Objet d'étude : Le roman et le récit du XVIIIe siècle au XXIe siècle.
Problématique générale : Le colonel Chabert, héros d'une autre époque
Support : Balzac, Le Colonel Chabert, coll. Folio Classique, éd. Gallimard.
Axes d'exposés possibles : les lieux et les itinéraires dans le roman ; la justice ; les noms des personnages ; l'Histoire et l'évolution de la société ; la place de l'argent.
Quelles oeuvres de fiction racontent le retour parmi les vivants d'une personne morte ou présumée telle ?
Soit le film 'Les Revenants', du débat à 4'.
1. Quelle image des "revenants" est donnée dans ce film ?
2. Quelle est l'attitude des vivants vis-à-vis de ces "revenants" ?
Le film de R. Campillo évoque les problèmes posés par le retour des morts parmi les vivants : leur retrouvailles avec leurs proches qui avaient fait leur deuil, leur réinsertion dans leur milieu professionnel.
R. Campillo, Les Revenants, 2004.
Le Colonel Chabert raconte l'histoire d'un héros de guerre, le colonel Chabert, déclaré mort par erreur lors d'une bataille, et qui revient à Paris plusieurs années après pour réclamer ses droits.
- Monsieur, répondit-il, j'ai déjà eu l'honneur de vous prévenir que je ne pouvais expliquer mon affaire qu'à monsieur Derville, je vais attendre son lever.
Boucard avait fini son addition. Il sentit l'odeur de son chocolat, quitta son fauteuil de canne, vint à la cheminée, toisa le vieil homme, regarda le carrick et fit une grimace indescriptible. Il pensa probablement que, de quelque manière que l'on tordît ce client, il serait impossible d'en extraire un centime ; il intervint alors par une parole brève, dans l'intention de débarrasser l'étude d'une mauvaise pratique.
- Ils vous disent la vérité, monsieur. Le patron ne travaille que pendant la nuit. Si votre affaire est grave, je vous conseille de revenir à une heure du matin.
Le plaideur regarda le Maître clerc d'un air stupide, et demeura pendant un moment immobile. Habitués à tous les changements de physionomie et aux singuliers caprices produits par l'indécision ou par la rêverie qui caractérisent les gens processifs, les clercs continuèrent à manger, en faisant autant de bruit avec leurs mâchoires que doivent en faire des chevaux au râtelier, et ne s'inquiétèrent plus du vieillard.
- Monsieur, je viendrai ce soir, dit enfin le vieux qui par une ténacité particulière aux gens malheureux voulait prendre en défaut l'humanité.
La seule épigramme permise à la misère est d'obliger la Justice et la Bienfaisance à des dénis injustes. Quand les malheureux ont convaincu la Société de mensonge, ils se rejettent plus vivement dans le sein de Dieu.
- Ne voilà-t-il pas un fameux crâne ? dit Simonnin sans attendre que le vieillard eût fermé la porte.
- Il a l'air d'un déterré, reprit le clerc.
- C'est quelque colonel qui réclame un arriéré, dit le Maître clerc.
- Non, c'est un ancien concierge, dit Godeschal.
- Parions qu'il est noble, s'écria Boucard.
- Je parie qu'il a été portier, répliqua Godeschal. Les portiers sont seuls doués par la nature de carricks usés, huileux et déchiquetés par le bas comme l'est celui de ce vieux bonhomme. Vous n'avez donc vu ni ses bottes éculées qui prennent l'eau, ni sa cravate qui lui sert de chemise ? Il a couché sous les ponts.
- Il pourrait être noble et avoir tiré le cordon, s'écria Desroches. Ça s'est vu !
- Non, reprit Boucard au milieu des rires, je soutiens qu'il a été brasseur en 1789, et colonel sous la République.
- Ah ! je parie un spectacle pour tout le monde qu'il n'a pas été soldat, dit Godeschal.
- Ça va, répliqua Boucard.
- Monsieur ! monsieur ? cria le petit clerc en ouvrant la fenêtre.
- Que fais-tu, Simonnin ? demanda Boucard.
- Je l'appelle pour lui demander s'il est colonel ou portier, il doit le savoir, lui.
Tous les clercs se mirent à rire. Quant au vieillard, il remontait déjà l'escalier.
- Qu'allons-nous lui dire ? s'écria Godeschal.
- Laissez-moi faire ! répondit Boucard.
Le pauvre homme rentra timidement en baissant les yeux, peut-être pour ne pas révéler sa faim en regardant avec trop d'avidité les comestibles.
- Monsieur, lui dit Boucard, voulez-vous avoir la complaisance de nous donner votre nom, afin que le patron sache si…
- Chabert.
