Objet d'étude : Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours
Problématique générale : Quel itinéraire poétique ce recueil propose-t-il ?
Support : Joachim Du Bellay, Les Regrets.
Ci-dessous une liste d'exposés :
Comparez les textes suivants. En quoi le projet de Du Bellay, dans Les Regrets, est-il singulier ?
Lisez les poèmes suivants : 31, 40, 88, 130.
Du Bellay renonce-t-il complètement à la poésie savante ?
Dans ce livre, Du Bellay réfléchit aux moyens d'enrichir la poésie française. Il propose de rompre avec les genres utilisés au Moyen-Âge, de revenir aux genres antiques et d'adopter de nouveaux genres comme le sonnet.
Lis donc, et relis premièrement, ô poète futur, feuillette de main nocturne et journelle les exemplaires grecs et latins, puis me laisse toutes ces vieilles poésies françaises aux jeux Floraux de Toulouse et au Puy de Rouen : comme rondeaux, ballades, virelais, chants royaux, chansons et autres telles épiceries, qui corrompent le goût de notre langue et ne servent sinon à porter témoignage de notre ignorance. Jette-toi à ces plaisants épigrammes, non point comme font aujourd'hui un tas de faiseurs de contes nouveaux, qui en un dizain sont contents n'avoir rien dit qui vaille aux neuf premiers vers, pourvu qu'au dixième il y ait le petit mot pour rire : mais à l'imitation d'un Martial, ou de quelque autre bien approuvé, si la lascivité ne te plaît, mêle le profitable avec le doux. Distille, avec un style coulant et non scabreux, ces pitoyables élégies, à l'exemple d'un Ovide, d'un Tibulle et d'un Properce, y entremêlant quelquefois de ces fables anciennes, non petit ornement de poésie. Chante-moi ces odes, inconnues encore de la Muse française, d'un luth bien accordé au son de la lyre grecque et romaine, et qu'il n'y ait vers où n'apparaisse quelque vestige de rare et antique érudition. Et quant à ce, te fourniront de matière les louanges des dieux et des hommes vertueux, le discours fatal des choses mondaines, la sollicitude des jeunes hommes, comme l'amour, les vins libres, et toute bonne chère. Sur toutes choses, prends garde que ce genre de poème soit éloigné du vulgaire, enrichi et illustré de mots propres et épithètes non oiseuses, orné de graves sentences, et varié de toutes manières de couleurs et ornements poétiques. [...] Sonne-moi ces beaux sonnets, non moins docte que plaisante invention italienne, conforme de nom à l'ode, et différente d'elle seulement, pour ce que le sonnet a certains vers réglés et limités et l'ode peut courir par toutes manières de vers librement, voire en inventer à plaisir à l'exemple d'Horace, qui a chanté en dix-neuf sortes de vers, comme disent les grammairiens. Pour le sonnet donc tu as Pétrarque et quelques modernes italiens.
J. du Bellay, La Défense et Illustration de la Langue française, II, IV, 1549.
Je ne veux feuilleter les exemplaires Grecs,
Je ne veux retracer les beaux traits d’un Horace,
Et moins veux-je imiter d’un Petrarque la grace,
Ou la voix d’un Ronsard pour chanter mes Regrets
Ceux qui sont de Phoebus vrais poètes sacrés,
Animeront leurs vers d’une plus grande audace :
Moi, qui suis agité d’une fureur plus basse,
Je n’entre si avant en si profonds secrets.
Je me contenterai de simplement écrire
Ce que la passion seulement me fait dire,
Sans rechercher ailleurs plus graves arguments.
Aussi n’ai-je entrepris d’imiter en ce livre
Ceux qui par leurs écrits se vantent de revivre
Et se tirer tout vifs dehors des monuments.
J. du Bellay, Les Regrets, IV, 1558.
Dans ce poème, dédié à Claude de l'Aubépine, secrétaire d'Etat, Ronsard retrace sa formation poétique et intellectuelle.
Le jour que je fus né, Apollon qui préside
Aux Muses, me servit en ce monde de guide
M'anima d'un esprit subtil et vigoureux,
Et me fit de science et d'honneur amoureux.
En lieu des grands tresors et des richesses vaines
Qui aveuglent les yeux des personnes humaines,
Me donna pour partage une fureur d'esprit,
Et l'art de bien coucher ma verve par écrit.
