Objet d'étude : La poésie, du Moyen-Âge au XVIIIe siècle
Introduction : Louise Labé, poètesse du XVIe s. Auteure d'une oeuvre brève : un texte en prose, trois élégies, 24 sonnets. Et d'une préface à tonalité féministe : "Étant le temps venu, Mademoiselle, que les sévères lois des hommes n’empêchent plus les femmes de s’appliquer aux sciences et disciplines". Oeuvre originale : une femme qui parle du sentiment amoureux.
Problématique : Qu'est-ce qui fait la force de cette évocation du sentiment amoureux ?
Autre problématique possible : Poésie de l'amour ou amour de la poésie ?
L'objectif de l'exercice est de reconstituer un sonnet.
1. Reconstituez le quatrain avec les fragments qui vous sont donnés. Que remarquez-vous ?
en endurant froidure ; entremêlés de joie. et me noie ; et trop dure. et trop molle j'ai chaud extrême j'ai grands ennuis je me brûle je meurs ; je vis, la vie m'est
2. Remettez les vers dans l'ordre. Justifiez votre choix.
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Il me remet en mon premier malheur.
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
3. Écrivez et ajoutez les vers manquants.
Préparez une lecture orale expressive de ce poème.
Qu'est-ce qui fait l'originalité et la force de cette évocation du sentiment amoureux ?
Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis1 entremêlés de joie.
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief2 tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur3,
Il me remet en mon premier malheur.
Louise Labé, Sonnets, 1555.
1. Ennuis : ici, douleurs profondes.
2. Grief (adjectif) : grave.
3. Heur : bonheur.
1. Quelle image de la passion amoureuse est donnée dans les sonnets II, XIII et XVIII ?
2. Même question pour les sonnets III, XIV et XIX.
3. D'après vos remarques précédentes, comment est composé le recueil ?
Que nous apprend ce texte sur la vie de Louise Labé ?
1. Lire un poème comme "Je vis, je meurs..." en pensant que c'est un homme qui s'exprime change-t-il, selon vous, la signification du texte ?
2. Selon vous, l'histoire racontée et les poèmes seraient-ils moins beaux s'il ne s'agissait que d'une fiction ?
3. Cherchez d'autres exemples de mystifications littéraires célèbres.
Louise Labé, portrait gravé par Pierre Woeiriot (1555).
Au 28 de la rue Paufique, à Lyon, est apposée une plaque sur laquelle nous lisons : "La poétesse Louise Labé "La Belle Cordière" vécut en ces lieux au XVIe siècle." Cette indication est hélas doublement erronée. D'une part, ladite "maison de Louise Labé" a été rasée au XVIIe siècle. D'autre part, et c'est nettement plus embêtant, la poétesse Louise Labé n'a jamais existé. C'est du moins ce qu'affirme Mireille Huchon, professeure à la Sorbonne, dans un ouvrage, Louise Labé, une créature de papier (éditions Droz), qui fait de jolies vagues.
La poétesse la plus célèbre du XVIe siècle ne serait qu'un personnage inventé par un groupe de littérateurs lyonnais. Ceux-ci se seraient amusés à "louer Louise" comme du temps de Pétrarque on s'entraînait à "louer Laure", femme idéalisée. Un exercice de style, une créature de papier, bref une mystification. C'est ainsi que seraient nées les fameuses OEuvres de Louise Labé Lyonnaise, parues en 1555, qui contiennent en particulier vingt-quatre sonnets dont beaucoup connaissent encore aujourd'hui, soit un demi-millénaire plus tard, quelques bribes et notamment celle-ci : "Baise m'encor, rebaise-moi et baise/ Donne m'en un de tes plus savoureux/ Donne m'en un de tes plus amoureux/ Je t'en rendrai quatre plus chauds que braise" (sonnet XVIII).
Car Louise Labé passait pour une fille très dégourdie. Son oeuvre exprime la passion amoureuse du point de vue féminin une révolution pour l'époque. Et ses OEuvres s'ouvrent par un texte une épître dédiée à "Mademoiselle Clémence de Bourges Lyonnaise" qui est l'un des tout premiers plaidoyers aux tonalités féministes. Citons-en l'incipit : "Etant le temps venu, Mademoiselle, que les sévères lois des hommes n'empêchent plus les femmes de s'appliquer aux sciences et disciplines : il me semble que celles qui [en] ont la commodité doivent employer cette honnête liberté que notre sexe a autrefois tant désirée." Les femmes doivent avoir une éducation, comme les hommes, et délaisser "quenouilles et fuseaux" pour se saisir de la plume.
