Le comte de Monte-Cristo

Objet d'étude : Le roman et le récit du XVIIIe siècle au XXIe siècle

Problématique générale : Le Comte de Monte-Cristo, produit de grande consommation ou oeuvre littéraire ?

Support : Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, tome I, chapitres I à XXX, coll. Les classiques de poche, éd. Livre de Poche.

Sélection de chapitres :

- pour la première partie : I à IX, XIII à XV ;

- pour la seconde partie : XVI à XXVII, XXIX à XXX.

Séance 01

Incipit romanesques

Lecture

Comment ces débuts de roman font-ils entrer le lecteur dans chaque œuvre ?

Pistes

L'incipit, ses formes et ses fonctions

Prolongement

Dans votre journal de lecteur, inscrivez le titre "Les débuts de romans", puis répondez à la question suivante : Quels sont les débuts de romans que vous avez préférés ? Pourquoi ?

Explication

Quel portrait d'Edmond Dantès est fait dans ce début de roman ?

Document A

En 1632, je naquis à York, d'une bonne famille, mais qui n'était point de ce pays. Mon père, originaire de Brème, établi premièrement à Hull, après avoir acquis de l'aisance et s'être retiré du commerce, était venu résider à York, où il s'était allié, par ma mère, à la famille ROBINSON, une des meilleures de la province. C'est à cette alliance que je devais mon double nom de ROBINSON-KREUTZNAER ; mais, aujourd'hui, par une corruption de mots assez commune en Angleterre, on nous nomme, nous nous nommons et signons CRUSOÉ. C'est ainsi que mes compagnons m'ont toujours appelé.

J'avais deux frères : l'aîné, lieutenant-colonel en Flandre, d'un régiment d'infanterie anglaise, autrefois commandé par le fameux colonel Lockhart, fut tué à la bataille de Dunkerque contre les Espagnols ; que devint l'autre ? j'ignore quelle fut sa destinée ; mon père et ma mère ne connurent pas mieux la mienne.

Troisième fils de la famille, et n'ayant appris aucun métier, ma tête commença de bonne heure à se remplir de pensées vagabondes. Mon père, qui était un bon vieillard, m'avait donné toute la somme de savoir qu'en général on peut acquérir par l'éducation domestique et dans une école gratuite. Il voulait me faire avocat ; mais mon seul désir était d'aller sur mer, et cette inclination m'entraînait si résolument contre sa volonté et ses ordres, et malgré même toutes les prières et les sollicitations de ma mère et de mes parents, qu'il semblait qu'il y eût une fatalité dans cette propension naturelle vers un avenir de misère.

Daniel Defoe, Robinson Crusoé, trad. de Pétrus Borel, 1719.

Document B

Le 24 février 1815, la vigie de Notre-Dame de la Garde signala le trois-mâts le Pharaon, venant de Smyrne, Trieste et Naples.

Comme d'habitude, un pilote côtier partit aussitôt du port, rasa le château d'If, et alla aborder le navire entre le cap de Morgion et l'île de Rion.

Aussitôt, comme d'habitude encore, la plate-forme du fort Saint-Jean s'était couverte de curieux ; car c'est toujours une grande affaire à Marseille que l'arrivée d'un bâtiment, surtout quand ce bâtiment, comme le Pharaon, a été construit, gréé, arrimé sur les chantiers de la vieille Phocée, et appartient à un armateur de la ville.

Cependant ce bâtiment s'avançait ; il avait heureusement franchi le détroit que quelque secousse volcanique a creusé entre l'île de Calasareigne et l'île de Jaros ; il avait doublé Pomègue, et il s'avançait sous ses trois huniers, son grand foc et sa brigantine, mais si lentement et d'une allure si triste, que les curieux, avec cet instinct qui pressent un malheur, se demandaient quel accident pouvait être arrivé à bord. Néanmoins les experts en navigation reconnaissaient que si un accident était arrivé, ce ne pouvait être au bâtiment lui-même ; car il s'avançait dans toutes les conditions d'un navire parfaitement gouverné : son ancre était en mouillage, ses haubans de beaupré décrochés ; et près du pilote, qui s'apprêtait à diriger le Pharaon par l'étroite entrée du port de Marseille, était un jeune homme au geste rapide et à l'œil actif, qui surveillait chaque mouvement du navire et répétait chaque ordre du pilote.

La vague inquiétude qui planait sur la foule avait particulièrement atteint un des spectateurs de l'esplanade de Saint-Jean, de sorte qu'il ne put attendre l'entrée du bâtiment dans le port ; il sauta dans une petite barque et ordonna de ramer au-devant du Pharaon, qu'il atteignit en face de l'anse de la Réserve.

En voyant venir cet homme, le jeune marin quitta son poste à côté du pilote, et vint, le chapeau à la main, s'appuyer à la muraille du bâtiment.

C'était un jeune homme de dix-huit à vingt ans, grand, svelte, avec de beaux yeux noirs et des cheveux d'ébène ; il y avait dans toute sa personne cet air calme et de résolution particulier aux hommes habitués depuis leur enfance à lutter avec le danger.

- Ah ! c'est vous, Dantès ! cria l'homme à la barque ; qu'est-il donc arrivé, et pourquoi cet air de tristesse répandu sur tout votre bord ?

- Un grand malheur, monsieur Morrel ! répondit le jeune homme, un grand malheur, pour moi surtout : à la hauteur de Civita-Vecchia, nous avons perdu ce brave capitaine Leclère.

- Et le chargement ? demanda vivement l'armateur.

- Il est arrivé à bon port, monsieur Morrel, et je crois que vous serez content sous ce rapport ; mais ce pauvre capitaine Leclère...

- Que lui est-il donc arrivé ? demanda l'armateur d'un air visiblement soulagé ; que lui est-il donc arrivé, à ce brave capitaine ?

- Il est mort.

- Tombé à la mer ?

- Non, monsieur ; mort d'une fièvre cérébrale, au milieu d'horribles souffrances. Puis, se retournant vers ses hommes :

- Holà hé ! dit-il, chacun à son poste pour le mouillage !

L'équipage obéit. Au même instant, les huit ou dix matelots qui le composaient s'élancèrent les uns sur les écoutes, les autres sur les bras, les autres aux drisses, les autres aux hallebas des focs, enfin les autres aux cargues des voiles.

Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, chp I, 1844.

Document B

M. Baker, second du navire le Narcisse, franchit d'un pas le seuil de sa cabine éclairée et se trouva dans l'ombre du gaillard d'avant. Au-dessus de sa tête, sur le fronteau de dunette, l'homme de quart piqua deux coups. Il était neuf heures. M. Baker, parlant d'en bas, demanda :

- Tout le monde à bord, Knowles ?

L'homme descendit l'échelle à pas boitillants, puis dit d'un ton méditatif :

- Il me semble, sir. Tous les anciens sont là et il y a pas mal de nouveaux rendus aussi. Ils doivent y être tous.

- Dis au maître d'envoyer tout le monde derrière, continua M. Baker, et fais-moi porter une bonne lampe ici. Je vais faire l'appel de nos bonshommes.

Il faisait sombre sur l'arrière ; mais à mi-pont, par les portes ouvertes du gaillard d'avant, deux raies de vive lumière barraient la ténèbre de la nuit calme qui enveloppait le navire. Des voix montaient, tandis qu'à bâbord et à tribord, dans le rectangle lumineux des portes, des silhouettes mouvantes apparaissaient un moment, très noires, comme découpées à l'emporte-pièce dans de la tôle. Le navire était prêt à prendre la mer. Le charpentier avait enfoncé le dernier coin, qui condamnait le grand panneau et, jetant sa masse, s'était essuyé le front avec grande délibération, sur le coup de cinq heures. On avait balayé les ponts, huilé le guindeau avant de lever l'ancre ; la forte aussière de remorque gisait le long du pont, sur le côté, en longs doubles, un bout remonté et pendant par-dessus le bossoir tendu du remorqueur, qui arriverait, battant l'eau, crachant à grand bruit, chaud et fumant dans la limpide et fraîche paix de la première aube. Le capitaine était à terre, afin d'y compléter le rôle ; et, le travail de la journée fini, les officiers du bord se tenaient à l'écart, heureux de souffler un moment. Peu après la tombée de la nuit, les quelques permissionnaires et les nouveaux embarqués commencèrent d'arriver dans des bateaux venus de terre, dont les rameurs, Asiatiques vêtus de blanc, réclamaient à cris irrités leur salaire avant d'accoster l'échelle du passavant. Le fébrile et criard babil d'Orient luttait avec les mâles accents de matelots gris rabattant les revendications cyniques et les déshonnêtes espoirs en un langage sonore et profane. Le calme resplendissant et constellé de la nuit orientale fut lacéré en impurs lambeaux par des hurlements de rage et des clameurs de lamentation élevés au sujet de sommes variant de cinq annas à une demi-roupie ; et personne à bord de nul vaisseau, dans le port de Bombay, ne put ignorer que son nouvel équipage avait rallié le Narcisse.

