À toute vitesse

Exposés possibles : la F1 ; les bolides et les records de vitesse ; les moyens de transport de demain ; le burn-out ; le mouvement 'slow' ; les courses-poursuite au cinéma ; le ralenti au cinéma ; la procrastination, dangers et bienfaits ; etc..

Séance 01

À toute vitesse

Oral

"À toute vitesse" : qu'est-ce que ces trois mots évoquent pour vous ?

Séance 02

À fond la caisse !

Oral

Selon vous, qu'est-ce qui nous attire dans la vitesse ?

Synthèse

Que nous disent ces deux documents sur la vitesse automobile ?

Pistes

Prolongement

De nombreuses villes adoptent des limitations de vitesse à 30km/h. Qu'en pensez-vous ? Vous proposerez un point de vue argumenté.

En 2018, la vitesse sur les routes nationales en France a été limitée à 80km/h. Que pensez-vous de cette mesure ?

En Allemagne, une grande partie des autoroutes n'est pas soumis aux limitations de vitesse. Pensez-vous que ce soit une bonne chose ? Pourquoi ?

Andy Warhol, 5 Deaths on Orange (Orange Disaster), 1963, © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts.

James Dean devant sa Porsche Spyder 550.

Document A

Durant 15 minutes les habitants de mazamet se sont couchés sur la chaussée pour symboliser les 16610 personnes tuées sur les routes de France en 1972 (Mazamet comptait alors environ 16000 habitants).

André Cros, "Mazamet ville morte" ou "La ville rayée de la carte", 1972.

Document B

Dans cet article le romancier et essayiste Jean-Philippe Domecq raconte le choc provoqué par l'accident du célèbre pilote dfe Formule 1 Ayrton Senna.

Lorsque sa voiture cessa de rebondir en tournoyant et que retombèrent roues, débris, poussière, on vit les secouristes accourir, puis, à deux mètres de la Williams-Renault, s'immobiliser, n'osant plus approcher, figés. Pour bien comprendre ce que cette réaction eut d'anormal, il faut savoir que les secouristes et commissaires en formule 1 sont professionnellement formés, rompus à intervenir très vite, ce qu'ils font la plupart du temps avec une remarquable efficacité. Exemple : sur ce même circuit d'Imola, en 1989, ils éteignirent en 24 secondes l'incendie de la Ferrari de Gerhard Berger réduite à sa coque après un choc en pleine vitesse. Pourquoi, cinq ans plus tard, ont-ils d'abord eu un premier moment de stupeur avant d'accourir (on les voit saisis, en arrière-plan des photos), et surtout, pourquoi ont-ils eu ce moment d'inhibition avant de franchir les deux derniers mètres qui les séparaient de Senna ? Parce qu'ils eurent sous les yeux quelque chose à quoi ils ne pouvaient croire ; quelque chose que leur conscience ne pouvait assimiler. Ils subissaient la première onde du choc. Ces secouristes, équipés de l'appareillage de l'invention moderne, autour d'une voiture qui représente la pointe extrême de la technologie, et d'un pilote qui dominait celle-ci mieux que quiconque, ont l'air de tracer, de visu pour nous, au coeur même de la modernité la plus strictement technicienne et platement rationnalisée, un cercle mythologique. [...]

Ce fut comme voir mourir un dieu. Voici comment Jean-Louis Moncet décrit le cercle des commissaires de piste : "Ils foncèrent, et puis, à environ deux mètres, ils s'arrêtèrent. Net. Plus étonnant encore : certains d'entre eux reculèrent, n'osant plus s'approcher. Bien sûr, ils étaient commissaires de piste et pas médecins et, par conséquent, il valait mieux attendre l'équipe de première urgence. Mais la vérité, c'était qu'ils venaient de découvrir quelque chose de stupéfiant, d'extravaguant, de terrifiant : l'archange gisait à terre, foudroyé."

Jean-Philippe Domecq, "Senna : pourquoi ce deuil mondial ?", Ce que nous dit la vitesse, éd. Quai Voltaire, 1994.

Document B

"Pourquoi courent-ils ?" titre le dernier chapitre d'un fort beau livre du spécialiste Daley, au titre éloquent : The Cruel Sport (paru en Londres en 1965). Le chapitre précédent regroupe des photos d'accidents : certaines motrent des bolides qui continuent de se poursuivre tandis que brûlent des carcasses. Et il y a la photo d'un pilote qui vient d'en réchapper : sa combinaison est éclaboussée, et il reste à regarder la cigarette qu'on lui tend. Oui, pourquoi courent-ils, comment vivent-ils un sport qui, des "sports de sang" (autre expression d'un connaisseur en compétition automobile), est le plus meurtrier puisqu'ils y mourraient autrefois très souvent ?

Et le public, nous-mêmes, pourquoi les regardons-nous passionnément tourner dans l'arène d'asphalte ? La passion des jeux du cirque qui tournent autour de la mort touche à ces pulsions difficilement avouables. Alors on commence par se dire que c'est plutôt la beauté du spectacle, l'intensité de la compétition, et ce rituel autour de l'automobile - jouet adulte et emblême de notre modernité - qui nous attire, c'est vrai en grande partie. Et ce l'est de plus en plus : dans les années 1960, rares étaient les Grands Prix retransmis à la télévision ; un calcul récent établit que, de nos jours, la centaine de millions de téléspectateurs par Grand Prix est dépassée. Et une épreuve est condamnée si elle n'entre pas dans le jeu des contrats.

Autre détail qui en dit long : passez au Pub Renault des Champs-Élysées et voyez qui regarde la Renault Turbo de Formule 1, qui s'attarde devant les pièces démontées, ici les tuyaux d'échappement torsadés, là la gomme cloquée d'un pneu après la course, et les fils aux embouts de plastique coloré qui se fichent autour du mot magique TURBO, et là le siège baquet dont on nous explique qu'il fut moulé sur le corps du pilote. Qui reste devant les écrans où défilent les images filmées sous l'arceau de sécurité du bolide, qui ? Des gens de tous âges, de toutes nationalités, des badauds aussi bien que des mordus, des hommes mais aussi des femmes, qu'on dit peu férues de technique. Signe des temps, d'une mythologie spécifique à notre époque.

