Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l'école de faire partager aux élèves les valeurs de la République.
Puisqu'il s'agit d'évaluer la capacité des candidats à faire connaître et à faire partager les valeurs de la République, il n'est sans doute pas inutile de rappeler ici le rôle qu'ont pris nombre de nos grands écrivains dans la défense de ces valeurs. Citer la part prise par un Voltaire, un Hugo ou un Camus dans l'affirmation de la liberté de penser et dans les fondements humanistes de notre République n'est donc pas une hérésie, et le jury s'étonne du faible nombre de candidats qui trouvent dans la littérature un appui à leur pensée. Sans même pousser jusqu'à ce point d'exigence, le jury s'étonne du nombre de candidats qui sont désarçonnés par des questions, mêmes très générales, sur la manière dont ils envisageraient la transmission des programmes de français et la formation des jeunes lecteurs. Est-il besoin de souligner qu'un professeur de français se doit avant tout de manifester son intérêt personnel pour cette lecture dont il devra transmettre le goût ?
Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse. (2023). Rapport du Jury. CAPES externe, CAFEP-CAPES et 3ème CAPES. Lettres. Session 2023.
Les échanges avec le jury, dans les deux parties de l’épreuve, doivent permettre au candidat de révéler le professeur de Lettres qu’il se destine à être avec sincérité, sans céder à la tentation d’un discours convenu. Cela impose de s’interroger en amont sur ce qu’on veut et peut apporter aux élèves, en prenant en compte avec lucidité et pragmatisme les finalités de l’enseignement des Lettres ainsi que le fonctionnement du système éducatif. [...] Le jury a apprécié les candidats capables de porter un regard réflexif sur leur propre rapport à la littérature et à la langue, fondateur pour un futur professeur de Lettres, et de convoquer à bon escient des références littéraires, qu’il s’agisse d’expliciter en quoi « les textes littéraires permettent d’apprendre à lire le monde » ou quelles œuvres favoriseraient « le goût de la lecture » (ou de l’écriture), de donner vie à une situation professionnelle propre au cours de français ou de réfléchir à la manière dont les œuvres littéraires peuvent nourrir le partage des valeurs et principes fondamentaux de la République.
Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse. (2024). Rapport du Jury. CAPES et CAFEP externes, 3ème concours. Lettres Classiques et Modernes. Session 2024.
Ce que j'appelle littéraire, ce n'est pas un ensemble de textes, mais c'est un type de partage, ce qui signifie aussi un type de transmission. [...] On ne peut répondre à la question de la spécificité de la littérature qu'à condition de se poser la seule question pour moi véritablement pertinente, et qui serait de se demander quelle est la différence entre un partage littéraire, ou transitionnel, de la littérature, et un partage transitionnel du cinéma, et un partage transitionnel de la télévision, ou des jeux vidéo, dont on parle beaucoup en ce moment – bref, en les comparant au sein d'un même style de partage. Sur cette question [...], je n'ai pas d'idée particulière. J'en ai d'autant moins que les différences internes au partage littéraire de la littérature me paraissent déjà si considérables entre des expériences de lecture à haute voix à mes enfants, des expériences de lecture et de commentaire à voix haute lors d'un cours devant des étudiants, et des expériences solitaires de la lecture du fort interne.
Toubert, V. (2017). "La littérature n'est pas un ensemble de textes mais un type de partage", entretien avec Hélène Merlin-Kajman. Trans, 22.
Observez la page consacrée à un célèbre poème de Ronsard dans le manuel Lagarde & Michard xvie (1949, réédition 1965).
Vous étudierez l'appareil critique et le texte.
Dans l'enseignement secondaire en France, il est fréquent de ne guère tenir compte des réactions axiologiques des jeunes lecteurs, voire pas du tout. La valeur des œuvres littéraires est désignée le plus souvent comme une valeur esthétique [...]. La question éthique est donc très partiellement portée dans les pratiques de classe. Elle relève de ce que Renard (2012) appelle les "réactions lectorales bienvenues" à des moments particuliers des cours, parce qu'elles "donnent un certain dynamisme au déroulement de l'étude des textes" (p. 175-183), mais elles sont invalidées au moment de l'évaluation. [...] Les enseignants hésitent à intégrer à leurs analyses littéraires les jugements éthiques des élèves parce que ces jugements se réalisent à la faveur d'une identification à certains personnages ou relèvent d'une réaction empathique. La posture "participative" dont ils émanent contrevient à l'idée que certains professeurs de lettres se font de ce que doit être une lecture légitime, savante et distanciée.
Waszak, C. (2018). "Moi je trouve qu'elle a que ce qu'elle mérite" Que faire des jugements éthiques des lycéens sur leurs lectures ? Repères, 58, 155‑169.
