Bibliographie

Ahr, S. (2010). D’une lecture empirique à une lecture subjective argumentée. 11e rencontres des chercheurs en didactique des littératures.
"Le débat interprétatif est à envisager comme une situation de travail répondant à un enjeu cognitif précis : apprendre à développer, enrichir et organiser sa pensée et par conséquent sa lecture en interagissant avec ses pairs et avec l’enseignant. [...] De nouveaux gestes professionnels sont à construire – c’est l’un des enjeux de la recherche engagée – pour que [...] l’oral soit vécu « comme partage et tâtonnements collectifs », comme un espace de parole où interagissent des sujets lecteurs capables de questionner tout à la fois leur lecture et le texte. Le débat interprétatif, tel que nous en envisageons la pratique dans le secondaire, est un genre discursif scolaire. [...] Il ne s’agit plus de répondre aux questions, généralement très orientées, du professeur, mais d’interroger sa propre lecture à la lumière de celle de ses pairs et, par là même, d’apprendre à questionner le texte en s’appuyant sur les savoirs déjà là ou en germe dans les échanges."
Ahr, S. & Joole, P. (2010). Débats et carnets de lecteurs, de l'école au collège. Le français aujourd'hui, 168, 69-82. https://doi.org/10.3917/lfa.168.0069
Au collège, les carnets tenus dans l'une des trois classes sont de simples résumés de la nouvelle. Une seule élève s'est risquée à émettre son opinion, de façon laconique et entre parenthèses : « (J'ai beaucoup aimé ce texte !) ». Un seul autre a convoqué son expérience de lecteur et sa culture littéraire : « Le passage où ils disent qu'il était toujours obligé de peindre un piquet pour le cheval me fait penser au “ Petit Prince”. Ce texte me parait assez vieux/ancien. Je trouve que le texte est écrit un peu dans la poésie. »
Rendre compte de sa lecture revient donc à montrer, en relatant les faits essentiels de l'histoire, qu'on a effectué la tâche scolaire prescrite. Le sujet lecteur reste en marge du texte, situation que les parenthèses traduisent ; le sujet élève ne s'accorde aucun des droits fondamentaux du lecteur, notamment celui de s'impliquer dans sa lecture. Dans une autre classe, le carnet a pris la forme d'un questionnaire visant à soutenir la lecture du texte par les élèves. Or certaines questions faisaient appel aux compétences interprétatives des collégiens, qui se sont contentés de montrer qu'ils avaient lu la nouvelle en apportant des éléments de réponse d'ordre essentiellement factuel. Doit-on voir ici l'absence de réelles pratiques de la lecture littéraire à l'école ? Ou est-ce à dire qu'en début de collège, les activités visant la compréhension du texte priment, comme à l'école, sur celles visant son interprétation ?
Afin de mesurer l'impact des interactions orales sur la compréhension de la nouvelle par les collégiens, il avait été demandé également que les élèves répondent, par écrit avant et après le débat, aux deux questions suivantes : « Qu'as-tu compris ? » et « Que n'as-tu pas compris ? ». Les enseignants ont bien perçu que les lieux d'incertitude sémantique sont des espaces où se jouent les significations du texte littéraire et qu'ils sont particulièrement propices aux échanges intersubjectifs. Mais, s'ils se sont appuyés sur les points qui résistaient à la compréhension des élèves pour lancer le débat, l'identification du sens commun du texte a été très rapidement privilégiée, la parole magistrale, notamment dans deux des trois classes, tendant à occulter la réception effective de la nouvelle par les sujets lecteurs et à imposer une lecture « modèle » : le débat s'est transformé en un cours dialogué traditionnel, les élèves étant invités à répondre aux questions de leur professeur.
Les enseignants du primaire comme ceux du secondaire sont conscients de la nécessité d'accorder une place plus importante à la parole de l'élève mais restent attachés – par manque de formation suffisante sans doute – à des croyances ou à des habitudes qui ne leur font pas percevoir le lien entre ces situations permises par le débat et le carnet, et l'apprentissage d'une posture interprétative. Cet embarras se manifeste, dans le premier degré, soit par une mise en retrait de l'enseignant laissant l'élève parler de son expérience de lecture soit par l'affirmation d'une posture magistrale prenant la forme de consignes très précises en direction de l'élève ( « je pense que… », « je recopie… », « je dessine… »), d'un regard évaluatif se traduisant par des annotations dans les marges du carnet, ou encore celle de l'imposition, au cours des débats, d'une signification garante de l'unité du texte car, conformément aux recommandations officielles, il ne faut pas se laisser déployer des interprétations qui entreraient « en contradiction avec les contenus du texte » (Ministère de l'Éducation nationale, 2004 : 8). Cette même recherche du sens commun prévaut dans le second degré.
Ahr, S. & Joole, P. (2013). « Transmission et expérience esthétique dans les premier et second degrés », Recherches & Travaux, 83. DOI : https://doi.org/10.4000/recherchestravaux.657
Mener les élèves sur le chemin de la lecture nécessite donc de prendre initialement appui sur une relation esthétique historiquement fondée associant imagination et émotion.