Jean-Philippe Domecq, Ce que nous dit la vitesse, éd. Quai Voltaire, 1994.

Document B

Dans son roman Vivre vite, l'écrivain Philippe Besson évoque le jeune acteur James Dean, mort à 24 ans d'un accident de voiture au volant de sa porsche Spyder 550.

Alec Guinness est un vrai froussard ! Il y a une semaine, en me voyant arriver au volant de ma Spyder 550 flambant neuve, que j'ai fait pétarader à ses oreilles, il a eu un brusque mouvement de recul et m'a dit que je n'étais qu'un fou. J'ai éclaté de rire et il a été encore plus terrorisé. Ces Anglais sont décidément impayables ! Et ça m'enchante tellement de lui faire perdre son flegme !

Alec est persuadé qu'on me retrouvera mort un jour prochain dans la carcasse de ma voiture. Il se trompe, bien sûr. Mais au fond, je préférerais une mort comme ça à l'agonie des vieillards. Ce genre de réflexion ne fait pas du tout rire Alec. Il me croit morbide alors que je n'aime que la vitesse.

J'ai quitté Los Angeles tout à l'heure, après avoir fait le plein sur Ventura Boulevard. Demain, je m'aligne au départ d'une course à Salinas. Ce sera certainement un peu étrange de me retrouver dans cette ville qui est devenue pour moi un décor de cinéma, puisque c'est là qu'on a tourné Éden. Mais je me fiche du cinéma. La seule chose vraiment importante, c'est la course.

J'ai demandé à Rolf de m'accompagner. C'est un mécanicien surdoué qui sait incroyablement bien faire les réglages sur mon petit monstre. J'ai toute confiance en lui. Un type qui a été pilote de guerre dans la Luftwaffe a forcément des nerfs d'acier et des gestes d'une précision redoutable et c'est justement ce qu'il me faut.

C'est aussi un homme charmant, ce qui ne gâche rien. Le vent met du désordre dans ses cheveux et fait claquer sa chemise. Je songe que nous ne serons pas jeunes éternellement.

Nous nous sommes fait arrêter par les flics parce que je roulais trop vite. J'ai écopé d'une contravention. Rolf s'étranglait de rire et j'ai bien cru que l'agent allait nous faire des histoires. Mais non, il m'a simplement conseillé de respecter les limitations. À quoi sert d'avoir une Porsche si c'est pour respecter les limites ?

Par le plus grand des hasards, nous avons croisé Lance Reventlow dans une station-service. Je ne l'avais pas revu depuis des mois. D'habitude, je n'aime pas trop les héritiers ni les play-boys, mais lui est un sacré conducteur, et incroyablement précoce avec ça ! Et son coupé Mercedes en jette. Nous nous sommes promis de nous retrouver à Paso Robles pour manger un morceau.

Voilà plus de deux heures que nous roulons. Nous approchons de Cholame. J'aime bien ce bitume sinueux dans les collines. Dès que la route redevient droite, j'en profite pour appuyer sur le champignon. Je m'amuse à causer des frayeurs aux bourgeois qui se traînent dans des voitures pépères.

D'ailleurs, c'est quoi, cette Ford qui se ramène ? Le conducteur n'a pas l'air de savoir où il va. Il a intérêt à nous voir, celui-là.

Philippe Besson, Vivre vite, 2014, éd. Julliard.

Séance 03

"Citius, Altius, Fortius"

Oral

Que signifient ces trois mots : "Citius, Altius, Fortius"

Observation

Quelle image la photographie donne-t-elle de la vitesse ?

Oral

1. Pourquoi, selon vous, les records sportifs sont-ils sans cesse repoussés ?

2. Selon David Epstein, quelles sont les trois grandes raisons qui expliquent ce phénomène ?

David Epstein, Est-ce que les athlètes sont plus rapides, meilleurs et plus forts ?, Ted Talks, 2014.

Lecture

1. En vous appuyant sur la suite du texte (document B), expliquez cette phrase : "Le sport rend visible, partout et à chaque instant, l'âme du monde moderne"

2. Pourquoi, selon Robert Redeker, cherche-t-on à aller "plus vite" ?

3. Le jugement que le philosophe porte sur ce phénomène est-il, selon vous, positif ou négatif ? Justifiez.

4. "Le sport ne supporte pas la limite" : partagez-vous ce point de vue ?

Document A

Usain Bolt en train de gagner la demi-finale du 100m aux Jeux Olympiques de Rio de Janeiro, Brésil avec un temps de 9,86 secondes.

Kai Oliver Pfaffenbach, Rio's Golden Smile, 2017.

Document B

La vitesse est une notion centrale en sport. À un premier niveau elle constitue le critère de performance dans tous les sports chronométrés, tels que, par exemple pour ne citer que ceux-là, les courses athlétiques, les épreuves de natation ou encore les épreuves de ski alpin. C'est le plus rapide qui gagne ! Cependant, la durée de certaines épreuves chronométrées, comme par exemple le marathon, imposent une répartition de l'effort. Il ne s'agit plus d'être le plus rapide dans l'absolu mais de tenir la plus grande vitesse possible sur la distance ou la durée imparties : on parle alors de vitesse critique. [...]

Les performances sportives progressent de façon quasi constante depuis l'institutionnalisation des records par les instances sportives internationales. Cette progression peut-elle se concevoir avec une limite ? Certes, on peine à imaginer qu'un homme puisse un jour courir le 100 mètres en moins de 8 secondes, alors que le record du monde actuel est de 9,58 secondes. Mais il semble tout aussi inimaginable de concevoir une limite absolue à la performance humaine. En 1912, à l'issue d'une course "titanesque", le Français Jean Bouin fait descendre le record du monde du 5 000 mètres sous la barrière des 15 minutes. Les observateurs de l'époque considèrent ce record (14 minutes 36 secondes) comme "ultime". Pourtant, en 1954, Vladimir Kuts pulvérise toutes ces prédictions pour porter le record du monde vers un sommet qui fut de nouveau considéré comme infranchissable : 13 minutes 35 secondes ! Puis, en 1960, Kip Keino et Ron Clarke relèguent la performance de V. Kuts à plus de 30 secondes ! Aujourd'hui, K. Keino et R. Clarke feraient figures de bons coureurs de niveau international, sans pouvoir toutefois prétendre à une médaille mondiale ou olympique. Ainsi vont les records… [...]

