Objet d'étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle
Problématique générale : L'amour, jeu de hasard, jeu de stratégie, jeu de rôles ?
Support : Marivaux, Le Jeu de l'amour et du hasard, coll. Livre de Poche, éd. LGF.
Exposés possibles : le burlesque ; les préjugés ; le discours amoureux et le marivaudage ; le personnage d'Arlequin
Quels sont tous les sens du mot "jeu" ?
Vous proposerez une contraction de ce texte en 120 mots environ (+/-10 %).
1. Selon vous, est-il important d'avoir le même "niveau d'étude ou la [même] profession" dans le domaine amoureux ?
2. Peut-il, selon vous, y avoir de l'amour sans hasard ?
Le Jeu de l'Amour et du Hasard, mise en scène de Benoît Lambert, théâtre de L'Aquarium, 2018.
Support des premières impressions, le "profil" joue donc un rôle important dans les rencontres en ligne. Il donne lieu à une présélection des partenaires éligibles dont les modalités font écho au processus de recrutement professionnel : face à un nombre souvent abondant de candidatures, les employeurs procèdent par une sélection-élimination en étapes dont la première consiste justement à évaluer les candidats "sur profil" (CV et lettres de motivation) avant de rencontrer seulement un petit nombre en face-à-face (entretien). D'une manière semblable, les usagers des services de rencontres procèdent à une "opération de qualification" des candidats éligibles qui sont filtrés au préalable. [...]
Les utilisateurs ont des réactions très différentes face à cet exercice, et font preuve de critères de sélection plus ou moins précis et explicites. Certains font preuve de beaucoup de calcul et de raison dans leurs choix en ligne, ce qui se manifeste notamment dans l'attention portée aux critères explicitement sociaux tels que le niveau d'étude ou la profession. Or plutôt qu'elle ne caractérise une certaine classe sociale, cette attitude dépend des trajectoires. Plus souvent que les autres, ce sont les utilisateurs en mobilité sociale – ascendante ou descendante – qui expriment une forme de réalisme dans leur choix d'interlocuteurs, de même qu'une certaine exigence. C'est le cas de cette jeune utilisatrice :
— Dans mes critères sur Internet, j'ai du mal à parler, c'est hyper élitiste, mais j'ai du mal à parler avec des gens qui ont moins de bac + 5. Ou alors il faut vraiment faire preuve d'esprit. C'est des critères beaucoup plus objectifs.
— Qu'est-ce que tu veux dire par "faire preuve d'esprit" ?
— Il faut être drôle, il faut montrer, je pense, une certaine culture quelque part. Déjà, un mec qui ne sait pas écrire correctement, c'est rédhibitoire. Je ne réponds même pas, je pense. Et si je lui réponds, parfois ça m'arrive, c'est pour corriger toutes ses fautes d'orthographe. Ça veut dire qu'il reviendra me voir quand il saura correctement écrire le français [Anna, 23 ans, étudiante. Parents : employés du privé].
Étudiante en dernière année de sciences politiques, Anna désire rencontrer un partenaire avec un niveau d'études équivalent au sien et se montre sévère envers les interlocuteurs qui font preuve d'une maîtrise faible du français. [...] Cette susceptibilité doit être remise dans le contexte de sa trajectoire sociale et celle de sa famille. Immigrés de Pologne et sans diplômes, ses parents ont d'abord travaillé comme ouvriers non qualifiés avant de progresser dans la hiérarchie sociale grâce à des promotions internes à leur entreprise. Les désirs d'Anna s'inscrivent dans la lignée de cette ascension et se manifestent sur le plan professionnel – elle souhaite occuper "un poste de cadre" sans autre précision – mais aussi conjugal. Le statut social du partenaire devient ici une mesure et un enjeu pour son propre statut qui, loin d'être établi, reste incertain et l'objet d'une possible révision.
Marie Bergström, Les nouvelles lois de l'amour, éd. La Découverte, 2019.
Quels liens peut-on faire entre le texte précédent et le début du Jeu de l'amour et du hasard ?
Faites le portrait des deux personnages : quel physique, quel costume, quel caractère ?
Vous dessinerez, à deux, en mettez des indications que vous serez capables de justifier.
Comparez la mise en scène de Jean Liermier pour le théâtre de Carouge-Atelier (de 0'40 à 2'40) et celle de Galin Stoev pour la Comédie-Française (de 1'20 à 8'20).
Silvia.
Mais, encore une fois, de quoi vous mêlez-vous ? Pourquoi répondre de mes sentiments ?
