Le Rouge et le noir

Objet d'étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Problématique générale : Le roman, "miroir promené le long d'un chemin" ou fenêtre sur coeur ?

Support : Stendhal, Le Rouge et le noir, coll. Classiques de poche, éd. Livre de Poche.

Séance 01

Une "chronique de 1830"

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1. Faites la liste des changements politiques survenus entre 1789 et 1852.

2. Le roman est inspiré d'un fait divers, l'affaire Berthet, dont la presse de l'époque s'est fait un large écho.

Fils d'artisans pauvres mais honnêtes - son père était maréchal-ferrant dans le village de Brangues - Antoine Berthet est remarqué par le curé qui commence à l'enseigner. Grâce à sa protection, Antoine Berthet entre au petit séminaire de Grenoble en 1818, mais doit arrêter ses études à cause d'une maladie.

Le curé de Brangues le fait alors entrer comme précepteur chez M. Michoud, où il noue une relation équivoque avec Mme Michoud. Au bout d'un an, M. Michoud doit renvoyer le jeune homme.

Il entre au grand séminaire de Grenoble, mais, jugé indigne par ses supérieurs, il en est congédié. Amer, le jeune Berthet écrit alors de violents reproches à Mme Michoud.

Il entre encore chez M. de Cordon comme précepteur. Là encore, au bout d'un an, M. de Cordon le renvoie. On pense qu'il a séduit la fille de M. de Cordon.

Refusé partout, il fait de Mme Michoud la responsable de sa situation. En 1827, il retourne à Brangues, armé de deux pistolets, et, pendant la messe, fait feu à deux reprises sur Mme Michoud.

Il est condamné à mort et exécuté en 1828, à vingt-cinq ans.

a. Comment le roman évoque-t-il cette affaire dans les deux dernières pages du chapitre 5 ?

b. Selon vous, qu'est-ce qui a pu intéresser Stendhal dans une telle histoire ?

3. Le roman affirme : "Un roman : c'est un miroir qu'on promène le long d'un chemin" (citation attribuée à Saint-Réal, I, XIII) et "un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l’homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d’être immoral ! Son miroir montre la fange, et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l’inspecteur des routes qui laisse l’eau croupir et le bourbier se former." (II, XLIX). Qu'en pensez-vous ?

Pistes

Séance 02

Une rencontre surprenante

Oral

Par deux, réalisez un storyboard de la scène suivante. Inutile de bien dessiner.

Pistes

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1. Montrez que les deux personnages sont très similaires.

2. Comment la surprise se manifeste-t-elle de part et d'autre ?

Avec la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles quand elle était loin des regards des hommes, madame de Rênal sortait par la porte-fenêtre du salon qui donnait sur le jardin, quand elle aperçut près de la porte d'entrée la figure d'un jeune paysan presque encore enfant, extrêmement pâle et qui venait de pleurer. Il était en chemise bien blanche, et avait sous le bras une veste fort propre de ratine violette.

Le teint de ce petit paysan était si blanc, ses yeux si doux, que l'esprit un peu romanesque de madame de Rênal eut d'abord l'idée que ce pouvait être une jeune fille déguisée, qui venait demander quelque grâce à M. le maire. Elle eut pitié de cette pauvre créature, arrêtée à la porte d'entrée, et qui évidemment n'osait pas lever la main jusqu'à la sonnette. Madame de Rênal s'approcha, distraite un instant de l'amer chagrin que lui donnait l'arrivée du précepteur. Julien, tourné vers la porte, ne la voyait pas s'avancer. Il tressaillit quand une voix douce dit tout près de son oreille :

- Que voulez-vous ici, mon enfant ?

Julien se tourna vivement, et frappé du regard si rempli de grâce de madame de Rênal, il oublia une partie de sa timidité. Bientôt, étonné de sa beauté, il oublia tout, même ce qu'il venait faire. Madame de Rênal avait répété sa question.

- Je viens pour être précepteur, madame, lui dit-il enfin, tout honteux de ses larmes qu'il essuyait de son mieux.

Madame de Rênal resta interdite ; ils étaient fort près l'un de l'autre à se regarder. Julien n'avait jamais vu un être aussi bien vêtu et surtout une femme avec un teint si éblouissant, lui parler d'un air doux. Madame de Rênal regardait les grosses larmes, qui s'étaient arrêtées sur les joues si pâles d'abord et maintenant si roses de ce jeune paysan. Bientôt elle se mit à rire, avec toute la gaieté folle d'une jeune fille ; elle se moquait d'elle-même et ne pouvait se figurer tout son bonheur. Quoi, c'était là ce précepteur qu'elle s'était figuré comme un prêtre sale et mal vêtu, qui viendrait gronder et fouetter ses enfants !

