Oedipe Roi - TL

Séance 01

Le mythe d'Oedipe

Recherche

1. À partir de l'interview de Jean-Pierre Vernant disponible dans les archives de la Radio Télévision Suisse, reconstituez la généalogie des Labdacides.

2. Quelles sont les différentes versions de l'histoire d'Oedipe ?

3. D'après le document B, comment se termine la vie d'Oedipe ? Qu'en pensez-vous ?

Pistes

Notes

1. Les Érinyes sont des divinités persécutrices. Elles personnifient la malédiction lancée par quelqu'un et poursuivent les criminels de leur vivant. Euripide les identifie avec les Euménides.

Document A

Au chant XI de L'Odyssée, Ulysse va consulter le devin Tirésias dans le séjour des morts, une île aux confins de l'océan, le pays des Cimmériens, plongé dans une nuit perpétuelle. Avant Tirésias, Ulysse voit passer de nombreux morts.

"Et je vis la mère d'Oedipe, la belle Épicaste qui, dans l'ignorance de son esprit, commit un acte affreux ; elle épousa son propre fils. Celui-ci, après avoir tué son père, devint le mari de sa mère. Mais bientôt les dieux révélèrent ces choses parmi les hommes. Lui, dans l'aimable Thébes, régnait sur les Cadméens, mais frappé de maux cruels par la volonté des dieux. Quant à la reine, elle descendit chez le puissant Hadès aux portes solidement closes, car elle avait, en proie à la douleur, attaché un lacet au plafond élevé de son palais. A son fils elle laissa en héritage les tourments sans nombre que déchaînent les Érinyes1 d'une mère."

Homère, L'Odyssée, chant XI, v. 271 et suivants, trad. de Médéric Dufour et Jeanne Raison.

Document B

Oedipe à Colone est l'une des dernières tragédies de Sophocle. Il y montre la mort surnaturelle d'Oedipe, devenu vieux et aveugle, guidé par sa fille Antigone, jusqu'à la ville d'Athènes, où il est recueilli par Thésée. La tragédie, posthume, est représentée en 401 av. J.-C.

Sixième épisode

Thésée. - Que signifie à nouveau de ce côté ce bruit de voix, où j'ai distingué parmi les vôtres celle de l'étranger? Craigniez-vous un coup de la foudre céleste, ou qu'une averse de grêle fondu sur nos campagnes ? Quand on voit le dieu se charger ainsi d'orages, il n'est rien à quoi il ne faille s'attendre.

Oedipe. - Cher prince, je désirais ta venue : tu as été bien inspiré de prendre ce chemin.

Thésée - Fils de Laïos, que s'est-il produit de nouveau ?

Oedipe. - Ma vie touche à son terme. Avant de mourir je veux tenir les promesses qui m'engagent envers toi et envers ce pays.

Thésée. - A quels signes connais-tu que la mort s'approche ?

Oedipe. - Les dieux s'en font eux-mêmes les annonciateurs : ils ne me font tort d'aucun des signes fixés d'avance.

Thésée. - Quels signes, vieillard, devaient donc se manifester ?

Oedipe. - Ces grondements de tonnerre, coup sur coup, et ces flèches de feu que la main invincible lance.

Thésée -- J'ai foi en tes paroles. De tes nombreuses prophéties je n'ai surpris aucune en défaut. Dis-moi donc ce qu'il me faut faire.

Oedipe. - Fils d'Egée, je te découvrirai un trésor pour ce pays, un trésor inépuisable. Bientôt, sans que nul me conduise, je te conduirai jusqu'au lieu de mon trépas. Mais n'en dévoile jamais à âme qui vive l'accès ni la situation, afin que son voisinage te protège mieux que ne feraient une forêt de piques et les boucliers de tes alliés. Il est des décrets interdits aux lèvres humaines que je te révélerai seul à seul quand nous serons arrivés là-bas. Je ne dois les confier à aucun des hommes de ce bourg ni à mes enfants mêmes, en dépit de ma tendresse pour elles. Garde-les dans ta mémoire fidèlement. Quand tu seras parvenu au terme de ta vie, tu ne les livreras qu'à ton successeur, et c'est par cette voie qu'ils devront toujours se transmettre. Ainsi faisant, tu écarteras de ta patrie toute incursion des Thébains, semence du Dragon. Chez trop de peuples, même sous un bon roi, l'esprit de violence aisément se réveille. Mais les dieux ont le regard perçant : tôt ou tard, ils découvrent celui qui oublie la piété pour suivre ses instincts furieux. Ne te mets point dans ce cas, fils d'Egée. Mais voilà que je prêche un homme de longue expérience... Marchons plutôt vers le lieu que j'ai dit ; l'appel du dieu me presse, il n'y a plus de temps à perdre. Mes filles, vous pouvez me suivre jusque-là. Vous voyez, c'est à mon tour de vous guider. Avancez, ne me touchez point; laissez-moi me diriger seul vers le tombeau sacré que mon destin m'assigne en ce pays. Par ici, oui, prenez par ici; c'est la route que m'indiquent Hermès, conducteur des âmes, et la déesse souterraine. O clarté du jour qui ne m'es que ténèbres, mes regards ont joui de toi, jadis. Aujourd'hui, tu baignes mon corps pour la dernière fois. Voici pour moi l'étape finale avant de disparaître chez Hadès. Allons, mon hôte, mon cher hôte, sois heureux, et ton peuple autour de toi ; puisse votre pays prospérer ! Souvenez-vous de moi après ma mort et que la fortune vous soit fidèle !

(il sort, suivi de ses filles et de Thésée.)

Sophocle, Oedipe à Colone, trad. de Robert Pignarre.

Document C

Jacqueline de Romilly est une helléniste reconnue. Son ouvrage sur La Tragédie grecque constitue une référence.

