Commentez le texte en vous appuyant sur les axes suivants :
- l'autoportrait nostalgique et critique d'un adolescent
- un récit de voyage extraordinaire
En ce temps-là j'étais en mon adolescence
J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J'étais à 16 000 lieues du lieu de ma naissance
J'étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n'avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était si ardente et si folle
Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le temple d'Éphèse2 ou comme la Place Rouge de Moscou3 quand le soleil se couche.
Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
Et j'étais déjà si mauvais poète
Que je ne savais pas aller jusqu'au bout.
Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare4
Croustillé d'or,
Avec les grandes amandes des cathédrales toutes blanches
Et l'or mielleux des cloches…
Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode5
J'avais soif
Et je déchiffrais des caractères cunéiformes6
Puis, tout à coup, les pigeons du Saint Esprit s'envolaient sur la place
Et mes mains s'envolaient aussi, avec des bruissements d'albatros
Et ceci, c'était les dernières réminiscences7 du dernier jour
Du tout dernier voyage
Et de la mer.
Blaise Cendrars, La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, 1913.
1. Temple d’Éphèse : considéré comme l'une des sept merveilles du monde, ce temple fut incendié dans l’Antiquité par Érostrate, qui voulait immortaliser son nom.
2. Place rouge : grande place au centre de Moscou créée à la suite d'un incendie qui ravagea la ville en 1493.
3. Tartare : qui se rapporte à un peuple de la Russie.
4. Novgorode : ville du Nord-Ouest de la Russie.
5. Caractères cunéiformes : système d’écriture très ancien.
6. Réminiscences : souvenirs qui remontent à la conscience.
1. a. Introduisez, dans la phrase suivante, une relation de subordination : "J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance".
b. Analysez la (ou les) phrase(s) produite(s).
2. Mêmes questions avec la phrase : "J'avais soif // Et je déchiffrais des caractères cunéiformes"
3. Analysez la phrase : "Et j'étais déjà si mauvais poète // Que je ne savais pas aller jusqu'au bout."
1. Identifiez et classez les circonstancielles présentes dans le texte de Jules Verne.
a. "Si je devais me séparer de vous, je n’avais aucun intérêt à vous revoir."
b. "Qui donc oserait le poursuivre au fond des mers, puisque, à leur surface, il déjouait les efforts tentés contre lui ?"
c. "Ces réflexions traversèrent rapidement mon esprit, pendant que l’étrange personnage se taisait."
d. "Je le considérais avec un effroi mélangé d’intérêt, et sans doute, ainsi qu’Œdipe considérait le Sphinx."
Un proverbe dit : "Les voyages forment la jeunesse". Selon vous, le voyage est-il essentiel dans l'éducation ?
Adèle Véniel a attendu ses 18 ans pour partir, seule, faire le tour du monde sac au dos. "Après le bac, j'ai travaillé quelques mois chez McDo pour me payer mon voyage. Ce sont les seuls qui m'ont acceptée alors que j'étais mineure." Malgré un budget étique, elle multiplie les destinations : jeune fille au pair au Guatemala, en République dominicaine, au Pérou, elle fait aussi du volontariat en Nouvelle-Zélande et en Thaïlande. "C'est dommage qu'en France cela soit encore si peu commun. Moi, j'encourage vraiment les lycéens à partir! J'ai beaucoup découvert sur moi-même : ce qu'on apprend en voyage me semble aussi important que ce qu'on apprend à l'école", analyse celle qui se concentre à présent sur sa seconde 1re année de psychologie à l'université de Strasbourg. "En rentrant, j'avais envie de faire plein de choses. Je n'ai pas mis la priorité sur mes études, et je ne regrette pas. Redoubler n'est pas une fatalité!" Peu lui importent les critiques, la jeune femme se dit désormais plus libre, plus débrouillarde et ouverte d'esprit.
