INSPE ANGERS - FRANÇAIS

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Le cours de français et les valeurs

Les attendus

Puisqu’il s’agit d’évaluer la capacité des candidats à faire connaître et à faire partager les valeurs de la République, il n’est sans doute pas inutile de rappeler ici le rôle qu’ont pris nombre de nos grands écrivains dans la défense de ces valeurs. Citer la part prise par un Voltaire, un Hugo ou un Camus dans l’affirmation de la liberté de penser et dans les fondements humanistes de notre République n’est donc pas une hérésie, et le jury s’étonne du faible nombre de candidats qui trouvent dans la littérature un appui à leur pensée. Sans même pousser jusqu’à ce point d’exigence, le jury s’étonne du nombre de candidats qui sont désarçonnés par des questions, mêmes très générales, sur la manière dont ils envisageraient la transmission des programmes de français et la formation des jeunes lecteurs. Est-il besoin de souligner qu’un professeur de français se doit avant tout de manifester son intérêt personnel pour cette lecture dont il devra transmettre le goût ?

Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse. (2023). Rapport du Jury. CAPES externe, CAFEP-CAPES et 3ème CAPES. Lettres. Session 2023.

Les lectures cursives

Les programmes de français du cycle 4, en application en France depuis la rentrée 2016, précisent, d'une part, que "les choix de lecture et les activités d’écriture et d'oral qui leur sont liées sont organisées à partir de grandes entrées [...] accompagnées d'indications précisant les enjeux littéraires et de formation personnelle (pour chaque niveau)" (Mesner, 2015:245) ; d'autre part, que la lecture des fictions narratives ou dramatiques doit conduire les élèves, entre autres, à confronter "les valeurs portées par les personnages", à interroger "les systèmes de valeurs mis en jeu" (Ibid:249). [...] Développer chez le lecteur adolescent une posture critique par rapport aux systèmes de valeurs portés par les oeuvres des littératures patrimoniale, contemporaine, antiques, étrangères, de jeunesse (Ibid:237) devient donc une priorité.

Ahr, S. (2018). Littérature pour les collégiens du cycle 4. Quelles valeurs ? Quelles postures de lecture face à ces valeurs ? Dans : Rouviere, N. Enseigner la littérature en questionnant les valeurs. Peter Lang Gmbh, Internationaler Verlag Der Wissenschaften.

L'éthique et la sensibilité

Comme le législateur le rappelle dans les programmes d'enseignement en application depuis septembre 2016, "la sensibilité est une composante essentielle de la vie morale et civique" dans la mesure où "il n'y a pas de conscience morale qui ne s'émeuve, ne s'enthousiasme ou ne s'indigne" (Mesner, 2015:56,165,303). Et il revient à l'école de contribuer à cette éducation à la sensibilité, sachant aussi qu'"il n'existe pas de culture morale et civique sans les connaissances qui instruisent et éclairent les choix et l'engagement éthiques et civiques des personnes" (Ibid).

Ahr, S. (2018). Littérature pour les collégiens du cycle 4. Quelles valeurs ? Quelles postures de lecture face à ces valeurs ? Dans : Rouviere, N. Enseigner la littérature en questionnant les valeurs. Peter Lang Gmbh, Internationaler Verlag Der Wissenschaften.

L'enseignement de la littérature

Observez la séquence proposée sur Bel-Ami. Quelles questions sur les valeurs cette séquence pose-t-elle ?

Voir et nommer

Le réflexe qui consiste à chercher des problématiques complexes peut faire écran au contenu littéral du texte. [...] On peut s'interroger ici, sans en faire un facteur explicatif unique, sur les effets d'un double phénomène se produisant face à la lecture des textes représentant des violences sexuelles : d'un côté, la partition très forte en France entre culture légitime et culture non-légitime, et les valeurs associées à la lecture des classiques intemporels et universels, qui ne sauraient être soupçonnés de présenter les violences sexuelles de façon complaisante ; de l'autre, la prégnance d'une pratique de lecture, enseignée à partir du lycée, qui passe, malgré les évolutions récentes, par la mise à distance de l'affect, et qui renvoie les réactions face au contenu littéral du texte à des réactions "empathiques" et "naïves".

Marpeau, A.-C. et Grand d'Esnon, A. (2018). Les violences sexuelles dans les textes littéraires : quels enjeux pédagogiques de lecture, quelle posture éthique pour l'enseignant·e ? Dans : Rouviere, N. Enseigner la littérature en questionnant les valeurs. Peter Lang Gmbh, Internationaler Verlag Der Wissenschaften.

Voir et nommer (2)

L'enseignant·e doit d'abord choisir entre étude en classe et lecture d'œuvre complète, si une œuvre comprend des violences : dans l'étude d'une œuvre complète, un texte qui représente des violences sexuelles ne sera pas forcément le plus pertinent par rapport l'axe d'étude choisi, Par ailleurs, les difficultés prévisibles peuvent rebuter, Mais si le livre est lu dans son intégralité par l'élève, il est problématique de ne pas parler des violences que l'œuvre contient, même si elles correspondent à des passages peu connus du texte intégral (pensons par exemple au viol de Catherine dans Germinal, au viol de Mme Walter dans Bel-Ami, ou au viol de Cécile dans Les Liaisons Dangereuses). Dans les deux cas se pose la question de l'attention aux élèves complète doit être lue en anticipation d'un cours ou à l'écart d'une étude en classe, il est possible de préciser clairement au moment où la lecture est indiquée : "C'est un texte qui comprend une / plusieurs scènes d'agressions sexuelles / de viols qui sont difficiles. Nous l'étudierons plus précisément en cours" ou bien "Nous n'étudierons pas ces scènes en cours, mais je suis disponible pour que nous en discutions si vous en avez besoin."

