Une brève histoire du sonnet

Objet d'étude : La poésie, du Moyen-Âge au XVIIIe siècle

Problématique générale : Le sonnet, vieux carcan ou source d'inspiration continue ?

Le sonnet est né en Italie au XIIe s.

Le sonnet est une forme poétique très codifiée.

Séance 01

Approche du sonnet

Oral

Qu'est-ce qu'un sonnet ? En avez-vous déjà étudié ?

Recherche

Complétez le sonnet ci-contre.

Pistes

Les Amours de Cassandre est un recueil en hommage à Cassandre Salviati, une jeune fille italienne rencontrée à un bal.

Comme un chevreuil, quand le printemps détruit

Du froid hiver la poignante1 gelée,

Pour mieux brouter la feuille emmiellée

Hors de son bois avec l'Aube s'enfuit,


Et seul, et sûr, loin de chiens et de bruit,

Or'2 sur un mont, or'2 dans une vallée,

Or'2 près d'une onde à l'écart recelée,

Libre, folâtre où son pied le conduit,


De rets3 ni d'arc sa liberté n'a crainte,

Sinon alors que sa vie est atteinte,

D'un trait4 meurtrier empourpré de son sang.


...Ainsi j'allais sans espoir5 de dommage,

...Le jour qu'un œil sur l'avril de mon âge

...Tira d'un coup mille traits dans mon flanc.

Pierre de Ronsard, Amours de Cassandre, Les Amours, I, sonnet 59, 1552.


1. Poignante : saisissante.

2. Or' (ici) : tantôt.

3. Rets : pièges.

4. Trait : flèche.

5. Espoir (ici) : attente.

Ainsi j'allais sans espoir5 de dommage,

Le jour qu'un œil sur l'avril de mon âge

Tira d'un coup mille traits dans mon flanc.

Séance 02

Rencontre au sonnet

Lecture

Comparez ce sonnet et le précédent. Quels points communs, quelles différences ?

Pistes

Notion : la structure du sonnet

Joachim Du Bellay, originaire de la région d'Angers, part en 1553 pour Rome avec son oncle, le cardinal Jean Du Bellay, pour lui servir de secrétaire. Dans ce poème, il fait un bilan de ce voyage.

Je me ferai savant en la philosophie,

En la mathématique, et médecine aussi :

Je me ferai légiste, et d'un plus haut souci

Apprendrai les secrets de la théologie :


Du luth et du pinceau j'en ébattrai ma vie,

De l'escrime et du bal : je discourais ainsi,

Et me vantais en moi d'apprendre tout ceci,

Quand je changeai la France au séjour d'Italie.


Ô beaux discours humains ! je suis venu si loin,

Pour m'enrichir d'ennui, de vieillesse, et de soin,

Et perdre en voyageant le meilleur de mon âge.


Ainsi le marinier souvent pour tout trésor

Rapporte des harengs en lieu de lingots d'or,

Ayant fait, comme moi, un malheureux voyage.

Joachim du Bellay, "Je me ferai savant...", Les regrets, 1558.


Séance 03

La musique des sonnets

Oral

Préparez la lecture orale de ce texte.

Pistes

Recherche

Qu'est-ce qui, selon vous, fait l'intérêt de ce poème ?

À Philis1

Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,

Et la mer est amère, et l'amour est amer,

L'on s'abîme2 en l'amour aussi bien qu'en la mer,

Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.


Celui qui craint les eaux qu'il demeure au rivage,

Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,

Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,

Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.


La mère de l'amour eut la mer pour berceau3,

Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau,

Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.


Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,

Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,

Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.

Pierre de Marbeuf, Recueil de vers, 1628.


1. Philis : Prénom féminin.

2. S'abîmer : sombrer, couler.

3. Vénus, la mère de l'amour, est supposée être née de l'écume.

Séance 04

"Mortel, pense quel est dessous..."