"Dans Les Phéniciennes [d'Euripide], toute la famille d'Oedipe est mêlée au drame et en ressent le contrecoup. Non seulement Polynice paraît, pour s'opposer en un conflit éclatant à son frère Étéocle ; non seulement Jocaste, leur mère, est là, assistant à ce conflit qui la déchire : il y a encore Antigone et le pédagogue, qui servent à une présentation émouvante du début ; et Antigone réapparaît à la fin, bientôt suivie d'Oedipe lui-même, qui ne semble être resté au palais, contrairement à toute tradition, que pour ajouter son deuil à celui de sa fille."

Jacqueline de Romilly, La Tragédie grecque, coll. Quadrige, éd. PUF, 1970.

Séance 02

La tragédie d'Oedipe

Explication

Analysez le début du prologue ci-contre.

Recherche

En parcourant votre édition, faites le plan de la pièce, en proposant un résumé de chaque partie. Vous expliquerez le vocabulaire inconnu.

Pistes

Prolongement

1. En vous appuyant sur le résumé de la pièce, indiquez comment l'histoire d'Oedipe est construite.

2. Justifiez le choix de publication de cette tragédie antique dans une collection policière.

3. Quel est le rôle du choeur dans cette histoire ?

La scène est à Thèbes, devant le palais d'Œdipe, dont l'entrée est flanquée de deux autels -l'un d'entre eux dédié à Apollon. Sur les degrés, une délégation d'enfants et de jeunes gens, avec des rameaux chargés de bandelettes sacrées. Ils sont tous prosternés. Debout, tourné vers le palais, le prêtre de Zeus, qui les conduit. La porte s'ouvre à deux battants. Œdipe paraît. Bref jeu de scène majestueux et pathétique, dans le silence.

[PROLOGUE]

Œdipe

Mes enfants, jeune lignée de l'antique Cadmos, d'où vient que je vous vois ainsi m'assiéger, figés devant moi, avec des rameaux suppliants pour couronner votre geste, tandis que la ville est pleine de fumée d'encens, pleine de litanies et de lamentations ? J'ai jugé de mon devoir de ne pas laisser d'autres que vous, mes enfants, venir m'en informer. Voyez : je viens en personne, moi, dont la gloire et le nom sont dans toutes les bouches, Œdipe ! [Au prêtre de Zeus.] Eh bien, vieillard, explique-moi : ta naissance te désigne pour être leur porte-parole. À quoi tend votre démarche ? Est-ce la crainte qui l'a dictée, ou un élan de l'âme ? Ah ! Certes, je voudrais tout faire pour vous donner mon appui : je serais sans cœur si je ne prenais pas pitié de vous, quand vous m'assiégez ainsi !

Le Prêtre

Oui, Œdipe, souverain de mon pays, nous voici blottis près de tes autels ! Tu vois nos âges : les uns, trop faibles encore pour un long essor, les autres chargés d'années -moi par exemple, prêtre de Zeus- et ici l'élite de nos garçons. Le reste de la nation, couronné comme nous, est prosterné sur les places, aux abords de deux temples de Pallas, et près des reliques d'Ismenos le prophète. C'est que la cité, tu le vois toi-même, plie sous la rafale d'un ouragan, sans pouvoir lever la tête hors des abîmes de ce roulis sanglant. La mort est sur elle, enfermée dans le germe des récoltes de son sol. La mort est sur le bétail qui broute ses pâturages, sur ses femmes qui ne mettent au monde que des enfants mort-nés. Diabolique, incendiaire, foudroyante, fonce des cieux sur la ville une peste atroce qui fait de Thèbes un désert. Et le Prince noir, le Seigneur d'Enfer, s'engraisse de gémissements et de sanglots... Si nous nous agenouillons devant ton foyer, ce n'est pas que nous te mettions au rang des dieux, ni ces enfants ni moi, mais nous voyons en toi un homme qui n'a pas son égal ici-bas dans les passes difficiles de la vie, et pour désarmer les puissances surnaturelles. C'est toi qui as aboli, en arrivant à Thèbes, l'impôt que levait sur nous le Sphinx. Nous ne t'avions fourni pourtant ni informations ni directives plus amples qu'à tout tout autre : mais le Ciel te donna son appoint -on le dit et on le pense- pour régénérer notre destin. Eh bien, aujourd'hui encore, Œdipe, ô toi qui imposes à tous le visage de ta supériorité, regarde, nous nous tournons vers toi, nous te supplions tous de nous trouver un recours. Peu importe que tu en doives la révélation à la voix d'un dieu, ou le secret à un homme. Car s'il est des conseils qui aient force de vie, plus que tous les autres, par les suites qu'ils ouvrent, ce sont bien, je le vois, ceux des gens d'expérience. Ô toi dont les vertus sont sans égales ici-bas, va, redresse la cité ! Va, ne t'endors pas ! Ce pays pour ton zèle de jadis te donne aujourd'hui le nom de Sauveur : et notre redressement ne se solderait que par une nouvelle débâcle ? Ce serait là le bilan de ton règne ? Non ! Relève la cité, assure à jamais son avenir ! Une grâce du ciel s'est posée sur toi jadis, pour te permettre de restaurer notre destin : ce que tu fus alors, sois-le maintenant encore ! Car si tu dois continuer à régner sur ce sol, aimerais-tu mieux régner sur un désert plutôt que sur des hommes ? Une citadelle, un navire, c'est néant s'ils sont vides, s'il n'y a pas une communauté humaine pour les peupler !

Œdipe

Mes pauvres enfants, je n'ignore pas, ah ! Comment ignorerais-je quel désir a dicté votre démarche ! Oui, le mal est sur vous tous, je le sais : et ce mal me fait mal plus qu'à nul d'entre vous. Car votre douleur à chacun n'atteint que lui-même, lui seul, et s'arrête là. Mais moi, mon cœur gémit sur la cité, et sur vous et sur moi- même tout ensemble. Ah ! je ne me berçais point dans l'inertie. Vous venez m'alerter ? Mais j'ai déjà versé bien des pleurs, arpenté bien des chemins dans les dédales de mon souci, sachez-le ! Après mûre réflexion, ce qui m'est apparu comme unique remède, je l'ai fait. J'ai délégué Créon, mon beau- frère, auprès d'Apollon pythien, je l'ai chargé de s'enquérir des actes ou des paroles par lesquels je sauverais la cité. Et, à confronter les dates, l'anxiété me prend aujourd'hui : que devient-il ? Son absence se prolonge étrangement, au-delà du délai normal... Mais dès son retour, je serais criminel de ne pas agir en tout point selon les révélations du dieu.