Pour le sociologue Vincenzo Cicchelli, chercheur au Groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique de la Sorbonne (Gemass Paris-Sorbonne/CNRS), l'année de césure de plus en plus connue sous le terme anglais de gap year est à prendre au sérieux. "Il ne s'agit en aucun cas d'un caprice ou d'une mode passagère, souligne-t-il. Derrière cette envie, les jeunes pointent les limites d'une société française qui construit des trajectoires souvent très linéaires et formatées par le capital scolaire."
Le sociologue distingue ceux qui réussissent et se disent : "A quoi bon? J'ai passé ma vie à bachoter", de ceux qui ne réussissent pas et se disent : "A quoi bon? Ce système n'est pas pour moi." Dans les deux cas, bien au-delà d'une simple parenthèse, la coupure permet d'envisager différemment "sa propre biographie", selon l'expression du chercheur. "Les jeunes osent une critique implicite du modèle actuel qui ouvre ou enferme totalement l'avenir. Ils revendiquent un droit à la réflexion, à la bifurcation, à la seconde chance. Ils veulent être autonomes et maîtres de leur destin."
Clara Dumard, 25 ans, cumule tous ces droits. Dès 16 ans, elle quitte sa 1re S dans le Morbihan pour une expérience de six mois dans un lycée aux Etats-Unis. "C'était mal vu à l'époque : on m'avait annoncé des résultats catastrophiques au bac!, se remémore-t-elle. Et pourtant, à cette étape charnière de la vie, alors que j'étais très introvertie, ça m'a donné confiance en moi." Après avoir repris sa 1re en France et obtenu le bac avec une année de retard, elle entre en Paces (première année commune aux études de santé). "Après deux années la tête dans le guidon, j'ai eu mon concours de pharmacie à Caen. Ça me permettait d'avoir encore du temps pour réfléchir et de garder plusieurs portes ouvertes : l'officine, la recherche ou l'industrie." Fait rare en études de santé, elle part en Erasmus à Madrid pour sa troisième année, qu'elle obtient, même si des lacunes l'obligent à redoubler sa quatrième année. "Comme j'avais validé les trois quarts des matières, je me suis dit : "Trop bien, pour la première fois, j'ai du temps à côté!" Le matin, j'allais en cours, le soir, j'avais un petit boulot, et l'après-midi, j'ai lancé mon projet : tenter une traversée record du passage du Nord-Ouest en Arctique. J'ai appris mille choses cette année-là."
Devenue étudiante-entrepreneuse, Clara Dumard crée sa société, établit un business plan, réunit des fonds, déniche le bateau et part naviguer trois mois avec son père. A son retour, elle décide d'arrêter ses études de pharmacie. Si une quatrième année en santé ne vaut pas grade de master 1, elle obtient une équivalence et se prépare aujourd'hui à des oraux pour entrer en master 2 dans une école de commerce. "Pour la première fois de ma vie, mon parcours atypique devrait être valorisé pendant ces entretiens, s'amuse-t-elle. Je n'étais pas heureuse en pharma, j'ai juste eu le courage de dire stop. En France, une année de retard est toujours perçue comme un échec. Mais prendre le temps, c'est aussi profiter de l'énergie et de la folie de la jeunesse, c'est mieux se connaître pour finalement choisir ce qu'on aime."
La route fait grandir. "L'ailleurs est une épreuve, du point de vue de la construction de soi, affirme Vincenzo Cicchelli. Toutes les évidences du quotidien sont ébranlées lorsqu'un jeune se retrouve à l'étranger. Cela fait partie des soft skills (qualités humaines) à acquérir : il est vital de ne plus être franchouillard, aujourd'hui!" Et le sociologue d'exposer un décalage entre une société qui valorise les parcours sans faute et cette aspiration à l'autonomie toujours plus forte chez les jeunes français. "L'Allemagne, les pays scandinaves et anglo-saxons fascinent cette génération, car ils sont davantage ouverts sur la question du temps", assure le chercheur.
Léa Iribarnegaray, "Les vertus des chemins de traverse", Le Monde Spécial, 8 janvier 2019.