Usain Bolt court aujourd'hui en vitesse de pointe, à plus de 43 km/h. Cette performance sera-t-elle battue, et si oui dans combien de temps ? Les analyses statistiques nous montrent que nous approchons d'une valeur limite au-delà de laquelle la physiologie humaine ne permettrait pas d'aller. Cependant, l'histoire des records nous apprend que tous les records ont été un jour ou l'autre vaincus, même ceux qui paraissaient sur le moment infranchissables.

Document C

Dans un article publié par le quotidien Le Monde, le philosophe Robert Redeker s'intéresse au sport dans le monde contemporain.

Le sport s'est planétarisé. La Coupe du monde de football en Afrique du Sud - après les Jeux Olympiques à Pékin - permet de prendre la mesure de cette planétarisation. Les mêmes jeux, les mêmes spectacles, les mêmes enthousiasmes se retrouvent tout autour du globe. Pourtant, ce qui s'opère sous couvert de cette planétarisation n'est jamais analysé. À y regarder de près, en effet, une curieuse ruse de l'histoire semble à l'œuvre dans les épousailles de tous les peuples avec le sport.

Le sport rend visible, partout et à chaque instant, l'âme du monde moderne [...] : la passion de l'"infinitisation1" et de l'illimité. Quelle est la loi de ce monde, dont une célèbre formule présente dans le Discours de la Méthode de Descartes, "nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature" - a donné le coup d'envoi ?. Commencés en Europe au XVIIe siècle, les Temps modernes se manifestent par le refus de la finitude. Rousseau, ainsi que la plupart des autres penseurs des Lumières, en particulier Kant, dissertent sur la "perfectibilité1" de l'homme. La butée2 de la mort est trouée par la perfectibilité, où l'on reconnaît le concept central de l'anthropologie3 des Lumières : l'homme est fini mais, à l'opposé des autres espèces vivantes, il est perfectible. Il se perfectionne lui-même, l'histoire le perfectionne. La perfectibilité imaginée par les philosophes des Lumières est tout ensemble : celle de chaque individu et celle de l'espèce prise dans son entier. [...]

Non seulement le sport exige chaque jour des performances dépassant celles de la veille, mais aussi il réclame toujours plus de spectateurs, toujours plus d'Audimat, toujours plus d'événements. Il apparaît ainsi analogue à la technique et à l'industrie : aller toujours plus loin dans l'exploitation des potentialités de la nature. Sous cet aspect, il est une machine à alimenter le vertige du quantitatif.

Le sport ne supporte pas la limite - cette haine de la limite signalant le trait saillant distinguant la civilisation moderne occidentale de toutes les autres. Désormais, l'existence humaine épouse les contours du sport - il est exigé d'elle de faire toujours plus, de courir toujours plus vite, de vivre plus longtemps, de travailler plus intensément, de gagner toujours plus d'argent, d'améliorer ses performances, de rester jeune le plus longtemps possible, de plus en plus longtemps au fur et à mesure que passent les générations.

L'homme moderne voit dans la limite l'ennemie qu'il importe de vaincre, et qui pourtant résiste. Il se bat contre la limite à l'instar de l'ascète4 de jadis contre la tentation. Il la voit comme le Diable l'empêchant d'être un homme. Elle est l'ennemie de chaque instant - dont il sait bien pourtant que, sous la forme de la mort, elle finira par avoir le dernier mot. Sur tous les écrans, sur toutes les ondes et dans tous les journaux, le sport illustre, en flux continu, cette bataille incessante. L'infatigable popularité du sport s'explique par là : il est l'imagier de la préoccupation constante de l'être humain contemporain, tout attaché à repousser les limites de ses forces, de l'âge, du vieillissement, de la mort. Un étrange étonnement, mâtiné d'incrédulité, nous saisit lorsque nous apprenons la mort d'un champion. Un étonnement plus grand encore, mêlé d'admirative frayeur, nous fait frémir lorsque le champion, à l'instar d'Achille5, a été fauché pendant l'action même de pulvériser toutes les limites, tel Ayrton Senna6. Comme nous usons de l'"illimitation" à la façon d'un remède contre la mort, nous peinons à comprendre que le trépas puisse rattraper le champion, lui qui avait pour ainsi dire passé la limite, comme on passe le mur du son, la laissant derrière soi.

R. Redeker, Sport mondialisé et ruse de l'histoire, Le Monde, article publié dans l'édition du 11/06/2010.


1. Capacité à s'améliorer.

2. L'obstacle.

3. Etude de l'homme, science de l'homme.

4. Religieux qui se soumet à une discipline très stricte.

5. Héros mythologique presque invincible.

6. Champion automobile mort en pleine course de Formule 1.

Séance 04

Les Temps modernes, I

Observation

1. Quels sont les trois temps de cette séquence ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur le jeu d'acteur, la musique.

1. Quel sentiment domine au début de l'extrait ?

2. À partir du moment où Chaplin est 'avalé' par la machine, comment la musique évolue-t-elle ? Comment les gestes, les déplacements du personnage évoluent-ils ?

2. Qu'est-ce qui fait le comique des différentes courses-poursuites ?

3. Quelle est, selon vous, la morale de cette séquence ?

prolongement

Selon vous, les progrès techniques nous font-ils gagner du temps ?

Charlie Chaplin, Les Temps Modernes, 1936 de 14'14 à 19'12.

La crise de 2008 a marqué un tournant inéluctable et irréversible pour les entreprises. Aussi soudaine qu'inattendue, cette rupture a fondamentalement remis en question et en cause les organisations.

Parallèlement, les outils informatiques et les nouvelles technologies accentuent et accélèrent le besoin d'adaptation et de transformation des organisations. Plus rien n'est acquis. Aucune entreprise n'est à l'abri de tomber de son piédestal, de perdre des parts de marché, d'être durement ébranlée par de petits challengers…

Les modèles traditionnels basés sur des strates hiérarchiques surabondantes et sur un fonctionnement en silos ont trouvé leurs limites. Les organigrammes fondent alors comme neige au soleil pour gagner en compétitivité, en agilité, et en rapidité d'exécution. Cette dernière est d'ailleurs aujourd'hui une compétence capitale, voire même vitale. [...]