Lisette.
C'est que j'ai cru que, dans cette occasion-ci, vos sentiments ressembleraient à ceux de tout le monde. Monsieur votre père me demande si vous êtes bien aise qu'il vous marie, si vous en avez quelque joie : moi, je lui réponds que oui ; cela va tout de suite ; et il n'y a peut-être que vous de fille au monde, pour qui ce oui-là ne soit pas vrai ; le non n'est pas naturel.
Silvia.
Le non n'est pas naturel ! quelle sotte naïveté ! Le mariage aurait donc de grands charmes pour vous ?
Lisette.
Eh bien, c'est encore oui, par exemple.
Silvia.
Taisez-vous ; allez répondre vos impertinences ailleurs, et sachez que ce n'est pas à vous à juger de mon cœur par le vôtre.
Lisette.
Mon cœur est fait comme celui de tout le monde. De quoi le vôtre s'avise-t-il de n'être fait comme celui de personne ?
Silvia.
Je vous dis que, si elle osait, elle m'appellerait une originale.
Lisette.
Si j'étais votre égale, nous verrions.
Silvia.
Vous travaillez à me fâcher, Lisette.
Lisette.
Ce n'est pas mon dessein. Mais dans le fond, voyons, quel mal ai-je fait de dire à monsieur Orgon que vous étiez bien aise d'être mariée ?
Silvia.
Premièrement, c'est que tu n'as pas dit vrai ; je ne m'ennuie pas d'être fille.
Lisette.
Cela est encore tout neuf.
Silvia.
C'est qu'il n'est pas nécessaire que mon père croie me faire tant de plaisir en me mariant, parce que cela le fait agir avec une confiance qui ne servira peut-être de rien.
Lisette.
Quoi ! vous n'épouserez pas celui qu'il vous destine ?
Silvia.
Que sais-je ? peut-être ne me conviendra-t-il point, et cela m'inquiète.
Lisette.
On dit que votre futur est un des plus honnêtes hommes du monde ; qu'il est bien fait, aimable, de bonne mine ; qu'on ne peut pas avoir plus d'esprit, qu'on ne saurait être d'un meilleur caractère ; que voulez-vous de plus ? Peut-on se figurer de mariage plus doux, d'union plus délicieuse ? [...]
Silvia.
Oui dans le portrait que tu en fais, et on dit qu'il y ressemble, mais c'est un on dit, et je pourrais bien n'être pas de ce sentiment-là, moi.
Marivaux, Le jeu de l'Amour et du Hasard, I, 1, 1730.
Observez la mise en scène de Galin Stoev de 25' à 35'. Comment les deux personnages masculins sont-ils joués ?
1. Analysez les costumes ci-contre.
2. Quel est le rôle des costumes dans Le Jeu de l'Amour et du Hasard ?
3. Les costumes sont-ils, selon vous, des éléments essentiels dans une pièce de théâtre ?
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G. Stoev, Comédie-Française, 2012.
Documentez-vous sur le personnage d'Arlequin et les comédiens italiens.
Indiquez aux acteurs comment jouer cette scène, et pourquoi la jouer ainsi.
1. Qu'est-ce qui fait le comique de cette scène ?
2. Montrez comment, dans cette scène, les apparences sont trompeuses.
Arlequin.
Madame, il dit que je ne m'impatiente pas ; il en parle bien à son aise, le bonhomme !
Lisette.
J'ai de la peine à croire qu'il vous en coûte tant d'attendre, monsieur ; c'est par galanterie que vous faites l'impatient ; à peine êtes-vous arrivé ! Votre amour ne saurait être bien fort ; ce n'est tout au plus qu'un amour naissant.
Arlequin.
Vous vous trompez, prodige de nos jours ; un amour de votre façon ne reste pas longtemps au berceau ; votre premier coup d'œil a fait naître le mien, le second lui a donné des forces et le troisième l'a rendu grand garçon ; tâchons de l'établir au plus vite ; ayez soin de lui, puisque vous êtes sa mère.
Lisette.
Trouvez-vous qu'on le maltraite ? Est-il si abandonné ?
Arlequin.
En attendant qu'il soit pourvu, donnez-lui seulement votre belle main blanche, pour l'amuser un peu.
Lisette.
Tenez donc, petit importun, puisqu'on ne saurait avoir la paix qu'en vous amusant.
Arlequin, en lui baisant la main.