Cette relation est définie par Jean-Marie Schaeffer dans son essai Adieu à l’esthétique. Il précise qu’une « conduite esthétique » se caractérise par une attitude du sujet face à un objet – qui peut ne pas être artistique ou reconnu comme tel, attitude où la perception du sujet, de quelque nature qu’elle soit, est exacerbée. Cette attitude est source de plaisir – le plaisir n’étant pas incompatible avec un sentiment négatif, telle la tristesse – ou de déplaisir et elle est liée à des émotions personnelles et, dans certains cas, à une expérience personnelle. Cette attitude face à un objet est dans tous les cas une activité mentale dans la mesure où le sujet réalise des opérations de discrimination, de discernement à partir de son propre répertoire culturel et affectif. Plus ce répertoire est riche, plus les expériences esthétiques sont nombreuses.
Si l’on définit de la sorte la « conscience esthétique » que la fréquentation des œuvres littéraires (mais aussi artistiques) doit permettre aux élèves de développer, la transmission scolaire peut ne pas être réduite à celle de catégories esthétiques rendant compte d’un jugement de goût historiquement et culturellement daté, mais elle peut porter également (et peut-être davantage ! ) sur l’enrichissement du répertoire culturel du sujet lecteur, afin de favoriser une attitude esthétique face aux objets littéraires, ainsi que sur les outils permettant la mise en mots de l’expérience esthétique.
Le groupe départemental « Maîtrise des langages » réunissant inspecteurs, conseillers pédagogiques et IMF du premier degré, dont nous avons accompagné les réflexions, a tenté de définir des situations de lecture d’œuvres de littérature de jeunesse pour les élèves de cycle 3. Le système des personnages, la cohérence narrative et la notion d’auteur ont ainsi fait l’objet de séances prenant appui soit sur l’élaboration d’un schéma actanciel ou séquentiel soit sur une lecture en réseau intratextuel. En dépit de l’accent mis sur les outils destinés à favoriser la réussite des élèves, nous nous sommes rendu compte, lors de la réalisation effective des séances en classe, que l’enseignant ne faisait qu’imposer des savoirs relatifs aux trois domaines choisis ou transmettre sa propre lecture de l’œuvre, y compris lors des débats interprétatifs au cours desquels les propositions des élèves étaient validées à l’aune des attentes conscientes ou non de l’enseignant : l’idée que la relation esthétique s’accommodait difficilement d’une cohabitation avec un sens commun s’est alors imposée. À la priorité accordée bien involontairement à l’exhibition de ce dernier s’ajoutait le souci, bien légitime pourtant, de développer des habilités de compréhension permettant aux élèves de surmonter les obstacles supposés d’un texte. Non seulement la relation entre la spécificité littéraire de l’œuvre et l’expérience sensible du lecteur n’était pas prise en compte mais de sérieux doutes planaient sur l’amélioration des capacités des élèves à tisser une relation intime avec le texte, à simplement y entrer comme le ferait le lecteur promeneur évoqué par Julien Gracq. Nous nous sommes alors demandé ce que pouvaient bien avoir à dire « des lecteurs démunis de savoir savant, de métalangage et de méthodes ? Ont-ils seulement quelque chose à dire ? Faisons le pari de les écouter. On s’apercevrait qu’ils ont déjà commencé ».
La double nécessité de prendre en compte une expérience d’ordre esthétique et de démultiplier la posture de l’élève a conduit à l’élaboration d’une séquence en trois temps. Après lecture de l’œuvre, les élèves s’expriment sur leur ressenti, d’abord par écrit et individuellement, puis échangent ensemble sur leurs impressions respectives et les causes possibles de leur ressenti après que leurs écrits ont été affichés dans la classe. Dans un second temps, une phase de catégorisation gérée par l’enseignant permet aux élèves de regrouper leurs propositions et ainsi de faire apparaître des éléments de caractérisation de l’œuvre. L’enseignant fait ensuite lire d’autres œuvres permettant aux élèves de se demander s’ils ressentent ou non les mêmes impressions et les mêmes émotions. La comparaison avec d’autres livres d’un même auteur est particulièrement intéressante car elle permet de se demander s’il existe une possible cohérence liée à des effets plus ou moins intentionnels.
Non seulement la libre parole des élèves est accueillie et la relation esthétique encouragée mais la posture professionnelle de l’enseignant s’en trouve modifiée. Il s’agit moins pour lui de préparer la lecture des élèves en faisant des recherches sur l’œuvre et son auteur que d’essayer d’en cerner la spécificité au fur et à mesure des propositions des élèves. Il est alors disponible pour les écouter et prendre en compte leur réception effective. Mais libre à lui, après la phase de catégorisation, de se rassurer en consultant des commentaires autorisés mais, comme le dit l’une des conseillères pédagogiques faisant partie du groupe départemental, « ce savoir n’est pas transmis ni imposé aux élèves, il permet seulement à l’enseignant de les accompagner ».
