Objet d'étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle
Problématique : En attendant Godot, comédie burlesque ou tragédie moderne ?
Support : Samuel Beckett, En attendant Godot, coll. Livre de Poche, éd. de Minuit.
Approches d'ensemble : le rôle des didascalies ; les silences ; l'absurde ; le burlesque.
1. Que signifie pour vous le verbe "attendre" ? Est-ce plutôt un mot positif ou négatif ? Justifiez votre réponse.
2. Cherchez la définition du verbe "attendre" et l'étymologie de "drame". Les deux sont-ils compatibles ?
1. Qu'est-ce que le burlesque ? Proposez une définition en vous appuyant sur des extraits de A Dog's life (0 à 3') et The Goat (3' à 6'57).
2. Comment ces documents présentent-ils les personnages de Beckett ?
Charlie Chaplin, A Dog's life, 1918. |
Buster Keaton, environ 1939. |
Mise en scène de Sean Mathias, avec Patrick Stewart et Ian McKellen, Cort Theatre, New York, 2013-2014. |
Mise en scène de Jean Lambert-Wild, avec Lorenzo Malaguerra et Marcel Bozonnet, Comédie de Caen, 2014-2015. |
Commentez le début d'En attendant Godot en vous appuyant sur le parcours de lecture suivant :
- deux antihéros dans un cadre indéterminé
- une scène de comédie ?
Tout au long de la pièce, deux vagabonds, Vladimir et Estragon, installés au bord du chemin, attendent l'arrivée d'un troisième personnage, Godot. Mais celui-ci ne vient pas. Beckett renvoie ainsi aux spectateurs l'image d'une existence absurde.
Route à la campagne, avec arbre. Soir.
Estragon, assis sur une pierre, essaie d'enlever sa chaussure. Il s'y acharne des deux mains, en ahanant. Il s'arrête, à bout de forces, se repose en haletant, recommence. Même jeu.
Entre Vladimir.
Estragon (renonçant à nouveau) : Rien à faire.
Vladimir (s'approchant à petits pas raides, les jambes écartées) : Je commence à le croire. (Il s'immobilise.) J'ai longtemps résisté à cette pensée, en me disant, Vladimir, sois raisonnable. Tu n'as pas encore tout essayé. Et je reprenais le combat. (Il se recueille, songeant au combat. A Estragon.) Alors ? te revoilà, toi.
Estragon : Tu crois ?
Vladimir : Je suis content de te revoir. Je te croyais parti pour toujours.
Estragon : Moi aussi.
Vladimir : Que faire pour fêter cette réunion ? (Il réfléchit) Lève-toi que je t'embrasse. (Il tend la main à Estragon.)
Estragon (avec irritation) : Tout à l'heure, tout à l'heure.
Silence.
Vladimir (froissé, froidement) : Peut-on savoir où monsieur a passé la nuit ?
Estragon : Dans un fossé.
Vladimir (épaté) : Un fossé ! où ça ?
Estragon (sans geste) : Par là.
Vladimir : Et on ne t'a pas battu ?
Estragon : Si... Pas trop.
Vladimir : Toujours les mêmes ?
Estragon : Les mêmes ? Je ne sais pas.
Silence.
Vladimir : Quand j'y pense... depuis le temps... je me demande... ce que tu serais devenu... sans moi... (Avec décision) Tu ne serais plus qu'un petit tas d'ossements à l'heure qu'il est, pas d'erreur.
Estragon (piqué au vif) : Et après ?
Vladimir (accablé) : C'est trop pour un seul homme. (Un temps. Avec vivacité.) D'un autre côté, à quoi bon se décourager à présent, voilà ce que je me dis. Il fallait y penser il y a une éternité, vers 1900.
Estragon : Assez. Aide-moi à enlever cette saloperie.
Vladimir : La main dans la main on se serait jeté en bas de la tour Eiffel, parmi les premiers. On portait beau alors. Maintenant il est trop tard. On ne nous laisserait même pas monter. (Estragon s'acharne sur sa chaussure.) Qu'est-ce que tu fais ?
Estragon : Je me déchausse. Ça ne t'est jamais arrivé, à toi ?
Vladimir : Depuis le temps que je te dis qu'il faut les enlever tous les jours. Tu ferais mieux de m'écouter.
Estragon (faiblement) : Aide-moi !
Vladimir : Tu as mal ?
Estragon : Mal ! Il me demande si j'ai mal !