Statue déboulonnée
Tout cela, plus le fait qu'une biographie très lacunaire prête à Louise d'infinies qualités elle sait le latin, l'italien, l'espagnol, la musique, est excellente cavalière, s'est initiée aux métiers des armes, participe à des tournois... a fait de Louise Labé une figure légendaire du proto-féminisme. Malheur à qui déboulonnera la statue !
Or voilà que c'est une femme qui le fait, et qui plus est une femme au sérieux et à l'érudition largement reconnus : Mireille Huchon. Dans son minuscule bureau de la Sorbonne, la directrice de l'UFR de langue française a le sourire de quelqu'un qui vient de jouer un bon tour. Comme si elle-même venait de plier une jolie cocotte de papier. Sauf que l'auteure de Rabelais grammairien n'est pas exactement une farceuse, et que son étude sur Louise Labé n'a rien du roman de gare. En analysant les textes, contexte et paratexte, Mireille Huchon dit avoir repéré "un faisceau d'indices" convergeant vers cette conclusion : ce sont les poètes fréquentant l'atelier de l'imprimeur Jean de Tournes, réunis autour de Maurice Scève et de quelques autres, qui ont créé les oeuvres de Louise Labé, à savoir les vingt-quatre sonnets, le Débat de folie et d'amour en prose et trois élégies. Le Débat devrait beaucoup à Maurice Scève, les poésies à Olivier de Magny, Claude de Taillemont, Jacques Pelletier du Mans et autres gentilshommes.
Edouard Launet, Libération, 16 juin 2006.
Proposez une lecture orale de ce poème.
1. Identifiez les propositions principales et subordonnées dans ce poème.
2. Quels sont les temps utilisés ? Pourquoi ?
Oh ! si j'étais en ce beau sein ravie
De celui-là pour lequel vais mourant ;
Si avec lui vivre le demeurant
De mes courts jours ne m'empêchait envie1/2 ;
Si m'accolant3, me disait : Chère Amie,
Contentons-nous l'un l'autre, s'assurant
Que jà4 tempête, Euripe5, ni courant
Ne nous pourra déjoindre en notre vie ;
Si, de mes bras le tenant accolé,
Comme du lierre est l'arbre encercelé,
La mort venait, de mon aise envieuse,
Lors que souef6 plus il me baiserait,
Et mon esprit sur ses lèvres fuirait,
Bien je mourrais, plus que vivante, heureuse.
Louise Labé, Sonnets, 1555.
1. Envie : Sentiment de malveillance, d'hostilité, de haine, de rancune. Ici, on suppose, commérage.
2. Syntaxe inversée : Si l'envie ne m'empêchait pas de vivre avec lui le demeurant de mes jours.
3. Accoler : Mettre ses bras autour du cou de quelqu'un, étreindre.
4. Jà : ici : jamais.
5. Euripe : Bras de la mer Égée célèbre pour ses courants violents.
6. Doucement, agréablement, délicatement.
1. Soit le sonnet VIII. Améliorez-le pour avoir une vraie chute à la fin du poème.
Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Il me remet en mon premier malheur.
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Louise Labé, Sonnets, 1555.
2. Louise Labé n'est peut-être qu'une mystification littéraire. Lisez l'article ci-dessous qui présente plusieurs exemples de mystification littéraire.
Pour attirer l'attention sur sa revue satirique, Les Guêpes, qui était en perte de vitesse, Alphonse Karr (1808-1890) fit répandre le bruit qu'il était mort. On s'arracha aussitôt le numéro qui venait de paraître, jusqu'au dernier insecte. Le lendemain, l'écrivain reparut sur le boulevard, le pas assuré, disant à ses amis ébahis : "Oui, j'étais mort, mais cela va mieux." [...]
Mystifier, c'est faire passer pour vrai ce qui ne l'est pas. Prosper Mérimée, farceur à ses heures, publia en 1827 un Choix de poésies illyriques recueillies dans la Dalmatie, la Bosnie, la Croatie et l'Herzégovine. Ce recueil de vingt-huit ballades, accompagnées de commentaires historiques et de notes philologiques fut très bien accueilli, et même traduit en russe par Pouchkine. On ne voulut pas croire l'auteur de Colomba quand il affirma que c'était une blague. La supercherie ne fut officiellement établie qu'en... 1908 par un spécialiste des langues slaves.