Joseph Conrad, Le Nègre du "Narcisse", 1897, trad. de Robert d'Humières.

Document D

Sur le bateau nous étions presque toutes vierges. Nous avions de longs cheveux noirs, de larges pieds plats et nous n'étions pas très grandes. Certaines d'entre nous n'avaient mangé toute leur vie durant que du gruau de riz et leurs jambes étaient arquées, certaines n'avaient que quatorze ans et c'étaient encore des petites filles. Certaines venaient de la ville et portaient d'élégants vêtements, mais la plupart d'entre nous venaient de la campagne, et nous portions pour le voyage le même vieux kimono que nous avions toujours porté - hérité de nos soeurs, passé, rapiécé, et bien des fois reteint. Certaines descendaient des montagnes et n'avaient jamais vu la mer, sauf en image, certaines étaient filles de pêcheur et elles avaient toujours vécu sur le rivage. Parfois l'océan nous avait pris un frère, un père, ou un fiancé, parfois une personne que nous aimions s'était jetée à l'eau par un triste matin pour nager vers le large, et il était temps pour nous, à présent, de partir à notre tour.

Sur le bateau, la première chose que nous avons faite - avant de décider qui nous aimerions et qui nous n'aimerions pas, avant de nous dire les unes aux autres de quelle île nous venions et pourquoi nous la quittions, avant même de prendre la peine de faire les présentations -, c'est comparer les portraits de nos fiancés. C'étaient de beaux jeunes gens aux yeux sombres, à la chevelure touffue, à la peau lisse et sans défaut. Au menton affirmé. Au nez haut et droit. A la posture impeccable. Ils ressemblaient à nos frères, à nos pères restés là-bas, mais en mieux habillés, avec leurs redingotes grises et leurs élégants costumes trois-pièces à l'occidentale. Certains d'entre eux étaient photographiés sur le trottoir, devant une maison en bois au toit pointu, à la pelouse impeccable, enclose derrière une barrière de piquets blancs, d'autres dans l'allée du garage, appuyés contre une Ford T. Certains avaient posé dans un studio sur une chaise au dossier haut, les mains croisées avec soin, regard braqué sur l'objectif, comme s'ils étaient prêts à conquérir le monde. Tous avaient promis de nous attendre à San Francisco, à notre arrivée au port.

Sur le bateau, nous nous interrogions souvent : nous plairaient-ils ? Les aimerions-nous ? Les reconnaîtrions- nous d'après leur portrait quand nous les verrions sur le quai ?

Sur le bateau nous dormions en bas, à l'entrepont, espace noir et crasseux. Nos lits consistaient en d'étroites couchettes de métal empilées les unes sur les autres, aux rudes matelas trop fins, jaunis par les taches d'autres voyages, d'autres vies. Nos oreillers étaient garnis de paille séchée. Entre les couchettes, des miettes de nourriture jonchaient le sol, humide et glissant. Il y avait un hublot et, le soir, lorsqu'il était fermé, l'obscurité s'emplissait de murmures. Est-ce que ça va faire mal ? Les corps se tournaient et se retournaient sous les couvertures. La mer s'élevait, s'abaissait. L'atmosphère humide était suffocante. La nuit nous rêvions de nos maris. De nouvelles sandales de bois, d'infinis rouleaux de soie indigo, de vivre dans une maison avec une cheminée. Nous rêvions que nous étions grandes et belles. Que nous étions de retour dans les rizières que nous voulions si désespérément fuir. Ces rêves de rizières étaient toujours des cauchemars. Nous rêvions aussi de nos soeurs, plus âgées, plus jolies, que nos pères avaient vendues comme geishas pour nourrir le reste de la famille, et nous nous réveillions en suffoquant. Pendant un instant, j'ai cru que j'étais à sa place.

Julie Otsuka, Certaines n'avaient jamais vu la mer, coll. 10/18, 2012.

Séance 02

La proposition subordonnée relative

Observation

1. Observez les trois "que" dans ces phrases. S'agit-il du même mot ? Justifiez.

a. Il avait heureusement franchi le détroit que quelque secousse volcanique a creusé entre l'île de Calasareigne et l'île de Jaros.

b. Les experts en navigation reconnaissaient que [...] ce ne pouvait être au bâtiment lui-même.

c. Qu'est-il donc arrivé, et pourquoi cet air de tristesse répandu sur tout votre bord ?

Ce "que" se trouve ... Dans la proposition principale, ce "que" sert à ... À l'intérieur de la proposition subordonnée, ce "que" ... Ce "que" est ...
a. "...le détroit que quelque secousse..."

... après un nom

... introduire une proposition subordonnée

... remplace un nom ou un GN
b. "...reconnaissaient que [...]"

... après un verbe

... ne remplit aucun rôle

c. "Qu'est-il donc arrivé..."

... au début d'une phrase

... introduire une question ou une exclamation

Il n'y a pas de subordonnée ici.

2. Quelle différence entre "que" et "qui" dans ces deux phrases ?

a. Près du pilote, qui s'apprêtait à diriger le Pharaon par l'étroite entrée du port de Marseille, était un jeune homme au geste rapide et à l'œil actif.

b. Il sauta dans une petite barque et ordonna de ramer au-devant du Pharaon, qu'il atteignit en face de l'anse de la Réserve.

Notion

La proposition subordonnée relative (première partie)

Application

1. Réécrivez cette phrase en faisant d'une des propositions une subordonnée relative : "Cependant ce bâtiment s'avançait ; il avait heureusement franchi le détroit". Expliquez les changements que vous avez opérés.

2. Étudiez la proposition subordonnée relative dans cette phrase : "La vague inquiétude qui planait sur la foule avait particulièrement atteint un des spectateurs de l'esplanade de Saint-Jean, de sorte qu'il ne put attendre l'entrée du bâtiment dans le port".

Séance 03

Journal de lecteur

Écriture

Dans votre Journal de lecteur, inscrivez "Le Comte de Monte-Cristo : bilan d'étape", puis écrivez pour répondre aux questions suivantes.

1. Qu'est-ce que vous avez aimé dans les premiers chapitres ? Qu'est-ce qui vous a surpris, ému ou déplu ? Pourquoi ?

2. Le Comte de Monte-Cristo a été adapté plus de trente fois au cinéma. Selon vous, pourquoi ?

3. Reliez les personnages et les objets qui leur correspondent. Appuyez-vous sur les chapitres 1 à 4 pour répondre.

Les personnages Les objets

Caderousse, Danglars, Edmond Dantès, Louis Dantès, Fernand, Mercédès, M. Morrel.

Un bateau, une bourse d'or, une bouteille de vin, un couteau, une lettre anonyme, une lettre confidentielle, une plume et de l'encre.

Séance 04

Coup de théâtre

Oral

Dans le roman, qu'apprend-on dans les premiers chapitres sur monsieur de Villefort ?

Pistes

Lecture

Transformez cet extrait en scène de théâtre.

1. À deux, choisissez un personnage : Edmond Dantès ou Villefort.

2. L'un des élèves fera l'image (le corps, les gestes, les expressions du personnage), l'autre le son (la voix, les paroles du personnage).

3. Jouez cet extrait avec un binôme qui a fait pareil pour l'autre personnage.

4. Qu'est-ce que cet exercice vous montre sur le texte ?

Prolongement

1. En quoi ce dialogue s'apparente-t-il à une scène de théâtre ?

2. Montrez qu'Edmond Dantès est une victime innocente.

3. Villefort, méchant ou victime ?

4. Quelle émotion ce texte suscite-t-il ?

Accusé par une lettre calomnieuse, Edmond Dantès est arrêté et interrogé par le substitut du procureur, Villefort. Ce dernier finit par être convaincu de l'innocence d'Edmond et s'apprête à le libérer. Il lui pose une dernière question sur la lettre qu'Edmond avait reçu de son capitaine.

- À qui est-elle adressée ?

- À Monsieur Noirtier, rue Coq-Héron, à Paris.