Vladimir (avec emportement) : Il n'y a jamais que toi qui souffres ! Moi je ne compte pas. Je voudrais pourtant te voir à ma place. Tu m'en dirais des nouvelles.
Estragon : Tu as eu mal ?
Vladimir : Mal ! Il me demande si j'ai eu mal !
S. Beckett, En Attendant Godot, I, 1953.
1. Ionesco disait : "On peut parler sans penser.". Comment ces deux extraits le montrent-ils ?
2. Qu'est-ce qui fait le comique de ces deux extraits ?
Étudiez ce monologue en vous appuyant sur le parcours de lecture suivant :
- un discours totalement incohérent en apparence
- un discours qui exprime une vérité insupportable
M. SMITH, toujours dans son journal - Tiens, c'est écrit que Bobby Watson est mort.
Mme SMITH. - Mon Dieu, le pauvre, quand est-ce qu'il est mort ?
M. SMITH. - Pourquoi prends-tu cet air étonné ? Tu le savais bien. Il est mort il y a deux ans. Tu te rappelles, on a été à son enterrement, il y a un an et demi.
Mme SMITH. - Bien sûr que je me rappelle. Je me suis rappelé tout de suite, mais je ne comprends pas pourquoi toi-même tu as été si étonné de voir ça sur le journal.
M. SMITH. - Ça n'y était pas sur le journal. Il y a déjà trois ans qu'on a parlé de son décès. Je m'en suis souvenu par associations d'idées !
Mme SMITH. - Dommage ! Il était si bien conservé.
M. SMITH. - C'était le plus joli cadavre de Grande-Bretagne ! Il ne paraissait pas son âge. Pauvre Bobby, il y avait quatre ans qu'il était mort et il était encore chaud. Un véritable cadavre vivant. Et comme il était gai !
Mme SMITH. - La pauvre Bobby.
M. SMITH. - Tu veux dire "le"pauvre Bobby.
Mme SMITH. - Non, c'est à sa femme que je pense. Elle s'appelait comme lui, Bobby, Bobby Watson. Comme ils avaient le même nom, on ne pouvait pas les distinguer l'un de l'autre quand on les voyait ensemble. Ce n'est qu'après sa mort à lui, qu'on a pu vraiment savoir qui était l'un et qui était l'autre. Pourtant, aujourd'hui encore, il y a des gens qui la confondent avec le mort et lui présentent des condoléances. Tu la connais ?
M. SMITH. - Je ne l'ai vue qu'une fois, par hasard, à l'enterrement de Bobby.
Mme SMITH. - Je ne l'ai jamais vue. Est-ce qu'elle est belle ?
M. SMITH. - Elle a des traits réguliers et pourtant on ne peut pas dire qu'elle est belle. Elle est trop grande et trop forte. Ses traits ne sont pas réguliers et pourtant on peut dire qu'elle est très belle. Elle est un peu trop petite et trop maigre. Elle est professeur de chant.
La pendule sonne cinq fois. Un long temps.
Mme SMITH. - Et quand pensent-ils se marier, tous les deux ?
M. SMITH. - Le printemps prochain, au plus tard.
Eugène Ionesco, La Cantatrice chauve, scène 1, éd. Gallimard, 1950.
Attention soutenue d'Estragon et Vladimir. Accablement et dégoût de Pozzo.
Premiers murmures d'Estragon et Vladimir. Souffrances accrues de Pozzo.
Estragon et Vladimir se calment et reprennent l'écoute. Pozzo s'agite de plus en plus, fait entendre des gémissements.