[On voit apparaître au loin Créon. Les figurants manifestent leur surprise et leur joie.]

Sophocle, Oedipe roi, trad. Victor-Henri Debidour.

Séance 03

Oedipe Tyran

Explication

Commentez l'entrevue avec Créon.

Pistes

Prolongement

Oedipe est-il, selon vous, un héros ou un tyran ?

Œdipe [à Créon]

Ah! te voilà, toi ? Comment ? Tu es ici ? Impudent, tu as le front d'approcher de ma demeure, quand tu poignardes ma personne, c est trop clair, quand tu me détrousses de ma couronne, sûr et certain, comme au coin d'un bois ? Allons, parle, au nom du Ciel ! M'as-tu pris pour un lâche ou un fou, en te livrant à de pareilles intrigues ? Ta manœuvre de traîtrise, tu pensais que je n'en éventerais pas les approches pour y couper court, sitôt éclairé ? Le fou, c'est plutôt toi ! Te mêler, sans le peuple et sans amis, d'attraper une couronne ? Pour ce gibier-là, il faut le peuple et de l'argent !

Créon

Et moi j'exige... sais-tu quoi? Tu as parlé, balance égale : écoute ma réplique, et tu jugeras toi-même, une fois éclairé.

Œdipe

Beau parleur, tu l'es ; mais bon public, je ne le suis pas, moi, pour tes éclaircissements ! Je n'ai jamais trouvé en toi qu'hostilité hargneuse à mon égard.

Créon

Précisément, sur ce point, commence par m'écouter.

Œdipe

Précisément, sur ce point, ne viens pas me dire que tu n'es pas un scélérat !

Créon

Si tu te figures que c'est un atout, cette arrogance délirante, tu fais erreur !

Œdipe

Si tu te figures que de cette forfaiture envers un homme de ton alliance, il ne sera pas fait justice, tu es dans l'erreur!

Créon

D'accord, ce serait justice, tu l'as dit. Mais le tort dont tu te prétends victime, apprends-le-moi.

Œdipe

Voulais-tu, ou ne voulais-tu pas me persuader qu'il fallait envoyer chercher notre révérendissime devin ?

Créon

Oui, et cet avis, je le maintiens, encore et toujours.

Œdipe

Voyons : depuis combien de temps Laïos...

Créon

Eh bien ? Qu'a-t-il fait? Je ne saisis pas.

Œdipe

...a-t-il disparu, assassiné dans un attentat?

Créon

Il doit y avoir maintes et longues années.

Œdipe

À cette date, notre devin était-il déjà dans le métier?

Créon

Oui, tout aussi sagace, et non moins estimé.

Œdipe

A-t-il fait la moindre allusion à moi en ce temps-là?

Créon

Non, jamais - du moins en ma présence.

Œdipe

Mais une enquête sur le meurtre, vous n'en avez pas fait?

Créon

Nous l'avons faite, cela va de soi : buisson creux.

Œdipe

Et pourquoi notre sagace personnage taisait-il alors ce qu'il dit aujourd'hui ?

Créon

Je ne sais. Quand je ne suis pas sûr de mes pensées, je préfère me taire.

Œdipe

Il y a du moins une chose que tu sais, et que tu pourrais dire en toute sincérité de pensée!

Créon

Et quoi donc ? Si je le sais, je ne dirai pas non...

Œdipe

Qu'il est de connivence avec toi. Sans quoi jamais il n'aurait dit que le meurtrier de Laïos, c'est moi!

Créon

Il dit cela? C'est ton affaire. Mais moi, je me tiens en droit de t'interroger de même. À ton tour de me répondre.

Œdipe

Un interrogatoire ? Soit : n'espère pas me convaincre d'assassinat !

Créon

Eh bien, voyons, tu as épousé ma sœur ?

Œdipe

Le moyen de répondre non à cette question-là? :

Créon

Et tu gouvernes ici avec elle, en lui faisant partager tes pouvoirs ?

Œdipe

Tout ce qu'elle désire, elle l'obtient de moi.

Créon

Et moi, ne suis-je pas en tiers à partager vos prérogatives à tous deux ?

Œdipe

Ah ! c'est là précisément qu'éclate la perfidie de ton amitié !

Créon

Non pas, si seulement tu te rendais compte de ma situation ! Et tout d'abord, voyons : crois-tu que personne aimât mieux régner dans les craintes, que de se prélasser à l'abri des transes - à pouvoir égal, s'entend ? Pour moi, je suis ainsi fait que j'aspire moins à être roi qu'à vivre en roi. Et tout homme raisonnable est comme moi. Aujourd'hui, j'obtiens tout de toi sans avoir rien à craindre. Si je régnais moi-même, il y a bien des choses, oui, que je ferais contre mon gré. Et le titre de roi aurait plus de charme pour moi qu'un pouvoir réel que rien n'assombrit ? Je ne suis pas assez égaré pour pouvoir souhaiter d'autres honneurs que ceux où je trouve mon profit. Aujourd'hui, je suis bienvenu de tous, aujourd'hui, tout le monde me cajole, aujourd'hui, ceux qui ont besoin de toi, c'est moi qu'ils viennent chercher : toute faveur à obtenir pour eux passe par moi. Et j'irais lâcher la proie pour l'ombre ? Un calcul perfide dans ces conditions serait un calcul absurde. Au reste, je suis fort peu porté à caresser de telles idées, pas plus que je n'admettrais de m'allier à qui agirait de la sorte, en aucun cas. La preuve ? Rends-toi à Delphes, renseigne-toi sur l'oracle, pour savoir si mon rapport a été exact. Et puis s'il s'avère que j'ai monté une manœuvre en complicité avec le voyant, fais-moi mettre à mort : ta voix ne sera pas seule à me condamner, j'y joins d'avance la mienne, et je me livre à toi. Ne t'hypnotise pas sur un vague soupçon pour m'accuser. Il y a injustice à intervertir à la légère les idées qu'on se fait des gens, méchants et bons, bons et méchants. Rejeter un ami sans reproche, je te le dis : c'est comme s'amputer de sa propre vie, de ce qu'on a de plus cher. Avec le temps, tu connaîtras ce qu'il en est exactement de cette affaire, car l'innocence ne s'éclaire qu'avec le temps, s'il suffit d'un seul jour pour démasquer la perfidie.