Les modèles de gouvernance sont, eux aussi, obligés de muer pour s'adapter, faciliter et fluidifier les prises de décision. Dernièrement c'est le Groupe Auchan qui s'est plié à l'exercice pour gagner en souplesse et en rapidité. Renommé Auchan Holding, le groupe a restructuré ses activités autour de trois entités autonomes : Auchan Retail pour le commerce alimentaire, Immochan pour l'immobilier commercial et Oney Banque Accord pour les activités financières. En termes de gouvernance, il va opter pour un conseil de surveillance et un directoire en lieu et place d'un conseil d'administration et d'un p-dg exécutif.

Être rapide pour rester dans une course devenue effrénée

La rapidité d'adaptation, d'action et d'exécution est en effet devenue un élément-clé pour conserver l'agilité nécessaire aux transformations et pour ne pas se faire distancer. D'autant que l'allure de la course ne cesse de s'accélérer ! La vitesse est devenue une caractéristique du monde actuel.

Ne vit-on pas dans un monde où les réputations se font et se défont à la vitesse d'un post sur les réseaux sociaux ? Dans ce monde où les consom'acteurs disposent d'une force de nuisance prodigieuse ? La seule parade est alors d'être en capacité d'agir et de réagir rapidement pour protéger son image de marque. Car le bad buzz guette. Et si transformer le bad buzz en good buzz n'est pas une mission impossible, cela nécessite doigté et rapidité. Ainsi, quand La Redoute se trouve dans la tourmente suite à la découverte d'un homme nu en arrière-plan d'une photo de son catalogue, l'entreprise présente, sans tarder, ses excuses et retire la photo incriminée. Mais surtout, elle rebondit en organisant un jeu où les internautes doivent trouver les erreurs qui ont été glissées dans les photos du site. Une réaction rapide et intelligemment orchestrée, saluée par les internautes !

Au-delà de ces crises de communication plus brutales et soudaines que jamais, la rapidité d'évolution des usages et des comportements bouleverse la structure même des entreprises : leur business model. Ne vit-on pas dans un monde où les "Uber et cie" sont déjà, eux-mêmes, en passe de se faire "ubériser" ? Le cycle de vie des business models se raccourcit. Il faut pouvoir être toujours en alerte, dans l'anticipation et l'innovation pour réagir aux signaux, même faibles, du marché, en réinventant son business model en un temps record. Toujours se remettre en question et s'adapter. Notamment à l'international. La fin de l'ère de la standardisation et l'essor du "glocal", qui peut être résumé par "think global, act local" (penser global, agir local), implique, là encore, une transformation rapide des modèles. Ainsi, un certain nombre de grands groupes, tel Airbus, essaiment des unités d'assemblage, voire de production, localement, entraînant leurs sous-traitants dans l'aventure internationale. Cette internationalisation soudaine et non anticipée n'est pas toujours aisée à gérer, surtout dans les délais impartis.

Qui peut, aujourd'hui, réellement agir avec promptitude ?

Le besoin de rapidité est donc omniprésent et touche indifféremment petites et grandes entreprises, et ce, quel que soit leur secteur d'activité. Une rapidité d'action qui s'avère pourtant parfois difficile à trouver, en particulier au sein d'organigrammes émaciés suite à la crise. C'est pourquoi les entreprises s'appuient de plus en plus souvent sur des partenaires externes, managers de transition, capables de leur apporter la promptitude nécessaire et un accompagnement opérationnel ponctuel, sur mesure et de haut niveau. En optant pour le management de transition, elles font le choix d'une solution qui leur garantira une mise en œuvre rapide et efficace de leurs projets stratégiques !

Philippe Soullier, Capital.fr, le 14/01/2016.

Contraction

Contractez le texte ci-contre en 100 mots.

"L'accélération technique peut être définie comme l'accroissement du "rendement" par unité de temps, c'est-à-dire du nombre de kilomètres parcourus par heure, ou du nombre d'octets de données transférés par minute, ou du nombre de voitures produites par jour.

Par conséquent, l'accélération technique implique nécessairement une diminution du temps requis pour accomplir des actions et processus quotidiens de production et de reproduction, de communication et de transport, la quantité de tâches et d'actions demeurant inchangée.

L'accélération technique devrait donc logiquement impliquer une augmentation du temps libre, qui à son tour ralentirait le rythme de vie ou au moins éliminerait ou réduirait la "famine temporelle". Puisque l'accélération technique signifie que moins de temps est nécessaire à l'accomplissement d'une tâche donnée, le temps devrait devenir abondant. Si au contraire dans la société moderne le temps devient de plus en plus rare, nous voici en présence d'un paradoxe qui appelle une explication sociologique.

Nous pouvons commencer à entrevoir une réponse si nous considérons les conditions requises pour atteindre l'abondance de temps ou la décélération : comme nous l'avons dit plus haut, les ressources en temps nécessaires pour accomplir les tâches de notre vie quotidienne diminuent de façon significative tant que la quantité de ces tâches demeure la même. Mais est-ce qu'elle demeure vraiment la même ? Pensez simplement aux conséquences de l'introduction de la technologie du courrier électronique sur notre budget temps. Il est correct de supposer qu'écrire un courrier électronique est deux fois plus rapide qu'écrire une lettre classique. Considérez ensuite qu'en 1990 vous écriviez et receviez en moyenne dix lettres par journée de travail, dont le traitement vous prenait deux heures. Avec l'introduction de la nouvelle technologie, vous n'avez plus besoin que d'une heure pour votre correspondance quotidienne, si le nombre de messages envoyés et reçus demeure le même. Vous avez donc gagné une heure de "temps libre" que vous pouvez utiliser pour autre chose. Est-ce que c'est ce qui s'est passé ? Je parie que non. En fait, si le nombre de messages que vous lisez et envoyez a doublé, alors vous avez besoin de la même quantité de temps pour en finir avec votre correspondance quotidienne. Mais je soupçonne qu'aujourd'hui vous lisez et écrivez quarante, cinquante ou même soixante-dix messages par jour. Vous avez donc besoin de beaucoup plus de temps pour tout ce qui touche à la communication que vous n'en aviez besoin avant que le Web ne soit inventé.