L’enrichissement du répertoire culturel passe donc par la mise en mémoire non seulement des objets mais aussi et surtout des expériences esthétiques qui leur sont liées. Tout lecteur, novice ou expert, se souvient des livres qui l’ont particulièrement marqué, positivement ou négativement, et cela, souvent de façon parcellaire voire métonymique, comme Pierre Bayard l’explique en prenant pour exemple le défaut de mémoire de Montaigne. Dans l’article « Génie » de l’Encyclopédie, Saint-Lambert précise que « lorsque l’âme a été affectée par l’objet même, elle l’est encore par le souvenir ». Entendons par « âme » la sensibilité du lecteur et par « répertoire culturel », la « bibliothèque intérieure », cette « partie subjective de la bibliothèque collective comportant les livres marquants de chaque sujet ». Dans un tel cas, la transmission ne vise pas seulement l’acquisition, à l’école, d’une première culture littéraire, au collège, d’une « culture nécessaire à la compréhension des œuvres littéraires » et, au lycée, « la connaissance des grands genres littéraires, de leurs principales caractéristiques de forme, de sens et d’effets ». Mais la transmission vise également la construction de cette bibliothèque intérieure, personnelle, avec laquelle chaque sujet lecteur met en résonance les lectures nouvelles qu’il réalise et qui l’aide à écrire ce « texte que nous écrivons en nous quand nous lisons ».
C’est pourquoi, « apprendre à dire-écrire l’expérience esthétique et pas seulement à la commenter », créer « l’événement » de la lecture dont on sait à quel point il est important dans la constitution d’une mémoire et solliciter cette « dimension affective de la mémoire personnelle » exigent aussi la tenue d’un carnet de lecteur s’introduisant « dans la place de l’auteur », insinuant « les ruses du plaisir et une réappropriation dans le texte de l’autre », geste indispensable pour Michel de Certeau à « l’invention de mémoire ». Il nous paraît donc important d’encourager les processus de prélèvements et d’insertions en développant, dans le carnet, les gestes d’annotations, de recopiages et de reformulations en lieu et place de résumés.
En d’autres termes, le cahier est non une anthologie des objets lus mais la mémoire des lectures personnelles : il rend compte des expériences esthétiques des sujets lecteurs au répertoire affectif, expérientiel, cognitif, linguistique et culturel singulier. Les interactions au moment du débat favorisent non seulement la mise en mots de ces expériences esthétiques mais également l’enrichissement de ce répertoire personnel, ce dont l’analyse des cahiers rend compte. Il s’agit dès lors de transmettre non « des modèles sémiotiques ou narratologiques » mais les outils linguistiques et intellectuels permettant aux sujets lecteurs d’appréhender le sensible et, par là même, de leur assurer le développement d’une conscience esthétique.
Ahr, S. (2018). Former à la lecture littéraire. Réseau Canopé.
"Deux postures caractérisent le processus transactionnel : l'une, dite « esthétique », qui privilégie les impressions et les souvenirs de lecture, les réactions spontanées et de natures diverses, en d'autres termes, la subjectivité du lecteur ; l'autre, dite « efférente », qui vise à reprendre ses premières impressions pour en discuter et élargir son interprétation, ce qui favorise la mise à distance de ces impressions premières. Dans le premier cas est favorisé un échange entre le lecteur et le texte ; dans le second, un échange entre le lecteur et les autres lecteurs du texte. On passe ainsi d'un dialogue intérieur à un dialogue avec une communauté de lecteurs, des « transactions subjectives » du lecteur aux interactions sociales, et inversement. Il s'agit bien là aussi d'un processus dialectique entre une récep- tion subjective du texte et une objectivation de cette réception que permettent des échanges intersubjectifs. Le lecteur compétent est capable d'alterner et de combiner ces deux postures, d'opérer ce mouvement de va-et-vient entre ses réactions premières au texte, qui sont d'ordre psychoaffectif, émotionnel, éthique, esthétique, et une appréhension plus distanciée de cette lecture empathique. Ce va-et-vient n'est possible que si l'on ménage un espace où la voix du sujet lecteur est autorisée à se faire entendre et à se nourrir de celle de ses pairs, le texte et les droits du texte délimitant cet espace."
Dans l'enseignement, la contradiction entre l'intérêt pour le sens originel des textes et le souci de leur pertinence pour la formation des hommes d'aujourd'hui, entre l'éducation et l'instruction, est une donnée inéluctable. Le professeur peut insister sur le temps de l'auteur ou sur notre temps, sur l'autre ou sur le même, partir de l'autre pour rejoindre le même, ou inversement, mais, sans ces deux foyers, l'enseignement n'est sans doute pas complet.
Afin de favoriser cette rencontre psychoaffective avec les deux personnages, il a été demandé aux élèves de répondre dans leur cahier de lecture à la question suivante : « À laquelle des deux jeunes filles va votre sympathie et pourquoi ? »
« Après avoir lu le texte à la maison : [...] 1) Chercher une reproduction (sur clé USB ou sur papier) de tableau ou d’œuvre d’art qui fasse écho pour vous à l’un des tableaux de Wang-Fô évoqués dans la nouvelle [...] 2) Être capable d’expliquer devant la classe à l’oral en quoi elle correspond au texte de Yourcenar et pourquoi vous l’avez choisie. »
La pratique des marginalia consiste à investir les marges d’un texte par des notes personnelles ou des dessins. Lors de sa lecture, le lecteur donne la réplique au texte, en répondant directement à un personnage, en s’adressant à l’auteur pour exprimer son agacement ou au contraire son intense jubilation. La lecture se fait alors « conversation ».