Marpeau, A.-C. et Grand d'Esnon, A. (2018). Les violences sexuelles dans les textes littéraires : quels enjeux pédagogiques de lecture, quelle posture éthique pour l'enseignant·e ? Dans : Rouviere, N. Enseigner la littérature en questionnant les valeurs. Peter Lang Gmbh, Internationaler Verlag Der Wissenschaften.

La littérature, un mode de partage

Ce que j’appelle littéraire, ce n’est pas un ensemble de textes, mais c’est un type de partage, ce qui signifie aussi un type de transmission. [...] On ne peut répondre à la question de la spécificité de la littérature qu’à condition de se poser la seule question pour moi véritablement pertinente, et qui serait de se demander quelle est la différence entre un partage littéraire, ou transitionnel, de la littérature, et un partage transitionnel du cinéma, et un partage transitionnel de la télévision, ou des jeux vidéo, dont on parle beaucoup en ce moment – bref, en les comparant au sein d’un même style de partage. Sur cette question [...], je n’ai pas d’idée particulière. J’en ai d’autant moins que les différences internes au partage littéraire de la littérature me paraissent déjà si considérables entre des expériences de lecture à haute voix à mes enfants, des expériences de lecture et de commentaire à voix haute lors d’un cours devant des étudiants, et des expériences solitaires de la lecture du fort interne.

Toubert, V. (2017). "La littérature n’est pas un ensemble de textes mais un type de partage", entretien avec Hélène Merlin-Kajman. Trans, 22.

Quelles activités ?

Selon vous, quels dispositifs, quelles activités sont plus à même de faire accéder les élèves aux valeurs de la République en cours de français ?

Le débat interprétatif

On peut distinguer trois niveaux possibles de débat : [...] • Le niveau de l'anecdote ou du scénario qui peut-être plus ou moins explicite ou qui peut offrir quelques résistances pour des raisons diverses [...] • Le niveau des motivations des personnages, quand il est implicite, prête lui aussi à discussion. [...] • Enfin, on peut se demander quelle est la signification de ce texte, et sur la base de quelles valeurs. Ces trois niveaux permettent de distinguer trois types de débats : • le premier vise à résoudre un problème de la compréhension (à partir, par exemple, de la question "Que se passe-t-il dans ce texte ?") et peut être tranché de façon univoque [...] ; • le deuxième concerne les données implicites du texte et nécessite un premier type d'interprétation : nous pouvons faire des hypothèses sur les motivations des personnages. [...] • D'autres questions surgissent ainsi à un troisième niveau, questions qui ne trouvent pas de réponses dans le texte ni même autour du texte. [...] Dans ce cas, le texte peut conduire à un débat d'idée, qu'on pourrait qualifier de philosophique, où le texte est un point de départ pour évoquer des questions d'éthique ou de politique. Ces questions touchent parfois très vivement le lecteur, et a fortiori l'élève-lecteur (à la place de la fourmi, que répondrions-nous à la cigale ? à la place de Yakouba, aurions-nous choisi de tuer le lion blessé ? etc.).

Ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (2016). "Le débat littéraire interprétatif". http://eduscol.education.fr/ressources-2016

Les procès de personnages

Lire, c’est juger. Comme l’a notamment rappelé Philippe Hamon dans Texte et idéologie, la littérature est "née dans le prétoire" ; et, organisant, au sein de l’espace de la diégèse, un débat pro et contra où sont confrontés plusieurs systèmes de valeurs, elle institue, de fait, le lecteur ou la lectrice en « juge ultime »5 de la fiction. Un(e) juge qui va toujours, pour son verdict final, essayer, plus ou moins, de concilier ses propres valeurs à celles qui s’affirment, plus ou moins clairement, dans la logique narrative. Et qui va parfois être amené(e) à (re)juger des personnages eux-mêmes aux prises avec la Justice, effectivement condamnés ou en passe de l’être (tel Humbert Humbert, le narrateur de Lolita, qui écrit son récit en prison, dans l’attente de comparaître devant les magistrat(e)s) : Mettre en scène le juge, le moment de l’application du droit est implicitement ou non convoquer un lecteur-citoyen, quand bien même celui-ci ne serait pas directement interpellé par l’auteur. (…) Témoin, indigné, dubitatif, incrédule, conforté ou inquiété dans ses croyances, le lecteur formule des jugements, et se reconnaît ou se distancie des jugements formulés dans un texte.

Julliot, C. (2021, 15 février). Le Procès de Monte-Cristo, essai de critique judiciaire, ou Comment peut-on juger un héros de roman populaire ? https://www.fabula.org/lht/25/julliot.html

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