Il se trouve que la même chose s'est produite il y a un siècle avec l'introduction de la voiture, et plus tard avec l'invention de la machine à laver : bien sûr, nous aurions gagné d'importantes ressources de temps libre si nous avions parcouru les mêmes distances qu'auparavant et lavé notre linge à la même fréquence - mais ce n'est pas le cas. Nous parcourons aujourd'hui, en conduisant ou même en avion, des centaines de kilomètres, pour le travail ou pour le plaisir, alors qu'avant nous n'aurions sans doute couvert qu'un cercle de quelques kilomètres dans toute notre vie, et nous changeons maintenant de vêtements tous les jours, alors que nous n'en changions qu'une fois par mois (ou moins) il y a un siècle.

Hartmut Rosa, Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité, éd. La Découverte, 2012.

Séance 05

Les temps modernes, II

Synthèse

Qu'est-ce que ces deux documents nous disent sur les cadences professionnelles dans l'industrie et le tertiaire ?

Pistes

Prolongement

Regardez Cash Investigation : Travail, ton univers impitoyable (de 17' à 21' et de 35' à 43'. Qu'est-ce que ce documentaire montre sur les nouvelles cadences professionnelles ?

Écriture personnelle

Pensez-vous, comme Nicole Aubert, que notre société vit dans "le culte de l'urgence" ?

Pensez-vous, comme Nicole Aubert, que notre société fonctionne en flux tendu ?

Notes

1. Villes de Bretagne où l'auteur a travaillé.

2. Billancourt : Célèbre usine où Renaut a fabriqué des voitures pendant près de soixante ans (1929-1992).

3. Blafard : d'une teinte pâle et sans éclat.

4. Marronnasse : d'un marron laid.

Document A

L'autre jour à la pause j'entends une ouvrière dire à un de ses collègues

"Tu te rends compte aujourd'hui c'est tellement speed que j'ai même pas le temps de chanter"

Je crois que c'est une des phrases les plus belles les plus vraies et les plus dures qui aient jamais été dites sur la condition ouvrière

Ces moments où c'est tellement indicible que l'on n'a même pas le temps de chanter

Juste voir la chaîne qui avance sans fin l'angoisse qui monte l'inéluctable de la machine et devoir continuer coûte que coûte la production alors que

Même pas le temps de chanter

Et diable qu'il y a de jours sans


Je reviens à Barbara

"Je ne suis pas poète

Je suis une femme qui chante"

Se plaisait-elle à répéter


Pas de poésie non plus à l'usine

Nous sommes au mieux des gens qui chantons en travaillant

La fumée de l'usine de Clohars-Carnoët c'est la même que celle de Lorient de Priziac1 ou de Chicago ou de feu Billancourt2

Là-dedans

C'est nous


Quelle poésie trouver dans la machine la cadence et l'abrutissement répétitif

Dans des machines qui ne fonctionnent jamais ou qui vont trop vite

Dans cette nuit sans fin éclairée de néons blafards3 sur les carreaux blancs des murs les inox des tables de travail les tapis mécaniques et le sol marronnasse4

Joseph Pontus, À la ligne, coll. Vermillon, La Table Ronde, éd. Gallimard, 2019.

Document B

Notre culture temporelle est en train de changer radicalement. De même que des métaphores nouvelles sont apparues concernant le temps, de nouvelles modalités de rapport au temps deviennent dominantes : l'urgence, l'instantanéité, l'immédiateté ont envahi nos vies. Elles traduisent au quotidien ce phénomène général de "compression du temps" et elles s'inscrivent dans un processus global de passage du "temps long" au "temps court". Processus commencé depuis déjà longtemps, mais qui a connu ces dernières années une forte accélération et une nette intensification. [...]

Le soubassement de ce nouveau rapport au temps réside dans l'alliance qui s'est opérée entre la logique du profit immédiat, celle des marchés financiers qui règnent en maîtres sur l'économie, et l'instantanéité des nouveaux moyens de communication. Cette alliance a donné naissance à un individu "en temps réel", fonctionnant selon le rythme même de l'économie et devenu apparemment maître du temps. Mais l'apparence est trompeuse et, derrière, se cache souvent un individu prisonnier du temps réel et de la logique de marché, incapable de différencier l'urgent de l'important, l'accessoire de l'essentiel. [...]

Jointe au climat d'urgence généralisé à l'oeuvre dans beaucoup d'entreprises, cette logique du profit immédiat produit des effets contrastés. L'urgence -et l'irréversibilité qu'elle sous-tend- n'est pas seulement une donnée externe, elle comporte une dimension intérieure. Galvanisés par l'urgence, parfois presque "shootés" à cette nouvelle forme de drogue, certains ont besoin de ce rythme pour se sentir exister intensément. Tels les héros d'une épopée contemporaine, ils ressentent l'ivresse d'accomplir des exploits en temps limité et de vaincre la mort en triomphant du temps. Pour d'autres, la perte du lien social, un travail dématérialisé et dépourvu de sens, la dépossession du sens de leur action conduit à un désinvestissement amer et morose. Dans certains cas, le climat de pression et d'urgence est tel qu'il confine à l'hystérie et corrode les relations interpersonnelles, tout comme les individus eux-même qui, parfois, "déconnectent" brutalement, comme sous l'effet d'une surchauffe énergétique intense. Un certain nombre de cadres, tels les fusibles d'une installation électrique, pètent alors "les plombs". Les plus atteints sont ceux que leur sens du travail bien fait ou leur goût de la perfection rend incapables de supporter un contexte qu'ils ne parviennent plus à contrôler et maîtriser. Soumises à des pressions trop fortes, "malades de l'urgence", certaines personnes dynamiques, fonceuses et motivées, sombrent dans des processus dépressifs. La dépression nerveuse semble alors, sur le plan symbolique, le seul moyen qu'aurait trouvé la nature pour "ralentir" le temps.

Nicole Aubert, Le Culte de l'urgence. La société malade du temps, coll. Champs, éd. Flammarion, 2009.

Séance 06

"Rien ne sert de courir"

Observation

Comparez les deux documents. Les deux morales sont-elles similaires ?

