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Analyse de l'activité

La différenciation pédagogique

Une demande institutionnelle

Le programme fixe les attendus de fin de cycle et précise les compétences et connaissances travaillées. L'enseignement doit être structuré, progressif et explicite. Les modalités d'apprentissages doivent être différenciées selon le rythme d'acquisition des élèves afin de favoriser leur réussite.

BOEN n°25 du 22 juin 2023

Que signifie pour vous cette injonction : "Les modalités d'apprentissages doivent être différenciées selon le rythme d'acquisition des élèves" ?

Une proposition de définition

La différenciation est la prise en compte par les acteurs du système éducatif des caractéristiques individuelles (besoins, intérêts et motivations ; acquis, non acquis et difficultés ; modes d'apprentissage (style, rythme, pouvoir de concentration, engagement…) ; potentialités à exploiter… de chaque élève en vue de permettre à chacun d'eux de maîtriser les objectifs fondamentaux prescrits et de développer au mieux leurs potentialités, et de permettre au système éducatif d'être à la fois plus pertinent, efficace et équitable

Cnesco (2017). Différenciation pédagogique : comment adapter l'enseignement à la réussite de tous les élèves ? Dossier de synthèse. http://www.cnesco.fr/fr/differenciation-pedagogique/

Pistes de mise en oeuvre I : La variation

Il faut associer une différenciation successive, qui permet d'étendre le répertoire méthodologique de chacun, avec une différenciation simultanée, qui permet à chacun de progresser selon ses propres voies. En effet, dès lors que l'on abandonne la vision exclusivement réparatrice de l'individualisation, il ne peut plus être question de chercher à faire coïncider a priori les différentes méthodes utilisées avec les « besoins » de chacun des élèves. Pour autant, la critique des pédagogues de « l'école sur mesure » reste parfaitement fondée : la méthode unique – qu'elle soit individuelle ou collective, qu'elle relève du tâtonnement expérimental ou du cours magistral – est toujours sélective. Plus ou moins, bien sûr, selon la qualité de sa mise en œuvre. Mais sélective néanmoins, puisqu'inévitablement plus adaptée à certains élèves qu'à d'autres.

Meirieu, P. (2017). Pédagogie : Des lieux communs aux concepts clés (2e éd). le Café pédagogique ESF éditeur.

Pistes de mise en oeuvre II : Les paramètres

Les différents paramètres sur lesquels peuvent s'exercer la différenciation [...] sont au nombre de quatre [...]. Le premier d'entre eux est le contenu. Il s'agit de proposer des contenus différents selon les gouts et/ou les compétences des élèves. [...] Le deuxième paramètre est le processus. Ce paramètre est souvent défini comme le fait de varier les activités proposées pour atteindre l'apprentissage visé. [...] Le troisième paramètre, les productions, attire l'attention sur la possibilité de proposer aux élèves de rendre leur travail sous des formes variées, dans une modalité qui leur conviendrait. [...] Enfin, le quatrième paramètre vise la différenciation des structures. Il s'agit ici de penser des variations dans l'élaboration des formes sociales d'organisation du travail : en individuel, en dyades, en sous-groupes (homogènes, hétérogènes). Nous incluons aussi l'animation des séances (avec une enseignant·e d'appui, en coenseignement, etc.).

Dechamboux, L. Mottier Lopez, L. (2019). "Modéliser la différenciation des situations d'apprentissage dans le cadre de la microculture de classe". Recherches, n°71.

Pistes de mise en oeuvre III : L'effet de renversement dû à l'expertise

Avec les élèves les plus en difficultés pour l'apprentissage visé Avec les élèves les plus avancés pour le même apprentissage visé

Donner à l'élève le problème résolu et lui demander d'étudier la solution. Alterner les problèmes résolus et les problèmes à résoudre.

Donner le (même) problème à résoudre

Faire disparaître le guidage progressivement

D'emblée, ne pas guider, laisser l'élève explorer librement

Proposer du travail en groupe (selon un scénario précis) quand l'apprentissage visé est éloigné des élèves ; sinon, le travail peut être réalisé seul

Si l'accès aux connaissances d'autrui est nécessaire, alors le travail en groupe est utile. Sinon, le travail individuel peut être mise en oeuvre

Tricot, A. (2017). Quels apports de la théorie de la charge cognitive à la différenciation pédagogique ? Quelques pistes concrètes pour adapter des situations d'apprentissage. Différenciation pédagogique. Conférence de consensus du CNESCO.

Pistes de mise en oeuvre IV : Le collectif

Une entrée collective devrait être privilégiée, à priori. Cette stratégie est prometteuse de plusieurs points de vue. Tout d'abord, elle permet d'éliminer un bon nombre de difficultés avant qu'elles ne se manifestent en évitant les malentendus par un choix de tâche anticipé, des consignes explicites, des débats sur le sens des apprentissages à réaliser. Ensuite, à l'échelle du groupe classe, elle réduit le nombre d'élèves devant bénéficier d'une intervention plus individuelle. Elle assure ainsi un travail plus autonome pour la plupart des élèves permettant donc à l'enseignante de concentrer ses interventions sur un nombre plus restreint d'élèves que lorsqu'il ou elle rentre directement avec une intention d'individualiser les aides. Il est alors possible d'envisager un travail plus approfondi du fait de ce temps libéré par la précédente action collective. Cette stratégie parait finalement plus économique pour l'enseignant·e qui s'épuise moins à tenter d'éteindre mille incendies à la fois.