Expression

Si vous deviez illustrer ce poème par une image, qu'est-ce que ce serait ? Justifiez votre choix.

Pistes

Louise Labé est une poétesse lyonnaise de la Renaissance, dont on sait très peu de choses, sinon qu'elle est l'auteure de trois oeuvres : un recueil de sonnets, trois élégies, et un dialogue philosophique.

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;

J'ai chaud extrême en endurant froidure :

La vie m'est et trop molle et trop dure.

J'ai grands ennuis* entremêlés de joie.


Tout à un coup je ris et je larmoie,

Et en plaisir maint grief* tourment j'endure ;

Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;

Tout en un coup je sèche et je verdoie.


Ainsi Amour inconstamment me mène ;

Et, quand je pense avoir plus de douleur,

Sans y penser je me trouve hors de peine.


Puis, quand je crois ma joie être certaine,

Et être au haut de mon désiré heur*,

Il me remet en mon premier malheur.

Louise Labé, Sonnets, 1555.

Sonnet B

Jean-Baptiste Chassignet publie un recueil de plus de 400 sonnets à l'âge de 23 ans. Catholique fervent, humaniste, il y développe une vision très pessimiste de l'existence.

Mortel, pense quel est dessous la couverture

D'un charnier1 mortuaire un corps mangé de vers,

Décharné, dénervé2, où les os découverts,

Dépulpés3, dénoués, délaissent leur jointure :


Ici l'une des mains tombe de pourriture,

Les yeux d'autre côté détournés à l'envers

Se distillent en glaire4, et les muscles divers

Servent aux vers goulus5 d'ordinaire pâture :


Le ventre déchiré cornant6 de puanteur

Infecte l'air voisin de mauvaise senteur,

Et le nez mi-rongé difforme le visage ;


Puis connaissant l'état de ta fragilité,

Fonde en Dieu seulement, estimant vanité7

Tout ce qui ne te rend plus savant et plus sage.

Jean Baptiste Chassignet, Mépris de la vie et consolation contre la mort, sonnet CXXV, 1594.


1. Charnier : Lieu où l'on déposait les corps des morts.

2. Dénervé : sans nerf.

3. Dépulpé : sans pulpe, ici, sans muscle.

4. Glaire : sécrétion visqueuse des muqueuses.

5. Goulu : qui mange avec avidité.

6. Cornant : qui frappe, qui attire l'attention.

7. Vanité : ce qui est vain, sans valeur.

Séance 05

La lecture à voix haute

Écoute

Quelle lecture préférez-vous ? Pourquoi ?

Lecture

D'après ce texte, qu'est-ce qui fait une bonne lecture à voix haute ?

Pistes

Application

1. Proposez une lecture à voix haute du texte proposé. Vous veillerez à travailler fluidité et prosodie.

2. Apprenez l'un des textes étudiés par coeur et récitez-le de façon expressive.

Erika Godde est une spécialiste de la lecture à voix haute. Dans cet article, elle propose une synthèse de ses recherches.

Un bon lecteur qui lit à voix haute semble raconter une histoire. Il lit comme il parle. On peut entendre des pauses, des variations de rythme, de mélodie et d’intensité qui vont donner vie au discours et permettre à celui qui écoute de le comprendre. Cette musique du langage, c’est ce qu’on appelle la prosodie.

Le premier élément fondamental de la prosodie est le phrasé. Le lecteur va placer des pauses et varier son intonation pour mettre en valeur les frontières du texte, c’est-à-dire là où il est nécessaire de s’arrêter pour bien comprendre. On va par exemple s’arrête à un point pour marquer la fin de la phrase, ou entre deux propositions pour en marquer la limite. Ainsi le phrasé permet de découper le texte pour mieux le comprendre. [...]

