Chanson de toile (par exemple Gaieté et Oriour), Marie de France (le lai du Rossignol), Christine de Pizan (la ballade), Louise Labé (le sonnet, l'élégie), Antoinette Deshoulières (une ballade satirique/critique ?).
La fin'amor. L'élégiaque, l'épique.
Christine de Pizan est l'auteure de nombreuses œuvres dont les Cent ballades d'amant et de dame où elle dépeint les différentes étapes d'une relation difficile entre deux amants.
Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage,
Dit-on. C'est cela que tu veux faire de moi,
Faux déloyal, qui dis que mon cœur,
Pour en aimer un autre, veut se détourner de toi.
Mais tu sais bien, certes, que c'est tout le contraire,
Et qu'en mon cœur il n'y a trace de tricherie,
Que c'est toi plutôt qui es mauvais – tu as beau te taire,
Toi qui, trompeur, n'es fait que de menterie.
Car en moi, ni dans mon attitude ni dans mon langage,
Tu n'as jamais aperçu quoi que ce soit qui fût contraire
À la loyauté : ce n'est pas mon usage.
Tu n'en as pas de doute, mais pour m'éloigner de toi,
Tu veux colporter de telles accusations,
Pour mieux couvrir ta fausse tromperie,
Mais je ne suis pas, comme toi, faussaire,
Toi qui, trompeur, n'es fait que de menterie.
Ha ! Mirez-vous1, mes dames, dans les préjudices que je subis.
Par la grâce de Dieu, ne vous laissez attirer
Par aucun homme : tous sont faits de faux plumage.
Dans ce cas, évitez donc de les fréquenter.
Au début, ils font les débonnaires,
Mais à la fin ils ne sont plus que moquerie,
Et c'est aussi ce que tu fais, Dieu d'Amour, pour tourmenter les cœurs,
Toi qui, trompeur, n'es fait que de menterie.
ENVOI
Mais si, comme tu le dis, Amour, je dois trouver plaisir,
Pour aimer, à mourir,
Alors, de ce que j'expose, tu es la preuve, j'en vois bien l'exemple,
Toi qui, trompeur, n'es fait que de menterie.
Christine de Pizan, « Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage », Cent ballades d'amant et de dame, ballade XCIV, 1410, trad. du moyen français de Martine Buffet, 2018.
L'objectif de l'exercice est de reconstituer un sonnet.
1. Reconstituez le quatrain avec les fragments qui vous sont donnés. Que remarquez-vous ?
en endurant froidure ; entremêlés de joie. et me noie ; et trop dure. et trop molle j'ai chaud extrême j'ai grands ennuis je me brûle je meurs ; je vis, la vie m'est
2. Remettez les vers dans l'ordre. Justifiez votre choix.
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Il me remet en mon premier malheur.
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
3. Écrivez et ajoutez les vers manquants.
Préparez une lecture orale expressive de ce poème.
Qu'est-ce qui fait l'originalité et la force de cette évocation du sentiment amoureux ?
Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis1 entremêlés de joie.
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief2 tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur3,
Il me remet en mon premier malheur.
Louise Labé, Sonnets, 1555.
1. Ennuis : ici, douleurs profondes.
2. Grief (adjectif) : grave.
3. Heur : bonheur.
Antoinette Deshoulières, « Ballade » (1684)
En 1684, dans sa tragédie lyrique Amadis, qui met en scène un chevalier modèle de la fin'amor, Lully délaisse les sujets antiques et remet le Moyen Âge à la mode pendant quelque temps. C'est dans ce contexte qu'Antoinette Deshoulières écrit la ballade suivante.
À caution tous amants sont sujets1 :
Cette maxime en ma tête est écrite.
Point n'ai de foi pour leurs tourments secrets ;
Point auprès d'eux n'ai besoin d'eau bénite,
Dans cœur humain probité2 plus n'habite
Trop bien encore a-t-on les mêmes dits
Qu'avant qu'astuce au monde fût venue ;
Mais, pour d'effets, la mode en est perdue :
On n'aime plus comme on aimait jadis.
Riches atours3, table, nombreux valets,
Font aujourd'hui les trois quarts du mérite.
Si des amants soumis, contents, discrets,
Il est encor, la troupe en est petite :
Amour d'un mois est amour décrépite4.
Amours brutaux sont les plus applaudis.
Soupirs et pleurs feraient passer pour grue ;
Faveur est dite aussitôt qu'obtenue,
On n'aime plus comme on aimait jadis.
Jeunes beautés en vain tendent filets ;
Les jouvenceaux, cette engeance maudite5,
Font bande à part ; près des plus doux objets,
D'être indolent6 chacun se félicite.
Nul en amour ne daigne être hypocrite ;
Ou si, parfois, un de ces étourdis
À quelques soins s'abaisse et s'habitue,
Don de merci7 seul il n'a pas en vue ;
On n'aime plus comme on aimait jadis.
Tous jeunes coeurs se trouvent ainsi faits.
Telle denrée aux folles se débite, Coeurs de barbons8
sont un peu moins coquets ;
Quand il fut vieux le diable fut ermite,
Mais rien chez eux à tendresse n'invite ;
Par maints hivers désirs sont refroidis ;
Par maux fréquents humeur devient bourrue.
Quand une fois on a tête chenue9,
On n'aime plus comme on aimait jadis.
ENVOI
Fils de Vénus, songe à tes intérêts ;
Je vois changer l'encens10 en camouflets11 :
Tout est perdu si ce train continue.
Ramène-nous le siècle d'Amadis12.
Il t'est honteux qu'en cour d'attraits pourvue,
Où politesse au comble est parvenue,
On n'aime plus comme on aimait jadis.
Antoinette Deshoulières, « Ballade », 1684, texte établi d'après Œuvres de Mme et de Mlle Deshoulières, 1810.
1. On ne peut pas se fier aux amoureux.
2. Honnêteté.
3. Ce qui sert à la parure.
4. Dégradée. Amour est parfois au féminin au XVIIe siècle.
5. Les jeunes, cette espèce maudite.
6. Qui ne se donne pas de peine.
7. Relation sexuelle (lexique de la fin'amor).
8. Vieillards.
9. Blanchie par l'âge.
10. La louange mais aussi la résine qu'on brûle en l'honneur des dieux dans les temples.
11. Affronts.
12. Amadis de Gaule, héros de chevalerie, modèle de l'amant parfait et constant.
I.