Dechamboux, L. Mottier Lopez, L. (2019). "Modéliser la différenciation des situations d'apprentissage dans le cadre de la microculture de classe". Recherches, n°71.

Les précautions I : L'externalisation

Si la différenciation pédagogique consiste à organiser des institutions d'aide, en parallèle de la classe, alors l'exposition fréquente et répétée des élèves aux difficultés à ces formes d'aide peut, à terme, les "exclure de l'intérieur" au sens de Bourdieu (1993). Nous donnons à voir ici certaines caractéristiques des gestes d'aide (Marlot & Toullec-Théry, 2011) : ↳ Une focalisation sur les savoirs de bas niveau taxonomique, sur ce qui peut facilement être réussi et à moindre cout. ↳ Une logique de pilotage par la tâche (priorité du faire, par un morcellement de la tâche en étapes) plutôt que sur l'activité (les enjeux, les buts du faire). ↳ Une focalisation sur les comportements de l'élève (aspects génériques) plutôt que sur les contenus et les obstacles inhérents au savoir (aspects spécifiques). ↳ Une forte priorité donnée à l'organisation de très petits groupes "homogènes faibles". ↳ Un allongement illimité du temps d'enseignement (on refait jusqu'à ce que la notion soit acquise). ↳ Une reprise des manières d'enseigner ordinaires avec des formats d'interaction identiques, même en groupes restreints (l'enseignant questionne, les élèves répondent). ↳ Un éparpillement des tâches, c'est-à-dire une déconnexion des tâches entre elles, avec souvent un éloignement des enjeux d'apprentissage initiaux. ↳ Un guidage drastique des manières de faire (un sur-étayage), avec une "position haute" de l'enseignant : il dit ce qu'il faut faire et comment.

Toullec-Théry, M. (2020). Différencier sa pédagogie : 19 expériences pratiques accompagner l'innovation, cycles 1, 2, 3. Canopé éditions.

Les précautions II : l'individualisation

Pour apprendre, les élèves ont besoin d'interlocuteurs qui portent une parole exigeante et d'un collectif au sein duquel les savoirs sont explorés à plusieurs. Or, telle est bien, à mes yeux, la problématique centrale à partir de laquelle il faut penser la question de l'individualisation. (Meirieu, 2013, p. 67) Ainsi donc, un recours exclusif à de l'individualisation ne pourrait satisfaire les enjeux d'une différenciation pédagogique tant la confrontation d'idées, le soutien mutuel et l'exploitation de ressources variées seraient des situations nécessaires pour apprendre (Prud'homme et al., in Feyfant, 2016, p. 22). C'est pour cela qu'il semble y avoir consensus scientifique pour reconnaitre les limites de ces pratiques : "L'individualisation est une manière décente de nommer la sélection et de pratiquer l'élitisme sans le dire." (Avanzini, 1992, p. 27)

Connac, S. (2019). "Différencier, diversifier, individualiser ou personnaliser ?". Recherches, n°71.

Les précautions III : L'exigence

Selon les auteurs déjà cités, il s'agirait de proposer aux élèves des démarches variées, des outils et des degrés de guidage différents pour leur faire acquérir un même savoir : guidage serré pour les élèves en difficulté ou guidage lâche pour les élèves en réussite. Il serait également possible de varier le temps alloué à la réalisation de la tâche. De même, des élèves plus rapides que les autres pourraient, en répondant à des questions supplémentaires plus ambitieuses, réfléchir à leur pratique, pendant que leurs camarades termineraient leurs exercices. Des sociologues de l'éducation ont constaté que ce type de différenciation pédagogique accroit également les différences entre les élèves : certains restent confinés à des tâches d'exécution induites par des questions fermées tandis que d'autres sont encouragés à développer une posture réflexive et une relative autonomie (Baluteau, 2014). D'autres études ont montré que la différenciation des tâches, des supports et des modes de travail risque de renforcer les différences entre les élèves quand ils ne s'engagent pas de la même manière dans un problème (Rochex & Crinon, 2011).

Cariou, D., Goletto, L. & Henry, A. (2020). 2. Il faut différencier !. Dans : Collectif Didactique pour Enseigner éd., Enseigner, ça s'apprend (pp. 33-47). Retz.

En conclusion

Sauf à renoncer au projet même d'éduquer, l'individualisation ne peut signifier, pour un sujet, l'abandon de l'interlocution avec une parole exigeante et des savoirs rigoureux. Cela ne doit jamais l'exonérer de l'exploration de nouvelles manières d'apprendre et de comprendre, ni lui interdire de s'inscrire dans un collectif où l'on s'exhausse ensemble au-dessus de la somme des singularités qui le constituent. Or, telle est bien, à mes yeux, la problématique centrale à partir de laquelle il faut penser la question de l'individualisation. Et c'est pourquoi les partisans de « l'école sur mesure » ne peuvent pas – ne doivent pas – ignorer l'interpellation de ceux qui rappellent qu'il faut aussi que l'élève « se mesure à l'école » pour pouvoir grandir.

Meirieu, P. (2017). Pédagogie : Des lieux communs aux concepts clés (2e éd). le Café pédagogique ESF éditeur.