Lucky (débit monotone). - Étant donné l'existence telle qu'elle jaillit des récents travaux publics de Poinçon et Wattmann d'un Dieu personnel quaquaquaqua à barbe blanche quaqua hors du temps de l'étendue qui du haut de sa divine apathie sa divine athambie sa divine aphasie nous aime bien à quelques exceptions près on ne sait pourquoi mais ça viendra et souffre à l'instar de la divine Miranda avec ceux qui sont on ne sait pourquoi mais on a le temps dans le tourment dans les feux dont les feux les flammes pour peu que ça dure encore un peu et qui peut en douter mettront à la fin le feu aux poutres assavoir porteront l'enfer aux nues si bleues par moments encore aujourd'hui et calmes si calmes d'un calme qui pour être intermittent n'en est pas moins le bienvenu mais n'anticipons pas et attendu d'autre part qu'à la suite des recherches inachevées n'anticipons pas des recherches inachevées mais néanmoins couronnées par l'Acacacacadémie d'Anthropopopométrie de Berne-en-Bresse de Testu et Conard il est établi sans autre possibilité d'erreur que celle afférente aux calculs humains qu'à la suite des recherches inachevées inachevées de Testu et Conard il est établi tabli tabli ce qui suit qui suit qui suit assavoir mais n'anticipons pas on ne sait pourquoi à la suite des travaux de Poinçon et Wattmann il apparaît aussi clairement si clairement qu'en vue des labeurs de Fartov et Belcher inachevés inachevés on ne sait pourquoi de Testu et Conard inachevés inachevés il apparaît que l'homme contrairement à l'opinion contraire que l'homme en Bresse de Testu et Conard que l'homme enfin bref que l'homme en bref enfin malgré les progrès de l'alimentation et de l'élimination des déchets est en train de maigrir et en même temps parallèlement on ne sait pourquoi malgré l'essor de la culture physique de la pratique des sports tels tels tels le tennis le football la course et à pied et à bicyclette la natation l'équitation l'aviation la conation le tennis le camogie le patinage et sur glace et sur asphalte le tennis l'aviation les sports les sports d'hiver d'été d'automne d'automne le tennis sur gazon sur sapin et sur terre battue l'aviation le tennis le hockey sur terre sur mer et dans les airs la pénicilline et succédanés bref je reprends en même temps parallèlement de rapetisser on ne sait pourquoi malgré le tennis je reprends l'aviation le golf tant à neuf qu'à dix-huit trous le tennis sur glace bref on ne sait pourquoi en Seine Seine-et-Oise Seine-et-Marne Marne-et-Oise assavoir en même temps parallèlement on ne sait pourquoi de maigrir rétrécir
Samuel Beckett, En attendant Godot, 1953.
Parmi les scénographies ci-contre, laquelle vous semble la plus intéressante ? Pourquoi ?
Mise en scène de Bernard Sobel, Théâtre de Gennevilliers, 2002. |
Mise en scène de Bernard Lévy, Paris, théâtre de l'Athénée, 2009. |
Patrick Stewart et Ian McKellen, Cort Theatre, New York, 2013-2014. |
Jean-Pierre Vincent, Théâtre du Gymnase, Marseille, 2015. |
1. En quoi cette lettre est-elle provocatrice ?
2. Comment Beckett parle-t-il de Godot ? Observez le vocabulaire utilisé.
Vous me demandez mes idées sur En attendant Godot, dont vous me faites l'honneur de donner des extraits au Club d'essai, et en même temps mes idées sur le théâtre.
Je n'ai pas d'idées sur le théâtre. Je n'y connais rien. Je n'y vais pas. C'est admissible.
Ce qui l'est sans doute moins, c'est d'abord, dans ces conditions, d'écrire une pièce, et ensuite, l'ayant fait, de ne pas avoir d'idées sur elle non plus.
C'est malheureusement mon cas.
Il n'est pas donné à tous de pouvoir passer du monde qui s'ouvre sous la page à celui des profits et pertes, et retour, imperturbable, comme entre le turbin et le Café du Commerce.
Je ne sais pas plus sur cette pièce que celui qui arrive à la lire avec attention.
Je ne sais pas dans quel esprit je l'ai écrite.
Je ne sais pas plus sur les personnages que ce qu'ils disent, ce qu'ils font et ce qui leur arrive. De leur aspect j'ai dû indiquer le peu que j'ai pu entrevoir. Les chapeaux melon par exemple.
Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais même pas, surtout pas, s'il existe. Et je ne sais pas s'ils y croient ou non, les deux qui l'attendent.
Les deux autres qui passent vers la fin de chacun des deux actes, ça doit être pour rompre la monotonie.
Tout ce que j'ai pu savoir, je l'ai montré. Ce n'est pas beaucoup. Mais ça me suffit, et largement. Je dirai même que je me serais contenté de moins.
Quant à vouloir trouver à tout cela un sens plus large et plus élevé, à emporter après le spectacle, avec le programme et les esquimaux, je suis incapable d'en voir l'intérêt. Mais ce doit être possible.
Je n'y suis plus et je n'y serai plus jamais. Estragon, Vladimir, Pozzo, Lucky, leur temps et leur espace, je n'ai pu les connaître un peu que très loin du besoin de comprendre. Ils vous doivent des comptes peut-être. Qu'ils se débrouillent. Sans moi. Eux et moi nous sommes quittes.