- Quoi, monsieur, lui dit-elle enfin, vous savez le latin ?

Ce mot de monsieur étonna si fort Julien qu'il réfléchit un instant.

- Oui, madame, dit-il timidement. Mme de Rênal était si heureuse, qu'elle osa dire à Julien :

- Vous ne gronderez pas trop ces pauvres enfants ?

- Moi, les gronder, dit Julien étonné, et pourquoi ?

- N'est-ce pas, monsieur, ajouta-t-elle après un petit silence et d'une voix dont chaque instant augmentait l'émotion, vous serez bon pour eux, vous me le promettez ?

S'entendre appeler de nouveau monsieur, bien sérieusement, et par une dame si bien vêtue était au-dessus de toutes les prévisions de Julien : dans tous les châteaux en Espagne de sa jeunesse, il s'était dit qu'aucune dame comme il faut ne daignerait lui parler que quand il aurait un bel uniforme. Mme de Rênal de son côté était complètement trompée par la beauté du teint, les grands yeux noirs de Julien et ses jolis cheveux qui frisaient plus qu'à l'ordinaire parce que pour se rafraîchir il venait de plonger la tête dans le bassin de la fontaine publique. À sa grande joie elle trouvait l'air timide d'une jeune fille à ce fatal précepteur, dont elle avait tant redouté pour ses enfants la dureté et l'air rébarbatif. Pour l'âme si paisible de Mme de Rênal, le contraste de ses craintes et de ce qu'elle voyait fut un grand événement. Enfin elle revint de sa surprise. Elle fut étonnée de se trouver ainsi à la porte de sa maison avec ce jeune homme presque en chemise et si près de lui.

- Entrons, monsieur, lui dit-elle d'un air assez embarrassé.

Stendhal, Le Rouge et le noir, I, 6, 1830.

Séance 03

"Un miroir qu'on promène le long d'un chemin"

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1. Le roman porte pour sous-titre : "chronique de 1830." Comment comprenez-vous cette expression ?

2. Le roman affirme : "Un roman : c'est un miroir qu'on promène le long d'un chemin" (citation attribuée à Saint-Réal, I, XIII) et "un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l’homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d’être immoral ! Son miroir montre la fange, et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l’inspecteur des routes qui laisse l’eau croupir et le bourbier se former." (II, XLIX). Êtes-vous d'accord avec cette définition du roman ?

Pistes

Séance 04

Julien Sorel, un séducteur ?

Oral

Quelles sont les relations entre Julien et les personnages féminins ? Justifiez votre réponse par des références au roman.

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1. Mme de Rênal et Mathilde de la Mole se ressemblent-elles ?

2. Comment se déroulent les histoires que Julien vit avec ces deux femmes ?

Pistes

Explication

Commentez le texte ci-contre.

M. de La Mole était sorti. Plus mort que vif, Julien alla l'attendre dans la bibliothèque. Que devint-il en y trouvant Mlle de La Mole ?

En le voyant paraître, elle prit un air de méchanceté auquel il lui fut impossible de se méprendre.

Emporté par son malheur, égaré par la surprise, Julien eut la faiblesse de lui dire, du ton le plus tendre et qui venait de l'âme : - Ainsi, vous ne m'aimez plus ?

- J'ai horreur de m'être livrée au premier venu, dit Mathilde en pleurant de rage contre elle-même.

- Au premier venu ! s'écria Julien, et il s'élança sur une vieille épée du Moyen Âge, qui était conservée dans la bibliothèque comme une curiosité.

Sa douleur, qu'il croyait extrême au moment où il avait adressé la parole à Mlle de La Mole, venait d'être centuplée par les larmes de honte qu'il lui voyait répandre. Il eût été le plus heureux des hommes de pouvoir la tuer.

Au moment où il venait de tirer l'épée, avec quelque peine, de son fourreau antique, Mathilde, heureuse d'une sensation si nouvelle, s'avança fièrement vers lui ; ses larmes s'étaient taries.