- Est-ce le colonel mort à Eylau ? demanda Hulé qui n'ayant encore rien dit était jaloux d'ajouter une raillerie à toutes les autres.
- Lui-même, monsieur, répondit le bonhomme avec une simplicité antique. Et il se retira.
H. de Balzac, Le Colonel Chabert, 1832.
Trouvez sur Internet un portrait qui corresponde à cette description.
1. Montrez qu'il s'agit d'une apparition stupéfiante.
2. Comment le personnage de roman se transforme-t-il en personnage de tableau ?
3. Montrez comment le portrait présente un revenant au lourd passé.
Comparez ce premier portrait avec le second p. 128-129. Que remarquez-vous ?
Le jeune avoué demeura pendant un moment stupéfait en entrevoyant dans le clair-obscur le singulier client qui l'attendait. Le colonel Chabert était aussi parfaitement immobile que peut l'être une figure en cire de ce cabinet de Curtius où Godeschal avait voulu mener ses camarades. Cette immobilité n'aurait peut-être pas été un sujet d'étonnement, si elle n'eut complété le spectacle surnaturel que présentait l'ensemble du personnage. Le vieux soldat était sec et maigre. Son front, volontairement caché sous les cheveux de sa perruque lisse, lui donnait quelque chose de mystérieux. Ses yeux paraissaient couverts d'une taie transparente : vous eussiez dit de la nacre sale dont les reflets bleuâtres chatoyaient à la lueur des bougies. Le visage pale, livide, et en lame de couteau, s'il est permis d'emprunter cette expression vulgaire, semblait mort. Le cou était serré par une mauvaise cravate de soie noire. L'ombre cachait si bien le corps à partir de la ligne brune que décrivait ce haillon, qu'un homme d'imagination aurait pu prendre cette vieille tête pour quelque silhouette due au hasard, ou pour un portrait de Rembrandt, sans cadre. Les bords du chapeau qui couvrait le front du vieillard projetaient un sillon noir sur le haut du visage. Cet effet bizarre, quoique naturel, faisait ressortir, par la brusquerie du contraste, les rides blanches, les sinuosités froides, le sentiment décoloré de cette physionomie cadavéreuse. Enfin l'absence de tout mouvement dans le corps, de toute chaleur dans le regard, s'accordait avec une certaine expression de démence triste, avec les dégradants symptômes par lesquels se caractérise l'idiotisme, pour faire de cette figure je ne sais quoi de funeste qu'aucune parole humaine ne pourrait exprimer. Mais un observateur, et surtout un avoué, aurait trouvé de plus en cet homme foudroyé les signes d'une douleur profonde, les indices d'une misère qui avait dégradé ce visage, comme les gouttes d'eau tombées du ciel sur un beau marbre l'ont à la longue défiguré. Un médecin, un auteur, un magistrat eussent pressenti tout un drame à l'aspect de cette sublime horreur dont le moindre mérite était de ressembler à ces fantaisies que les peintres s'amusent à dessiner au bas de leurs pierres lithographiques en causant avec leurs amis.
H. de Balzac, Le Colonel Chabert, 1832.
1. Comment le peintre souligne-t-il l'horreur de la guerre ?
2. Les hommes en habits verts sont des soldats russes. Que montre leur attitude ?
3. Quelle image de l'Empereur est ici donnée ?
1. Quelles qualités font de ce récit un moment captivant ?
2. Montrez que le colonel évoque un souvenir traumatisant.
La bataille d'Eylau a lieu le 8 février 1807 dans le nord de la Prusse-Orientale entre l'Empire russe et l'Empire français. Napoléon reste maître du terrain mais au prix de très lourdes pertes.
A.-J. Gros, Napoléon à la bataille d'Eylau en 1807, 381 x 612 cm, 1808.
Lorsque je revins à moi, monsieur, j'étais dans une position et dans une atmosphère dont je ne vous donnerais pas une idée en vous entretenant jusqu'à demain. Le peu d'air que je respirais était méphitique. Je voulus me mouvoir, et ne trouvai point d'espace. En ouvrant les yeux, je ne vis rien. La rareté de l'air fut l'accident le plus menaçant, et qui m'éclaira le plus vivement sur ma position. Je compris que là où j'étais, l'air ne se renouvelait point, et que j'allais mourir. Cette pensée m'ôta le sentiment de la douleur inexprimable par laquelle j'avais été réveillé. Mes oreilles tintèrent violemment. J'entendis, ou crus entendre, je ne veux rien affirmer, des gémissements poussés par le monde de cadavres au milieu duquel je gisais.