Cher joujou de mon âme ! cela me réjouit comme du vin délicieux. Quel dommage de n'en avoir que roquille !
Lisette.
Allons, arrêtez-vous ; vous êtes trop avide.
Arlequin.
Je ne demande qu'à me soutenir, en attendant que je vive.
Lisette.
Ne faut-il pas avoir de la raison ?
Arlequin.
De la raison ! hélas, je l'ai perdue ; vos beaux yeux sont les filous qui me l'ont volée.
Lisette.
Mais est-il possible, que vous m'aimiez tant ? je ne saurais me le persuader.
Arlequin.
Je ne me soucie pas de ce qui est possible, moi ; mais je vous aime comme un perdu, et vous verrez bien dans votre miroir que cela est juste.
Lisette.
Mon miroir ne servirait qu'à me rendre plus incrédule.
Arlequin.
Ah ! mignonne, adorable ! votre humilité ne serait donc qu'une hypocrite !
Lisette.
Quelqu'un vient à nous ; c'est votre valet.
Marivaux, Le jeu de l'Amour et du Hasard, II, 3, 1730.
1. Trouvez, dans la pièce, les différents aveux des personnages principaux et classez-les.
2. Selon vous, dans cette pièce, y a-t-il quiproquo ou manipulation ? Les personnages sont-ils sincères ou hypocrites ?
1. Lisez l'anecdote ci-contre. Que nous dit-elle sur la séduction et l'amour ?
2. Comment peut-elle éclairer les dialogues du Jeu de l'amour et du hasard ?
3. Selon vous, l'amour est-il toujours un "jeu" ?
À l'âge de dix-sept ans, je m'attachai à une jeune demoiselle, à qui je dois le genre de vie que j'embrassai. Je n'étais pas mal fait alors, j'avais l'humeur douce et les manières tendres. La sagesse que je remarquais dans cette fille, m'avait rendu sensible à sa beauté. Je lui trouvais d'ailleurs tant d'indifférence pour ses charmes, que j'aurais juré qu'elle les ignorait. Que j'étais simple dans ce temps-là ! Quel plaisir, disais-je en moi-même, si je puis me faire aimer d'une fille qui ne souhaite pas d'avoir des amants, puisqu'elle est belle sans y prendre garde, et que par conséquent elle n'est pas coquette ! Jamais je ne me séparais d'elle, que ma tendre surprise n'augmentât, de voir tant de grâces dans un objet qui ne s'en estimait pas davantage. Était-elle assise ou debout, parlait-elle ou marchait-elle, il me semblait toujours qu'elle n'y entendait point finesse, et qu'elle ne songeait à rien moins qu'à paraître ce qu'elle était.
Un jour qu'à la campagne je venais de la quitter, un gant que j'avais oublié fit que je retournai sur mes pas pour l'aller chercher. J'aperçus la belle de loin, qui se regardait dans un miroir, et je remarquai, à mon grand étonnement, qu'elle s'y représentait à elle-même dans tous les sens où, durant notre entretien, j'avais vu son visage, et il se trouvait que ses airs de physionomie que j'avais crus si naïfs n'étaient, à les bien nommer, que des tours de gibecière ; je jugeais de loin que sa vanité en adoptait quelques-uns, qu'elle en réformait d'autres ; c'étaient de petites façons qu'on aurait pu noter, et qu'une femme aurait pu apprendre comme un air de musique. Je tremblai du péril que j'aurais couru, si j'avais eu le malheur d'éprouver encore de bonne foi ses friponneries, au point de perfection où son habileté les portait ; mais je l'avais crue naturelle, et ne l'avais aimée que sur ce pied-là ; de sorte que mon amour cessa tout d'un coup, comme si mon cœur ne s'était attendri que sous condition. Elle m'aperçut à son tour dans son miroir, et rougit. Pour moi j'entrai en riant, et ramassant mon gant : Ah ! mademoiselle, je vous demande pardon, lui dis-je, d'avoir mis jusqu'ici sur le compte de la nature des appas dont tout l'honneur n'est dû qu'à votre industrie. Qu'est-ce que c'est ? que signifie ce discours ? me répondit-elle. Vous parlerai-je plus franchement ? lui dis-je ; je viens de voir les machines de l'Opéra ; il me divertira toujours, mais il me touchera moins. Je sortis là-dessus, et c'est de cette aventure que naquit en moi cette misanthropie qui ne m'a point quitté, et qui m'a fait passer ma vie à examiner les hommes, et à m'amuser de mes réflexions.
