Électre des bas-fonds

Atelier

Avant la représentation

oral

1. Cherchez l'histoire d'Iphigénie, d'Électre, de Chrysothémis et d'Oreste.

2. Que désigne l'expression "bas-fonds" ?

Observation

Qu'est-ce que ces deux affiches nous montrent sur la pièce ?

Pistes

Lecture

Qu'est-ce que ces extraits nous montrent sur l'interprétation du mythe proposée par Simon Abkarian ?

Pistes

Extrait A

Douze personnes pour trois chœurs

Le premier est composé de danseuses sacrées. Ce sont elles qui initient Oreste à la danse. De la dernière danse surgira la mort.

Le deuxième est un chœur d'hommes qui sont la maisonnée royale.

Le troisième, et c'est le plus important, est composé de prostituées ; prises de guerre que l'on a forcé à se soumettre à ce terrible destin. Elles chantent, dansent et racontent leur paradis à jamais perdu, mais aussi leur condition de putains. Compagnes de fortune et de misère, elles incitent Électre au meurtre, nourrissent sa haine jusqu'à son paroxysme. Soufflent sur les braises de la vengeance, jusqu'à ce qu'en surgisse un incendie. Troyennes gorgées de rancœur et de haine, elles rêvent de voir couler le sang des grecs.

Dossier de presse de la presse, 2019.

Extrait B

ÉLECTRE

Je te tuerai j'en ai fait le serment.

CLYTEMNESTRE

À l'avenir, fais des serments qui soient à la hauteur de tes forces.

EGISTHE

A-t-on déjà vu une chèvre terrasser une lionne ?

ÉLECTRE

Ris, ris, quand mon frère viendra réclamer son dû,

Tu vas pleurer des larmes de sang.

Et ni toi ni ton mari Clytemnestre ne pourrez rien contre lui.

Oui c'est de toi que je parle, Egisthe la soumise.

Egisthe la frappe.

CLYTEMNESTRE

Ne la frappe pas.

Aujourd'hui n'est-ce pas la fête des morts ?

Aujourd'hui l'homme et la femme ne se confondent-ils pas ?

Tout n'est-il pas un ?

Le pauvre insulte le riche.

Le laid couche avec le beau,

Le faible défie le fort.

Tu joues les miséreuses mais au fond tu restes une princesse gâtée de l'intérieur.

Tu espères le fils fidèle au sang du père, quand c'est le mien qui l'a nourri.

Que vienne ce fils, que vienne une armée de fils.

Je les attends de pied ferme.

Crois-tu que je vais trembler, geindre et gémir ?

Non je ne fuirai pas.

Pas un son d'effroi ne sortira de moi.

Hors de ma vue.

Emmenez ce cancer qui ronge notre joie !

Ils sortent. Reste Clytemnestre. Entre le fantôme d'Agamemnon.

Simon Abkarian, Électre des bas-fonds, 2019.

Extrait C

ÉLECTRE

Egisthe et Clytemnestre, couple impudent,

Puisse votre sang retomber sur vos têtes.

Je vous hais de toutes mes forces.

Chien et chienne lubriques imbriqués l'un dans l'autre

Un vengeur aura raison de votre accouplement.

Vous avez volé ma jeunesse, brisé mes rêves,

Foulé aux pieds mon innocence perdue !

Pourtant je danse encore, je vous défie encore.

Et toi Oreste si tu vis sous le soleil, reviens.

Mon souffle s'amenuise et ma jeunesse n'a plus rien à respirer.

ORESTE

Un dieu a exaucé ton vœu.

ÉLECTRE

Et en quoi mon vœu est-il exaucé étrangère ?

ORESTE

Celui qui tient ton frère.

ÉLECTRE

Dis-moi ce que tu sais.

ORESTE

Fais partir ces femmes et je parlerai.

ÉLECTRE

Ces femmes sont ma famille. Parle.

ORESTE

Ton frère vit.

ÉLECTRE

Où est-il ? Dans quel pays traîne-t-il sa misère ?

ORESTE

Il est ici sur la terre de ses pères.

ÉLECTRE

Où ? Emmène-moi à lui. [...]