Ailloud-Nicolas, C. (2013). Le jeu dramatique en classe de cinquième : pour un renouvèlement de l'enseignement du théâtre ?. Le français aujourd'hui, 180, 41-53. https://doi.org/10.3917/lfa.180.0041
La partition entre une pratique artistique, souvent en partenariat, dans les ateliers et les options, et une approche didactique, en cours de français, par le seul enseignant, semble établir une frontière infranchissable : les ateliers et les options « jouent du théâtre », le cours de français « joue au théâtre ». Ces idées ont été particulièrement bien résumées par G. Caillat et les autres auteurs du Théâtre à l’école. Ils envisagent ainsi les dérives d’une pratique théâtrale mal menée et de ce fait, selon eux, malmenée :
Or on le sait : faire du théâtre avec des élèves c’est d’abord casser, de façon systématique, les habitudes scolaires ; c’est bannir sans cesse le geste redondant par exemple. En classe l’élève qui « récite » et « fait les gestes » est généralement bien noté, alors quand il vient à l’atelier, il faut lutter contre cette manie et lui faire comprendre que ce que le texte dit, les gestes n’ont pas à le redire, que le geste doit prendre le relais de la parole.
Et les auteurs, partant de ce constat, conseillent de ne pas forcément jouer à partir des textes6 et en particulier des textes classiques, réputés trop difficiles. Dans la progression idéale qu’ils envisagent, il faudrait, en cycle d’observation, privilégier le « travail sur l’expression, le jeu dramatique ». L’interprétation des textes serait réservée au lycée.
Or les manuels de cinquième que nous avons consultés prennent le contre-pied de ces critiques et de ces conseils. Contrairement à ce qui se passe dans l’atelier, qui s’inscrit dans la durée et s’appuie peu sur les textes, exception faite, parfois, du répertoire contemporain, la pratique du jeu qu’ils proposent est très liée à l’analyse littéraire des pièces classiques. Elle est insérée dans les chapitres qui lui sont consacrés. Elle entre donc en résonance avec l’étude des œuvres au programme, c’est-à-dire Molière, Feydeau ou Courteline. Les manuels ne font pas, en général, le choix d’une activité décrochée, durable8 , ils affirment au contraire le lien entre pratique du jeu et explication de texte au sein de chapitres spécifiques dévolus au théâtre.
Le retour des sentiments dans l’analyse du texte de théâtre est donc très problématique et impose des précautions. On peut affirmer sans problème qu’un personnage « dit » qu’il a des sentiments. On peut analyser quels mots il choisit pour les nommer. On ne peut aller jusqu’à affirmer qu’il les ressent. Cela, c’est justement le produit du travail de l’acteur : donner l’illusion de l’existence et de la réalité du sentiment. Savoir si l’acteur le ressent vraiment relève d’un autre champ, celui de techniques et d’écoles. En revanche, le spectateur a devant lui un personnage scénique à partir du moment où se trouve face à lui un être qui dans un certain cadre, à un moment déterminé, celui de la représentation, dit des mots qui ne sont pas les siens comme s’ils étaient les siens. Refaire surgir les sentiments comme outils d’analyse, c’est en quelque sorte nier ce phénomène car c’est donner une existence au personnage en dehors de l’acteur, préalablement à lui. Cette chaine des sentiments (sentiment du personnage, sentiments à jouer, sentiment de l’acteur, sentiment du spectateur) produit donc une image du théâtre très éloignée des réalités scéniques françaises. En outre, elle pose un problème didactique car elle fait aborder le jeu théâtral par son aspect le plus complexe : il est très difficile de jouer un sentiment.
Comment donc envisager la question du personnage ? Il s’agit de ne plus employer le même mot pour désigner des réalités différentes mais, au contraire, de distinguer personnage textuel, rôle à travailler, personnage scénique sous la forme suivante :
Personnage textuel Rôle à travailler Personnage scénique

- dénué de tout sentiment, de toute psychologie

- somme d'énoncé qui s'intègre à un énoncé conçu par un écrivain

- objet de recherche. Ces recherches concernent les conditions d'énonciation possibles de l'énoncé à partir de contraintes internes proposées par le texte et de contraintes externes liées au projet

- résultat de la rencontre provisoire entre un acteur, les mots d'un texte, un projet de metteur en scène, dans des conditions d'énonciation définies par le projet

En parlant de rôle et non de personnage quand on passe sur le plateau, on cesse d’induire qu’il existe une entité prédéfinie qu’il s’agirait d’incarner. En sortant le personnage textuel de la sphère du sentiment, on réaffirme qu’il est uniquement fait de papier, uniquement constitué de discours. Néanmoins, l’omniprésence du personnage et des sentiments, à l’œuvre dans les chapitres sur les théâtres, est aussi révélatrice de représentations implicites et explicites, d’une part sur l’acteur et d’autre part sur le travail qu’il fait sur le texte quand il le porte sur la scène.