L'idée du marquis de La Mole, son bienfaiteur, se présenta vivement à Julien. Je tuerais sa fille ! se dit-il, quelle horreur ! Il fit un mouvement pour jeter l'épée. Certainement, pensa-t-il, elle va éclater de rire à la vue de ce mouvement de mélodrame : il dut à cette idée le retour de tout son sang-froid. Il regarda la lame de la vieille épée curieusement et comme s'il y eût cherché quelque tache de rouille, puis il la remit dans le fourreau, et avec la plus grande tranquillité la replaça au clou de bronze doré qui la soutenait.

Tout ce mouvement, fort lent sur la fin, dura bien une minute ; Mlle de La Mole le regardait étonnée : J'ai donc été sur le point d'être tuée par mon amant ! se disait-elle.

Cette idée la transportait dans les plus beaux temps du siècle de Charles IX et de Henri III.

Elle était immobile devant Julien, qui venait de replacer l'épée, elle le regardait avec des yeux où il n'y avait plus de haine. Il faut convenir qu'elle était bien séduisante en ce moment, certainement jamais femme n'avait moins ressemblé à une poupée parisienne. (Ce mot était la grande objection de Julien contre les femmes de ce pays.)

Je vais retomber dans quelque faiblesse pour lui, pensa Mathilde ; c'est bien pour le coup qu'il se croirait mon seigneur et maître, après une rechute, et au moment précis où je viens de lui parler si ferme. Elle s'enfuit.

Mon Dieu ! qu'elle est belle ! dit Julien en la voyant courir : voilà cet être qui se précipitait dans mes bras avec tant de fureur il n'y a pas huit jours… et ces instants ne reviendront jamais ! et c'est par ma faute ! et, au moment d'une action si extraordinaire, si intéressante pour moi, je n'y étais pas sensible !… Il faut avouer que je suis né avec un caractère bien plat et bien malheureux.

Stendhal, Le Rouge et le noir, II, 17, 1830.

Séance 05

Un récit de formation

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1. Relevez toutes les similitudes entre les deux parties du roman en vous aidant du tableau ci-contre.

2. Cherchez dans le roman comment Julien s'élève. Parvient-il à son but ?

Pistes

Livre I Livre II
Deux mentors destitués

L'abbé Chelan est destitué, p. 21.

L'abbé Pirard est sur le point d'être démis de ses fonctions au séminaire, p. 204.

Deux moments où la connaissance de Julien est admirée

Chez les de Rênal, p. 42.

Chez les de La Mole, p. 246-247.

Deux épisodes où Julien monte par une échelle dans la chambre de la femme aimée

Chez Mme de Rênal, p. 90-91.

Chez Mathilde de La Mole, p. 342-343.

Deux promenades à cheval

Lors de la venue du roi, p. 106-107.

Avec Norbert, p. 249.

Deux périodes de réclusion

. Le séminaire de Besançon. p. 171.

La prison de Verrières, puis de Besançon, à partir de la page 454.

Deux scènes où un noble donne généreusement aux villageois

Lors de la venue du roi, p. 115.

Lors de l'enterrement de Julien, p. 506.

Deux objets cassés

Un verre de cristal. p. 145.

Un vase du Japon, p. 370-371.

Séance 06

Un dénouement "bien bizarre"

Invention

A la fin du chapitre XXXIV, Julien dit : "Après tout, [...] mon roman est fini." Suivent les épisodes avec le coup de feu et le procès.

Dans un article, le critique Émile Faguet écrit :

"Le dénouement de Rouge et noir est bien bizarre, et, en vérité, un peu plus faux qu’il n’est permis. L'impression d'un lecteur français de 1900, ou même de 1860, est qu'à la fin de Rouge et Noir tous les personnages perdent la tête."

Politiques et moralistes du XIXe s., 3e série, 1891.

1. Partagez-vous ce jugement ?

2. Un lecteur écrit à Stendhal pour lui exprimer son mécontentement sur cette fin, et lui en proposer une autre, plus pertinente à son sens. Stendhal lui répond.

Vous imaginerez et écrirez ces deux lettres. Dans les deux cas, vous argumenterez en vous appuyant sur votre connaissance du roman de Stendhal, du roman en général et du réalisme.

Pistes

Séance 07

Une mort sublime

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Qu'est-ce qui vous paraît intéressant dans cet extrait ?

Pistes

Le mauvais air du cachot devenait insupportable à Julien. Par bonheur, le jour où on lui annonça qu'il fallait mourir, un beau soleil réjouissait la nature, et Julien était en veine de courage. Marcher au grand air fut pour lui une sensation délicieuse, comme la promenade à terre pour le navigateur qui longtemps a été à la mer. Allons, tout va bien, se dit-il, je ne manque point de courage.