Le sens, suivant Hirsch, désigne ce qui reste stable dans la réception d'un texte ; il répond à la question : "Que veut dire ce texte ?" La signification désigne ce qui change dans la réception d'un texte ; elle répond à la question : "Quelle valeur a ce texte ?" Le sens est singulier ; la signification, qui met le sens en relation avec une situation, est variable, plurielle, ouverte, et peut-être infinie. [...] Dans l'enseignement, la contradiction entre l'intérêt pour le sens originel des textes et le souci de leur pertinence pour la formation des hommes d'aujourd'hui, entre l'éducation et l'instruction, est une donnée inéluctable. Le professeur peut insister sur le temps de l'auteur ou sur notre temps, sur l'autre ou sur le même, partir de l'autre pour rejoindre le même, ou inversement, mais, sans ces deux foyers, l'enseignement n'est sans doute pas complet.
Compagnon, A. (2014). Le démon de la théorie : Littérature et sens commun.
Observez les pages de manuel consacrés au roman de Maupassant, Bel-Ami (1885).
Vous étudierez l'appareil critique et le texte.
Le réflexe qui consiste à chercher des problématiques complexes peut faire écran au contenu littéral du texte. [...] On peut s'interroger ici, sans en faire un facteur explicatif unique, sur les effets d'un double phénomène se produisant face à la lecture des textes représentant des violences sexuelles : d'un côté, la partition très forte en France entre culture légitime et culture non-légitime, et les valeurs associées à la lecture des classiques intemporels et universels, qui ne sauraient être soupçonnés de présenter les violences sexuelles de façon complaisante ; de l'autre, la prégnance d'une pratique de lecture, enseignée à partir du lycée, qui passe, malgré les évolutions récentes, par la mise à distance de l'affect, et qui renvoie les réactions face au contenu littéral du texte à des réactions "empathiques" et "naïves".
Marpeau, A.-C. et Grand d'Esnon, A. (2018). Les violences sexuelles dans les textes littéraires : quels enjeux pédagogiques de lecture, quelle posture éthique pour l'enseignant·e ? Dans : Rouviere, N. Enseigner la littérature en questionnant les valeurs. Peter Lang Gmbh, Internationaler Verlag Der Wissenschaften.
Si le livre est lu dans son intégralité par l'élève, il est problématique de ne pas parler des violences que l'œuvre contient, même si elles correspondent à des passages peu connus du texte intégral (pensons par exemple au viol de Catherine dans Germinal, au viol de Mme Walter dans Bel-Ami, ou au viol de Cécile dans Les Liaisons Dangereuses). Dans les deux cas se pose la question de l'attention aux élèves : si une oeuvre complète doit être lue en anticipation d'un cours ou à l'écart d'une étude en classe, il est possible de préciser clairement au moment où la lecture est indiquée : "C'est un texte qui comprend une / plusieurs scènes d'agressions sexuelles / de viols qui sont difficiles. Nous l'étudierons plus précisément en cours" ou bien "Nous n'étudierons pas ces scènes en cours, mais je suis disponible pour que nous en discutions si vous en avez besoin."
Marpeau, A.-C. et Grand d'Esnon, A. (2018). Les violences sexuelles dans les textes littéraires : quels enjeux pédagogiques de lecture, quelle posture éthique pour l'enseignant·e ? Dans : Rouviere, N. Enseigner la littérature en questionnant les valeurs. Peter Lang Gmbh, Internationaler Verlag Der Wissenschaften.
Immersion, empathie, identification sont donc à favoriser , et c'est bien l'option retenue par les concepteurs de la liste. Cependant, cette lecture immersive est à articuler "avec des périodes d'examen critique plus distant (et interactif)" : on ne peut donc pas se contenter de donner à lire ces oeuvres de littérature de jeunesse, ce qui remet en question les enjeux et les modalités de ladite "lecture cursive", généralement réservé au collège à la lecture de la littérature de jeunesse (Ahr & Butlen, 2015; Ahr, 2017). [...] Comme le législateur le rappelle dans les programmes d'enseignement en application depuis septembre 2016, "la sensibilité est une composante essentielle de la vie morale et civique" dans la mesure où "il n'y a pas de conscience morale qui ne s'émeuve, ne s'enthousiasme ou ne s'indigne" (Mesner, 2015:56,165,303). Et il revient à l'école de contribuer à cette éducation à la sensibilité, sachant aussi qu'"il n'existe pas de culture morale et civique sans les connaissances qui instruisent et éclairent les choix et l'engagement éthiques et civiques des personnes" (Ibid).
Ahr, S. (2018). Littérature pour les collégiens du cycle 4. Quelles valeurs ? Quelles postures de lecture face à ces valeurs ? Dans : Rouviere, N. Enseigner la littérature en questionnant les valeurs. Peter Lang Gmbh, Internationaler Verlag Der Wissenschaften.