Coryphée

Il a bien parlé, Sire ; garde-toi d'un faux pas : jugements prompts souvent trébuchent !

Sophocle, Oedipe roi, trad. Victor-Henri Debidour.

Séance 04

L'horreur et la pitié

Oral

Par groupes de quatre, préparez une lecture bruitée de cet extrait.

Prolongement

Comment interpréter la tragédie d'Oedipe ? Quelles valeurs transmet cette pièce ?

Pistes

[Entre un valet, venant du palais]

Un Valet

Vous êtes là, vous, qui représentez le plus pur honneur de la patrie ! Ah ! qu'ont-ils fait ! Vous allez l'entendre... Qu'ont-ils fait ! Vous allez le voir... Quel chant de deuil vous allez élever, si, fidèles à votre sang, vous avez encore souci de la maison des Labdacides ! Tous les fleuves de l'Orient ne suffiraient pas, je crois, à laver, à purifier cette demeure de toutes les horreurs qu'elle cache, de celles aussi qui bientôt éclateront au grand jour, et qui sont volontaires - oui, je le dis : volontaires. Et les maux les plus affligeants sont bien ceux où l'on s'est jeté soi-même librement !

Coryphée

Rien ne manque plus à ce que nous savions déjà pour accabler et déchirer nos cœurs... Qu'as-tu donc à y ajouter ?

Le Valet

Le mot le plus bref qui soit à dire et à entendre : la mort de Sa Majesté la reine Jocaste.

Coryphée

La malheureuse ! Et d'où est venu le coup ?

Le Valet

D'elle-même, sur elle-même. De ce drame vous n'aurez pas connu le plus affreux : vous ne l'avez pas vu, vous. Je vais pourtant vous retracer, pour autant qu'ils se soient fixés en moi les détails de ce que l'infortunée a subi.

A peine, dans un élan éperdu, eut-elle traversé le vestibule pour rentrer, qu'elle se précipita vers le lit conjugal, en s'arrachant là deux mains les cheveux. Elle entre, claque la porte pour s'enfermer ; elle invoque Laïos, depuis si longtemps déjà dans la tombe. Elle lui parle, elle rappelle cette naissance d'autrefois, qui a causé sa mort à lui - et elle, elle ne lui avait survécu que pour forger à son propre fils une lignée monstrueuse ! Et elle pleurait la couche où, doublement malheureuse, elle avait enfanté, de son mari, un mari, et des enfants, de son enfant ! Après cela, comment a-t-elle péri ? Je ne sais plus... On entend des cris. C'était Œdipe : il fait irruption ; il n'était plus question d'aller voir comment elle succombait. Nous ne pouvions plus regarder que lui-même : il tournait en rond, passait de l'un à l'autre en nous demandant de lui fournir une arme, de lui dire où il pourrait joindre sa femme - non pas sa femme mais ce sein doublement maternel où ses enfants avaient mûri après lui. Dans la frénésie où il était, un dieu sans soute vint le guider : nous n'y sommes pour rien, nous, les hommes qui l'entourions. Il lance un hurlement affreux, et comme s'il avait eu quelqu'un pour le conduire, il fonce sur les vantaux de la porte, pèse sur le verrou, le fait ployer et sortir de la gâche - il se rue dans la chambre. Là - oui, pendue - nous avons aperçu Jocaste balancée au bout d'un lacet tressé qui l'étranglait. Il la voit, le malheureux, il pousse un rugissement affreux, il dénoue le lien qui la pend... Voici le pauvre corps gisant... Et alors, quelle chose atroce, ce qui nous restait à voir ! Il lui arrache les agrafes d'or qui ornaient ses vêtements, les brandit, et en frappe dans leurs orbites ses propres yeux : ils cesseraient ainsi, disait-il à peu près, de voir les horreurs dont il était victime et dont il était coupable, ils ne se fixeraient plus désormais que dans la nuit, ici-bas, sur ceux qu'il n'aurait pas dû voir, et ne reconnaîtrait plus aux enfers ceux qu'il avait voulu connaître. Telle était sa complainte et, à coup répétés - un seul ne lui suffisait pas - il se frappait les yeux en levant les paupières. Rouge, le sang giclait de ses prunelles sur sa barbe ; ce n'était pas un suintement sanguinolent qu'elles laissaient perler, mais une pluie pressée et noire, une grêle sanglante qui l'inondait.

Tels sont les malheurs qui ont éclaté de part et d'autre. Malheurs solidaires : la mari et la femme ont confondu leur désespoir. Hier encore, l'antique héritage de félicité était pour eux légitime félicité. Mais voici aujourd'hui sanglots et catastrophe, et mort, aucun qui n'ait ici sa place !

Coryphée

Et, à présent, l'infortuné a-t-il un peu répit dans son tourment ?

Le Valet

Il crie : il veut qu'on écarte les portes, qu'on fasse voir à tout la ville de Thèbes l'homme qui, de son père, fut l'assassin, de sa mère... non, cette parole abominable me brûlerait les lèvres ! Il semble décidé à se jeter hors du pays, à ne plus rester dans cette demeure, maudit qu'il est par les imprécations mêmes qu'il a lancées. Quoi qu'il en soit, il lui faut un appui, un guide, car la disgrâce qui l'accable, c'est plus qu'on n'en peut supporter. Tu vas en juger toi-même : regarde, les vantaux du portail s'écartent : le spectacle que tu vas voir ferait pitié au pire de ses ennemis !