Jamais cette tête n'avait été aussi poétique qu'au moment où elle allait tomber. Les plus doux moments qu'il avait trouvés jadis dans les bois de Vergy revenaient en foule à sa pensée et avec une extrême énergie.

Tout se passa simplement, convenablement, et de sa part sans aucune affectation.

L'avant-veille, il avait dit à Fouqué :

- Pour de l'émotion, je ne puis en répondre ; ce cachot si laid, si humide, me donne des moments de fièvre où je ne me reconnais pas ; mais de la peur, non on ne me verra point pâlir.

Il avait pris ses arrangements d'avance pour que le matin du dernier jour, Fouqué enlevât Mathilde et Mme de Rênal.

- Emmène-les dans la même voiture, lui avait-il dit. Arrange-toi pour que les chevaux de poste ne quittent pas le galop. Elles tomberont dans les bras l'une de l'autre, ou se témoigneront une haine mortelle. Dans les deux cas, les pauvres femmes seront un peu distraites de leur affreuse douleur.

Julien avait exigé de Mme de Rênal le serment qu'elle vivrait pour donner des soins au fils de Mathilde.

- Qui sait ? peut-être avons-nous encore des sensations après notre mort, disait-il un jour à Fouqué. J'aimerais assez à reposer, puisque reposer est le mot, dans cette petite grotte de la grande montagne qui domine Verrières. Plusieurs fois, je te l'ai conté, retiré la nuit dans cette grotte, et ma vue plongeant au loin sur les plus riches provinces de France, l'ambition a enflammé mon cœur : alors c'était ma passion… Enfin, cette grotte m'est chère, et l'on ne peut disconvenir qu'elle ne soit située d'une façon à faire envie à l'âme d'un philosophe… Eh bien ! ces bons congréganistes de Besançon font argent de tout ; si tu sais t'y prendre, ils te vendront ma dépouille mortelle…

Fouqué réussit dans cette triste négociation. Il passait la nuit seul dans sa chambre, auprès du corps de son ami, lorsqu'à sa grande surprise, il vit entrer Mathilde. Peu d'heures auparavant, il l'avait laissée à dix lieues de Besançon. Elle avait le regard et les yeux égarés.

- Je veux le voir, lui dit-elle.

Fouqué n'eut pas le courage de parler ni de se lever. Il lui montra du doigt un grand manteau bleu sur le plancher ; là était enveloppé ce qui restait de Julien.

Elle se jeta à genoux. Le souvenir de Boniface de La Mole et de Marguerite de Navarre lui donna sans doute un courage surhumain. Ses mains tremblantes ouvrirent le manteau. Fouqué détourna les yeux.

Il entendit Mathilde marcher avec précipitation dans la chambre. Elle allumait plusieurs bougies. Lorsque Fouqué eut la force de la regarder, elle avait placé sur une petite table de marbre, devant elle, la tête de Julien, et la baisait au front…

Mathilde suivit son amant jusqu'au tombeau qu'il s'était choisi. Un grand nombre de prêtres escortaient la bière et, à l'insu de tous, seule dans sa voiture drapée, elle porta sur ses genoux la tête de l'homme qu'elle avait tant aimé.

Arrivés ainsi vers le point le plus élevé d'une des hautes montagnes du Jura, au milieu de la nuit, dans cette petite grotte magnifiquement illuminée d'un nombre infini de cierges, vingt prêtres célébrèrent le service des morts. Tous les habitants des petits villages de montagne traversés par le convoi l'avaient suivi, attirés par la singularité de cette étrange cérémonie.

Mathilde parut au milieu d'eux en longs vêtements de deuil, et, à la fin du service, leur fit jeter plusieurs milliers de pièces de cinq francs.

Restée seule avec Fouqué, elle voulut ensevelir de ses propres mains la tête de son amant. Fouqué faillit en devenir fou de douleur.

Par les soins de Mathilde, cette grotte sauvage fut ornée de marbres sculptés à grands frais, en Italie.

Mme de Rênal fut fidèle à sa promesse. Elle ne chercha en aucune manière à attenter à sa vie ; mais trois jours après Julien, elle mourut en embrassant ses enfants.

Stendhal, Le Rouge et le noir, II, 45, 1830.