terre à terre que ne relève ni l'originalité de l'observation ni la qualité du style." Henry de Régnier, dans le Figaro, 3 janvier 1933, in Céline, coll. Découvertes Gallimard, éd. Gallimard. 5"Quand on a lu pour la première fois Voyage au bout de la nuit, c'était comme une délivrance: tout à coup, la langue parlée faisait irruption dans la littérature. Pour quelques-uns d'entre nous, Céline était un sauveur." Nathalie Sarraute, Interview, Libération, 29 septembre 1989, in Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, coll. Folio, éd. Gallimard |
1. Selon le document B, quelles sont les conséquences de la colonisation ? Comment retrouve-t-on ce constat dans le premier texte ?
2. Comparez les stratégies argumentatives des deux textes.
Commentez le document A, en vous appuyant sur le parcours de lecture suivant :
- montrez en quoi la scène racontée est révoltante
- montrez que ce texte critique violemment le système colonialiste et ses effets
Le collègue au "corocoro" achetait du caoutchouc de traite, brut, qu’on lui apportait de la brousse, en sacs, en boules humides.
Comme nous étions là, jamais las de l’entendre, une famille de récolteurs, timide, vient se figer sur le seuil de la porte. Le père en avant des autres, ridé, ceinturé d'un petit pagne orange, son long coupe-coupe à bout de bras.
Il n'osait pas entrer le sauvage. Un des commis indigènes l'invitait pourtant : "Viens, bougnoule ! Viens voir ici! Nous y a pas bouffer sauvage !" Ce langage finit par les décider. Ils pénétrèrent dans la cagna cuisante au fond de laquelle tempêtait notre homme au "corocoro".
Ce Noir n'avait encore, semblait-il, jamais vu de boutique, ni de Blanc peut-être. Une de ses femmes le suivait, yeux baissés, portant sur le sommet de la tête, en équilibre, le gros panier rempli de caoutchouc brut.
D'autorité les commis recruteurs s'en saisirent de son panier pour peser le contenu sur la balance. Le sauvage ne comprenait pas plus le truc de la balance que le reste. La femme n'osait toujours pas relever la tête. Les autres nègres de la famille les attendaient dehors, avec les yeux bien écarquillés. On les fit entrer aussi, enfants compris et tous, pour qu'ils ne perdent rien du spectacle.
C’était la première fois qu’ils venaient comme ça tous ensemble de la forêt, vers les Blancs en ville. Ils avaient dû s’y mettre depuis bien longtemps les uns et les autres pour récolter tout ce caoutchouc-là. Alors forcément le résultat les intéressait tous. C’est long à suinter le caoutchouc dans les petits godets qu’on accroche au tronc des arbres. Souvent, on n’en a pas plein un petit verre en deux mois.
Pesée faite, notre gratteur entraîna le père, éberlué, derrière son comptoir et avec un crayon lui fit son compte et puis lui enferma dans le creux de la main quelques pièces en argent. Et puis : "Va-t'en! qu'il lui a dit comme ça. C'est ton compte !..."
Tous les petits amis blancs s'en tordaient de rigolade, tellement il avait bien mené son business. Le nègre restait planté penaud devant le comptoir avec son petit caleçon orange autour du sexe.
"Toi, y a pas savoir argent? Sauvage alors? que l'interpelle pour le réveiller l'un de nos commis, débrouillard, habitué et bien dressé sans doute à ces transactions péremptoires. Toi y en a pas parler "francé" dis ? Toi y en a gorille encore hein ?... Toi y en a parler quoi hein ? Kous Kous ? Mabillia ? Toi y en a couillon ! Bushman ! Plein couillon !"
Mais il restait devant nous le sauvage, la main refermée sur les pièces. Il se serait bien sauvé, s'il avait osé, mais il n'osait pas.
"Toi y en a acheté alors quoi avec ton pognon ? intervint le "gratteur" opportunément. J'en ai pas vu un aussi con que lui tout de même depuis bien longtemps, voulut-il bien remarquer. Il doit venir de loin celui-là! Qu'est-ce que tu veux ? Donne-moi le ton pognon !"
Il lui reprit l'argent d'autorité et à la place des pièces lui chiffonna dans le creux de la main un grand mouchoir très vert qu'il avait été cueillir finement dans une cachette du comptoir.
Le père nègre hésitait à s'en aller avec ce mouchoir. Le gratteur fit alors mieux encore. Il connaissait décidément tous les trucs du commerce conquérant. Agitant devant les yeux d'un des tous petits Noirs enfants, le grand morceau vert d'étamine : "Tu le trouves pas beau, toi, dis morpion ? T'en as souvent vu comme ça, dis ma mignonne, dis ma petite charogne, dis mon petit boudin, des mouchoirs ?" Et il le lui noua autour du cou, d'autorité, question de l'habiller.
La famille sauvage contemplait à présent le petit orné de cette grande chose en cotonnade verte... Il n'y avait plus rien à faire puisque le mouchoir venait d'entrer dans la famille. Il n'y avait plus qu'à l'accepter, le prendre et s'en aller.
Tous se mirent donc à reculer lentement, franchirent la porte, et au moment où le père se retournait, en dernier, pour dire quelque chose, le commis le plus dessalé qui avait des chaussures le stimula, le père, par un grand coup de botte en plein dans les fesses.
L. F. Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932.
Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a au Viêt-Nam une tête coupée et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fille violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et « interrogés », de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent.
Et alors, un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s’affairent, les prisons s’emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets.
