Objet d'étude : Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours
Problématique générale : La poésie, 'alchimie du verbe' ou folle aventure ?
Support : Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer, coll. Livre de Poche, éd. LGF.
LE CONTEXTE
Élève brillant mais turbulent, Rimbaud fugue une première fois en 1870 pour rejoindre Paris. Arrêté, il est libéré grâce à son professeur de rhétorique, Georges Izambard, qu'il rejoint à Douai. Il y rencontre Paul Demeny, poète et éditeur, et lui donne des poèmes : ce seront Les Cahiers de Douai.
En 1871, il fugue de nouveau vers Paris à plusieurs reprises. Il y rencontre Verlaine, marié, avec qui il noue une relation orageuse.
Après plusieurs incidents, Rimbaud rentre à Charleville en 1872. Il écrit à son ami Ernest Delahaye :
Je fais de petites histoires en prose, titre général : Livre païen, ou Livre nègre. C'est bête et innocent. O innocence ! innocence, innocence, innoc..., fléau ! [...] Mon sort dépend de ce livre, pour lequel une demi-douzaine d'histoires atroces sont encore à inventer.
Il retourne à Paris quelques mois plus tard, pour y retrouver Verlaine. Tous deux mènent une vie agitée, voyagent à Londres, puis à Bruxelles.
En 1873, à la suite d'une dispute, Verlaine tire à deux reprises sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet. Verlaine est emprisonné. Rimbaud rejoint sa famille à la ferme familiale de Roche en juillet 1873. Une saison en enfer sera imprimé en octobre 1873.
Dès le lendemain [de son arrivée à Roche], s'isolant dans son grenier à grain où, au printemps, il l'avait ébauché, il continua d'écrire et de mettre au point Une saison en enfer.
Ce jour-là et les suivants, dans la salle à manger, à la table de famille, il est de plus en plus triste, muet. Mais, aux heures de travail, à travers le plancher, on perçoit les sanglots qui réitèrent, convulsifs, coupés, tour à tour, de gémissements, de ricanements, de cris de colère, de malédictions.
Jean-Arthur Rimbaud le poète, Mercure de France, 1912.
Rimbaud rencontre encore une fois Verlaine, en 1875, pour lui remettre le manuscrit du recueil Les Illuminations. C'est la dernière oeuvre de Rimbaud qui dès lors voyage : en Europe, à Chypre (1878), au Yémen (1880, 1882), puis en Éthiopie (de 1881 à 1891).
Des douleurs à la jambe le contraignent à rentrer en Europe en 1891. Débarqué à Marseille, il doit être amputé, mais la maladie progresse malgré tout. Rimbaud meurt quelques mois plus tard, fin 1891.
Soit l'autoportrait dessiné par Rimbaud dans 'Mauvais Sang'.
Trouvez un autoportrait de peintre, de plasticien, de photographe qui s'apparente nettement à ce lui de Rimbaud.
Ou :
Réalisez un portrait d'après les indications données par Rimbaud. Vous pouvez bien sûr utiliser des images existantes que vous modifierez ou associerez comme vous le souhaitez, à la façon de la couverture de l'édition GF de la correspondance du poète.
Quel image Rimbaud donne-t-il de lui-même dans Mauvais Sang ?
Comparez ce portrait à celui que la vierge folle dresse dans "Délires I".
Dans Mauvais Sang, première partie du recueil, le poète évoque ses ancêtres, ses rêves d'enfance, et son désir de partir dans des contrées païennes...
J'ai de mes ancêtres gaulois l'œil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure.
Les Gaulois étaient les écorcheurs de bêtes, les brûleurs d'herbes les plus ineptes de leur temps.
D'eux, j'ai : l'idolâtrie et l'amour du sacrilège ; - oh ! tous les vices, colère, luxure, - magnifique, la luxure ; - surtout mensonge et paresse.
J'ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans, ignobles. La main à plume vaut la main à charrue. - Quel siècle à mains ! - Je n'aurai jamais ma main. Après, la domesticité même trop loin. L'honnêteté de la mendicité me navre. Les criminels dégoûtent comme des châtrés : moi, je suis intact, et ça m'est égal.
Mais ! qui a fait ma langue perfide tellement, qu'elle ait guidé et sauvegardé jusqu'ici ma paresse ? Sans me servir pour vivre même de mon corps, et plus oisif que le crapaud, j'ai vécu partout. Pas une famille d'Europe que je ne connaisse. - J'entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits de l'Homme. - J'ai connu chaque fils de famille !