[Entre Œdipe, aveugle, les yeux sanglants]

Sophocle, Oedipe roi, coll. Le Théâtre de poche, éd. Livre de Poche, trad. de Victor-Henri Debidour.

Séance 05

Pier Paolo Pasolini

Oral

Faites une brève présentation biographique du réalisateur.

Vous pouvez compléter cette première approche en écoutant l'émission de France Inter, Rendez-vous avec X, du 12/03/2011, (du début à 3'20 et de 10:25 à 15:45).

Observation

Observez La Ricotta. Quels thèmes l'auteur y traite-t-il ?

Rosso Fiorentino, Déposition de croix, 1521.

Pontormo, Déposition de la croix, 1528.

Pier Paolo Pasolini, La Ricotta, in Rogopag, 1963, de 50:05 à 1:22:40.

Séance 06

Le prologue

Observation

Soit le prologue dans le film de Pasolini, du début à la 11ème minute.

1. En quoi ce prologue est-il autobiographique ?

2. Comment Pasolini évoque-t-il le mythe d'Oedipe ?

3. Quelle image de l'enfance est donnée ici ?

Pistes

Recherche

Dans les oeuvres de Sophocle et de Pasolini, quelle est la place de Jocaste ?

Prolongement

Séance 07

La prophétie

Observation

Soit l'oracle de Delphes, de 21'38 à 27'28.

1. Comment la rencontre avec l'oracle est-elle mise en scène ?

2. Comment Pasolini suggère-t-il la cruauté et la puissance du destin ?

3. Comment s'exprime la douleur d'Oedipe dans cette séquence ?

Pistes

Recherche

Quelle est l'importance du sacré dans les deux oeuvres de Sophocle et de Pasolini ?

Séance 08

Le meurtre de Laïos

Observation

Soit la séquence du meurtre, de 32'58 à 41'23.

1. Comment Pasolini met-il en scène l'hostilité des deux personnages ?

2. Oedipe devient-il fou ?

3. Qu'est-ce qui distingue les différents meurtres commis ?

4. Qu'y a-t-il derrière les masques ?

Pistes

Recherche

1. Quelle est l'importance du meurtre de Laïos dans les deux oeuvres ?

2. Étudiez l'opposition entre ombre et lumière dans les deux oeuvres.

Séance 09

Le dénouement

Recherche

Soit le dénouement, à partir de 1:33:35.

1. Quels sont tous les lieux par lesquels passe Oedipe ?

2. Comment ces lieux sont-ils filmés ?

3. Oedipe a-t-il changé ?

Pistes

Prolongement

Comparez le dénouement dans les deux oeuvres.

Fiche 01

La naissance de la tragédie

Notion

André Degaine, Histoire du théâtre dessinée : de la préhistoire à nos jours, tous les temps et tous les pays, éd. Nizet, 1992.

L'âge d'or athénien

La tragédie se développe essentiellement à partir de 480, après la victoire de Salamine. La première tragédie conservée, Les Perses, d'Eschyle, date de 472.

Pendant le siècle de Périclès, Athènes connaît l'avènement de la démocratie, le bouillonnement intellectuel lié aux sophistes, puis les souffrances d'une guerre prolongée entre grecs.

Après vingt-sept ans de guerre, Athènes succombe sous les coups de Sparte au terme de la guerre du Péloponnèse en 404. Euripide et Sophocle sont morts depuis peu. Nous n'avons pas d'exemple de tragédie nouvelle après cette date.

La tragédie puise ses thèmes et ses personnages, non plus pour les glorifier, comme le faisait encore la poésie lyrique, mais pour les mettre en question publiquement, au nom du nouvel idéal civique, devant cette espèce d'assemblée ou de tribunal populaire que constitue un théâtre grec.

J. P. Vernant et P. Vidal-Naquet, Mythe et tragédie en Grèce ancienne, éd. La Découverte, tome I.

Les conditions de représentation

Il y a avait deux fêtes annuelles où se donnaient des tragédies. Chaque fête comportait un concours, qui durait trois jours ; et, chaque jour, un auteur, sélectionné longtemps à l'avance, faisait représenter, à la suite, trois tragédies. La représentation était prévue et organisée par les soins de l'État, puisque c'était un des magistrats de la cité qui devait choisir les poètes et choisir, également, les citoyens riches chargés de tous les frais. Enfin, le jour de la représentation, tout le peuple était invité à venir au spectacle : dès l'époque de Périclès, les citoyens pauvres pouvaient même toucher, à cet effet, une petite allocation.

Jacqueline de Romilly, La Tragédie grecque, coll. Quadrige, éd. PUF, 1970.

La structure des tragédies grecques

Dans les tragédies grecques, il n'y a pas d'actes ni de scènes, mais les tragédies suivent généralement la structure suivante :

- prologue (parlé par les acteurs avant l'entrée du choeur) ;

- parodos (chant d'entrée du choeur) ;

- épisodes (parlés), qui alternent avec des stasima (un stasimon est un chant du coeur) ;

- exodos (sortie du choeur, parlée).

Les grands auteurs

Quand on parle de tragédies grecques, on se fonde presque entièrement sur les oeuvres conservées des trois grands tragiques : sept tragédies d'Eschyle, sept de Sophocle et dix-huit d'Euripide.

Plus on avance dans le temps, plus le dialogue et l'action s'étoffent, plus les personnages se multiplient.

Vint ensuite Eschyle qui, le premier, porta le nombre des acteurs de un à deux, amoindrit la fonction du chœur et donna le premier rôle au discours parlé. Sophocle institua trois acteurs et la mise en scène.

Aristote, La Poétique, 1449, a.