On s’étonne, on s’indigne. On dit : « Comme c’est curieux ! Mais, bah ! C’est le nazisme, ça passera ! » Et on attend, et on espère ; et on se tait à soi-même la vérité, que c’est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries ; que c’est du nazisme, oui, mais qu’avant d’en être la victime, on a en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens ; que ce nazisme-là, on l’a cultivé, on en est responsable, et qu’il sourd, qu’il perce, qu’il goutte, avant de l’engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne.
Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXème siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique.
A. Césaire, Discours sur le colonialisme (extrait), 1950.
1. Selon vous, pourquoi le choix du noir et blanc ?
2. Commentez les choix d'échelle de plan.
3. Comment Bardamu et les personnages sont-ils représentés ?
Illustrations de J. Tardi extraites de Voyage au bout de la nuit, coll. Futuropolis, éd. gallimard, 1988.
Comparez cet extrait avec l'extrait étudié sur la guerre.
1. Quels points communs et quelles différences pouvez-vous mettre en évidence ?
2. Quels sens donnez-vous à ce rapprochement ?
Tout tremblait dans l’immense édifice et soi-même des pieds aux oreilles possédé par le tremblement, il en venait des vitres et du plancher et de la ferraille, des secousses, vibré de haut en bas. On en devenait machine aussi soi-même à force et de toute sa viande encore tremblotante dans ce bruit de rage énorme qui vous prenait le dedans et le tour de la tête et plus bas vous agitant les tripes et remontait aux yeux par petits coups précipités, infinis, inlassables. A mesure qu’on avançait on les perdait les compagnons. On leur faisait un petit sourire à ceux-là en les quittant comme si tout ce qui se passait était bien gentil. On ne pouvait plus ni se parler ni s’entendre. Il en restait à chaque fois trois ou quatre autour d’une machine.
On résiste tout de même, on a du mal à se dégoutter de sa substance, on voudrait bien arrêter tout ça pour qu’on y réfléchisse, et entendre en soi son cœur battre facilement, mais ça ne se peut plus. Ca ne peut plus finir. Elle est en catastrophe cette infinie boîte aux aciers et nous on tourne dedans et avec les machines et avec la terre. Tous ensemble ! Et les mille roulettes et les pilons qui ne tombent jamais en même temps avec des bruits qui s’écrasent les uns contre les autres et certains si violents qu’ils déclenchent autour d’eux comme des espèces de silences qui vous font un peu de bien.
Le petit wagon tortillard garni de quincaille se tracasse pour passer entre les outils. Qu'on se range! Qu'on bondisse pour qu'il puisse démarrer encore un coup le petit hystérique ! Et hop ! il va frétiller plus loin ce fou clinquant parmi les courroies et volants, porter aux hommes leur ration de contraintes.
Les ouvriers penchés soucieux de faire tout le plaisir possible au machines vous écœurent, à leur passer les boulons au calibre, et des boulons encore, au lieu d’en finir une fois pour toutes, avec cette odeur d’huile, cette buée qui brûle les tympans et le dedans des oreilles par la gorge. C’est pas la honte qui leur fait baisser la tête. On cède au bruit comme on cède à la guerre. On se laisse aller aux machines avec les trois idées qui restent à vaciller tout en haut derrière le front de la tête. C’est fini. Partout ce qu’on regarde, tout ce que la main touche, c’est dur à présent. Et tout ce dont on arrive à se souvenir encore un peu est raidi aussi comme du fer et n’a plus de goût dans la pensée.
On est devenu salement vieux d’un seul coup.
Il faut abolir la vie du dehors, en faire aussi d’elle de l’acier, quelque chose d’utile. On l’aimait pas assez telle qu’elle était, c’est pour ça. Faut en faire un objet donc, du solide, c’est la Règle.
J'essayais de lui parler au contremaître à l'oreille, il a grogné comme un cochon en réponse et par les gestes seulement il m'a montré, bien patient, la très simple manœuvre que je devais accomplir désormais pour toujours. Mes minutes, mes heures, mon reste de temps comme ceux d'ici s'en iraient à passer des petites chevilles à l'aveugle d'à côté qui calibrait, lui, depuis des années les chevilles, les mêmes. Moi j’ai fait ça tout de suite très mal. On ne me blâma point, seulement après trois jours de ce labeur initial, je fus transféré, raté déjà, au trimballage du petit chariot rempli de rondelles, celui qui cabotait d’une machine à l’autre. Là, j’en laissais trois, ici douze, là-bas quinze seulement. Personne ne me parlait. On existait plus que par une sorte d’hésitation entre l’hébétude et le délire. Rien n'importait que la continuité fracassante des mille et mille instruments qui commandaient les hommes.
Quand à six heures tout s’arrête on emporte le bruit dans sa tête. J’en avais encore moi pour la nuit entière de bruit et d’odeur à l’huile aussi comme si on m’avait mis un nez nouveau, un cerveau nouveau pour toujours.
Alors à force de renoncer, peu à peu, je suis devenu comme un autre... Un nouveau Ferdinand.
L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932.
Imaginez et composez un recueil de plusieurs brefs courriers et des cartes postales envoyées par Bardamu à sa famille, à ses amis, aux autorités à chaque étape importante de son périple.
Votre travail comprendra des textes et des images.
On attend au minimum cinq brefs messages.
Vous serez notés sur
Evidemment, une imitation du style célinien sera admise, dans la mesure où cela se justifie par le destinataire.