L'Étranger

Fiche

Albert Camus

Présentation

1913

Naissance d'Albert Camus le 7 novembre à Mondovi en Algérie, dans une famille modeste. Son père, Lucien, est ouvrier agricole et sa mère Catherine Sintès est une servante. Elle est illettrée et s'exprime difficilement.


1914

Le père est mobilisé. La mère quitte Mondovi avec ses deux fils pour s'installer à Alger dans un quartier populaire. Le père est blessé au combat et meurt la même année. La famille vit alors dans une grande pauvreté.


1923

Albert Camus attire l'attention de son instituteur qui l'aide à obtenir une bourse afin de poursuivre sa scolarité au lycée Bugeaud d'Alger.


1930

Camus est atteint de la tuberculose et part s'installer chez son oncle, chez qui il pourra développer son goût pour la littérature.


1940

Suite aux tensions internationales, il s'installe à Paris et est engagé à Paris Soir. Il débute la rédaction du Mythe de Sisyphe. Camus revient à Oran. Il y enseigne et prépare un nouveau roman, La Peste.


1942

Albert Camus s'engage dans la Résistance et publie des articles dans Combat, une revue clandestine. Les Éditions Gallimard publient L'Étranger, puis Le Mythe de Sisyphe. Ces deux œuvres prennent place dans la trilogie que Camus nommera "le cycle de l'absurde", et dont le troisième volet est la pièce de théâtre Caligula.


1945

Publication de La Peste.


1951

Albert Camus publie L'Homme révolté.


1956

L'auteur publie La Chute.


1957

Albert Camus obtient le prix Nobel de littérature "pour l'ensemble d'une œuvre qui met en lumière, avec un sérieux pénétrant les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des hommes". Il poursuit sa carrière théâtrale à travers des adaptations et des mises en scène.


1960

Le 4 janvier, Albert Camus meurt dans un accident de voiture. On retrouve dans le véhicule le manuscrit inachevé du Premier Homme qui sera publié en 1994.

Fiche

L'Étranger

Oral

En vous appuyant sur ces extraits, et sur votre connaissance du roman, expliquez en quoi Meursault est "seul avec tous".

Pistes

Quelques citations du roman

"Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile : Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier."

"Le soir, Marie est venue me chercher et m'a demandé si je voulais me marier avec elle. J'ai dit que cela m'était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je l'aimais. J'ai répondu comme je l'avais déjà fait une fois, que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l'aimais pas. "Pourquoi m'épouser alors ?" a-t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n'avait aucune importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D'ailleurs, c'était elle qui le demandait et moi je me contentais de dire oui."

"Et j'ai essayé d'écouter encore parce que le procureur s'est mis à parler de mon âme. Il disait qu'il s'était penché sur elle et qu'il n'avait rien trouvé, Messieurs les jurés. Il disait qu'à la vérité, je n'en avais point, d'âme, et que rien d'humain, et pas un des principes moraux qui gardent le cœur des hommes ne m'était accessible. "Sans doute, ajoutait-il, nous ne saurions le lui reprocher. Ce qu'il ne saurait acquérir, nous ne pouvons nous plaindre qu'il en manqué. Mais quand il s'agit de cette cour, la vertu toute négative de la tolérance doit se muer en celle, moins facile, mais plus élevée, de la justice. Surtout lorsque le vide du cœur tel qu'on le découvre chez cet homme devient un gouffre où la société peut succomber.""

"La plaidoirie de mon avocat me semblait ne devoir jamais finir. À un moment donné, cependant, je l'ai écouté parce qu'il disait : "Il est vrai que j'ai tué." Puis il a continué sur ce ton, disant "je" chaque fois qu'il parlait de moi. J'étais très étonné. Je me suis penché vers un gendarme et je lui ai demandé pourquoi. Il m'a dit de me taire et, après un moment, il a ajouté : "Tous les avocats font ça." Moi, j'ai pensé que c'était m'écarter encore de l'affaire, me réduire à zéro et, en un certain sens, se substituer à moi. Mais je crois que j'étais déjà très loin de cette salle d'audience."

"Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais été heureux, et que je l'étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine."

Albert Camus, L'Étranger, 1942.

Préface à l'édition américaine de L'Étranger

J'ai résumé L'Etranger, il y a très longtemps, par une phrase dont je reconnais qu'elle est très paradoxale: 'Dans notre société, tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort.' Je voulais dire seulement que le héros du livre est condamné parce qu'il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est étranger à la société où il vit, il erre, en marge, dans les faubourgs de la vie privée, solitaire, sensuelle. Et c'est pourquoi des lecteurs ont été tentés de le considérer comme une épave. On aura cependant une idée plus exacte du personnage, plus conforme en tout cas aux intentions de son auteur, si l'on se demande en quoi Meursault ne joue pas le jeu. La réponse est simple : il refuse de mentir. Mentir, ce n'est pas seulement dire ce qui n'est pas. C'est aussi, c'est surtout dire plus que ce qui est et, en ce qui concerne le coeur humain, dire plus qu'on ne sent. C'est ce que nous faisons tous, tous les jours, pour simplifier la vie. Meursault, contrairement aux apparences, ne veut pas simplifier la vie. Il dit ce qu'il est, il refuse de masquer ses sentiments et aussitôt la société se sent menacée. On lui demande par exemple de dire qu'il regrette son crime, selon la formule consacrée. Il répond qu'il éprouve à cet égard plus d'ennui que de regret véritable. Et cette nuance le condamne.

Meursault pour moi n'est donc pas une épave, mais un homme pauvre et nu, amoureux du soleil qui ne laisse pas d'ombres. Loin qu'il soit privé de toute sensibilité, une passion profonde, parce que tenace, l'anime, la passion de l'absolu et de la vérité. Il s'agit d'une vérité encore négative, la vérité d'être et de sentir, mais sans laquelle nulle conquête sur soi ne sera jamais possible.

On ne se tromperait donc pas beaucoup en lisant dans L'Etranger l'histoire d'un homme qui, sans aucune attitude héroïque, accepte de mourir pour la vérité. Il m'est arrivé de dire aussi, et toujours paradoxalement, que j'avais essayé de figurer dans mon personnage le seul christ que nous méritions. On comprendra après mes explications, que je l'aie dit sans aucune intention de blasphème et seulement avec l'affection un peu ironique qu'un artiste a le droit d'éprouver à l'égard des personnages de sa création.

Albert Camus, préface à l'édition américaine de L'Étranger, 1955.