Sophocle écrivit Oedipe roi entre 430 et 425 av. J.-C. Sa dernière tragédie, Oedipe à Colone, a été publiée à titre posthume en 401 av. J.-C., cinq ans après la mort de l'auteur.

Fiche 02

Pier Paolo Pasolini

Notion

Biographie

Pier Paolo Pasolini est né le 5 mars 1922 d'une institutrice, Susanna Colussi, et d'un lieutenant d'artillerie, Carlo Albert Pasolini. Les parents ne s'entendent guère, et les enfants (Pier a un frère en 1925, Guido) s'opposent à leur père.

En 1941, le père est envoyé au Kenya et fait prisonnier. La mère et les deux enfants trouvent refuge dans la région natale de la mère, au Frioul. En 1945, Guido, résistant et adhérent du parti communiste, est tué par des communistes slovènes.

En 1949, Pier Paolo Pasolini est accusé de détournement de mineurs ; il est finalement acquitté, mais il doit quitter la région.

En 1950, Pasolini s'installe avec sa mère dans la banlieue de Rome. Ils sont rejoints par le père en 1951. Pasolini fréquente le prolétariat urbain, et apprend l'argot de banlieue avec deux ouvriers, les frères Citti. L'aîné sera scénariste de plusieurs films de Pasolini, le cadet acteur d'Accatone et d'Oedipe roi.

Dès lors, Pasolini développe une oeuvre protéiforme : roman, théâtre, poésie, autobiographie, essai et cinéma. Il est d'abord scénariste, à partir du milieu des années 50. Puis il se lance dans la réalisation en 1961.

En 1971, son amant, Ninetto Davoli le quitte pour se marier avec une jeune femme.

Pasolini est assassiné dans des circonstances mystérieuses en 1975.

L'oeuvre littéraire

EN 1942, Pasolini publie un premier recueil de poèmes en frioulan, Poesie a Casarsa la langue de sa mère, alors que le fascisme prétendait supprimer les dialectes régionaux. En 1945, il publie un second recueil, I Diarii, toujours en frioulan.

La notoriété vient avec la publication de Ragazzi di vita.

Il obtient un prix prestigieux pour le recueil Les Cendres de Gramsci (1957), mais son roman Vita violenta lui vaut un procès pour pornographie. Pasolini se fait connaître "en mettant en scène un petit peuple jusque-là totalement inconnu de la littérature romanesque, même chez les écrivains socialistes [...], en donnant libre cours à un discours sexuel assez libre, en excluant tout jugement moral"

L'oeuvre cinématographique

Pasolini commence par réaliser des films d'inspiration néo-réaliste : Accatone (1961), Mamma Roma (1962), La Ricotta (1963).

Très vite, cependant, il pose la question du sacré de façon explicite, notamment avec L'Evangile selon Saint Matthieu (1964).

Il réalise ensuite des films qui reprennent plusieurs grands mythes occidentaux : Edipo re (1967), Medea (1969), Carnets pour une Orestie africaine (1970).

Dans une série de film, il fait un éloge de la sensualité et de l'érotisme, c'est sa Trilogie de la vie : Le Décaméron (1971), Les Contes de Canterbury (1972), Les Mille et une nuits (1974).

Sa production compte également des films dérangeants, voire pornographiques : Théorème (1968), Porcherie (1969), Salo ou les 120 journées de Sodome, 1975.

Les théories sur le cinéma

Dans L'Expérience hérétique (1976), Pasolini affirme que le cinéma est la langue écrite de la réalité. Il explique que "la vie toute entière, dans l'ensemble de ses actions, est un cinéma naturel et vivant". En d'autres termes, notre vie est comme un plan-séquence infini. Le cinéma est donc à la réalité ce que l'écrit est à l'oral, une transcription.

Il évoque aussi un cinéma de poésie par rapport à un cinéma de prose. Dans le premier, le spectateur doit sentir la présence de la caméra : "On sent donc la caméra pour de bonnes raisons : l'alternance de différents objectifs, un 25 ou un 300 sur le même visage, l'usage des contrejours continus et faussement accidentels avec leurs éblouissements dans la caméra, les mouvements de caméra à la main, les travellings exaspérés, les montages faussés pour des raisons d'expression, les raccords irritants, les interminables arrêts sur une même image, etc., tout ce code technique est né presque d'une intolérance aux règles, d'un besoin de liberté insolite et provocatrice, d'un goût de l'anarchie, authentique et délicieux" (L'Expérience hérétique, Payot, 1976).

Enfin, Pasolini transpose au cinéma le discours indirect libre, et nomme ce procédé la "subjective indirecte libre".

Fiche 03

Oedipe roi en citations

La pièce de Sophocle

Citations tirées de la pièce
Prologue

Le prêtre de Zeus : "Ô toi dont les vertus sont sans égales ici-bas... Ce pays... te donne aujourd'hui le nom de Sauveur... C'est toi qui as aboli, en arrivant à Thèbes, l'impôt que levait sur nous le Sphinx..."

Oedipe : "je viens en personne, moi, dont la gloire et le nom sont dans toutes les bouches, Œdipe !"

Créon : "Apollon souverain nous enjoint expressément, ce pays entretenant sur son sol une souillure criminelle, d'éliminer celle-ci sans la laisser s'invétérer jusqu'à devenir incurable... Nous avions naguère ici Laïos pour roi... Que l'on punisse ses assassins ; que quelqu'un s'en charge"

Oedipe : "Eh bien, moi, je remonterai aux racines"

Parodos
1er épisode

Oedipe : Et j'appelle sur moi... les mêmes malédictions que je viens de lancer... Aussi mènerai-je pour sa cause [celle de Laïos], comme s'il était mon père, un bon combat..."

Tirésias : "le sacrilège vivant qui souille cette terre, c'est toi", "Ce jour t'apportera ta naissance et ta perte", "il sera aveugle, lui, dont les yeux sont ouverts ; il mendiera, lui qui est dans l'opulence ; vers le sol étranger, tâtonnant devant lui avec son bâton, il ira cheminant", "Jamais homme ici-bas n'a été plus atrocement broyé que tu ne vas l'être."

