Le loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint3, qu'il admire.
Il ne tiendra qu'à vous, beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères4 et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car, quoi ! rien d'assuré ! point de franche lippée5 !
Tout à la pointe de l'épée !
Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin.
Le loup reprit : Que me faudra-t-il faire ?
Presque rien, dit le chien : donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire ;
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs6 de toutes les façons,
Os de poulets, os de pigeons ;
Sans parler de mainte caresse.
Le loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant il vit le cou du chien pelé.
Qu'est-ce là ? lui dit-il. — Rien. — Quoi ! rien ! — Peu de chose. —
Mais encor ? — Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché ! dit le loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? — Pas toujours ; mais qu'importe ?
Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix d'un trésor.
Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encor.
La Fontaine, Fables, 1668, livre I, 5.