La foudre tombée sur Villefort ne l'eût point frappé d'un coup plus rapide et plus imprévu ; il retomba sur son fauteuil, d'où il s'était levé à demi pour atteindre la liasse de papiers saisis sur Dantès, et, le feuilletant précipitamment, il en tira la lettre fatale, sur laquelle il jeta un regard empreint d'une indicible terreur.

- M. Noirtier, rue Coq-Héron, n° 13, murmura-t-il en pâlissant de plus en plus.

- Oui, Monsieur, répondit Dantès étonné, le connaissez-vous ?

- Non, répondit vivement Villefort : un fidèle serviteur du roi ne connaît pas les conspirateurs.

- Il s'agit donc d'une conspiration ? demanda Dantès, qui commençait, après s'être cru libre, à reprendre une terreur plus grande que la première. En tous cas, Monsieur, je vous l'ai dit, j'ignorais complétement le contenu de la dépêche dont j'étais porteur.

- Oui, reprit Villefort d'une voix sourde ; mais vous savez le nom de celui à qui elle était adressée ?

- Pour la lui remettre à lui-même, Monsieur, il fallait bien que je le susse.

- Et vous n'avez montré cette lettre à personne ? dit Villefort tout en lisant et en pâlissant à mesure qu'il lisait.

- À personne, Monsieur, sur l'honneur !

- Tout le monde ignore que vous étiez porteur d'une lettre venant de l'île d'Elbe et adressée à M. Noirtier ?

- Tout le monde, Monsieur, excepté celui qui me l'a remise.

- C'est trop, c'est encore trop ! murmura Villefort.

Le front de Villefort s'obscurcissait de plus en plus à mesure qu'il avançait vers la fin ; ses lèvres blanches, ses mains tremblantes, ses yeux ardents faisaient passer dans l'esprit de Dantès les plus douloureuses appréhensions.

Après cette lecture, Villefort laissa tomber sa tête dans ses mains, et demeura un instant accablé.

- Ô mon Dieu ! qu'y a-t-il donc, Monsieur ? demanda timidement Dantès.

Villefort ne répondit pas ; mais au bout de quelques instants il releva sa tête pâle et décomposée, et relut une seconde fois la lettre.

- Et vous dites que vous ne savez pas ce que contenait cette lettre ? reprit Villefort.

- Sur l'honneur, je le répète, Monsieur, dit Dantès, je l'ignore. Mais qu'avez-vous vous-même, mon Dieu ! vous allez vous trouver mal ; voulez-vous que je sonne, voulez-vous que j'appelle ?

- Non, Monsieur, dit Villefort en se levant vivement, ne bougez pas, ne dites pas un mot : c'est à moi à donner des ordres ici, et non pas à vous.

- Monsieur, dit Dantès blessé, c'était pour venir à votre aide, voilà tout.

- Je n'ai besoin de rien ; un éblouissement passager, voilà tout : occupez-vous de vous et non de moi, répondez.

Dantès attendit l'interrogatoire qu'annonçait cette demande, mais inutilement : Villefort retomba sur son fauteuil, passa une main glacée sur son front ruisselant de sueur, et pour la troisième fois se mit à relire la lettre.

- Oh ! s'il sait ce que contient cette lettre, murmura-t-il, et qu'il apprenne jamais que Noirtier est le père de Villefort, je suis perdu, perdu à jamais !

Et de temps en temps il regardait Edmond, comme si son regard eût pu briser cette barrière invisible qui enferme dans le cœur les secrets que garde la bouche.

- Oh ! n'en doutons plus ! s'écria-t-il tout à coup.

- Mais, au nom du ciel, Monsieur ! s'écria le malheureux jeune homme, si vous doutez de moi, si vous me soupçonnez, interrogez-moi, et je suis prêt à vous répondre.

Villefort fit sur lui-même un effort violent, et d'un ton qu'il voulait rendre assuré :

- Monsieur, dit-il, les charges les plus graves résultent pour vous de votre interrogatoire, je ne suis donc pas le maître, comme je l'avais espéré d'abord, de vous rendre à l'instant même la liberté.

Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, chp VII, 1844.

Séance 05

"(La suite à demain.)"

Recherche

1. D'après le premier document, rappelez comment le roman de Dumas a été publié.

2. Quelles conséquences ces conditions ont-elles sur l'écriture du roman ?

3. Que nous apprend le texte d'Umberto Eco sur la façon dont Dumas écrivait ?

4. Retrouvez, dans l'extrait mis en scène, des exemples de ce que décrit Umberto Eco.

Pistes

Prolongement

Les oeuvres réalisées pour "des raisons d'argent" sont-elles toujours de mauvaises oeuvres ?

Document A

Le Journal des débats, 28 août 1844.

Document B

Dans un essai consacré aux personnages surhumains, le philosophe Umberto Eco consacre un chapitre au livre d'Alexandre Dumas.

Le Comte de Monte-Cristo est sans doute l'un des romans les plus passionnants qui aient jamais été écrits, et c'est aussi l'un des romans les plus mal écrits de tous les temps et de toutes les littératures.

Monte-Cristo part en tous sens. Débordant de redondances, répétant éhontément un adjectif à une ligne d'écart, accumulant avec incontinence ces mêmes adjectifs, ouvrant de sentencieuses digressions sans réussir à les fermer car la syntaxe ne suit pas, avançant ainsi en haletant par périodes de vingt lignes, le roman est mécanique et gauche dans la description des sentiments : ses personnages frémissent, ou pâlissent, ou essuient de grosses gouttes de sueur coulant de leur front, ou balbutient d'une voix qui n'a plus rien d'humain, ou se lèvent brusquement d'une chaise pour y retomber aussitôt, et l'auteur s'empresse de nous répéter, de manière obsessionnelle, que la chaise sur laquelle ils sont retombés est bien celle sur laquelle ils étaient assis une seconde auparavant.

On sait parfaitement pourquoi Dumas Procédait de cette manière. Non qu'il ne sût pas écrire. Les Trois Mousquetaires est un texte plus sec, plus rapide, au détriment peut-être de la psychologie, mais il est admirablement fluide. S'il agissait ainsi, c'était tout bonnement pour des raisons d'argent : étant payé à la ligne, il tirait à la ligne.

Umberto Eco, "Éloge de Monte-Cristo", in De Superman au surhomme, 1978, éd. Grasset.

Prolongement

Trouvez les erreurs qui se sont dissimulés dans ces citations de romans-feuilletons populaires.

"Ah ! Ah ! dit Don Manoël en portugais".

Alexandre Dumas, Le Collier de la reine, 1849.

"En proie à un affolement complet, il sentait ses quatre membres s'entrechoquer dans son cerveau".

Xavier de Montépin, La Joueuse d'orgue

"Melchior n'avait cessé de boire durant toute la route et n'avait point desserré les dents", "...les bras croisés en tenant son journal", "Il avait un pantalon de velours et un gilet de la même couleur", "Il avait la main froide comme celle du serpent", "Il surgit, un sabre dans chaque main, un pistolet dans l'autre", "On s'étonnera peut-être que notre héros, transpercé au cœur de plusieurs coups de lance et, pour comble, pendu, dans un de nos épisodes précédents, au gibet de Montfaucon, où il est resté pendant trois jours, se retrouve si bien vivant et si bien portant dans celui-ci. Mystère !"

Ponson du Terrail, Rocambole, 1857.

Séance 06

"Au fond du gouffre"

Oral

Faites une recherche documentaire sur Thomas Alexandre Dumas.

Pistes

Recherche

1. Quels sont les différents lieux évoqués dans cet extrait ? Vous pouvez vous appuyer sur les descriptions de paysages.

2. Quels sont les différents personnages évoqués dans cet extrait ? Qui est présent avec Dantès ?

Prolongement

Cet extrait vous semble-t-il, comme le disait Umberto Eco, "mal écrit" ? Justifiez.

Document A

Il s'agit de l'incipit du roman.

Bicêtre1.

Condamné à mort !

Voilà cinq semaines que j'habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids !

Autrefois, car il me semble qu'il y a plutôt des années que des semaines, j'étais un homme comme un autre homme. Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idée. Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s'amusait à me les dérouler les unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d'inépuisables arabesques cette rude et mince étoffe de la vie. C'étaient des jeunes filles, de splendides chapes2 d'évêque, des batailles gagnées, des théâtres pleins de bruit et de lumière, et puis encore des jeunes filles et de sombres promenades la nuit sous les larges bras des marronniers. C'était toujours fête dans mon imagination. Je pouvais penser à ce que je voulais, j'étais libre.

Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée. Une horrible, une sanglante, une implacable idée ! Je n'ai plus qu'une pensée, qu'une conviction, qu'une certitude : condamné à mort ! Quoi que je fasse, elle est toujours là, cette pensée infernale, comme un spectre de plomb à mes côtés, seule et jalouse, chassant toute distraction, face à face avec moi misérable, et me secouant de ses deux mains de glace quand je veux détourner la tête ou fermer les yeux.

Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir, se mêle comme un refrain horrible à toutes les paroles qu'on m'adresse, se colle avec moi aux grilles hideuses de mon cachot ; m'obsède éveillé, épie mon sommeil convulsif, et reparaît dans mes rêves sous la forme d'un couteau.

Je viens de m'éveiller en sursaut, poursuivi par elle et me disant : - Ah ! ce n'est qu'un rêve ! - Hé bien ! avant même que mes yeux lourds aient eu le temps de s'entrouvrir assez pour voir cette fatale pensée écrite dans l'horrible réalité qui m'entoure, sur la dalle mouillée et suante de ma cellule, dans les rayons pâles de ma lampe de nuit, dans la trame grossière de la toile de mes vêtements, sur la sombre figure du soldat de garde dont la giberne3 reluit à travers la grille du cachot, il me semble que déjà une voix a murmuré à mon oreille : - Condamné à mort !

Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un condamné, 1829.

Document B

Fabrice del Dongo est un jeune noble originaire de Parme, engagé dans les troupes de Napoléon. Pour avoir tué son adversaire au cours d'un duel, il est emprisonné dans la tour Farnèse et tombe amoureux de Clélia Conti, fille du gouverneur de la prison où il se trouve.

Ce fut dans l'une de ces chambres construites depuis un an, et chef-d'œuvre du général Fabio Conti, laquelle avait reçu le beau nom d'Obéissance passive, que Fabrice fut introduit. Il courut aux fenêtres ; la vue qu'on avait de ces fenêtres grillées était sublime : un seul petit coin de l'horizon était caché, vers le nord-ouest, par le toit en galerie du joli palais du gouverneur, qui n'avait que deux étages ; le rez-de-chaussée était occupé par les bureaux de l'état-major ; et d'abord les yeux de Fabrice furent attirés vers une des fenêtres du second étage, où se trouvaient, dans de jolies cages, une grande quantité d'oiseaux de toute sorte. Fabrice s'amusait à les entendre chanter, et à les voir saluer les derniers rayons du crépuscule du soir, tandis que les geôliers s'agitaient autour de lui. Cette fenêtre de la volière n'était pas à plus de vingt-cinq pieds de l'une des siennes, et se trouvait à cinq ou six pieds en contrebas, de façon qu'il plongeait sur les oiseaux.

Il y avait lune ce jour-là, et au moment où Fabrice entrait dans sa prison, elle se levait majestueusement à l'horizon à droite, au-dessus de la chaîne des Alpes, vers Trévise. Il n'était que huit heures et demie du soir, et à l'autre extrémité de l'horizon, au couchant, un brillant crépuscule rouge orangé dessinait parfaitement les contours du mont Viso et des autres pics des Alpes qui remontent de Nice vers le Mont-Cenis et Turin ; sans songer autrement à son malheur, Fabrice fut ému et ravi par ce spectacle sublime. "C'est donc dans ce monde ravissant que vit Clélia Conti ! avec son âme pensive et sérieuse, elle doit jouir de cette vue plus qu'un autre ; on est ici comme dans des montagnes solitaires à cent lieues de Parme." Ce ne fut qu'après avoir passé plus de deux heures à la fenêtre, admirant cet horizon qui parlait à son âme, et souvent aussi arrêtant sa vue sur le joli palais du gouverneur que Fabrice s'écria tout à coup : "Mais ceci est-il une prison ? Est-ce là ce que j'ai tant redouté ?" Au lieu d'apercevoir à chaque pas des désagréments et des motifs d'aigreur, notre héros se laissait charmer par les douceurs de la prison.

Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839.

Document C

À force de se dire à lui-même, à propos de ses ennemis, que le calme était la mort, et qu'à celui qui veut punir cruellement, il faut d'autres moyens que la mort, il tomba dans l'immobilité morne des idées de suicide ; malheur à celui qui, sur la pente du malheur, s'arrête à ces sombres idées ! C'est une de ces mers mortes qui s'étendent comme l'azur des flots purs, mais dans lesquelles le nageur sent de plus en plus s'engluer ses pieds dans une vase bitumineuse qui l'attire à elle, l'aspire, l'engloutit. Une fois pris ainsi, si le secours divin ne vient point à son aide, tout est fini, et chaque effort qu'il tente l'enfonce plus avant dans la mort.

Cependant cet état d'agonie morale est moins terrible que la souffrance qui l'a précédé et que le châtiment qui le suivra peut-être ; c'est une espèce de consolation vertigineuse qui vous montre le gouffre béant, mais au fond du gouffre le néant. Arrivé là, Edmond trouva quelque consolation dans cette idée ; toutes ses douleurs, toutes ses souffrances, ce cortège de spectres qu'elles traînaient à leur suite, parurent s'envoler de ce coin de sa prison où l'ange de la mort pouvait poser son pied silencieux, Dantès regarda avec calme sa vie passée, avec terreur sa vie future, et choisit ce point milieu qui lui paraissait être un lieu d'asile.

- Quelquefois, se disait-il alors, dans mes courses lointaines, quand j'étais encore un homme, et quand cet homme, libre et puissant, jetait à d'autres hommes des commandements qui étaient exécutés, j'ai vu le ciel se couvrir, la mer frémir et gronder, l'orage naître dans un coin du ciel, et comme un aigle gigantesque battre les deux horizons de ses deux ailes ; alors je sentais que mon vaisseau n'était plus qu'un refuge impuissant, car mon vaisseau, léger comme une plume à la main d'un géant, tremblait et frissonnait lui-même.

Bientôt, au bruit effroyable des lames, l'aspect des rochers tranchants m'annonçait la mort, et la mort m'épouvantait ; je faisais tous mes efforts pour y échapper, et je réunissais toutes les forces de l'homme et toute l'intelligence du marin pour lutter avec Dieu !… C'est que j'étais heureux alors, c'est que revenir à la vie, c'était revenir au bonheur ; c'est que cette mort, je ne l'avais pas appelée, je ne l'avais pas choisie ; c'est que le sommeil enfin me paraissait dur sur ce lit d'algues et de cailloux ; c'est que je m'indignais, moi qui me croyais une créature faite à l'image de Dieu, de servir, après ma mort, de pâture aux goélands et aux vautours.

Mais aujourd'hui c'est autre chose : j'ai perdu tout ce qui pouvait me faire aimer la vie, aujourd'hui la mort me sourit comme une nourrice à l'enfant qu'elle va bercer ; mais aujourd'hui je meurs à ma guise, et je m'endors las et brisé, comme je m'endormais après un de ces soirs de désespoir et de rage pendant lesquels j'avais compté trois mille tours dans ma chambre, c'est-à-dire trente mille pas, c'est-à-dire à peu près dix lieues.

Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, chp XV, 1845.

Document D

Meursault, le narrateur, se laisse entraîner dans une histoire de vengeance qui le conduit à tuer un homme. Il est aussitôt mis en prison.

Quand je suis entré en prison, on m'a pris ma ceinture, mes cordons de souliers, ma cravate et tout ce que je portais dans mes poches, mes cigarettes en particulier. Une fois en cellule, j'ai demandé qu'on me les rende. Mais on m'a dit que c'était défendu. Les premiers jours ont été très durs. C'est peut-être cela qui m'a le plus abattu. Je suçais des morceaux de bois que j'arrachais de la planche de mon lit. Je promenais toute la journée une nausée perpétuelle. Je ne comprenais pas pourquoi on me privait de cela qui ne faisait de mal à personne. Plus tard, j'ai compris que cela faisait partie aussi de la punition. Mais à ce moment-là, je m'étais habitué à ne plus fumer et cette punition n'en était plus une pour moi. À part ces ennuis, je n'étais pas trop malheureux. Toute la question, encore une fois, était de tuer le temps. J'ai fini par ne plus m'ennuyer du tout à partir de l'instant où j'ai appris à me souvenir. Je me mettais quelquefois à penser à ma chambre et, en imagination, je partais d'un coin pour y revenir en dénombrant mentalement tout ce qui se trouvait sur mon chemin. Au début, c'était vite fait. Mais chaque fois que je recommençais, c'était un peu plus long. Car je me souvenais de chaque meuble, et, pour chacun d'entre eux, de chaque objet qui s'y trouvait et, pour chaque objet, de tous les détails et pour les détails eux-mêmes, une incrustation, une fêlure ou un bord ébréché, de leur couleur ou de leur grain. En même temps, j'essayais de ne pas perdre le fil de mon inventaire, de faire une énumération complète. Si bien qu'au bout de quelques semaines, je pouvais passer des heures, rien qu'à dénombrer ce qui se trouvait dans ma chambre. Ainsi, plus je réfléchissais et plus de choses méconnues et oubliées je sortais de ma mémoire. J'ai compris alors qu'un homme qui n'aurait vécu qu'un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison. Il aurait assez de souvenirs pour ne pas s'ennuyer. Dans un sens, c'était un avantage.