ORESTE

Pourquoi marcher quand l'objet de ton désir se tient en face de toi ?

ÉLECTRE

Que dis-tu étrangère ?

Je ne te comprends pas.

ORESTE

La compréhension est le voile qui t'empêche de voir le vrai.

ÉLECTRE

Alors à quoi me fier ? À mes yeux ?

Mes yeux me disent que je ne vois pas mon frère.

ORESTE

Le paraître est l'assassin de l'être.

ÉLECTRE

Le disparaître va être ton sauveur.

Va-t'en je n'ai pas le cœur aux énigmes.

ORESTE

Ouvre-le ton cœur et tu verras celui que tu espères.

ÉLECTRE

Celui que j'espère ?

ORESTE

Oui.

ÉLECTRE

Si tu promets un os au tigre qui niche dans mon cœur,

Il faudra tenir parole.

Mais méfie-toi jeune fille, celui qui dort en moi n'aime pas les faux-semblants.

Si tu veux te jouer de lui c'est une moisson de larmes que tu vas récolter.

Sauve-toi avant qu'il ne sorte ses crocs.

Va-t'en, laisse nous ma peine et moi.

Je ne suis pas belle à voir quand la rage me prend.

ORESTE

Prêtes à les envahir, mes larmes se tiennent aux portes de mes yeux,

Mais puisque les tiens refusent de voir ce qui est, laisse-moi leur dévoiler le secret qui me tient.

Et si tu ne me crois pas, lâche alors ton fauve sur le frère que tu dis tant aimer.

Il se déshabille.

CHOREUTE 8

Qu'est-ce que tu regardes ?

Tu en vois vingt par jour de toutes les tailles.

Et de toutes les couleurs.

CHOREUTE 12

Je ne regardai pas.

ÉLECTRE

Ainsi tu es un homme.

J'avoue, tu joues bien la femme.

Mais ce morceau de chair entre tes jambes ne fait pas de toi mon frère.

Habille-toi et va-t'en.

ORESTE

Regarde alors ce glaive que notre père forgea le jour de ma naissance.

On dit que ma sœur Électre le confia à Strophios,

Lorsque enfant il me sauva des griffes du tyran.

Si tu le sais, dis-moi ce qu'il y a gravé sur le manche.

ÉLECTRE

Ô étranger est-ce un piège que tu me tends ?

ORESTE

Dis-moi ce que disent les mots gravés.

ÉLECTRE

Ne m'oublie pas.

ORESTE

Maintenant lis.

Électre prend l'arme.

ÉLECTRE, lisant

"Ne m'oublie pas."

ORESTE

Ne m'oublie pas.

ÉLECTRE

Mon frère tant aimé c'est donc toi ?

ORESTE

Je suis lui.

ÉLECTRE

Laisse-moi te serrer contre mon cœur.

ORESTE

Laisse-moi t'offrir le mien.

ÉLECTRE

Ô jour tant attendu !

ORESTE

Je te retrouve enfin.

Ils s'embrassent.

Simon Abkarian, Électre des bas-fonds, 2019.

Atelier

Après la représentation

Oral

Qu'est-ce que vous avez aimé dans la pièce ? Un moment, un effet, un dialogue, un personnage... Pourquoi ? Qu'est-ce que vous avez moins/pas du tout aimé ?

Lecture

Indiquez quelle est, selon vous, la morale de cette pièce. Vous pouvez vous aider des deux citations ci-contre.

Pistes

Extrait A

CLYTEMNESTRE. Ne me dicte pas ce que je dois.

Je n’ai besoin d’aucun homme qui me tiendrait la main pour m’aider à traverser l’étendue de ma pensée.

Je n’irai pas supplier la pierre d’un tombeau.

Je me tiens aux portes des enfers mais je reste un esprit libre.

Et je ne parle pas de cette liberté que les hommes ont tracée à l’usage des femmes,

Mais de cette lumière indocile qui éclaire mon âme. [...]

Je ne suis pas cette insoumise que l’on voudrait circonscrire dans le cercle de sa folie.

L’hystérie que l’on me prête est une insulte à ma douleur.