Marivaux, Le Spectateur français, première feuille, 1721.
1. Comparez les deux mises en scène suivantes.
2. L'interprétation proposée par la seconde mise en scène vous paraît-elle pertinente ? Pourquoi ?
M. Bluwal, téléfilm réalisé pour l'ORTF, 1967 (73'10-78'40). | J.-P. Roussillon, Comédie-Française, 1976 (82'45-90') | ||
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Choisissez l'une des scénographies ci-contre et expliquez-la.
J. Lermier, théâtre de Carouge-Atelier, Genève, 2008 | G. Stoev, Comédie-Française, 2012 |
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Proposez une scénographie originale qui éclaire d'un nouveau jour le texte de la pièce.
Vous ferez une vue de face, du point de vue d'un spectateur, ainsi qu'un plan au sol, pour qu'on comprenne bien.
Qu'est-ce qui vous paraît intéressant, touchant ou troublant dans cet extrait ?
L'une des pièces de Marivaux s'intitule Le Triomphe de l'Amour. Selon vous, ce titre pourrait-il convenir au Jeu de L'Amour et du Hasard ?
Silvia.
Laissez-moi. Tenez, si vous m'aimez, ne m'interrogez point. Vous ne craignez que mon indifférence et vous êtes trop heureux que je me taise. Que vous importent mes sentiments ?
Dorante.
Ce qu'ils m'importent, Lisette ! peux-tu douter encore que je ne t'adore ?
Silvia.
Non, et vous me le répétez si souvent que je vous crois ; mais pourquoi m'en persuadez-vous ? que voulez-vous que je fasse de cette pensée-là, monsieur ? Je vais vous parler à cœur ouvert. Vous m'aimez ; mais votre amour n'est pas une chose bien sérieuse pour vous. Que de ressources n'avez-vous pas pour vous en défaire ! La distance qu'il y a de vous à moi, mille objets que vous allez trouver sur votre chemin, l'envie qu'on aura de vous rendre sensible, les amusements d'un homme de votre condition, tout va vous ôter cet amour dont vous m'entretenez impitoyablement. Vous en rirez peut-être au sortir d'ici, et vous aurez raison. Mais moi, monsieur, si je m'en ressouviens, comme j'en ai peur, s'il m'a frappée, quel secours aurai-je contre l'impression qu'il m'aura faite ? Qui est-ce qui me dédommagera de votre perte ? Qui voulez-vous que mon cœur mette à votre place ? Savez-vous bien que, si je vous aimais, tout ce qu'il y a de plus grand dans le monde ne me toucherait plus ? Jugez donc de l'état où je resterais. Ayez la générosité de me cacher votre amour. Moi qui vous parle, je me ferais un scrupule de vous dire que je vous aime, dans les dispositions où vous êtes. L'aveu de mes sentiments pourrait exposer votre raison, et vous voyez bien aussi que je vous les cache.
Dorante.
Ah ! ma chère Lisette, que viens-je d'entendre ? tes paroles ont un feu qui me pénètre. Je t'adore, je te respecte. Il n'est ni rang, ni naissance, ni fortune qui ne disparaisse devant une âme comme la tienne. J'aurais honte que mon orgueil tînt encore contre toi, et mon cœur et ma main t'appartiennent. [...]
Silvia.
Quoi ! vous m'épouserez malgré ce que vous êtes, malgré la colère d'un père, malgré votre fortune ?
Dorante.
Mon père me pardonnera dès qu'il vous aura vue ; ma fortune nous suffit à tous deux, et le mérite vaut bien la naissance. Ne disputons point, car je ne changerai jamais.
Silvia.
Il ne changera jamais ! Savez-vous bien que vous me charmez, Dorante ?
Dorante.
Ne gênez donc plus votre tendresse, et laissez-la répondre…
Silvia.
Enfin, j'en suis venue à bout. Vous… vous ne changerez jamais ?
Dorante.
Non, ma chère Lisette.
Silvia.
Que d'amour !
Marivaux, Le Jeu de l'Amour et du Hasard, III, 8, 1730
Analysez la subordination dans les phrases ci-dessous.
a. Ah ! ma chère Lisette, que viens-je d'entendre ? tes paroles ont un feu qui me pénètre.
b. La distance qu'il y a de vous à moi, mille objets que vous allez trouver sur votre chemin, l'envie qu'on aura de vous rendre sensible, les amusements d'un homme de votre condition, tout va vous ôter cet amour dont vous m'entretenez impitoyablement.