- - - - -
Si j'avais des antécédents à un point quelconque de l'histoire de France !
Mais non, rien.
Il m'est bien évident que j'ai toujours été [de] race inférieure. Je ne puis comprendre la révolte. Ma race ne se souleva jamais que pour piller : tels les loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée.
Je me rappelle l'histoire de la France fille aînée de l'Église. J'aurais fait, manant, le voyage de terre sainte ; j'ai dans la tête des routes dans les plaines souabes, des vues de Byzance, des remparts de Solyme ; le culte de Marie, l'attendrissement sur le crucifié s'éveillent en moi parmi mille féeries profanes. - Je suis assis, lépreux, sur les pots cassés et les orties, au pied d'un mur rongé par le soleil. - Plus tard, reître, j'aurais bivaqué sous les nuits d'Allemagne.
Ah ! encore : je danse le sabbat dans une rouge clairière, avec des vieilles et des enfants.
Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme. Je n'en finirais pas de me revoir dans ce passé. Mais toujours seul ; sans famille ; même, quelle langue parlais-je ? Je ne me vois jamais dans les conseils du Christ ; ni dans les conseils des Seigneurs, - représentants du Christ.
Qu'étais-je au siècle dernier : je ne me retrouve qu'aujourd'hui. Plus de vagabonds, plus de guerres vagues. La race inférieure a tout couvert - le peuple, comme on dit, la raison ; la nation et la science.
Oh ! la science ! On a tout repris. Pour le corps et pour l'âme, - le viatique, - on a la médecine et la philosophie, - les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangés. Et les divertissements des princes et les jeux qu'ils interdisaient ! Géographie, cosmographie, mécanique, chimie !...
La science, la nouvelle noblesse ! Le progrès. Le monde marche ! Pourquoi ne tournerait-il pas ?
C'est la vision des nombres. Nous allons à l'Esprit. C'est très-certain, c'est oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m'expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire.
- - - - -
Le sang païen revient ! L'Esprit est proche, pourquoi Christ ne m'aide-t-il pas, en donnant à mon âme noblesse et liberté. Hélas ! l'Évangile a passé ! l'Évangile ! l'Évangile.
J'attends Dieu avec gourmandise. Je suis de race inférieure de toute éternité.
Me voici sur la plage armoricaine. Que les villes s'allument dans le soir. Ma journée est faite ; je quitte l'Europe. L'air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. Nager, broyer l'herbe, chasser, fumer surtout ; boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant, - comme faisaient ces chers ancêtres autour des feux.
Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l'œil furieux : sur mon masque, on me jugera d'une race forte. J'aurai de l'or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé.
Maintenant je suis maudit, j'ai horreur de la patrie. Le meilleur, c'est un sommeil bien ivre, sur la grève.
Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, "Mauvais sang", 1873.
1. Choisissez l'une des œuvres ci-contre, et expliquez ce qui vous paraît intéressant dans cette œuvre.
2. Quelle relation peut-on établir avec Une saison en enfer ?
![]() Odilon Redon, "Les Yeux clos", 1889. |
![]() Odilon Redon, "Muse sur Pégase", 1900. |
![]() Odilon Redon, "Le Rêve", 1905. |
![]() Odilon Redon, "Roger et Angélique", 1910. |
Expliquez le titre : "alchimie du verbe".
Étudiez le texte de Rimbaud.
Au cours d'une émission littéraire, un débat se déroule sur le thème suivant : "Faut-il comprendre la poésie ?"
Six participants sont présents :
- un animateur, chargé d'introduire, de réguler, et de conclure le débat
- un écrivain passionné par Rimbaud (v. manuel p. 36, 285 et 286)
- un écrivain surréaliste (p. 37 et 274)
- un écrivain inspiré par le classicisme (v. manuel p. 27 et 294)
- deux lycéens qui témoignent de leur découverte de la poésie
L'animateur doit donner la parole au moins une fois à chaque intervenant et inviter les participants à réagir à ce qui a été dit.
Vous ferez l'un des deux sujets suivants au choix :
1. André Breton écrit : "Au départ, il ne s'agit pas de comprendre mais bien d'aimer" (Flagrant délit, 1949). Cette affirmation vous paraît-elle s'appliquer à la poésie ?