Albert Camus, L'Étranger, 1942.

Séance 07

L'obsolescence des prisons

Oral

1. Qu'est-ce que le roman de Dantès nous dit sur la prison ?

2. Ces remarques sont-elles toujours d'actualité selon vous ?

Pistes

Contraction

Reformulez chaque paragraphe en une phrase simple, comme si vous expliquiez à l'oral.

Pistes

Essai

Pensez-vous, comme Angela Davis, que le concept de prison est "obsolète" ?

Angela Davis, née le 26 janvier 1944 à Birmingham en Alabama, est une militante et écrivaine américaine.

De janvier 2011 à janvier 2014, en qualité de Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Grégoire Korganow visite une vingtaine d'établissements pénitentiaires. Il photographie tout : l'intérieur des cellules, la cour de promenade, les parloirs, les douches, le mitard (quartier disciplinaire), le jour, la nuit, pour montrer la réalité de l'incarcération aujourd'hui.

Quand j'ai commencé à militer pour l'abolition des prisons, vers la fin des années 60, j'ai été stupéfaite de découvrir qu'il y avait alors près de deux cent mille détenus dans mon propre pays. Si on m'avait dit qu'en l'espace de trois décennies, le nombre de personnes mises sous les verrous serait multiplié par dix, j'aurais été incrédule. Et j'aurais sans doute répondu peu ou prou la chose suivante : "Aussi raciste et antidémocratique que puisse être ce pays [souvenons-nous qu'à l'époque, les revendications du Mouvement des droits civiques commençaient juste à être prises en compte], je ne crois pas que le gouvernement américain sera en mesure d'enfermer autant de gens sans susciter une puissante résistance dans l'opinion. Non, ça n'arrivera jamais… sauf si nous basculons dans le fascisme." Telle aurait pu être ma réaction, il y a trente ans. La réalité, c'est que nous avons été invités à entrer dans le XXIe siècle en acceptant le fait que deux millions de prisonniers - un nombre supérieur à la population totale de certains pays - passent leur vie dans des lieux comme Sing Sing, Leavenworth, San Quentin ou l'Alderson federal reformatory for women [Centre fédéral de redressement pour femmes d'Alderson]. [...]

Lorsqu'on réfléchit à la question de l'obsolescence des prisons, il est essentiel de se demander comment la population carcérale a pu connaître une telle inflation sans qu'on s'interroge véritablement sur l'efficacité de l'enfermement. Quand dans les années 80, sous "l'ère Reagan", il a été décidé de construire davantage de prisons et d'augmenter le nombre de détenus, les politiciens étaient tous d'accord pour affirmer que "sévir contre le crime" - notamment par l'emprisonnement systématique et l'allongement des peines de prison - était la clé pour faire reculer la criminalité. En réalité, l'incarcération de masse telle qu'on a commencé à la pratiquer à cette époque n'a eu que peu (ou pas) d'effets sur les chiffres officiels de la criminalité. L'accroissement de la population carcérale ne produisait pas des rues plus sûres, juste un nombre encore croissant de prisonniers. [...]

Derrière tout cela, une question fondamentale se pose : pourquoi considérons-nous la prison comme un fait acquis ? Si on peut dire qu'une part relativement infime de la population prise dans son ensemble a déjà fait l'expérience de la vie en milieu carcéral, cela n'est pas vrai pour les Noirs et les Latinos issus de communautés défavorisées. Ni pour les Amérindiens et certaines communautés d'origine asiatique. Mais même parmi ceux qui sont contraints d'accepter la prison comme une dimension ordinaire de leur vie sociale - surtout les jeunes -, il est très difficile d'envisager des débats publics sérieux sur la vie en détention ou sur des alternatives radicales à la privation de liberté. Comme si la prison était un fait de la vie aussi inévitable que la naissance ou la mort.

Dans l'ensemble, les gens considèrent la prison comme un fait acquis. Ils ont du mal à imaginer une société sans elle. En même temps, nul n'a envie de regarder la réalité carcérale en face, de peur de découvrir ce qui se passe vraiment à l'intérieur de ces lieux. Ainsi, la prison est à la fois présente et absente de nos vies. Penser la conjonction présence-absence, c'est commencer à reconnaître comment l'idéologie façonne nos interactions avec notre environnement social. Nous considérons que la prison est indispensable, mais nous n'avons pas envie de savoir ce qu'il se passe entre ses murs. Après tout, personne n'a envie d'aller en prison. Parce qu'il nous est trop pénible d'admettre que n'importe qui, y compris nous-mêmes, est susceptible de se retrouver derrière les barreaux, nous avons tendance à déconnecter la prison de notre vie. C'est parfois vrai même pour ceux d'entre nous, hommes ou femmes, ayant déjà fait l'expérience de l'incarcération.

Nous voyons l'emprisonnement comme quelque chose qui n'arrive qu'aux autres - c'est le triste sort réservé aux "méchants", pour reprendre un mot cher à George W. Bush. En raison de la force de suggestion du racisme, les "criminels" et les "méchants" sont, dans l'imaginaire collectif, figurés par des personnes de couleur. La prison fonctionne donc sur le plan idéologique comme un lieu abstrait où sont déposés les êtres indésirables afin de nous soulager de la responsabilité de penser aux vrais problèmes qui affectent les communautés dont sont largement issus les détenus. Tel est le travail idéologique accompli par la prison : nous soustraire à la responsabilité qui est la nôtre de réfléchir sérieusement aux problèmes de notre société.

Angela Davis, La prison est-elle obsolète ?, éd. Au Diable Vauvert, 2014.

Séance 07

En finir avec les prisons

Contraction

Reformulez chaque paragraphe en une phrase simple, comme si vous expliquiez à l'oral.

Pistes

Essai

Selon vous, peut-on réellement "en finir avec les prisons" ?

Dans dix ans, l'horreur du système pénitentiaire français sera aussi évidente à l'opinion qu'aujourd'hui la torture en Algérie [...]. En attendant, nous sommes, à l'égard de ce scandale, dans la position exacte où nous étions à l'égard de la torture en 1960 : l'opinion fait la sourde oreille, les responsables se défilent ou nomment des commissions d'enquête. [...]

Bien sûr, certaines pratiques ont disparu, au moins dans certaines prisons. Une minorité de détenus bénéficient d'avantages légaux, comme la semi-liberté. Mais l'univers carcéral, pour l'essentiel, est resté le même et il produit les mêmes effets, comme le montrent les textes que nous publions plus loin : système d'humiliation et de peur réciproque où sont impliqués détenus et surveillants, système de destruction de la personnalité, hiérarchie avilissante où triomphent la brutalité des forts et la ruse des faibles.

À l'inverse du but proclamé par le législateur, l'effet le plus certain de la prison est de désespérer le détenu et de le conduire à la récidive. Le travail, prévu comme instrument de la rééducation, est souvent fait de tâches absurdes ou dégradantes et ne rapporte au détenu que 1 à 5 francs par jour (sauf quelques rares exceptions). Presque rien n'est prévu pour cette "réinsertion" dont on parle tant. Mais le casier judiciaire et l'interdiction de séjour sont là pour prolonger la peine. [...]

Les taux de récidive sont écrasants - 47% pour l'ensemble des détenus et 53% pour les emprisonnés - et ils sont d'autant plus élevés que la peine est faible et que le détenu est jeune. Que dirait-on d'un hôpital où les gens entreraient avec une bronchite pour en sortir, un an plus tard, avec une tuberculose ? [...]

Le moment est venu de mettre fin au scandale des prisons. Nul ne peut prétendre l'ignorer, et la seule question est de savoir s'il faudra encore attendre dix ans, de nouvelles révoltes, de nouveaux lynchages, de nouvelles répressions - et de nouvelles commissions d'enquête. [...]