La messagère de ma souffrance c’est moi.

Laisse-moi dire ce qu’elle me dicte,

Sinon reprends la parole que tu daignes me donner du haut de ton âge à peine fait.

Tu te tiens derrière le manche et moi devant la lame.

Pose ton épée et parlons, ou alors donne-m’en une aussi,

Ainsi nous aurons un échange équitable.

Mais non, tu restes là figé dans une colère qui ne t’appartient pas.

Tu t’indignes d’un crime que tu ne peux comprendre,

Car malgré ton accoutrement tu ne peux te figurer le ventre d’une mère qui réclame son enfant.

Tu ne peux te figurer le champ de bataille quand une femme met au monde

Ni entendre ses cris de douleur qui chevauchent la joie.

Et toi, avec des mots que d’autres ont vomi dans tes oreilles,

Tu viens plaider la cause d’un roi tueur d’enfants ?

Pourquoi trembles-tu ?

C’est moi pourtant que le monde veut voir morte.

Regarde-les tous, ils rechignent à m’écouter.

Pathétiques ils attendent que je me taise, guettent chacun de mes silences, afin de se jeter sur moi.

Mais je ne me tairai pas.

La parole est à moi, j’en fais ce que bon me semble,

Et il me semble bon de parler de moi.

Qui d’autre que moi, plaidera pour Clytemnestre ?

Personne ?

Alors ce sera moi.

Quel est-il cet oracle qui exigea ma fille pour calmer la déesse ?

Pourquoi ton père n’a-t-il pas consulté une pythie ?

Faut-il barbe à son menton pour atteindre l’oreille des dieux ?

Et pourquoi Artémis n’aurait-elle pas réclamé la gorge de ton père ?

C’est lui qui offensa la déesse en se targuant d’être meilleur chasseur qu’elle, pas ma fille.

Ou pourquoi n’aurait-elle pas exigé la vie du fils ?

La vie d’un garçon serait-elle plus précieuse ?

Pèserait-elle plus lourd dans le ventre d’une mère ?

Les filles sont-elles des corps sans voix,

Offrandes dédiées au masculin triomphant ?

Simon Abkarian, Électre des bas-fonds, 2019.

Extrait B

L'écriture d'Electre des bas-fonds est la suite d'un processus que j'espère continuer encore. J'essaie d'écrire pour les femmes et de retirer le masculin de l'espace qui est depuis si longtemps occupé pas les hommes. Le cœur des femmes m'a beaucoup intrigué. Je crois qu'il y a quelque chose qu'on doit vite réparer. Pendant trois mille ans, on nous a dit que le garçon était l'être supérieur, or quand on regarde l'histoire des humains, ceux qui organisent la guerre, le capitalisme, ce sont les garçons. D'ailleurs le patriarcat, le capitalisme et la guerre vont de mèche, et moi, j'ai envie d'avoir une autre perspective parce que j'ai honte pour nous. J'écris pour mettre fin au patriarcat et pour redéployer de la parole et un tant soit peu de pensée.

Je me suis toujours posé la question des captifs, des laissés pour compte et des démunis, des prises de guerre. J'ai écrit pour redonner sa place à l'anonyme et inverser la prise en charge masculin de la justice. La colère, la rage, la douleur ne sont pas atténuées parce qu'on est une fille. Les gens s'extasient lorsque les femmes prennent les armes. Il est juste de défendre ce que l'on a de plus précieux quel que soit notre sexe ou notre condition.

J'avais besoin d'écrire sur mon monde aujourd'hui. Quel meilleur espace que le tragique, sa démesure et ses excès pour dire la condition humaine dans toute sa noirceur ? Je voulais remettre la langue au centre de mon travail. La parole nous fait défaut. Beaucoup de gens sont pris au piège de leur limite verbale. Il est important de savoir parler, donc de dire. J'ose croire que le théâtre est un des endroits où on peut encore développer de la pensée par le langage. Là, la parole devient une arme de subversion puisqu'elle se risque sur le chemin du beau et du juste. Le dernier champ de bataille est l'imaginaire.

Note d'intention de Simon Abkarian