2. Deux lycéens se questionnent sur la nécessité ou non de comprendre la poésie. Leurs avis divergent. Vous écrirez leur dialogue.
1. Référence à l'épisode du chant du coq, dans les Évangiles.
À moi. L'histoire d'une de mes folies.
Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne.
J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.
Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de mœurs, déplacements de races et de continents : je croyais à tous les enchantements.
J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.
Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges.
- - - - -
Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Que buvais-je, à genoux dans cette bruyère
[...]
- - - - -
La vieillerie poétique avait une bonne part dans mon alchimie du verbe.
Je m'habituai à l'hallucination simple : je voyais très-franchement une mosquée à la place d'une usine, une école de tambours faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d'un lac ; les monstres, les mystères ; un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi.
Puis j'expliquai mes sophismes magiques avec l'hallucination des mots !
Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit. J'étais oisif, en proie à une lourde fièvre : j'enviais la félicité des bêtes, - les chenilles, qui représentent l'innocence des limbes, les taupes, le sommeil de la virginité !
Mon caractère s'aigrissait. Je disais adieu au monde dans d'espèces de romances :
CHANSON DE LA PLUS HAUTE TOUR.
Qu'il vienne, qu'il vienne,
Le temps dont on s'éprenne.
[...]
- - - - -
Je devins un opéra fabuleux : je vis que tous les êtres ont une fatalité de bonheur : l'action n'est pas la vie, mais une façon de gâcher quelque force, un énervement. La morale est la faiblesse de la cervelle.
À chaque être, plusieurs autres vies me semblaient dues. Ce monsieur ne sait ce qu'il fait : il est un ange. Cette famille est une nichée de chiens. Devant plusieurs hommes, je causai tout haut avec un moment d'une de leurs autres vies. - Ainsi, j'ai aimé un porc.
Aucun des sophismes de la folie, - la folie qu'on enferme, - n'a été oublié par moi : je pourrais les redire tous, je tiens le système.
Ma santé fut menacée. La terreur venait. Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et, levé, je continuais les rêves les plus tristes. J'étais mûr pour le trépas, et par une route de dangers ma faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmérie, patrie de l'ombre et des tourbillons.
Je dus voyager, distraire les enchantements assemblés sur mon cerveau. Sur la mer, que j'aimais comme si elle eût dû me laver d'une souillure, je voyais se lever la croix consolatrice. J'avais été damné par l'arc-en-ciel. Le Bonheur était ma fatalité, mon remords, mon ver : ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et à la beauté.
Le Bonheur ! Sa dent, douce à la mort, m'avertissait au chant du coq, - ad matutinum, au Christus venit1, - dans les plus sombres villes :
Ô saisons, ô châteaux !
Quelle âme est sans défauts ?
[...]
- - - - -
Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté.
A. Rimbaud, Une saison en enfer, "Délires", II, "Alchimie du verbe", 1873.
Choisissez l'un des débuts de poèmes suivants, et complétez-le.
En quoi peut-on parler d'un "carnet de damné" pour Une saison en enfer ?
Mon caractère s'aigrissait. Je disais adieu au monde dans d'espèces de romances :
CHANSON DE LA PLUS HAUTE TOUR.
Qu'il vienne, qu'il vienne,
Le temps dont on s'éprenne.
J'ai tant fait patience
Qu'à jamais j'oublie.
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
Qu'il vienne, qu'il vienne,
Le temps dont on s'éprenne.
Telle la prairie
À l'oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D'encens et d'ivraies,
Au bourdon farouche
Des sales mouches.
Qu'il vienne, qu'il vienne,
Le temps dont on s'éprenne.
Le Bonheur était ma fatalité, mon remords, mon ver : ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et à la beauté.
Le Bonheur ! Sa dent, douce à la mort, m'avertissait au chant du coq, - ad matutinum, au Christus venit, - dans les plus sombres villes :
Ô saisons, ô châteaux !
Quelle âme est sans défauts ?
J'ai fait la magique étude
Du bonheur, qu'aucun n'élude.
Salut à lui, chaque fois
Que chante le coq gaulois.
Ah ! je n'aurai plus d'envie :
Il s'est chargé de ma vie.
Ce charme a pris âme et corps
Et dispersé les efforts.
Ô saisons, ô châteaux !
L'heure de sa fuite, hélas !
Sera l'heure du trépas.
Ô saisons, ô châteaux !
Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté.