Pistes

Prolongement

Soit la conférence suivante de Carl Honoré.

Carl Honoré, éloge de la lenteur, Ted Talks, 2005.

a. Selon Carl Honoré, qu'est-ce qui, dans notre vision du temps, nous pousse à aller toujours plus vite ?

b. Quels exemples l'orateur donne-t-il de bénéfices de la lenteur ?

c. Quelles citations, quelles anecdotes retenez-vous de sa prise de parole ?

Oral

La lenteur, handicap ou atout ?

Notes

1. "On dit proverbialement qu'un homme a besoin de deux grains d'ellébore pour dire qu'il est fou" (dictionnaire de Furetière).

2. "On dit poverbialement : renvoyer un homme aux calendes grecques pour dire le remettre à un temps qui ne viendra point" (dictionnaire de Furetière).

3. Le pari.

Document A

Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.

Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.

"Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point

Si tôt que moi ce but. - Si tôt ? Êtes-vous sage ?

Repartit l'animal léger.

Ma commère, il vous faut purger

Avec quatre grains d'ellébore1.

- Sage ou non, je parie encore."

Ainsi fut fait : et de tous deux

On mit près du but les enjeux :

Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,

Ni de quel juge l'on convint.

Notre Lièvre n'avait que quatre pas à faire ;

J'entends de ceux qu'il fait lorsque prêt d'être atteint

Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes2,

Et leur fait arpenter les landes.

Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,

Pour dormir, et pour écouter

D'où vient le vent, il laisse la Tortue

Aller son train de Sénateur.

Elle part, elle s'évertue ;

Elle se hâte avec lenteur.

Lui cependant méprise une telle victoire,

Tient la gageure3 à peu de gloire,

Croit qu'il y va de son honneur

De partir tard. Il broute, il se repose,

Il s'amuse à toute autre chose

Qu'à la gageure. À la fin, quand il vit

Que l'autre touchait presque au bout de la carrière,

Il partit comme un trait ; mais les élans qu'il fit

Furent vains : la Tortue arriva la première.

"Eh bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?

De quoi vous sert votre vitesse ?

Moi l'emporter ! et que serait-ce

Si vous portiez une maison ?"

La Fontaine, Fables, "Le Lièvre et la Tortue", livre VI, 1668.

Document B

Richard Allen, Slow Working (The Guardian), 2009.

Remédiation

Exemples de textes

Observation

Lisez les textes ci-contre. Qu'est-ce qui vous paraît bien ? Qu'est-ce qui peut être amélioré ?

Texte A

La lenteur est à mon sens un atout car actuellement le monde va vite, très vite, trop vite. Personnellement je ne vois pas les journées passer, surtout les jours de match et d'entraînement. Entre les révisions, les choses du quotidien parfois mon sommeil en pâtit avec ce manque de temps. C'est pour cela que je pense que ce serait bien de ralentir. En fait je trouve la question compliquée car si nous ralentissions ne passerions-nous pas plus de temps sur nos plaisirs ? Ce qui ne serait pas vraiment ralentir mais plus profiter de ce plaisir. Je ne sais pas trop comment faire pour ralentir mais à mon sens nous devons le faire pour notre bien. Je me demande cependant si nous en sommes capables.

Texte B

La lenteur, est-ce un handicap ou un atout ? Pour moi tout dépend des gens. Les gens ne sont pas tous pareils, il y a des gens qui réfléchissent ou travaillent lentement. Pour eux c'est naturel, mais dans les entreprises travailler lentement est très mal vu. Ça dépend aussi des situations. Dans la restauration les gens sont toujours pressés, ils veulent avoir plus de temps pour faire d'autres choses derrière. Mais la lenteur peut aussi être un atout car pour bien faire certaines choses il faut prendre son temps. Par exemple écrire un livre.

texte C

C'est vrai que la lenteur peut être considérée, aujourd'hui, comme un défaut. En entreprise, les employés "lents" sont très mal vus. Leurs collègues doivent les aider (en sacrifiant une partie de leur temps), leurs supérieurs voient les rendements baisser. On le voit bien dans le film de 1936 Les Temps Modernes de Charlie Chaplin. Le personnage de Charlot, plus lent, ralentit la chaîne et oblige ses collègues à se décaler sans cesse. La lenteur de Charlot se répercute sur leur charge de travail.

Cependant, pour moi, la lenteur est plutôt une qualité. Dans le monde professionnel, pourvu qu'elle reste raisonnable, elle montre qu'on cherche à bien faire les choses. Dans la sphère privée, il est pour moi impossible de cultiver les relations avec ses proches en allant à toute vitesse. Dans sa conférence "L'Éloge de la lenteur" (2005), Carl Honoré raconte l'anecdote de ses lectures du soir avec son fils : pressé par tout ce qu'il avait à faire, il voulait lire le plus vite possible, jusqu'à ce qu'il se rende compte de l'absurdité de cette dépendance à la vitesse.

Je trouve que le mouvement slow est une philosophie de vie très intéressante. Difficile à mettre en oeuvre, mais intéressante...

Séance 07

L'invention de la lenteur

Recherche

1. Comparez la gravure de Millet et la peinture de Van Gogh. Qu'est-ce qui rend la version de Van Gogh intéressante ?

2. Qu'est-ce que ces deux documents nous disent sur l'importance de ralentir ?

Prolongement

Dans le troisième livre de l'Émile, Rousseau écrit : "Riche ou pauvre, puissant ou faible, tout citoyen oisif est un fripon." Qu'en pensez-vous ?

Écriture personnelle

1. "Chi va piano va sano e va lontano" (Qui va lentement, va sûrement et va loin) dit un proverbe italien. Êtes-vous d'accord ?

Ne rien faire, est-ce du temps perdu ?

Ralentir est-il le remède au mal-être de nos sociétés contemporaines ?

Notes

1. Personnage de roman qui passe ses journées à ne rien faire.

Document A

Van Gogh, La Méridienne, d'après Millet, entre 1889 et 1890.

Document B

Pendant le premier confinement, Gaspard Koenig réfléchit à cette redécouverte des vertus de la lenteur.