Samuel Beckett, Lettre à Michel Polac, janvier 1952
Lors des premières représentations de la pièce, Jean Anouilh a décrit la pièce comme étant "le sketch des Pensées de Pascal traitées par les Fratellini".
1. Qui est Pascal et de quoi parlent Les Pensées ? Qui sont les Fratellini ?
2. Quels points communs pouvez-vous trouver entre le texte de Pascal et la pièce de Beckett ?
Proposez une lecture analytique de l'extrait de Godot.
Vous vous appuierez sur le parcours de lecture suivant :
- l'évolution des relations entre les deux personnages
- une scène aux limites du théâtre
Cherchez, dans la pièce, des exemples de comique. Sur quoi reposent-ils ?
Divertissement.
Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, il se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser.
Divertissement.
Quand je m'y suis mis quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s'exposent, dans la cour, dans la guerre, d'où naissent tant de querelles, de passions, d'entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j'ai découvert que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s'il savait demeurer chez soi avec plaisir, n'en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d'une place. On n'achètera une charge à l'armée si cher, que parce qu'on trouverait insupportable de ne bouger de la ville ; et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu'on ne peut demeurer chez soi avec plaisir.
Mais quand j'ai pensé de plus près, et qu'après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j'ai voulu en découvrir la raison, j'ai trouvé qu'il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.
Blaise Pascal, Pensées, fragments 124 et 126, éd. de Michel Le Gern, coll Folio Classique, éd. Gallimard, 1669.
Estragon. - Je suis fatigué. (Un temps.) Allons-nous en.
Vladimir. - On ne peut pas.
Estragon. - Pourquoi ?
Vladimir. - On attend Godot.
Estragon. - C'est vrai. (Un temps.) Alors comment faire ?
Vladimir. - Il n'y a rien à faire.
Estragon. - Mais moi je n'en peux plus.
Vladimir. - Veux-tu un radis ?
Estragon. - C'est tout ce qu'il y a ?
Vladimir. - Il y a des radis et des navets.
Estragon. - Il n'y a plus de carottes ?
Vladimir. - Non. D'ailleurs tu exagères avec les carottes.
Estragon. - Alors donne-moi un radis. (Vladimir fouille dans ses poches, ne trouve que des navets, sort finalement un radis qu'il donne à Estragon qui l'examine, le renifle.) Il est noir !
Vladimir. - C'est un radis.
Estragon. - Je n'aime que les roses, tu le sais bien !
Vladimir. - Alors tu n'en veux pas ?
Estragon. - Je n'aime que les roses.
Vladimir. - Alors rends-le-moi.
Estragon le lui rend.
Estragon. - Je vais chercher une carotte.
Il ne bouge pas.
Vladimir. - Ceci devient vraiment insignifiant.
Estragon. - Pas encore assez.
Silence.
Vladimir. - Si tu les essayais ?
Estragon. - J'ai tout essayé.
Vladimir. - Je veux dire, les chaussures.
Estragon. - Tu crois ?
Vladimir. - Ca fera passer le temps. (Estragon hésite.) Je t'assure, ce sera une diversion.
Estragon. - Un délassement.
Vladimir. - Une distraction.
Estragon. - Un délassement.
Vladimir. - Essaie.
Estragon. - Tu m'aideras ?
Vladimir. - Bien sûr.
Estragon. - On ne se débrouille pas trop mal, hein, Didi, tous les deux ensemble ?
Vladimir. - Mais oui, mais oui. Allez, on va essayer la gauche d'abord.
Estragon. - On trouve toujours quelque chose, hein, Didi, pour nous donner l'impression d'exister.
Vladimir. (impatiemment). - Mais oui, mais oui, on est des magiciens. Mais ne nous laissons pas détourner de ce que nous avons résolu. (Il ramasse une chaussure.) Viens donne ton pied. (Estragon s'approche de lui, lève le pied.) L'autre, porc ! (Estragon lève l'autre pied.) Plus haut ! (Les corps emmêlés, ils titubent à travers la scène. Vladimir réussit finalement à lui mettre la chaussure.) Essaie de marcher. (Estragon marche.) Alors ?
Estragon. - Elle me va.
Samuel Beckett, En attendant Godot, II, éd. de Minuit, 1953.