1er stasimon
2ème épisode

Oedipe : "C'est ta mort, ce n'est pas ton exil, que je veux. Tu seras un exemple : on saura ce que coûte l'envie"

Jocaste : "son destin devrait être de périr de la main d'un enfant qui lui naîtrait de moi... "Personne, ici-bas, n'a le secret de la divination... Quand c'est vraiment un dieu qui juge bon d'exiger quelque chose, il ne sera pas embarassé de le faire voir lui-même... Aussi m'en voudrais-je de jeter les yeux ni à gauche ni à droite en matière de prédictions, désormais !"

Oedipe : "En cachette de mes parents, je me mets en route pour Delphes ; Apollon me congédie sans daigner répondre sur l'objet même de ma démarche... C'est autre chose qu'il me dit, des révélations accablantes, atroces, effroyables... j'étais voué à m'accoupler avec ma mère, à faire venir à la lumière de ce monde une lignée abominable, et à être l'assassin de celui dont je suis né, de mon père !"

Oedipe : "Je lui donne un coup, j'étais furieux.... Je fonce : sous un coup de gourdin signé de cette main, à la renverse, du fond de son chariot, il roule aussitôt à bas. Et je tue tout le monde."

2ème stasimon
3ème épisode

Jocaste : "Ne t'y arrête pas. Ce qu'il a dit, effaces-en résolument jusqu'au souvenir : cela n'a pas de sens... renonce à cette enquête... ne fais pas cela ! Puisses-tu ne jamais apprendre qui tu es !"

Oedipe : "Vas-tu parler de bon gré ? Ou bien, sous le fouet, tu parleras !... [La mort], c'est ce qui t'attend aujourd'hui, si tu ne me dis pas ce que j'ai le droit de savoir."

Oedipe : "Ô lumière, pour la dernière fois puissé-je aujourd'hui élever vers toi mes regards..."

3ème stasimon

"Oedipe avait poussé sa pointe / plus juste et plus fine que nul autre, / il avait conquis l'opulence / et tout était bonheur pour lui... Mais à présent, est-il quelqu'un dont le malheur / soit plus criant ?"

"Le Temps, de son regard auquel n'échappe rien, t'a découvert bien malgré toi."

Exodos

le valet : "elle se précipita vers le lit conjugal, en s'arrachant à deux mains les cheveux. [...]. On entend des cris. C'était Oedipe. [...] Il lance un hurlement affreux. [...] Il lui arrache les agrafes d'or qui ornaient ses vêtements, les brandit, et en frappe dans leurs orbites ses propres yeux. [...] À coups répétés - un seul ne lui suffisait pas - il se frappait les yeux en levant les paupières. Rouge, le sang giclait de ses prunelles sur sa barbe ; ce n'était pas un suintement sanguinolent qu'elles laissaient perler, mais une pluie pressée et noire, une grêle sanglante qui l'inondait."

Oedipe : "Ô croisée de chemins, vallon caché, bouquet de chênes, étranglement de routes vers le carrefour, vous qui avez bu mon sang versé de mes mains, le sang de mon père."

Oedipe : "Ce fut Apollon, amis, Apollon qui lança les maux que voici, les maux sur moi que voici, sur moi, ces horreurs !"

Oedipe : "Laisse-moi me confiner dans les montagnes, je précise : sur le Cithéron : il est à moi : c'est lui que mon père et ma mère, de leur vivant, m'avaient fixé et assigné pour tombeau."

Citations sur la pièce

"Cette image mythique du héros exposé et sauvé, rejeté et revenant en vainqueur, se prolonge au ve siècle, sous une forme transposée, dans une certaine représentation du túrannos. Comme le héros, le tyran accède à la royauté par une voie indirecte, en dehors de la descendance légitime ; comme lui, il se qualifie pour le pouvoir par ses actes, ses exploits. Il règne, non par la vertu de son sang, mais par les siennes propres ; il est le fils de ses œuvres en même temps que de l'Heureuse Chance. Le pouvoir suprême qu'il a su conquérir en dehors des normes ordinaires le place, pour le bien et pour le mal, au-dessus des autres hommes, au-dessus des lois. Selon la juste remarque de B. Knox, la comparaison de la tyrannie avec le pouvoir des dieux (ces dieux qui se définissent aux yeux des Grecs comme "les plus forts", "les plus puissants") est un lieu commun de la littérature des ve et IVe siècles."

J.-P. Vernant, Mythe et tragédie en Grèce ancienne.

"Qu'est donc Oedipe ? Comme son propre discours, comme la parole de l'oracle, Oedipe est double, énigmatique. Du début à la fin du drame il reste psychologiquement et moralement le même : un homme d'action et de décision, au courage que rien ne peut abattre, à l'intelligence conquérante, et auquel on ne peut imputer aucune faute morale, aucun manquement délibéré à la justice. Mais sans qu'il le sache, sans l'avoir voulu ni mérité, ce personnage oedipien se révèle, dans toutes les dimensions sociale, religieuse, humaine, inverse de ce qu'il apparaît à la tête de la cité. L'étranger corinthien est en réalité natif de Thèbes ; le déchiffreur d'énigmes, une énigme qu'il ne peut déchiffrer ; le justicier, un criminel ; le clairvoyant, un aveugle ; le sauveur de la ville, sa perdition. Oedipe, celui qui pour tous est célèbre, le premier des humains, le meilleur des mortels, l'homme du pouvoir, de l'intelligence, des honneurs, de la richesse, se retrouve le dernier, le plus malheureux et le pire des hommes, un criminel, une souillure objet d'horreur pour ses semblables, haï des dieux, réduit à la mendicité et à l'exil."

J.-P. Vernant, Mythe et tragédie en Grèce ancienne.

Le film de Pasolini

Citations tirées du film

Le père d'Oedipe : "Tu es né pour prendre ma place dans ce monde, me voler ce qui m'appartient, me rejeter dans le néant."