Le deuxième élément fondamental de la prosodie est l’expressivité, c’est-à-dire les variations de volume, d’intensité et de rythme de la voix. L’expressivité permet de faire passer des émotions, une ambiance. Elle capte et retient l’attention de l’auditeur. Exemple : "Ce gâteau est délicieux" ne sera pas compris de la même manière s’il est dit avec entrain ou une grimace de dégoût.

Ces deux éléments, indispensables à un bon lecteur, sont donc par essence très liés à la compréhension. Produire un phrasé approprié nécessite une compréhension de la syntaxe du texte. Produire une expressivité appropriée nécessite une compréhension fine du texte, d’inférer par exemple les sentiments des personnages.

Par ailleurs, le phrasé est également un élément indispensable à la compréhension du discours. Si ce phrasé disparait (ton monocorde et monotone), il est très difficile à l’auditeur de comprendre son interlocuteur. C’est ce phrasé qui, en découpant le flot continu de parole, va permettre au bébé d’apprendre ses premiers mots. Cette musique de la voix est donc indispensable à la compréhension.

Erika Godde, " Lire un texte à haute voix aide-t-il à le comprendre ? ", The conversation, janvier 2022.

Séance 06

Le sonnet et l'abyme

Comparaison

Choisissez l'un des deux poèmes et résumez-en les idées principales.

Pistes

Notion : la mise en abyme

Oral

Durant le procès du sonnet, vous incarnez soit le procureur, soit l'avocat de la défense.

Notes

1. Montagne grecque dédiée, dans l'Antiquité, à Apollon et aux Muses.

2. Archimède : mathématicien et physicien grec du IIIe s. av. J-C.

3. Pégase : dans la mythologie grecque, cheval ailé, souvent associé à l'activité poétique.

Document A

Je n'entrerai pas là, dit la folle en riant,

Je vais faire éclater cette robe trop juste !

Puis elle enfle son sein, tend sa hanche robuste,

Et prête à contre-sens un bras luxuriant.


J'aime ces doux combats, et je suis patient :

Dans l'étroit vêtement qu'à son beau corps j'ajuste,

Là serrant un atour et là le déliant,

J'ai fait passer enfin tête, épaules et buste !


Avec art maintenant dessinons sous ces plis

La forme bondissante et les contours polis ;

Voyez ! la robe flotte et la beauté s'accuse.


Est-elle bien ou mal en ces simples dehors ?

Rien de moins dans le cœur, rien de plus sur le corps !

Ainsi j'aime la femme, - ainsi j'aime la Muse !

Joséphin Soulary, Sonnets, poèmes et poésies, 1864.

Document B

1 SONNET

avec la manière de s'en servir

Réglons notre papier et formons bien nos lettres :


Vers filés à la main et d'un pied uniforme,

Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton ;

Qu'en marquant la césure, un des quatre s'endorme…

Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.


Sur le railway du Pinde1 est la ligne, la forme ;

Aux fils du télégraphe : - on en suit quatre, en long ;

À chaque pieu, la rime - exemple : chloroforme,

- Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.


- Télégramme sacré - 20 mots. - Vite à mon aide…

(Sonnet - c'est un sonnet -) ô Muse d'Archimède2 !

- La preuve d'un sonnet est par l'addition :


- Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède,

En posant 3 et 3 ! - Tenons Pégase3 raide :

"Ô lyre ! Ô délire ! Ô… » - Sonnet - Attention !

Pic de la Maladetta. - Août.

Tristan Corbière, Les Amours jaunes, 1873.

Séance 07

Shakespeare in love

Lecture

Pourquoi, selon vous, ce texte est-il aussi connu ?

Notion : le sonnet élisabéthain ou shakespearien

Prolongement

Comment le début du film Shakespeare in love s'inspire-t-il des Sonnets ?

Les Sonnets sont un recueil d'environ 150 poèmes écrits par le célèbre dramaturge anglais. Dans la majeure partie de ces sonnets, le poète célèbre la beauté de son jeune amant et exprime sa passion pour lui ; un certain nombre de sonnets sont consacrés à la maîtresse du poète et à l'amour qu'il éprouve pour elle. Le sonnet 18 est l'un des plus connus.