Avec 3 milliards d'individus confinés, le monde traverse son Grand Ralentissement. Toute l'armada des avions, trains, voitures est à l'arrêt. Les livraisons prennent plus longtemps, sans que personne ne songe à s'en plaindre. Le débit Internet est ralenti. Les conversations traînent en longueur. Moi-même, j'ai l'impression de tout faire plus lentement ces jours-ci, y compris cette chronique; je m'enfonce dans mon sofa comme Oblomov1, rêvassant à chaque mot. Dans le rayon d'un kilomètre que la loi m'autorise à parcourir, je flâne, observant les détails qui auparavant m'échappaient. Je fais des siestes et je casse des noix. Au-delà de la commotion économique et sociale qui se profile, cet apprentissage de la lenteur pourrait nous être bénéfique. Mais au fait, pourquoi allions-nous si vite ?

Pour tenter de répondre à cette question, j'ai sorti de ma bibliothèque un ouvrage dont je repoussais toujours la lecture, faute de temps : "L'Invention de la vitesse" . Dans un style remarquable et avec une érudition colossale, Christophe Studeny nous entraîne du XVIIIe siècle à nos jours à la poursuite du temps gagné. Au commencement était le pas, celui de l'homme comme celui du cheval, qui durant des millénaires a rythmé les vies et les échanges. C'est le pas qui a construit les chemins, non pas destinés aux grandes traversées, mais réservés à un usage local, enveloppant les villages et les quartiers. La lenteur n'était pas seulement une fatalité, mais aussi un art de vivre. Montaigne se vante de ne tracer lors de ses voyages "aucune ligne certaine, ni droite ni courbe" ; Rousseau recommande à Emile de faire des détours; Diderot laisse son Jacques le Fataliste cheminer sans but; il arrivait même à Louis XIV de se perdre sur la route ! [...]

La vitesse est une invention récente, contemporaine des Lumières qui entendaient élargir l'horizon et tracer des lignes droites. "Le vertige de la vitesse, écrit Studeny, c'est d'abord le pari de rompre ces ancrages terriens, l'audace de l'envol, la tentation de la fuite." Voilà l'apport principal de cette monographie : le désir de vitesse est un phénomène culturel, qui précède les avancées de la mécanique. Il se confond avec la recherche de la nouveauté et le souci de l'efficacité. Ainsi le XVIIIe siècle avait- il découvert, bien avant la machine à vapeur, le galop, celui des malles-poste, des turgotines et des diligences. Ce sont les routes royales et non le chemin de fer qui ont d'abord unifié la France et ouvert son territoire. Le cheval-muscle a montré la voie au cheval-vapeur.

Mais si la civilisation précède la technique, alors nous avons toute latitude aujourd'hui pour inventer ou réinventer la lenteur, sans renoncer au progrès ni à l'innovation. Celle d'autrefois était subie, la nôtre sera choisie, mesurée, raffinée, et mettra les algorithmes à son service. Elle ne sera plus synonyme de clôture mais d'épaisseur. Elle inversera le paradigme social : l'ami "débordé", "super busy2", "sous l'eau", ne sera plus fréquentable. Elle nous installera dans la douceur des jours : quand le temps n'est plus compté, il passe si vite ! Elle nous permettra de devenir nous-mêmes, plutôt que de nous éparpiller dans le manège des réseaux.

Gaspard Koening, "L'invention de la lenteur", Lesechos.fr, 1er avril 2020

Lorsqu'on remet consciencieusement à demain ce que l'on pourrait faire aujourd'hui, on a toujours ce sentiment désagréable d'être un adolescent ­contraint de camoufler aux yeux de ­parents puritains une coupable activité masturbatoire. N'est-il pas curieux de se sentir ainsi en faute alors que l'on est simplement en train de mettre son esprit au ­repos ? Rappelons que certains vont jusqu'à rapprocher le mot "travail" du latin tripalium, nom d'un instrument de torture... A la lumière crue de cette exhumation étymologique parfois contestée, il est donc grand temps de réviser nos a priori : non, la procrastination ne doit plus être envisagée comme l'expression d'une inadaptation sociale, mais plutôt comme un ­signe enviable de bonne santé mentale. D'après une étude menée par la revue Computers in Human Behavior, le fait de regarder des vidéos de chats permettrait notamment de dissiper les émotions négatives et de provoquer un regain d'énergie chez le travailleur.

Si elle ne devient pas un moyen de fuir nos responsabilités mais uniquement de les différer, la procrastination est sans doute la meilleure réponse qui soit à l'accélération du temps productif. "Distraction is the new concentration", professe même le poète américain ­Kenneth Goldsmith, qui propose, dans le cadre de l'université de Pennsylvanie, des cours de cyber-glandouille intitulés "Wasting Time on the Internet". Flâner sur le Web serait, pour Goldsmith, le moyen d'élargir son horizon créatif, de s'ouvrir à des sphères inexplorées de son propre inconscient et de cultiver sa capacité à tisser des liens inattendus, ce qui pourrait constituer une bonne définition de ce qu'est l'intelligence.

En ce qui me concerne, j'ai transformé ma tendance à la procrastination en véritable méthode de travail. Tel Lance Armstrong pratiquant l'autotransfusion sanguine, mon "moi présent" a ainsi pour habitude de déléguer à mon "moi futur" les tâches qui lui ­incombent, en vue de susciter in fine un état de transe productif pareil au coup de pédale qui permet de partir sans ­effort à l'assaut de l'Alpe-d'Huez. Est-ce que ça marche vraiment? Permettez-moi de ne pas conclure dans la précipitation et de terminer auparavant le visionnage de ce passionnant documentaire : L'Histoire cachée de la Grande Muraille de Chine.

Nicolas Santolaria, Le Monde, "Éloge de la glandouille", 27 novembre 2017.

Séance 08

Et demain ?

Observation

1. En vous appuyant sur les documents étudiés, indiquez dans quels domaines nos sociétés accélèrent.

2. Selon vous, nos sociétés vont-elles continuer à accélérer ou bien seront-elles, à un moment, forcées de ralentir ? Imaginez, à deux, à quoi ressemblera le monde dans 10, 20 ou 30 ans. Détaillez en particulier la société : les déplacements, les loisirs, le monde du travail, les effets sur la santé, sur les relations humaines, etc. Expliquez à l'aide d'une carte mentale illustrée que vous présenterez.