Il me haussa le coeur, haussa la fantaisie,
M'inspirant dedans l'âme un don de Poésie,
Que Dieu n'a concédé qu'à l'esprit agité
Des poignants aiguillons de sa Divinité.
Quand l'homme en est touché il devient un prophète,
Il prédit toute chose avant qu'elle ne soit faite,
Il connaît la nature et les secrets des Cieux,
Et d'un esprit bouillant s'élève entre les Dieux.
Il connaît la vertu des herbes et des pierres,
Il enferme les vents, il charme les tonnerres :
Sciences que le peuple admire, et ne sait pas
Que Dieu les va donnant aux hommes d'ici bas,
Quand ils ont de l'humain les âmes séparées,
Par oraison, par jeûne et pénitence aussi,
Dont aujourd'hui le monde a bien peu de souci.
P. de Ronsard, extrait de l'Hymne de l'Automne, publié dans les Nouvelles Poésies, 1564.
Dans ce tableau, N. Poussin représente le poète écrivant sous la dictée d'Apollon. Au gauche se trouve Calliope, muse de l'éloquence et de la poésie héroïque. Entre Apollon et Calliope, un putto tient un livre ; deux autres ouvrages sont posés au sol. Il s'agit de L'Iliade, L'Odyssée et L'Énéide.
N. Poussin, L'Inspiration du poète, 1629-1630.
Comment ce tableau souligne-t-il l'harmonie du monde ?
Commentez le sonnet 6 des Regrets.
Ce tableau est destiné à un cabinet de travail d'Isabelle d'Este, épouse de François II de Mantoue. Elle fut la mécène d'une cour d'écrivains, de musiciens et de peintres et exerça une influence considérable, à la fois culturelle et politique, pendant la Renaissance. Au sommet de l'arche de pierre se trouvent Vénus et Mars. Au premier plan, les neuf muses éxécutent une danse et sur la gauche Apollon joue de la lyre. A droite, derrière Hermès et Pégase, on aperçoit la source de l'Hippocrène sur le mont Hélicon.
Mantegna, Le Parnasse, 1497.
L'exil, malheur ou inspiration ?
1. Jeu de mots : le pied est l'unité de mesure de la poésie latine.
En 8 après J.-C., le poète Ovide est banni de Rome et assigné à résidence près des rives de la Mer Noire, dans l'actuelle Roumanie, chez un peuple considéré barbare, les Scythes. Dans Les Tristes, il exprime sa douleur.
Petit livre - je n'en suis pas jaloux - tu iras sans moi à Rome. Hélas ! il est interdit à ton maître d'y aller. Va, mais sans ornement, comme il convient au livre d'un exilé. Malheureux, prends l'habit de circonstance ! Point de myrtilles pour te farder de leur teinture pourpre - cette couleur sied mal à la tristesse -, point de vermillon pour rehausser ton titre ni d'huile de cèdre pour embellir tes feuillets, point de blancs croissants sur ton front noir. Laissons ces ornements aux livres heureux : toi, tu ne dois pas oublier mon malheur. Que la tendre pierre ponce ne polisse pas tes deux tranches et laisse voir le hérissement de tes barbes éparses. Ne rougis pas de tes taches ! En les voyant, on y reconnaîtra l'effet de mes larmes ! Va, mon livre, et salue de mes paroles les lieux qui me sont chers ! J'y pénétrerai au moins du pied1 qui m'est permis.
Ovide, Tristes, I, 1, Ier s. ap. J.-C. trad. J. André, éd. Les Belles Lettres.
Parti à Rome en 1553 comme intendant de son oncle le cardinal Jean Du Bellay, Du Bellay exprime dans Les Regrets sa douleur dans une Rome étrangère, pleine d'intrigues et de corruptions.
France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m’as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.
Si tu m’as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.
Entre les loups cruels j’erre parmi la plaine,
Je sens venir l’hiver, de qui la froide haleine
D’une tremblante horreur fait hérisser ma peau.
Las, tes autres agneaux n’ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.
J. du Bellay, Les Regrets, 9, 1558.
Après le coup d'Etat du 2 décembre 1851, V. Hugo s'exile volontairement à Bruxelles, puis à Jersey. Chassé de Jersey en 1855, il s'installe à Guernesey. Il y reste jusqu'en 1870.
J’ai cueilli cette fleur pour toi sur la colline.
Dans l’âpre escarpement qui sur le flot s’incline,
Que l’aigle connaît seul et peut seul approcher,
Paisible, elle croissait aux fentes du rocher.