Texte original

Shall I compare thee to a Summer’s day?

Thou art more lovely and more temperate:

Rough winds do shake the darling buds of May,

And Summer’s lease hath all too short a date.

Sometime too hot the eye of heaven shines,

And often is his gold complexion dimmed;

And every fair from fair sometime declines,

By chance or nature’s changing course untrimmed.

But thy eternal Summer shall not fade,

Nor lose possession of that fair thou ow’st,

Nor shall Death brag thou wand’rest in his shade,

When in eternal lines to time thou grow’st.

So long as men can breathe or eyes can see,

So long lives this, and this gives life to thee.

William Shakespeare, Sonnets, XVIII, 1609.

Traduction

Vais-je te comparer à un beau jour d’été ?

Tu parais plus aimable et d’humeur plus égale.

Les vents rudes secouent les chers boutons de mai,

Et le bail de l’été trop tôt arrive à terme.

D’un éclat trop brûlant parfois l’œil du ciel brille

Et souvent se ternit le teint d’or du soleil ;

La beauté quitte un jour la beauté, dépouillée

Par le sort ou le cours changeant de la nature ;

Mais ton été sans fin ne pourra se faner

Ni perdre une beauté toujours tienne, et la Mort

Ne pourra tirer gloire qu’en son ombre tu erres,

Lorsqu’en vers éternels tu croîs avec le temps.

Tant que verront des yeux, respireront des hommes,

Autant vivra ceci, et ceci te fait vivre.

William Shakespeare, Sonnets, XVIII, traduction de Robert Ellrodt, éd. Actes Sud, 2007.

Séance 08

Un sonnet "de voyage"

Lecture

1. Pourquoi, selon vous, le poète a-t-il appelé ses textes "sonnets de voyage" ?

2. Quels points communs pouvez-vous établir entre le sonnet et ce tableau ?

Jan Davidszoon de Heem, Vanité avec des livres, un globe, un crâne, un violon et un éventail, vers 1650.

Pistes

Mathématicien, poète, Jacques Roubaud est un auteur contemporain, membre de l'OuLiPo, un groupe de littérature fondé sur le principe que la contrainte stimule : lipogramme, S+7, etc.

J'aurais un banc avec mon nom. Mais Russell Square1

Nonobstant2 son voisinage pour logicien3

(Herbrand, Montague streets4) ne me paraît pas bien

Protégé contre les coups de quelque arbitraire

London Council5 (le banc de mrs Anstruther

Jane, érigé "to her memory, by her friends"

N'est plus, où je lisais le Times, avant d'atteindre

The British Library's Reading Room). Donc, que faire ?

Comme Franck Venaille acheter à Kew Gdns6

Un emplacement, s'il en est de disponibles,

Sous un grand hêtre où habitent des écureuils

Je voudrais, de mon vivant m'y asseoir, la Bible

Du Roi James7 sur mes genoux, pieds dans les feuilles

Lire : que tout est vain8. Et puis : que tout est vain.

Jacques Roubaud, "Le banc", in Churchill 40 et autres sonnets de voyage (2000-2003), éd. Gallimard, 2003.


1. Grand jardin public situé près du British Museum et de l'université de Londres.

2. Malgré.

3. Spécialiste de la logique. Le poète joue ici sur le nom du parc, qui évoque celui d'un célèbre logicien, Bertrand Russell.

4. Herbrand street, Montague street : rues voisines de Russell Square.

5. Cet organisme public est en charge de l'urbanisme à Londres.

6. Kew Gardens est un ensemble de jardins botaniques.

7. Célèbre traduction anglaise de la Bible.

8. Référence à un livre de l'Ancien Testament, L'Écclésiaste, qui répète : "Vanités des vanités, tout est vanité".