Toutes les réformes sont bonnes à prendre, mais elles ne touchent pas l'essentiel. Il s'agit en effet d'abattre les murs des prisons, de détruire l'univers carcéral, ce qui ne signifie pas, comme on feint de le croire, entrer du jour au lendemain dans un univers sans saction. Appliquer la loi, dans sa lettre et dans son esprit, ce serait déjà vider aux trois quarts nos prisons : de la majorité des prévenus, de la masse des délinquants mineurs et de la fraction de malades mentaux qu'elles abritent. Quant à l'infime minorité de criminels dangereux, il est facile d'instituer pour eux des mesures de protection sociale qui cessent de faire peser sur toute l'administration pénitentiaire et sur la masse des détenus la hantise et l'évasion et de la sécurité.

Abattre les murs des prisons, c'est le risque à prendre, les yeux ouverts, - un risque en tout cas moins coûteux que celui de l'avilissement carcéral : il faudra inventer des institutions et des comportements qui, au lieu de répondre à la délinquence par la répression, en soigneront les causes et par là obligeront à se transformer une société qui devient de plus en plus criminogène. Le sadisme pénitentiaire est la pointe extrême d'un mépris de l'homme et d'une violence qui empoisonnent notre vie sociale. Il n'a rien à voir avec la justice. Il est même le contraire de la justice, comme la vengeance est le contraire de la sanction. Est-il vraiment extraordinaire d'imaginer une société sans prisons ? Après tout, à quelques jours du Quatorze juillet, on peut rappeler que la fête nationale en France n'est rien d'autre que la commémoration de la fin d'une prison.

Jean-marie Domenach, "En finir avec les prisons", revue Esprit, juillet/août 1972.

Document B
La perpétuité, peine de mort lente

Un collectif milite pour son abolition, vingt ans après la guillotine.

C'est une manière de provocation. Alors que, menées par Robert Badinter, s'ouvrent ce week-end de multiples célébrations du 20e anniversaire de l'abolition de la peine de mort en France, dont un colloque, certains militent pour une autre abolition. Celle de la réclusion à perpétuité. "Après l'abolition de la peine de mort, comment sanctionner les crimes les plus graves?" interroge ainsi Octobre 2001, un collectif d'associations, qui a lancé un manifeste pour cette abolition.

Le colloque aura lieu samedi à l'Assemblée nationale, là où fut abrogé l'article du code pénal édictant que tout condamné à mort aurait la tête tranchée. Là aussi où furent votées les lois instituant les périodes de sûreté, les perpétuités réelles. Et dont le résultat se traduit en chiffres. Entre 1980 et 1999, "le nombre des détenus condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité est passé de 185 à 566" (1). D'où cette question posée par Octobre 2001: "Si l'un des fondements d'un possible amendement réside dans l'acceptation de la peine par le condamné, comment un individu peut-il se reconnaître dans un verdict ne lui laissant aucune possibilité de faire valoir une évolution de son comportement? Un verdict qui le définit comme monstre irrécupérable, qui l'engage à accepter sa propre mort sociale?" Marylise Lebranchu, qui ouvrira le débat, devra peaufiner son discours, puisque son projet de loi pénitentiaire ne répond pas à cette interrogation. Ce n'est pas dans l'air du temps. Et, de tous les partis politiques, seuls les Verts et le PCF ont signé le manifeste. Le vieux parti a même organisé plusieurs débats sur ce thème. Pour le chercheur Pierre Tournier, d'Octobre 2001, il faut surtout "élever la réflexion, définir ce que doit être une philosophie pénale européenne où la perpétuité, comme la peine de mort, serait au musée".

Il faut aussi écouter les détenus parler de ces très longues peines. Un professeur de droit, membre d'Octobre 2001, a demandé à ceux de la centrale d'Ensisheim d'y consacrer, ce mois-ci, l'Echappée belle, leur journal. L'un d'eux assure: "L'abolition de la perpétuité signifierait que toute personne condamnée aurait une date de libération en point de mire et, par conséquent, une raison de vivre et de ne pas se laisser aller."

Jeudi soir, des lettres de prisonniers ont été lues au très radical collectif Ne laissons pas faire, qui milite pour l'abolition de la perpétuité mais aussi pour celle des longues peines. A la centrale d'Arles, l'un d'eux affirme: "Seule la guillotine a été abolie, cette mort instantanée et foudroyante. Maintenant pour tous c'est la mort lente." Gaby Mouesca, nationaliste basque récemment libéré après dix-sept ans de prison, raconte aussi: "Je suis un ancien détenu et je ne suis pas capable de témoigner, je n'ai pas assez de recul pour dire la souffrance de chaque minute." Philippe Maurice, ancien condamné à mort gracié puis libéré, a envoyé un message où il dénonce "cette mort lente et perverse que sont les longues peines". Nathalie Ménigon, condamnée deux fois à perpétuité assortie d'une période de sûreté de dix-huit ans pour deux assassinats commis au nom d'Action directe, témoigne de ses quatorze années de détention, grâce à une conversation téléphonique enregistrée depuis la cabine téléphonique du centre de détention de Bapaume: "Les longues peines? C'est insupportable, beaucoup de prisonniers l'ont dénoncé en disant préférer la mort."

La mort continue d'être appliquée dans 87 pays. Selon Amnesty International, en 2000, "88 % des exécutions recensées ont eu lieu en Arabie Saoudite, en Chine, aux Etats-Unis et en Iran", et Octobre 2001 ira manifester au Panthéon, le 9 octobre, pour une "abolition universelle". Près du tombeau de Victor Hugo qui, en 1862, déclarait: "Depuis trente-cinq ans, j'essaye de faire obstacle au meurtre en place publique.".

(1) Direction de l'administration pénitentiaire, L'allongement des peines, mai 2001, par Annie Kensey et Christophe Cardet.

Dominique Simonnot, "La perpétuité, peine de mort lente", Libération, 6 octobre 2001.

Séance 08

Le cimetière du château d'If

Lecture

Proposez un storyboard de cet extrait.

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Qu'est-ce qui vous paraît intéressant dans cet extrait ?

Vocabulaire

1. Quels sont tous les sens du mot "chute" ?

2. Trouvez le plus de mots de la famille de "suspense".

Prolongement

1. Faites la liste des passages du roman où il y a du suspense.

2. Comment Dumas s'y prend-il pour créer du suspense ? Appuyez-vous sur des exemples précis.

Le jeune Edmond Dantès a été injustement emprisonné au château d'If. Là, il lie connaissance avec le prisonnier voisin, l'abbé Faria, au moyen d'un tunnel secret. Quand celui-ci décède, il prend sa place dans le sac mortuaire, afin de pouvoir s'évader pendant ou après l'enterrement. Les deux fossoyeurs emmènent le sac mortuaire, mais, après avoir monté de nombreuses marches, ils s'arrêtent.

La porte s'ouvrit, une lumière voilée parvint aux yeux de Dantès. Au travers de la toile qui le couvrait, il vit deux ombres s'approcher de son lit. Une troisième restait à la porte, tenant un falot à la main. Chacun des deux hommes, qui s'étaient approchés du lit, saisit le sac par une de ses extrémités.

- C'est qu'il est encore lourd, pour un vieillard si maigre ! dit l'un d'eux en le soulevant par la tête.

- On dit que chaque année ajoute une demi-livre au poids des os, dit l'autre en le prenant par les pieds.

- As-tu fait ton nœud ? demanda le premier.

- Je serais bien bête de nous charger d'un poids inutile, dit le second, je le ferai là-bas.

- Tu as raison ; partons alors.

- Pourquoi ce nœud ? se demanda Dantès.

On transporta le prétendu mort du lit sur la civière. Edmond se raidissait pour mieux jouer son rôle de trépassé. On le posa sur la civière ; et le cortège, éclairé par l'homme au falot, qui marchait devant, monta l'escalier.

Tout à coup, l'air frais et âpre de la nuit l'inonda. Dantès reconnut le mistral. Ce fut une sensation subite, pleine à la fois de délices et d'angoisses.

Les porteurs firent une vingtaine de pas, puis ils s'arrêtèrent et déposèrent la civière sur le sol.

Un des porteurs s'éloigna, et Dantès entendit ses souliers retentir sur les dalles.

- Où suis-je donc ? se demanda-t-il.

- Sais-tu qu'il n'est pas léger du tout ! dit celui qui était resté près de Dantès en s'asseyant sur le bord de la civière.