A. Rimbaud, Une saison en enfer, "Délires", II, "Alchimie du verbe", 1873.
Oisive, jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les cœurs s'éprennent.
Je me suis dit: laisse,
Et qu'on ne te voie:
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t'arrête,
Auguste retraite.
J'ai tant fait patience
Qu'à jamais j'oublie;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
Ainsi la Prairie
A l'oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D'encens et d'ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.
Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n'a que l'image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l'on prie
La Vierge Marie ?
Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah! Que le temps vienne
Où les cœurs s'éprennent !
aussi appelé Bonheur
Ô saisons, ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?
Ô saisons, ô châteaux,
J'ai fait la magique étude
Du Bonheur, que nul n'élude.
Ô vive lui, chaque fois
Que chante son coq gaulois.
Mais ! je n'aurai plus d'envie,
Il s'est chargé de ma vie.
Ce Charme ! il prit âme et corps,
Et dispersa tous efforts.
Que comprendre à ma parole ?
Il fait qu'elle fuie et vole !
Ô saisons, ô châteaux !
Et, si le malheur m'entraîne,
Sa disgrâce m'est certaine.
Il faut que son dédain, las !
Me livre au plus prompt trépas !
− Ô Saisons, ô Châteaux !
Arthur Rimbaud, Derniers Vers, 1872.
Préparez une lecture orale expressive d'un des textes suivants.
Comment les poèmes suivants tirent-ils partie de la difficulté de l'inspiration poétique ?
Commentez le texte de Rimbaud.
Où se trouve la poésie dans Une saison en enfer ?
1. Souloir : avoir l'habitude de
2. Ennuyer : ici, torturer, faire souffrir.
3. Étrange : ici, lointain.
5. Orthographe anglaise choisie par Rimbaud.
Membre de la Pléiade, Joachim du Bellay rédige lors d'un séjour à Rome un recueil de poèmes qu'il intitulera Les Regrets. Le poème qui suit est l'un des premiers du recueil.
Las, où est maintenant ce mépris de Fortune ?
Où est ce cœur vainqueur de toute adversité,
Cet honnête désir de l'immortalité,
Et cette honnête flamme au peuple non commune ?
Où sont ces doux plaisirs qu'au soir sous la nuit brune
Les Muses me donnaient, alors qu'en liberté
Dessus le vert tapis d'un rivage écarté
Je les menais danser aux rayons de la Lune ?
Maintenant la Fortune est maîtresse de moi,
Et mon cœur, qui soulait1 être maître de soi,
Est serf de mille maux et regrets qui m'ennuient2.
De la postérité je n'ai plus de souci,
Cette divine ardeur, je ne l'ai plus aussi,
Et les Muses de moi, comme étranges3, s'enfuient.
J. du Bellay, Les Regrets, IV, 1558.
Figure emblématique du poète maudit, Charles Baudelaire révolutionne la poésie en 1857 en publiant une oeuvre singulière et provocatrice, Les Fleurs du Mal.
Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,
D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s'élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.
Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente !
Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,
Il arrive souvent que sa voix affaiblie
Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie
Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts,
Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, "La Cloche fêlée", 1856.
Longtemps considéré comme le testament de Rimbaud, la fin d'Une saison en enfer annonce le renoncement de son auteur à l'écriture.
L'automne déjà ! - Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, - loin des gens qui meurent sur les saisons.
L'automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l'ivresse, les mille amours qui m'ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d'âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le cœur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment… J'aurais pu y mourir… L'affreuse évocation ! J'exècre la misère.
Et je redoute l'hiver parce que c'est la saison du comfort4 !
- Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d'or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée !
Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !
Suis-je trompé ? la charité serait-elle sœur de la mort, pour moi ?
Enfin, je demanderai pardon pour m'être nourri de mensonge. Et allons.
Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?
Oui l'heure nouvelle est au moins très-sévère.
Car je puis dire que la victoire m'est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s'effacent. Mes derniers regrets détalent, — des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. — Damnés, si je me vengeais !
Il faut être absolument moderne.
Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n'ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !… Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.
Cependant c'est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l'aurore, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.
Que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c'est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, — j'ai vu l'enfer des femmes là-bas ; — et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.
avril-août, 1873.
A. Rimbaud, Une saison en enfer, 1873.
Indiquez les qualités et les défauts de ces débuts de réponse.