Oedipe : "Où donc va ma jeunesse ? Où va ma vie ?"

Oedipe [à tirésias] : "Tes concitoyens souffrent et pleurent, luttant pour leur sauvegarde... Et toi, aveugle et solitaire, tu chantes... J'aimerais être à ta place."

Oedipe [au sphinx] : "Je ne veux pas savoir... Je ne veux pas te voir... Je ne veux pas savoir. Je ne veux pas t'entendre."

Oedipe : "La vie finit toujours où elle a commencé".

Citations sur le film

"L'enfant du prologue, c'est moi, son père est mon père, officier d'infanterie, et sa mère, une institutrice, est ma mère. Je raconte ma vie, mythifiée." (Les Cahiers du cinéma, 192, juillet-août 1967).

"Ils se sont épousés par la volonté des autres, mais, derrière cette volonté, il y a la leur, subite, et quasiment impudique. le regard qu'ils échangent le révèle : c'est un regard de complices." (Pasolini, Œdipe Roi, l'Avant-scène numéro 97, Novembre 1969.)

"Le père d'Œdipe et Œdipe se regardent longuement chacun attendant de voir ce que fera l'autre. Une haine profonde, sans raison, défigure leurs traits : quelque chose d'inhumain et d'hystérique. [...] Oedipe avance, décidé à ne pas laisser le passage, à défendre au prix du sang, sa dignité qui risque d'être blessée. Ou, peut-être, il attend une parole douce de l'autre, une invitation civile à céder. Mais l'autre est en fureur. Et cela ne se produit pas. Parce que cet autre est le père." (Pasolini, Œdipe Roi, l'Avant-scène numéro 97, Novembre 1969.)

"J'ai voulu présenter le mythe d'Oedipe comme quelque chose se situant en dehors de l'histoire. Selon moi, il est aussi loin de Sophocle que de nous. Dès lors un problème de reconstitution véritablement historique ne se posait plus. L'histoire d'Oedipe est un fait métahistorique. et dans ce cas, métahistorique correspond à préhistorique. Pour les costumes, j'ai donc eu recours à des images préhistoriques. J'ai consulté des livres sur la vie des Perses et des Aztèques, ainsi que sur celles des tribus africaines d'aujourd'hui, qui, elles aussi, sont mythiquement structurées" (Les Cahiers du cinéma, n°192).

"J'ai tourné le prologue en Lombardie pour évoquer mon enfance au Frioul, où mon père était officier, et la séquence finale, ou plutôt le retour d'Œdipe poète, à Bologne, où j'ai commencé à écrire des poèmes ; c'est la ville où je me suis retrouvé naturellement intégré dans la société bourgeoise ; je croyais alors que j'étais un poète de ce monde, comme si ce monde était absolu, unique, comme si n'avaient jamais existé des divisions en classes sociales. Je croyais dans l'absolu du monde bourgeois. Avec le désenchantement, ensuite, Œdipe laisse derrière lui le monde de la bourgeoisie et s'engage de plus en plus dans le monde populaire, des travailleurs. Il va chanter, non plus pour la bourgeoisie, mais pour la classe des exploités. De là, cette longue marche vers les usines. Où, probablement, l'attend une autre désillusion..." (Pier Paolo Pasolini, Entretiens avec Jean Duflot.)

Citations de/sur Pasolini

"Les parures, les démarches, la danse, les gestes, les tatouages des visages sont les signes d'un ancien monde magique." (Commentaires de Pasolini en voix off dans Carnet de Notes pour une Orestie Africaine)

"Je suis de plus en plus scandalisé par l'absence de sens du sacré de mes contemporains." (Pasolini, Les Dernières Paroles d'un Impie, entretiens avec Jean Duflot).

"En réalité, ce que l'on pourrait me reprocher, ce n'est pas de mépriser la femme, mais d'avoir tendance à la 'raphaéliser', à exprimer son côté angélique" (Pasolini, Les Dernières Paroles d'un Impie, entretiens avec Jean Duflot).

Fiche 04

Inventaire avant liquidation

Sujets

Questions portant sur un aspect des deux oeuvres

Dans le film de Pasolini, le même acteur incarne le personnage de Laïos et celui du père dans le prologue. En vous fondant sur votre connaissance de la tragédie de Sophocle, comment interprétez-vous le parti pris de Pasolini ?

Quelle est l'importance du meurtre de Laïos dans les deux oeuvres ?

Quelle est l'importance de la Peste dans les deux oeuvres ?

Dans quelle mesure peut-on dire que Jocaste est un personnage ambigu ?

Comparez le dénouement dans les deux oeuvres.

Qu'apportent le prologue et l'épilogue de Pasolini à la pièce de Sophocle ?

Questions portant sur l'ensemble des deux oeuvres

Quelle image du pouvoir est-elle donnée dans les oeuvres de Sophocle et de Pasolini ?

Quelles formes prend le tragique dans les deux oeuvres ?

Quelle est la place du temps dans la tragédie de Sophocle et dans le film de Pasolini ?

Quelle est la place du regard dans le film de Pasolini et dans la tragédie de Sophocle ?

Quelle est la place de la parole, dans la tragédie et dans le film ?

Quelle est l'importance du sacré dans les oeuvres de Sophocle et de Pasolini ?

Quelles formes prend la poésie dans les oeuvres de Sophocle et de Pasolini ?

Dans Combat, le 10 octobre 1968, Henri Chapier écrit : "Le film n'est pas l'illustration respectueuse de la pièce de Sophocle, mais sa constante interprétation contemporaine." Discutez ce jugement.

Dans La Croix, le 24 octobre 1968, Jean Rochereau écrit que Pasolini "ne se permet que de rares et hésitantes libertés à l'égard du texte de Sophocle." Discutez ce jugement.

Comment la violence est-elle représentée dans les oeuvres de Sophocle et de Pasolini ?

Le personnage d'Oedipe vous semble-t-il soumis au destin de la même façon dans la pièce de Sophocole et le film de Pasolini ?