Le premier sentiment de Dantès avait été de s'échapper, heureusement il se retint.

- Éclaire-moi donc, animal, dit celui des deux porteurs qui s'était éloigné, ou je ne trouverai jamais ce que je cherche.

L'homme au falot obéit à l'injonction, quoique, comme on l'a vu, elle fût faite en termes peu convenables.

- Que cherche-t-il donc ? se demanda Dantès. Une bêche sans doute.

Une exclamation de satisfaction indiqua que le fossoyeur avait trouvé ce qu'il cherchait.

- Enfin, dit l'autre, ce n'est pas sans peine.

- Oui, répondit-il, mais il n'aura rien perdu pour attendre.

À ces mots il se rapprocha d'Edmond, qui entendit déposer près de lui un corps lourd et retentissant : au même moment, une corde entoura ses pieds d'une vive et douloureuse pression.

- Eh bien ! le nœud est-il fait ? demanda celui des fossoyeurs qui était resté inactif.

- Et bien fait, dit l'autre ; je t'en réponds.

- En ce cas, en route.

Et la civière soulevée reprit son chemin.

On fit cinquante pas à peu près, puis on s'arrêta pour ouvrir une porte, puis on se remit en route. Le bruit des flots se brisant contre les rochers sur lesquels est bâti le château, arrivait plus distinctement à l'oreille de Dantès à mesure que l'on avança.

- Mauvais temps ! dit un des porteurs, il ne fera pas bon d'être en mer cette nuit.

- Oui, l'abbé court grand risque d'être mouillé, dit l'autre, et ils éclatèrent de rire.

Dantès ne comprit pas très bien la plaisanterie, mais ses cheveux ne s'en dressèrent pas moins sur sa tête.

- Bon, nous voilà arrivés ! reprit le premier.

- Plus loin, plus loin, dit l'autre, tu sais bien que le dernier est resté en route, brisé sur les rochers, et que le gouverneur nous a dit le lendemain que nous étions des fainéants.

On fit encore quatre ou cinq pas en montant toujours, puis Dantès sentit qu'on le prenait par la tête et par les pieds et qu'on le balançait.

- Une, dirent les fossoyeurs.

- Deux.

- Trois !

En même temps Dantès se sentit lancé en effet dans un vide énorme, traversant les airs comme un oiseau blessé, tombant, tombant toujours avec une épouvante qui lui glaçait le cœur. Quoique tiré en bas par quelque chose de pesant qui précipitait son vol rapide, il lui sembla que cette chute durait un siècle. Enfin, avec un bruit épouvantable, il entra comme une flèche dans une eau glacée qui lui fit pousser un cri, étouffé à l'instant même par l'immersion.

Dantès avait été lancé dans la mer, au fond de laquelle l'entraînait un boulet de trente-six attaché à ses pieds.

La mer est le cimetière du château d'If.

Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, chp XX, 1844.

Observation

1. Comparez la scène du livre, celle du film de 1954 (67'50 à 69'40) et celle du film de 2024 (48'40 à 52'). Laquelle préférez-vous ? Pourquoi ?

2. Qu'est-ce qu'il y a d'intéressant, selon vous, dans la façon dont la scène de 2024 est construite ?

Matthieu Delaporte, Alexandre De La Patellière, Le Comte de Monte-Cristo, 2024.

Séance 09

La proposition subordonnée relative

Observation

1. Dans le passage suivant, analysez les quatre "que".

- [...] Sois béni pour tout le bien que tu as fait et que tu feras encore ; et que ma reconnaissance reste dans l'ombre comme ton bienfait.

Et [...] il quitta l'abri où il était caché, et sans que personne fît attention à lui,[...] il descendit un de ces petits escaliers qui servent de débarcadère.

2. Analysez les trois propositions relatives présentes dans l'extrait suivant.

Alors une chaloupe vint à lui, le reçut à bord, et le conduisit à un yacht richement gréé, sur le pont duquel il s'élança avec la légèreté d'un marin ; de là, il regarda encore une fois Morrel qui, pleurant de joie, distribuait de cordiales poignées de main à toute cette foule, et remerciait d'un vague regard ce bienfaiteur inconnu qu'il semblait chercher au ciel.

3. Analysez les quatre pronoms relatifs présents dans l'extrait suivant.

Un homme, dont le visage était à moitié couvert par une barbe noire, et qui, caché derrière la guérite d'un factionnaire, contemplait cette scène avec attendrissement, murmura ces mots :

- Sois heureux, noble cœur [...].

Et, avec un sourire où la joie et le bonheur se révélaient, il quitta l'abri où il était caché [...].

Séance 10

Le surhomme

Oral

Pourquoi, selon vous, Dumas a-t-il choisi le nom de Monte-Cristo ?

Pistes

Recherche

Qu'est-ce qui fait de ces personnages des êtres extraordinaires ?

Explication

Commentez le texte de Dumas.

Prolongement

Quel type de héros vous paraît le plus intéressant : des personnages ordinaires, ou des êtres extraordinaires ?

Appropriation

La Gazette de Marseille, édition spéciale ! Le retour du Pharaon : reportage, interview, tribune.

Vous écrirez l'un des articles de l'édition spéciale. Vous ferez au moins cinq références précises au roman.

L'armateur Morrel est ruiné ; son principal navire, le Pharaon, a sombré en mer ; et, couvert de dettes, il est sur le point de se suicider, quand sa fille entre avec une bourse, une quittance qui remet toutes les dettes de son père, et un diamant. Elle est bientôt suivie par son fiancé.

Emmanuel entra, le visage bouleversé de joie et d'émotion.

- Le Pharaon ! s'écria-t-il ; le Pharaon !

- Eh bien, quoi ? le Pharaon ! êtes-vous fou, Emmanuel ? Vous savez bien qu'il est perdu.

- Le Pharaon ! Monsieur, on signale le Pharaon ; le Pharaon entre dans le port.

Morrel retomba sur sa chaise, les forces lui manquaient ; son intelligence se refusait à classer cette suite d'événements incroyables, inouïs, fabuleux. [...]

- Ah ! Monsieur, dit Coclès à son tour, qu'est-ce que cela veut dire, le Pharaon ?

- Allons, mes enfants, dit Morrel en se soulevant, allons voir, et que Dieu ait pitié de nous, si c'est une fausse nouvelle.

Ils descendirent ; au milieu de l'escalier attendait madame Morrel : la pauvre femme n'avait pas osé monter.

En un instant ils furent à la Cannebière.

Il y avait foule sur le port.

Toute cette foule s'ouvrit devant Morrel.

- Le Pharaon ! le Pharaon ! disaient toutes ces voix.

En effet, chose merveilleuse, inouïe, en face de la tour Saint-Jean, un bâtiment, portant sur sa poupe ces mots écrits en lettres blanches : le Pharaon (Morrel et fils de Marseille), absolument de la contenance de l'autre Pharaon, et chargé comme l'autre de cochenille et d'indigo jetait l'ancre et carguait ses voiles ; sur le pont, le capitaine Gaumard donnait ses ordres, et maître Penelon faisait des signes à M. Morrel.

Il n'y avait plus à en douter : le témoignage des sens était là, et dix mille personnes venaient en aide à ce témoignage.

Comme Morrel et son fils s'embrassaient sur la jetée aux applaudissements de toute la ville témoin de ce prodige, un homme, dont le visage était à moitié couvert par une barbe noire, et qui, caché derrière la guérite d'un factionnaire, contemplait cette scène avec attendrissement, murmura ces mots :

- Sois heureux, noble cœur ; sois béni pour tout le bien que tu as fait et que tu feras encore ; et que ma reconnaissance reste dans l'ombre comme ton bienfait.

Et, avec un sourire où la joie et le bonheur se révélaient, il quitta l'abri où il était caché, et sans que personne fît attention à lui, tant chacun était préoccupé de l'événement du jour, il descendit un de ces petits escaliers qui servent de débarcadère et héla trois fois :

- Jacopo ! Jacopo ! Jacopo !

Alors une chaloupe vint à lui, le reçut à bord, et le conduisit à un yacht richement gréé, sur le pont duquel il s'élança avec la légèreté d'un marin ; de là, il regarda encore une fois Morrel qui, pleurant de joie, distribuait de cordiales poignées de main à toute cette foule, et remerciait d'un vague regard ce bienfaiteur inconnu qu'il semblait chercher au ciel.

- Et maintenant, dit l'homme inconnu, adieu bonté, humanité, reconnaissance… Adieu à tous les sentiments qui épanouissent le cœur !… Je me suis substitué à la Providence pour récompenser les bons… que le Dieu vengeur me cède sa place pour punir les méchants !