On voit à travers ce texte que Rimbaud a vécu une saison en enfer. Tout d'abord, ce texte exprime une douleur réelle qui vient directement des événements de sa vie, cette œuvre étant une sorte d'autobiographie. On le voit à travers l'accumulation : "Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le cœur ». Cette douleur est à la fois physique quand il évoque les vers sur son corps et morale : métaphore de ses regrets. De plus le poète dit explicitement le mot "enfer » apparaissant et qui renvoie directement au titre de son œuvre. Nous voyons donc grâce à ce texte la volonté de l'auteur de faire partager son expérience douloureuse de sa jeune vie.
Ensuite, ce texte montre bien que cet enfer n'a duré qu'une saison. En effet nous le voyons par le fait qu'il a daté la fin de son œuvre qui correspond a l'été 1873 (avril – août). Dès le début de son texte, l'exclamation « L'automne déjà ! » associé à la répétition de cette même saison montre que cette période de douleur est révolue. Ce texte montre le fait que l'auteur a une mauvaise image de l'été : "Mais pourquoi regretter un éternel soleil », qui est le symbole de l'été. Selon lui, l'automne est une saison divine, il y a donc une référence à la religion comme dans la plupart de ses textes : "Si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine ». De plus l'été signifie pour l'auteur, une saison où la mort est dominante : "loin des gens qui meurent sur les saisons ». Ce texte nous montre bien que la saison de l'enfer est terminée.
Après toutes ces années de poésie, Rimbaud fait son Adieu à la poésie et nous fait part de son aveu d'échec.
Tout d'abord Rimbaud renonce à tout ce qu'il a crée, tout ce qu'il voulait changer: "J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs , de nouvelles langues ». Par cette accumulation et la répétition de "nouvelles », Rimbaud exprime son regret de ne pas avoir pu changer tout ce qu'il espérait et insiste sur son ambition passé et non réaliser . De plus, il veut « enterrer [son] imagination et [ses] souvenirs », ne plus avoir a faire avec son passé, l'oublier car cela le rendrait vulnérable et l'anéantirai.
Premièrement, nous pouvons dire qu'Adieu est une fin significative d'Une saison en enfer.
Tout d'abord, Rimbaud nous propose sa vision de l'enfer. D'un côté il nous le présente telle une ville réelle "le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! Les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l'ivresse ». On peut remarquer une accumulation d'éléments péjoratifs décrivant cette ville et de la dureté du mode de vie quotidien. De plus, cette description nous renvoi certainement à sa vie à Londres, ville de la misère à cette époque. Nous pouvons également relever le champ lexical de la mort et des dégradations physiques "corps morts », "Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le cœur », cela peut être une comparaison aux défunts enterrés dans des cercueils, et ceci traite également d'une dégradation morale et sentimentale par rapport au cœur et physique par rapport au corps. Mais aussi, "J'aurais pu y mourir », "le sang séché fume sur ma face » et "j'ai vu l'enfer des femmes là-bas ». Ces citations nous montrent bien le point de vue de Rimbaud sur ce qu'il a enduré durant son passage aux enfers.
Pour continuer, l'auteur fini par renoncer à la littérature. Adieu, le titre de ce texte consiste en un « au revoir » à beaucoup de choses dont la poésie. "J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels », ici Rimbaud nous relate sa vision de sa quête poétique autrement dis comment il a essayé de créer et d'accéder à de nouveaux mondes. Il utilise les temps du passé, indiquant que ce temps est révolu. Avec "J'ai cru », cela montre sa désillusion quant au poète qu'il croyait être.
Pour finir, ce texte marque une fin et un renouveau de Rimbaud. Il souhaite tourner la page sur son ancienne vie, on le voit par "Eh bien ! Je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs » on retrouve l'idée d'enfouissement mais cette fois ci sur une idée et non sur du concret. Il y a aussi "l'heure nouvelle » et "tous les souvenirs immondes s'effacent ». Rimbaud trace un trait sur son passé, c'est en quelque sorte une libération, il est soulagé, il a réussi à s'échapper de cet enfer. En outre, Rimbaud a fait concorder les dates de rédaction de cet ouvrage (« avril-août, 1873 ») à la saison de l'été, il pose sa plume au commencement d'une nouvelle : "L'automne déjà ! ».
En conclusion, dans ce texte, Arthur Rimbaud nous fait le bilan de l'époque passée, que ce soit à l'échelle physique ou morale ou par rapport à sa carrière de poète auquel il met un terme.