L’ombre baignait les flancs du morne promontoire ;
Je voyais, comme on dresse au lieu d’une victoire
Un grand arc de triomphe éclatant et vermeil,
À l’endroit où s’était englouti le soleil,
La sombre nuit bâtir un porche de nuées.
Des voiles s’enfuyaient, au loin diminuées ;
Quelques toits, s’éclairant au fond d’un entonnoir,
Semblaient craindre de luire et de se laisser voir.
J’ai cueilli cette fleur pour toi, ma bien-aimée.
Elle est pâle, et n’a pas de corolle embaumée,
Sa racine n’a pris sur la crête des monts
Que l’amère senteur des glauques goëmons ;
Moi, j’ai dit : Pauvre fleur, du haut de cette cime,
Tu devais t’en aller dans cet immense abîme
Où l’algue et le nuage et les voiles s’en vont.
Va mourir sur un cœur, abîme plus profond.
Fane-toi sur ce sein en qui palpite un monde.
Le ciel, qui te créa pour t’effeuiller dans l’onde,
Te fit pour l’océan, je te donne à l’amour. -
Le vent mêlait les flots ; il ne restait du jour
Qu’une vague lueur, lentement effacée.
Oh ! comme j’étais triste au fond de ma pensée
Tandis que je songeais, et que le gouffre noir
M’entrait dans l’âme avec tous les frissons du soir !
Île de Serk, août 1855.
V. Hugo, Les Contemplations, V, XXIV, 1856.
E. Delacroix, Ovide chez les Scythes, 1862.
1. Etudiez les oppositions de formes et de couleurs. Que soulignent-elles ?
2. Comment les personnages sont-ils disposés ?
3. En quoi ce tableau peut-il être considéré comme satirique ?
1. Comment s'exprime la satire dans les sonnets 82, 86, 91, 105 ?
2. Commentez le sonnet 80.
De dimension colossale (472 x 772), cette peinture d'histoire du XIXe s. est accompagnée dans le livret du Salon où le tableau est exposé par deux vers de Juvénal, un poète latin : "Plus cruel que la guerre, le vice s'est abattu sur Rome et venge l'univers vaincu". Le tableau vise particulièrement la Monarchie de Juillet entachée de scandales.
T. Couture, Les Romains de la Décadence, 1847.
Complétez les indications sur la composition du recueil ci-contre.
Selon I. Pantin, "le recueil raconte une histoire." Laquelle ?
Sonnets 1 à 5 : une préface poétique. Du Bellay définit ses intentions.
Sonnets 6 à 49 : une plainte élégiaque. Du Bellay déplore la perte de son inspiration (6 à 8), ...
(10 à 15), exprime son isolement et souligne son infortune (16 à 24), puis ... (25 à 37), avant de finalement maudire l'ambition qui l'a conduit en Italie (38 à 49).Sonnets 50 à 56 : une exhortation. Le poète semble se ressaisir et change de registre.
Sonnets 57 à 127 : le procès de Rome. Après un panorama critique de la ville et de ses habitants (57 à 79), Du Bellay s'attarde sur ...
(87 à 100), les Papes et leur cour (101 à 113), et enfin l'actualité, notamment politique, de Rome (114 à 126).Sonnets 128 à 138 : ...
Sonnets 139 à 150 : une satire du courtisan français. Du Bellay adresse des conseils ironiques aux ambitieux.
Après plusieurs homages à ses amis (151 à 156), Du Bellay célèbre les grands : Diane de Poitiers (159), les membres des grandes familles (160 à 173), ...
(174 à 190), et enfin Henri II (191).Dans l’enfer de son corps mon esprit attaché
(Et cet enfer, Madame, a été mon absence)
Quatre ans et davantage a fait la pénitence
De tous les vieux forfaits dont il fut entaché.
Ores, grâces aux dieux, or’ il est relâché
De ce pénible enfer, et par votre présence
Réduit au premier point de sa divine essence,
A déchargé son dos du fardeau de péché :
Ores sous la faveur de vos grâces prisées,
Il jouit du repos des beaux Champs-Elysées,
Et si n’a volonté d’en sortir jamais hors.
Donques, de l’eau d’oubli ne l’abreuvez, Madame,
De peur qu’en la buvant nouveau désir l’enflamme
De retourner encor dans l’enfer de son corps.