Quoique la mémoire de ces moments soit bien ténébreuse, quoique mes souvenirs soient bien confus, malgré les impressions de souffrances encore plus profondes que je devais éprouver et qui ont brouillé mes idées, il y a des nuits où je crois encore entendre ces soupirs étouffés ! Mais il y a eu quelque chose de plus horrible que les cris, un silence que je n'ai jamais retrouvé nulle part, le vrai silence du tombeau. Enfin, en levant les mains, en tâtant les morts, je reconnus un vide entre ma tête et le fumier humain supérieur. Je pus donc mesurer l'espace qui m'avait été laissé par un hasard dont la cause m'était inconnue. Il paraît, grâce à l'insouciance ou à la précipitation avec laquelle on nous avait jetés pêle-mêle, que deux morts s'étaient croisés au-dessus de moi de manière à décrire un angle semblable à celui de deux cartes mises l'une contre l'autre par un enfant qui pose les fondements d'un château. En furetant avec promptitude, car il ne fallait pas flâner, je rencontrai fort heureusement un bras qui ne tenait à rien, le bras d'un Hercule ! un bon os auquel je dus mon salut. Sans ce secours inespéré, je périssais ! Mais, avec une rage que vous devez concevoir, je me mis à travailler les cadavres qui me séparaient de la couche de terre sans doute jetée sur nous, je dis nous, comme s'il y eut eu des vivants ! J'y allais ferme, monsieur, car me voici ! Mais je ne sais pas aujourd'hui comment j'ai pu parvenir à percer la couverture de chair qui mettait une barrière entre la vie et moi. Vous me direz que j'avais trois bras ! Ce levier, dont je me servais avec habileté, me procurait toujours un peu de l'air qui se trouvait entre les cadavres que je déplaçais, et je ménageais mes aspirations. Enfin je vis le jour, mais à travers la neige, monsieur !
H. de Balzac, Le Colonel Chabert, 1832.
1. Où Chabert est-il né ?
2. A l'aide des pages 64 à 72 et 77 à 84, placez les lieux traversés par Chabert sur la carte.
3. Quels sont les lieux parisiens décrits dans le roman ?
4. Où Chabert finit-il ?
Andriveau-Goujon, Carte de l'Europe, 1838.
1. Quels sont les différents noms de la comtesse Ferraud ? Que révèlent-ils ?
2. Faites le portrait du comte Ferraud. Quel est son rôle dans l'action ?
3. Quels sont les différents noms pris par Chabert ?
1. Le récit de Balzac a porté plusieurs titres : La Transaction (1832), La femme à deux maris (1835), Le Colonel Chabert (1842). Sur quoi ces différents titres mettent-ils l'accent ?
2. Quelle vision de la justice est proposée dans ce texte ? Comparez-la avec la caricature ci-dessous.
3. En quoi peut-on dire que Derville est le double et le porte-parole du romancier ?
H. Daumier, Album des Gens de Justice, 1845-1846.
1. Montrez que la comtesse est une actrice accomplie.
2. En quoi s'agit-il d'une bataille inégale ?
L'air de vérité qu'elle sut mettre dans cette réponse dissipa les légers soupçons que le colonel eut honte d'avoir conçus. Pendant trois jours la comtesse fut admirable près de son premier mari. Par de tendres soins et par sa constante douceur elle semblait vouloir effacer le souvenir des souffrances qu'il avait endurées, se faire pardonner les malheurs que, suivant ses aveux, elle avait innocemment causés ; elle se plaisait à déployer pour lui, tout en lui faisant apercevoir une sorte de mélancolie, les charmes auxquels elle le savait faible ; car nous sommes plus particulièrement accessibles à certaines façons, à des grâces de cœur ou d'esprit auxquelles nous ne résistons pas ; elle voulait l'intéresser à sa situation, et l'attendrir assez pour s'emparer de son esprit et disposer souverainement de lui. Décidée à tout pour arriver à ses fins, elle ne savait pas encore ce qu'elle devait faire de cet homme, mais certes elle voulait l'anéantir socialement. Le soir du troisième jour elle sentit que, malgré ses efforts, elle ne pouvait cacher les inquiétudes que lui causait le résultat de ses manœuvres. Pour se trouver un moment à l'aise, elle monta chez elle, s'assit à son secrétaire, déposa le masque de tranquillité qu'elle conservait devant le comte Chabert, comme une actrice qui, rentrant fatiguée dans sa loge après un cinquième acte pénible, tombe demi-morte et laisse dans la salle une image d'elle-même à laquelle elle ne ressemble plus.
H. de Balzac, Le Colonel Chabert, 1832.
1. Comparez les deux fins proposées dans votre édition (Folio classique) :
2. Comparez l'épilogue du roman (p. 163-167) avec la fin du film.
3. Dans quelle mesure les fins choisies par Balzac sont-elles révélatrices de l'esthétique réaliste ?