1. Selon vous, pourquoi le décor a-t-il été choisi ainsi ?
2. Notez deux ou trois détails sur le jeu des acteurs dont vous vous souvenez.
3. Quelles répliques vous ont marqué ? Pourquoi ?
1. Dans l'article suivant, Jean-Pierre Vincent explique le contexte historique de l'écriture de cette pièce. En quoi cela peut-il aider à comprendre l'histoire ?
2. Le metteur en scène évoque une pièce "épouvantablement triste mais qui atteint des sommets de drôleries burlesques." Donnez des exemples de pathétique et de comique dans la pièce.
"Une pièce très sombre et pleine de lumière, immobile mais pleine d'actions, triste mais qui atteint des sommets de drôleries burlesques" : Jean-Pierre Vincent revisite, dans une création au théâtre du Gymnase à Marseille, "En attendant Godot", de Samuel Beckett.
Deux "types mal en point", revêtus de costumes ayant naguère eu de l'allure, avec pochette et chapeau melon, trainent leurs maux et vieux atours, tournant en rond, au pied d'un arbre effeuillé au milieu d'une route ensablée.
Retour à la mise en scène de Beckett lui-même
Estragon (Abbes Zahmani) tente à plusieurs reprises de partir. Mais où aller? "On ne peut pas, on attend Godot", réplique son compagnon d'infortune, Vladimir (Charlie Nelson) cherchant des moyens de tuer le temps. Ces hommes sont "égarés dans le monde" et occupent un "temps vide", résume Jean-Pierre Vincent, qui, après 50 ans de théâtre et quelque 90 mises en scène, s'attaque pour la première fois à un texte de Samuel Beckett.
"Pendant longtemps je me suis ennuyé poliment à la lecture et en voyant les pièces de Godot, me demandant quelle était sa mise en scène à lui (Beckett)... Or c'était la plus comique", raconte Jean-Pierre Vincent qui a choisi de s'en tenir strictement aux indications de mise en scène de Samuel Beckett, avec des silences longs et nombreux, mais remplis de gestuels, de mimiques des deux protagonistes, qui font rire les spectateurs aux éclats.
Une pièce triste et comique à la fois
"C'est une pièce très sombre, et pleine de lumière, immobile mais pleine d'actions, une pièce épouvantablement triste mais qui atteint des sommets de drôleries burlesques, c'est à pleurer mais l'on ne fait que rire... on peut pleurer en rentrant à la maison", résume Jean-Pierre Vincent. Pour lui "c'est une pièce très inspirée de Buster Keaton, de Charlie Chaplin, de Laurel et Hardy. De fait Estragon, petit homme à la démarche chaloupée, et Vladimir, grand et fort, en sont bien les frères jumeaux".
Il y a aussi "un comique verbal, des gags verbaux, des dialogues absurdes car il ne se souviennent plus de ce qu'ils ont dit 5 minutes avant, ils le redisent et le redisent différemment", témoigne le metteur en scène.
Jean-Pierre Vincent : "En attendant Godot n'est pas absurde, au contraire, est très logique"
La pièce, écrite en 1948 après Hiroshima et la découverte des camps de concentration est prémonitoire pour Jean-Pierre Vincent. "Nous allions rentrer dans l'ère du vide, dans ce que nous vivons aujourd'hui... un fourmillement planétaire où chacun se sent dans le vide... un temps qui s'accélère n'existe plus. La sensation du temps devient flottante", juge-t-il.
Pour le metteur en scène "il y a un avant et un après Godot. C'est une sorte de lessivage radical de tout ce qui a été avant". "Cette pièce est une provocation. C'est une sorte de provocation destructrice de toute la littérature qui vient avant." En revanche "l'aspect absurde" par lequel la critique littéraire le caractérise "est complètement idiot", juge Jean-Pierre Vincent. "Ça a semblé en 1950 absurde parce que ça ne charriait pas le sens, la signification comme chez Sartre ou Camus. Les gens n'avaient pas de repère pour lire ça." A l'inverse, "c'est une pièce extraordinairement logique". Et "c'est une pièce de textes bourrée de silence, c'était très important pour Beckett mais les metteurs en scène ne le respecte pas. Il y a 70 fois le mot silence" dans les indications, précise-t-il. Et "le plus beau compliment" que l'on pourra lui faire c'est que "ceux qui l'on vue souvent me disent à la fin eh bien dis donc, je ne l'avais pas vue".
Culturebox (avec AFP), le 16/04/2015.