À la fin du chapitre, dans Mots et émotions, les définitions sont plus précises sans doute parce que, placées au terme du parcours, elles intègrent aussi les acquis résultant de ce qui a été enseigné :
Le comédien travaille sa voix, sa diction, sa gestuelle. Il pratique de nombreux exercices. Ainsi, il parvient à exprimer clairement le sens du texte : à la fois l’évolution de l’action, la progression de l’histoire, et les sentiments des personnages. Le comédien est capable de choisir sur quel ton il prononcera le texte. Il peut aussi, à partir des didascalies, imaginer les éléments de mise en scène et certaines parties du décor. Le comédien traduit le sens du texte en intentions : il imite les signes extérieurs d’une émotion, sans la ressentir lui-même au même moment. Ce travail sur le sens du texte permet au comédien de jouer devant le public et de faire le maximum d’effets : faire rire, émouvoir, donner à penser. (Op. cit. : 237)
Une autre voie est absente des manuels, celle qui consiste à retrouver l’oralité du texte, c’est-à-dire ce qui l’assimile à de la parole et non à de l’écrit (Ailloud-Nicolas 2005:7-8). L’enjeu dans le travail de l’acteur peut être en effet de donner l’illusion que le texte est inventé en même temps qu’il se dit, qu’il se rapproche de la vérité de la vie, même dans le cas de théâtre très littéraire, comme le poème dramatique du XVIIe siècle par exemple. L’objectif devient alors tout autre. Le silence ne vient pas automatiquement traduire la présence de tel ou tel type de point. Il sert à souligner qu’une idée, énoncée par des phrases successives (Morel 2003:39-47), se développe, s’interrompt, se brise pour bifurquer vers une autre idée. Et si le lecteur est trop respectueux de l’unité phrase et de ses fragmentations propres, l’auditeur perd de vue cette unité, plus grande, qu’est l’unité de l’idée, ce que l’on appelle aussi la conduite de la pensée.
On voit donc que cette didactisation du travail de l’acteur repose sur une conception bien particulière de sa formation qui irait de la technique vers une expressivité induite par le texte. Ceci réfère à une pédagogie de l’acteur datée et majoritairement obsolète. En outre, la transposition de cette représentation en progression d’exercices fait émerger une image discutable de l’interprétation du texte par le comédien : il relèverait de ce que l’on pourrait nommer le localisme, un mot, une phrase entrainant une intonation, une gestuelle. Il y aurait donc une sorte de traduction sonore et physique et une chaine de micro-actions viendrait illustrer ce qui est dit. Or, là encore,cette conception de l’art de l’acteur est très contestable. Le comédien ne cherche pas à retranscrire un sens supposé du texte. Il invente la façon la plus juste de le dire, non pas en soi, mais dans une certaine situation, celle du personnage scénique. Le comédien cherchant à jouer la situation, trouve son parcours à l’intérieur de la scène et non à partir du mot ou de la phrase. C’est ce parcours qui va faire naitre le corps et la voix adaptés et c’est lui aussi qui va permettre au texte de surgir comme s’il s’inventait de nouveau. Finalement, la scène révèle ce qui est dit, c’est-à-dire ce qui est véritablement dit, dans et au-delà des mots.
Affirmer le passage d’une dimension technique à l’interprétation, de la diction à l’inflexion, de la lecture à l’accompagnement gestuel, donne une vision erronée de la place du texte dans le processus scénique. Sur ce point, il faut affirmer trois idées. Le localisme textuel ainsi que le lien supposé logique entre texte, diction et geste, nie une dimension essentielle du travail de l’acteur : la mise en place d’une situation-cadre pour la scène qui va créer son propre système gestuel et agir aussi sur la diction. Une scène n’est pas la somme de solutions de détails, une scène est la résultante de grands principes qui vont susciter des détails ou du moins agir sur eux. Deuxième idée : le texte n’est pas antérieur au geste. Au contraire, un geste peut produire de la parole. Corps et mots peuvent fonctionner selon des lignes parallèles strictes ou bien avec un système de rendez-vous dans lequel ils finissent par se retrouver. Troisième grand principe : il faut supprimer dans la pédagogie de la lecture et du jeu toute référence au « ton ». Soit on emploie des mots liés au personnage scénique, c’est-à-dire l’état ou l’intention, en prenant garde de montrer qu’ils n’émanent pas du texte mais de la confrontation scénique entre ce dernier et une situation. Soit on utilise un vocabulaire non connoté par les usages scolaires comme la « couleur » que le comédien donne au texte. Soit on ne cherche pas à nommer mais on affirme simplement que la façon de dire le texte par le corps ou la voix dépend avant tout de l’acteur et de la situation scénique.
En outre, autre versant de la mise en scène, la relation entre le texte et la représentation repose sur des représentations fortes qui transparaissent dans les exercices proposés. Le texte de théâtre offre, selon les manuels, un certain nombre d’injonctions que le metteur en scène doit respecter. Que ce soit dans les contraintes textuelles contenues dans le discours des personnages, que ce soit dans les didascalies traitées uniformément comme des indications scéniques, les objets, les costumes, les déplacements, les intentions, décrits dans la pièce doivent être scrupuleusement reproduits sur la scène. Là encore, la pratique scolaire s’éloigne de la réalité du plateau. Une contrainte textuelle peut être détournée par le metteur en scène. Elle est souvent l’objet d’aménagements qui vont du traitement poétique ou ironique à la négation et même à la réécriture du texte en conformité avec la scène. Quant aux didascalies, la description qui en est faite n’est pas juste au regard des ouvrages critiques les plus récents. La conception de la didascalie par les manuels ne prend pas acte de la variété de la fonction de cette dernière au gré de l’histoire du théâtre ni de la réalité des pratiques scéniques. Un des moyens de pallier ce problème est sans doute de rattacher les didascalies exclusivement à la sphère de l’écriture. Elles sont l’expression directe de l’écrivain. Elles sont une aide à la lecture et éventuellement la trace d’une réalité d’un spectacle passé ou l’imaginaire d’un spectacle à venir, trace et imaginaire reliés au temps de l’écriture. Elles tissent avec les dialogues une relation complexe de complémentarité, de redondance, voire de contradiction. En les repositionnant dans la sphère littéraire, on autorise de fait les écarts inévitables entre, d’une part, la représentation source et/ou la représentation fantasmatique, inscrites dans l’écriture, et d’autre part les représentations actuelles. On sort de l’idée que toute invention du metteur en scène est transgression ou irrespect.