3. Stéphane Foucart écrit : "La science-fiction peut être un outil pour donner à voir les conséquences de nos actions. [...] La science-fiction est aussi ce qui permet aux jeunes générations d'investir et de s'approprier l'avenir."

a. Expliquez ces deux phrases en proposant des exemples concrets.

b. Êtes-vous d'accord ?

Les vérités de l'imaginaire par Stéphane Foucart

C'est une photo entêtante. De celles qui demeurent en mémoire longtemps après que le journal a fini au rebut. Publié fin mars dans l'édition internationale du New York Times , le cliché semble tout droit sorti d'une fiction d'anticipation post-apocalyptique. Il montre un paysage d'inondation. Sous un ciel gris-blanc, une dizaine d'hommes dépenaillés et hirsutes sont là, au milieu de ballots de paille, accroupis sur une digue de fortune, une sorte d'empierrement en fragile surplomb d'une vaste plaine de boue et de vase, dont l'humidité miroite jusqu'à l'horizon, où l'on devine que les eaux du Gange et du Brahmapoutre se mêlent au golfe du Bengale.

L'image, signée Kadir von Lohuizen, ne montre pas les conséquences d'un de ces désastres ponctuels qui scandent depuis des siècles l'histoire de cette région du Bangladesh. Elle donne à voir une lente tragédie en cours, celle des paysans bangladais face à la montée de l'océan, l'une des conséquences majeures du réchauffement. Un titre chapeaute la photo : "Jours comptés sur une terre qui disparaît" . Et le texte au-dessous raconte des histoires à vous crever le coeur, celles des hommes et des femmes qui chaque année doivent quitter leurs terres, peu à peu rendues stériles par l'irrépressible avancée de la mer.

S'il ne fallait retenir qu'une seule photo de l'année qui s'achève, ce pourrait être celle-ci. D'abord parce que 2014 aura été l'année du cinquième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Mais aussi, et surtout, parce que cette image dit quelque chose de notre incrédulité face aux conséquences de nos propres actions : l'histoire qu'elle raconte nous semble si lointaine et si irréelle qu'elle pourrait tout aussi bien former l'arrière-plan d'une oeuvre de science-fiction.

Futur hypothétique

C'est la rapidité des bouleversements imposés à l'environnement qui produit cette étrangeté. Alors que les citadins occidentaux imaginent que ces bouleversements ne seront un problème que dans un futur lointain et hypothétique - une bonne part les tient même pour de purs fantasmes -, d'autres populations les vivent et les affrontent déjà au quotidien. La science-fiction des uns est, en somme, devenue l'actualité des autres.

Ce chevauchement est à double sens. De même que l'actualité nous semble parfois emprunter à la science-fiction, la science-fiction elle-même puise de plus en plus dans l'actualité. Sept secondes pour devenir un aigle (Le Bélial', 352 p., 19 euros), le recueil de nouvelles de Thomas Day couronné cette année au Festival Etonnants Voyageurs par le Grand prix de l'imaginaire, est à ce titre emblématique. Il y est question de la conservation du tigre en Asie du Sud-Est, de minorités ethniques en butte aux sociétés pétrolières, d'éco-terrorisme, de pilleurs écumant la zone interdite autour de la centrale accidentée de Fukushima... Autant d'histoires sur notre relation à la nature qui pourraient, à quelques détails près, faire la "une" de l'actualité.

"La science-fiction est le reflet de la société dans laquelle elle est produite et il est indéniable que la question environnementale prend depuis quelques années de plus en plus de place, rappelle Olivier Girard, patron et fondateur du Bélial', maison d'édition indépendante spécialisée dans les littératures de l'imaginaire. Cela nourrit, par exemple, un retour du genre post-apocalyptique, fruit d'une tradition ancienne de la science-fiction qui avait eu tendance à disparaître pendant les "trente glorieuses"."

Instrument de diagnostic

Que faut-il savoir, que faut-il lire, pour se faire l'idée la plus vérace de ce qui vient ? La science se construit trop lentement face à l'accélération de la crise écologique; le recours à l'imagination devient de plus en plus naturel. En avril, les historiens Naomi Oreskes (université Harvard) et Erik Conway (NASA) n'ont ainsi pas hésité à passer outre les tabous du monde académique pour composer une oeuvre de pure science-fiction, imaginant les conséquences, à moyen terme, du réchauffement sur la stabilité de nos sociétés (L'Effondrement de la civilisation occidentale , Les Liens qui libèrent, 128 p., 13,90 euros).

La science-fiction peut donc être un outil pour donner à voir les conséquences de nos actions sur l'environnement. Mais elle est bien plus qu'un instrument de diagnostic. "Rattrapée par toutes sortes de réalités, en particulier la réalité écologique, la science-fiction doit se réinventer, dit Olivier Girard. Et l'enjeu dépasse largement le devenir d'un genre littéraire : la science-fiction est aussi ce qui permet aux jeunes générations d'investir et de s'approprier l'avenir."

Faut-il prendre cela au sérieux ? Dans une conférence donnée en octobre 2013 à Londres et accessible depuis peu en français ( Pourquoi notre futur dépend des bibliothèques, de la lecture et de l'imagination , Au Diable Vauvert, 24 p., offert par l'éditeur et l'auteur), le scénariste et romancier britannique Neil Gaiman offre cette histoire édifiante : "Je me trouvais en Chine, en 2007, lors de la première convention de science-fiction et de fantasy de l'histoire chinoise à être approuvée par le Parti. A un moment, j'ai pris à part un officiel de haut rang et je lui ai demandé : "Pourquoi ?" La science-fiction faisait depuis longtemps l'objet d'une désapprobation, qu'est-ce qui avait changé ?" . "C'est simple, m'a-t-il répondu . Les Chinois excellaient à créer des choses si d'autres leur en apportaient les plans. Mais ils n'innovaient pas, ils n'inventaient pas. Ils n'imaginaient pas. Aussi ont-ils envoyé une délégation chez Apple, Microsoft, Google et ils ont posé là-bas, aux gens qui inventaient le futur, des questions sur eux-mêmes. Et ils ont découvert que tous lisaient de la science-fiction lorsqu'ils étaient enfants."