À ces mots il fit un signal, et, comme s'il n'eût attendu que ce signal pour partir, le yacht prit aussitôt la mer.

Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, 1844.

Document B

Dans son ouvrage de science-fiction, Jules Verne imagine un fabuleux sous-marin, le Nautilus, conçu et commandé par un étrange personnage, le capitaine Nemo. Dans cet extrait, ce dernier se présente au narrateur, le scientifique Aronnax, recueilli à bord du Nautilus.

"Monsieur, dis-je, vous ignorez sans doute les discussions qui ont eu lieu à votre sujet en Amérique et en Europe. Vous ne savez pas que divers accidents, provoqués par le choc de votre appareil sous-marin, ont ému l'opinion publique dans les deux continents. Je vous fais grâce des hypothèses sans nombre par lesquelles on cherchait à expliquer l'inexplicable phénomène dont seul vous aviez le secret. Mais sachez qu'en vous poursuivant jusque sur les hautes mers du Pacifique, l'Abraham-Lincoln croyait chasser quelque puissant monstre marin dont il fallait à tout prix délivrer l'Océan."

Un demi-sourire détendit les lèvres du commandant, puis, d'un ton plus calme :

"Monsieur Aronnax, répondit-il, oseriez-vous affirmer que votre frégate n'aurait pas poursuivi et canonné un bateau sous-marin aussi bien qu'un monstre ?"

Cette question m'embarrassa, car certainement le commandant Farragut n'eût pas hésité. Il eût cru de son devoir de détruire un appareil de ce genre tout comme un narwal gigantesque.

"Vous comprenez donc, monsieur, reprit l'inconnu, que j'ai le droit de vous traiter en ennemis."

Je ne répondis rien, et pour cause. À quoi bon discuter une proposition semblable, quand la force peut détruire les meilleurs arguments.

"J'ai longtemps hésité, reprit le commandant. Rien ne m'obligeait à vous donner l'hospitalité. Si je devais me séparer de vous, je n'avais aucun intérêt à vous revoir. Je vous remettais sur la plate-forme de ce navire qui vous avait servi de refuge. Je m'enfonçais sous les mers, et j'oubliais que vous aviez jamais existé. N'était-ce pas mon droit ?

- C'était peut-être le droit d'un sauvage, répondis-je, ce n'était pas celui d'un homme civilisé.

- Monsieur le professeur, répliqua vivement le commandant, je ne suis pas ce que vous appelez un homme civilisé ! J'ai rompu avec la société toute entière pour des raisons que moi seul j'ai le droit d'apprécier. Je n'obéis donc point à ses règles, et je vous engage à ne jamais les invoquer devant moi !"

Ceci fut dit nettement. Un éclair de colère et de dédain avait allumé les yeux de l'inconnu, et dans la vie de cet homme, j'entrevis un passé formidable. Non-seulement il s'était mis en-dehors des lois humaines, mais il s'était fait indépendant, libre dans la plus rigoureuse acception du mot, hors de toute atteinte ! Qui donc oserait le poursuivre au fond des mers, puisque, à leur surface, il déjouait les efforts tentés contre lui ? Quel navire résisterait au choc de son monitor sous-marin ? Quelle cuirasse, si épaisse qu'elle fût, supporterait les coups de son éperon ? Nul, entre les hommes, ne pouvait lui demander compte de ses œuvres. Dieu, s'il y croyait, sa conscience, s'il en avait une, étaient les seuls juges dont il put dépendre.

Ces réflexions traversèrent rapidement mon esprit, pendant que l'étrange personnage se taisait, absorbé et comme retiré en lui-même. Je le considérais avec un effroi mélangé d'intérêt, et sans doute, ainsi qu'Œdipe considérait le Sphinx. [...]

"Une dernière question, dis-je, au moment où cet être inexplicable semblait vouloir se retirer.

- Parlez, monsieur le professeur.

- De quel nom dois-je vous appeler ?

- Monsieur, répondit le commandant, je ne suis pour vous que le capitaine Nemo, et vos compagnons et vous, n'êtes pour moi que les passagers du Nautilus."

Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, première partie, chapitre 10, 1869-1870.

Document B

Bobinette, une espionne, découvre la véritable identité de celui pour qui elle croit travailler : le clochard Vagualame.

- Vagualame, qui êtes-vous ? dites-le moi...

- Qui je suis! pardieu !... tu le demandes ? tu veux le savoir ? Eh bien ! qu'il soit fait suivant ta volonté !... C'est ta dernière volonté !... Qui je suis ?... regarde !

Lentement, d'un mouvement digne et sûr, Vagualame déroulait la longue cape dans laquelle il était enveloppé.

Il arrachait son chapeau qu'il jetait à ses pieds et, les bras croisés, fixant Bobinette, il l'apostrophait :

- Ose dire mon nom ! ose me nommer !...

Devant Bobinette se dressait une terrifiante silhouette.

Le mendiant de tout à l'heure, sa cape enlevée, dépouillé de son chapeau, apparaissait soudain non plus comme un vieillard au corps tassé, mais comme un homme à coup sûr jeune, vigoureux, superbement musclé.

Il était vêtu, ganté plutôt, d'un maillot collant de laine noire qui, des pieds jusqu'au cou, le gainait étroitement...

Bobinette ne pouvait apercevoir son visage : celui-ci était dissimulé par une longue cagoule noire enveloppant entièrement sa tête; seuls les yeux, d'où sortaient deux reflets fauves, deux regards de feu, lumineux, impressionnants dans leur fixité, étaient apparents...

Cette vision, la vision de cet homme, sans visage, sans ressemblance avec un autre homme, la vision de cette apparition, au masque anonyme, au corps de statue, de cet être qui n'était aucun être reconnaissable, avait quelque chose de si précis en son mystère que Bobinette, un quart de seconde, l'ayant contemplée, hurla d'une voix rauque, inhumaine, mourante :

- Fantômas ! ah ! vous êtes Fantômas !

... L'orage redoublait de violence, la tempête déchaînée multipliait ses hurlements sinistres, la nuit se faisait plus sombre, la pluie plus lourde, le vent plus impétueux !

- Fantômas ! vous êtes Fantômas !

Bobinette répétait inlassablement son exclamation.

Et telle était sa surprise, tel était son émoi de se trouver réellement en présence de l'insaisissable, de l'inidentifiable bandit qu'elle oubliait presque ses horribles menaces; hébétée, anéantie, incapable d'une pensée consciente.

- Fantômas ! vous êtes Fantômas !

Comme à dessein, comme jouissant du trouble de la pauvre fille, le bandit ne se hâtait point de répondre.

- Eh bien, oui ! faisait-il enfin, je suis Fantômas !... Je suis celui que le monde entier recherche, que nul n'a jamais vu, que nul ne peut reconnaître ! Je suis le Crime! Je suis la Nuit ! Je n'ai pas de visage, pour personne, parce que la nuit, parce que le crime n'ont point de visage !... Je suis la puissance illimitée; Je suis celui qui se raille de tous les pouvoirs, de toutes les forces, de tous les efforts ! Je suis le maître de tous, de tout, de l'heure, du temps ! Je suis la Mort ! Bobinette, tu l'as dit, je suis Fantômas !...

Pierre Souvestre et Marcel Allain, Fantômas : l'agent secret, 1910.

Séance 11

Appropriation

Écriture

Choisissez l'un des sujets suivants et écrivez le texte demandé dans votre journal de lecteur.

Sujet A

La Gazette de Marseille, édition spéciale ! [Vous choisirez l'un des évènements marquants du livre]. Reportage, interview, tribune. [Vous réaliserez, au choix, soit la Une, soit l'un des articles de l'édition spéciale].

Sujet B

Dans le chapitre XXVIII, un mystérieux visiteur rend visite à M. de Boville, inspecteur des prisons, et obtient l'accès au dossier du prisonnier Edmond Dantès.

Dans ce dossier, en plus de la lettre de dénonciation, il trouve les lettres écrites à Dantès par ses proches pendant sa détention, mais interceptées par l'administration de la prison, de sorte que Dantès ne les as jamais reçues.

Indice : vous pouvez vous appuyer sur les chapitre IX, XIII, XXVI, XVII.

Sujet C

Imaginez et réalisez le décor d'une scène essentielle du livre.

Sujet D

Vous écrirez le journal intime d'un personnage essentiel du roman : au choix Mercédès, Fernand, Villefort, Morrel.