Alcorta M. (2001). Utilisation du brouillon et développement des capacités d'écrit. Revue française de pédagogie, volume 137.
Brouillon linéaire, brouillon instrumental.
Angoujard, A., & Romian, H. (1994). Savoir orthographier à l'école primaire. INRP Hachette éducation.
"Nous avons choisi de conduire l'élève à réaliser un équilibre entre l'attitude de prise de risque, nécessaire pour qu'il s'engage dans la production d'un écrit, et celle de doute à l'égard des décisions prises."
Armand, A. (2004). Un pari sur la réécriture au CAP. Le français aujourd'hui, 144, 69-72.
"Le correcteur de la première production doit savoir faire admettre la nécessité d'une réécriture, et cette nécessité vient du travail du "lecteur" de la production : est-ce que je comprends ? Est-ce que je ressens ce que la contrainte du texte support et de la consigne doivent faire ressentir (émotion, intérêt, amusement, peur, attente…) ? Ai-je l'impression que ce texte écrit a pris en compte le lecteur que je suis ? C'est au cœur de ces interrogations que les corrections de surface du texte prennent sens." "Le travail de réécriture nous a semblé, a contrario, le lieu d'un réel investissement… à condition qu'il s'agisse bien d'un travail d'écriture. Le pli a en effet été pris, en français, au collège comme aux lycées, de transformer le plus souvent un travail d'écriture en un travail écrit sur un exercice de lecture."
Astolfi, J.-P. (1997). L'Erreur, un outil pour enseigner. ESF éditeur.
La classe fonctionne sur une mécanique, souvent efficace et bien huilée, qui permet d'aboutir aux bonnes réponses, mais souvent au prix d'un évitement des apprentissages. On contourne carrément les obstacles, en se débrouillant pour parvenir à la réponse.
Bachelard, G. (1934). La Formation de l'esprit scientifique.
J'ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c'est possible, ne comprennent pas qu'on ne comprenne pas. [...] Les professeurs de sciences imaginent que l'esprit commence comme une leçon, qu'on peut toujours refaire une culture nonchalante en redoublant une classe, qu'on peut faire comprendre une démonstration en la répétant point pour point. Ils n'ont pas réfléchi au fait que l'adolescent arrive dans la classe de Physique avec des connaissances empiriques déjà constituées : il s'agit alors, non pas d'acquérir une culture expérimentale, mais bien de changer de culture expérimentale, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne.
Barré-De-Miniac C. (2012). Le rapport à l'écriture. In Les concepts et les méthodes en didactique du français. Presses Universitaires de Namur.
"L'écriture scolaire leur apparaît en partie étrangère à leur univers. Comme s'ils n'étaient pas tout à fait eux-mêmes, comme s'ils écrivaient sous la plume d'un autre qu'eux-mêmes, lorsqu'ils écrivent selon les règles et les usages scolaires. Écrire sous la plume d'un autre : l'enjeu est de taille. En effet, peut-on progresser en écriture, peut-on s'approprier celle-ci à des fins non seulement de transcription mais aussi d'élaboration des savoirs tant que l'on n'est pas tout à fait soi-même lorsqu'on écrit, tant que ce sentiment d'extériorité ne permet pas de s'impliquer réellement dans les écrits scolaires ?"
Baudrit A. (2007). Apprentissage coopératif/Apprentissage collaboratif : d'un comparatisme conventionnel à un comparatisme critique. Les Sciences de l'éducation - Pour l'Ère nouvelle. Vol. 40, pages 115 à 136.
Bautier E., Goigoux R. (2004). Difficultés d'apprentissage, processus de secondarisation et pratiques enseignantes : une hypothèse relationnelle. Revue française de pédagogie n°148.
Bayard, P. (2007). Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? Les Editions de Minuit.
On pourrait nommer bibliothèque intérieure cet ensemble de livres – sous-ensemble de la bibliothèque collective que nous habitons tous – sur lequel toute personnalité se construit et qui organise ensuite son rapport aux textes et aux autres. Une bibliothèque où figurent certes quelques titres précis, mais qui est surtout constituée, comme celle de Montaigne, de fragments de livres oubliés et de livres imaginaires à travers lesquels nous appréhendons le monde. [...] À chaque moment de nos échanges, les bibliothèques intérieures, que nous avons édifiées en nous au fil des années et où sont entreposés nos livres secrets, entrent en relation avec celles des autres, au risque de provoquer des frictions ou des conflits. Car nous ne nous contentons pas d’héberger ces bibliothèques, nous sommes aussi la totalité de ces livres accumulés, qui nous ont fabriqués peu à peu et ne peuvent plus sans souffrance être séparés de nous. Et, de même que Martins ne supporte pas les critiques dirigées contre les romans écrits par ses maîtres, les paroles qui éraflent les livres de nos bibliothèques intérieures, en s’en prenant à ce qui est devenu une partie de notre identité, nous déchirent par moments jusqu’au plus profond de nous-même.