Un linguiste écossais, James MacPherson, s'amusa, lui, à se venger des critiques littéraires qui avaient méprisé son oeuvre en publiant entre 1762 et 1765 une masse de poésies attribuées à Ossian, "barde gaélique du IIIe siècle". Le mystificateur fut complètement dépassé par le succès de cette publication, raconte Jacques Finné : "il mit en branle un vaste mouvement d'intérêt pour les littératures celtiques et, surtout, une prise de conscience d'une nation gaélique qui devait engendrer de terribles conséquences". [...]
L'Américain Howard Phillips Lovecraft (1890-1937) [...] tient une place unique dans les mystifications littéraires, comme créateur et comme gourou. Ses récits surnaturels ont fait de lui un démiurge. C'est l'inventeur d'Abdul Alhazred, auteur présumé du Necronomicon, pour lequel le British Museum reçoit encore des demandes de prêt et se voit accusé de dissimuler des grimoires maudits.
Robert Solé, "Des mystifications littéraires", de Jacques Finné : écrivains farceurs ou faussaires, le Monde, 10 juin 2010.
Imaginez et écrivez un article qui révèle une incroyable mystification ou une histoire sensationnelle autour d'une des oeuvres étudiées cette année : Simenon avait commis un meurtre pour lequel il n'a jamais été suspecté, Le Jeu de l'amour et du hasard est une histoire vraie, l'auteur des sonnets de Louise Labé était en fait l'une des femmes les plus importantes du royaume, etc.
1. Quelle est, selon vous, la pire chose qui puisse arriver à une personne amoureuse ?
2. Préparez une lecture orale de ce texte.
À quoi Louise Labé se montre-t-elle pasionnément attachée dans ce poème ?
Tant que mes yeux pourront larmes épandre
A l'heur1 passé avec toi regretter,
Et qu'aux sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre2 ;
Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignard3 luth4, pour tes grâces chanter ;
Tant que l'esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que5 toi comprendre,
Je ne souhaite encore point mourir.
Mais, quand mes yeux je sentirai tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,
Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer signe d'amante,
Prierai la mort noircir mon plus clair jour.
Louise Labé, Sonnets, 1555.
1. Heur : Bonheur.
2. Syntaxe inversée : Tant que ma voix pourra résister aux sanglots et aux soupirs, et [tant que ma voix pourra] un peu [se] faire entendre.
3. Mignard : Gracieux, délicat.
4. Luth : Instrument à cordes pincées, à caisse de résonance en forme de demi-poire, dont le monde est recourbé.
5. Fors que : excepté, à part.
1. Nubileux : nuageux.
2. Apprêts : Préparatifs.
3. Arrêt : ici, décision, jugement.
4. Ourdir : préparer, tramer.
1. Remettez en forme le poème.
Prédit me fut que devait fermement un jour aimer celui dont la figure me fut décrite ; et sans autre peinture le reconnus quand vis premièrement. Puis le voyant aimer fatalement, pitié je pris de sa triste aventure, et tellement je forçai ma nature, qu'autant que lui aimai ardentement. Qui n'eût pensé qu'en faveur devait croître ce que le ciel et destins firent naître ? Mais quand je vois si nubileux1 apprêts2, vents si cruels et tant horrible orage, je crois qu'étaient les infernaux arrêts3, qui de si loin m'ourdissaient4 ce naufrage.
2. Remettez en ordre la suite du poème (le premier quatrain vous est donné à titre d'exemple).
Ne reprenez, Dames, si j'ai aimé,
Si j'ai senti mille torches ardentes,
Mille travaux, mille douleurs mordantes,
Si en pleurant j'ai mon temps consumé,
En ayant moins que moi d'occasion,
Et gardez-vous d'être plus malheureuses.
Et plus d'étrange et forte passion.
Las ! que mon nom n'en soit par vous blâmé.
Mais estimez qu'Amour, à point nommé,
N'aigrissez point leurs pointes violentes ;
Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses
Si j'ai failli, les peines sont présentes.
Sans la beauté d'Adonis accuser,
Sans votre ardeur d'un Vulcan excuser,
3. Poursuivez le poème suivant.
Je fuis la ville, et temples, et tous lieux
Esquels, prenant plaisir à t'ouïr plaindre,
Tu pus, et non sans force, me contraindre
De te donner ce qu'estimais le mieux.
Masques, tournois, jeux me sont ennuyeux,
Et rien sans toi de beau ne me puis peindre;
...
...