La question s'impose alors à l'esprit de savoir si l'esthète raconte ou non des histoires en commentant la fin dramatique de l'héroïne [...]. Peut-on dire ainsi que l'héroïne meurt, et, dans l'hypothèse où la réponse serait affirmative, sa mort émeut-elle au point de faire passer un frisson dans le dos ?
Il n'est pas si simple de répondre à cette question. Il est vrai que le personnage historique que l'on aurait tendance à considérer comme l'héroïne, Theophano – épouse de l'empereur Nicéphore, qu'elle aide à faire assassiner –, ne meurt pas, mais, à la dernière page du livre, est faite prisonnière et exilée. Il s'agit donc bien d'une forme de mort, ou, à tout le moins, de disparition, et un lecteur ayant effectivement lu le livre peut en toute bonne foi avoir oublié les circonstances précises de son élimination et se rappeler simplement qu'il lui arrive malheur, sans qu'on puisse pour autant l'accuser de ne pas avoir lu le livre.
Le problème se complique encore si l'on remarque qu'il n'y a pas une, mais deux héroïnes dans le roman. La seconde, la princesse Agatha, héroïne discrète et positive, en apprenant la mort au combat de son bien-aimé, Basil Digenes – compagnon de l'empereur Nicéphore –, se retire dans un couvent. Le passage est d'autant plus réussi qu'il ne donne pas lieu à des excès de lyrisme. Il y a donc bien disparition émouvante d'un personnage féminin, et se rappeler après-coup qu'il est mort ne peut guère servir de critère pour évaluer la probabilité que le soi-disant lecteur ait lu le livre.
À un tout autre niveau que celui de la question factuelle de savoir si l'héroïne meurt ou non dans Theophano, l'esthète est parfaitement fondé à vanter la qualité de ce passage, car d'une certaine manière il s'y trouve bien, au moins à titre de virtualité inaboutie. Il est peu de romans d'aventures de cette époque qui ne comportent un personnage féminin, et on voit mal comment entretenir un temps l'intérêt du lecteur sans y placer une histoire d'amour. Et comment dès lors ne pas en faire mourir l'héroïne, sauf à raconter une histoire qui finit bien, ce à quoi la littérature est traditionnellement peu propice ? Il est donc doublement difficile de savoir si l'esthète a lu ou non Theophano. Il n'est d'abord pas si inexact de dire qu'il y est question de la mort d'une héroïne, même si le terme de disparition serait plus approprié. Par ailleurs, se tromper sur ce point ne prouve en rien qu'il ne l'a pas lu, la prégnance de ce fantasme de la mort de l'héroïne étant telle qu'il est normal qu'il s'associe au livre dès après sa lecture et en fasse d'une certaine manière partie intégrante.
Ainsi les livres dont nous parlons ne sont-ils pas seulement les livres réels qu'une imaginaire lecture intégrale retrouverait dans leur matérialité objective, mais aussi des livres-fantômes qui surgissent au croisement des virtualités inabouties de chaque livre et de nos inconscients, et dont le prolongement nourrit nos rêveries et nos conversations plus sûrement encore que les objets réels dont ils sont théoriquement issus
Bayard, P. (2014). Enquête sur Hamlet : Le dialogue de sourds.
La première formulation de la question est due aux spécialistes de critique génétique, ou, plus généralement, à tous ceux qui réfléchissent sur la difficulté à trancher entre les différentes versions d'un texte. Elle peut se résumer par cette formule provoquante de Louis Hay, elle-même empruntée à Jacques Petit : « Le texte n'existe pas ».
En parlant de l'inexistence du texte, Louis Hay songe à la diversité des versions successives que la critique génétique procure au chercheur et dont l'édition réduit artificiellement la multiplicité. La formule peut d'ailleurs s'entendre avec une double portée. D'une part, le texte n'existe pas au sens où entrent souvent en concurrence plusieurs versions différentes entre lesquelles il est difficile de trancher. Mais, de surcroît, il arrive que l'on dispose simultanément des différentes étapes par lesquelles l'écrivain est passé au fil des réécritures successives avant de se décider à en fixer une.
La conception génétique du texte met ainsi fin à l'idée d'unicité à laquelle il demeure trop souvent attaché. Loin d'être un objet clos et achevé, le texte apparaît comme une série mouvante d'esquisses, qui ne se stabilise qu'au prix d'un choix plus ou moins arbitraire, lequel contraint d'éliminer toute une série d'autres textes à la fois proches et différents. Stabilisation temporaire, que la découverte de nouveaux manuscrits ou de traces écrites des souhaits de l'écrivain peut remettre en cause, parfois de façon décisive3.
Mettre l'accent, comme nous le faisons ici, sur la sélection des unités textuelles implique de privilégier une conception relativiste du texte sur une conception herméneutique.
Une conception herméneutique tend à réduire l'importance du travail de sélection puisque celui-ci est subordonné au texte, qui organise ou privilégie à l'avance certains de ses territoires. Ce travail est second par rapport aux noyaux de sens que l'œuvre recèle déjà et que l'approche critique doit savoir identifier. Un tel présupposé tend à unifier le texte et à mettre de côté toute véritable réflexion sur le référent.
Une conception relativiste, fondée sur l'importance accordée au référent, ne sera pas pour autant nécessairement étrangère à toute signification. Mais celle-ci apparaîtra comme d'autant plus démultipliée que le texte n'est pas une fois pour toutes posé comme univoque, et que l'idée même de sens s'en trouve alors profondément transformée.
Besnard, M. & Elalouf, M. (2018). (Ré)apprendre à lire des textes de jeunes scripteurs ?. Le français aujourd'hui, 203, 73-86.
"Si l'élève ne rencontre pas de lecteur, il ne peut être auteur. Or quelles sont les principales caractéristiques de cette lecture ? Elle est d'abord l'expression d'une subjectivité et n'est pas compatible avec des grilles d'évaluation couramment utilisées dans les classes. Elle est globale et non pointilliste ou pointilleuse, elle cherche à rendre compte d'une impression produite par le texte lu ; elle propose à l'auteur d'explorer une ou plusieurs voies que le texte aurait en germe et que l'enseignant, lecteur et scripteur professionnel, perçoit alors que l'auteur ne les voit pas"
Beaume, E. (1987). Lecture orale et lecture à voix haute. Communication Et Langages, 72(1), 110‑112.
La lecture à voix haute est donc très difficile car elle implique d'abord la lecture visuelle à laquelle elle ajoute deux autres opérations qui viennent la compliquer. Ce qui est essentiel, ici, c'est que la compréhension précède l'oralisation : je vois des signes écrits, je comprends ce qu'ils veulent dire, puis je dis ce que j'ai compris qu'ils veulent dire. Alors que dans la lecture orale je vois les signes écrits, je les prononce, j'écoute. La position relative de l'oralisation et de la compréhension est donc inversée selon qu'il s'agit de l'une ou l'autre lecture.
Ce sur quoi il faut le plus attirer l'attention de l'élève- lecteur, c'est l'importance des pauses. Ce sont elles qui révèlent et permettent la compréhension. C'est sur elles que doivent le plus porter remarques et conseils. Dire assez lentement ce qu'on a lu le plus vite possible : dès que l'élève a compris cette nécessité, ses progrès deviennent rapides.
L'attention peut aussi être attirée avec profit sur des conditions favorables plus générales, par exemple la posture. Tous les orateurs de tribune savent d'expérience que pour faire un discours, on est mieux debout devant un pupitre sur lequel se trouve le texte de ce discours qu'assis devant une table ou un bureau. D'une part, en position assise, le fait de baisser la tête pour voir le texte sur la table comprime fâcheusement les muscles de l'appareil phonateur. D'autre part, la position debout donne un sentiment de disponibilité plus grande de l'ensemble de l'appareil musculaire.
Bédouret-Larraburu, S. et Bédouret, D. (2018). « Le poème : habiter la métropole parisienne », Pratiques, 179-180. DOI : 10.4000/pratiques.5461
la poésie nous plonge dans l’imaginaire du poète, dans son expérience des lieux, dans son être au monde. Cet imaginaire n’est pas synonyme d’irréel mais il est l’ancrage phénoménologique qui lie chaque homme au monde matériel. Le langage devient le moyen de comprendre l’invisible : les ambiances qu’elles soient sonores, olfactives, tactiles ou encore les perceptions du temps et de l’espace. En cela la poésie témoigne de la présence au monde du poète, de sa géographicité c’est-à-dire de son être au monde. De fait la poésie fait surgir l’habiter soit le processus de construction des individus et des sociétés par l’espace et de l’espace par l’individu, en d’autres termes elle témoigne de l’expérience physique et mentale d’un lieu, voire un rapport ontologique qu’entretient chaque individu à son espace.
Le langage poétique peut témoigner d’une autre posture géographique dans laquelle le poète se place non plus hors du paysage mais dans le paysage qui devient une expérience sensorielle. Les ambiances sont retranscrites surtout par la vue mais aussi par l’ouïe. J. Roubaud capte les bruits de l’eau, des moteurs ; J. Réda est plus sensible aux « chuchotements du vent » rue Sorbier alors que R. Marteau semble subjugué par les sifflements d’oiseaux au jardin des plantes. Les poèmes témoignent du rapport sensible qu’il y a entre l’habitant et son lieu de vie. Le fait de se positionner dans le paysage déclenche une multitude d’émotions et le paysage devient un état d’âme. J. Réda (2004, p. 100), place Fontenoy, est littéralement connecté à la nature ; ce qui provoque un débordement émotionnel.
Paris est une expérience polytopique et sensible car les individus sont géographiquement pluriels (Stock, 2004). En d’autres termes, Habiter Paris ne se résume pas à se loger, circuler, travailler dans une ville mondiale mais c’est faire l’expérience de la vie dans différents lieux. Ce polytopisme indique aussi des significations multiples d’un même lieu car l’investissement et les pratiques sont différents selon les individus et les groupes sociaux. La poésie permet alors cette prise de conscience de son inscription dans le temps et dans l’espace et elle met en exergue les manières d’habiter les lieux géographiques.
Bishop, M. (2019). Quelle didactique de la littérature dans les manuels de l'enseignement primaire en France, de 1880 à nos jours ? In Denizot, N., Dufays, J., & Louichon, B. (Eds.), Approches didactiques de la littérature. Presses universitaires de Namur.
Le moment de la lecture instructive et éducative, le moment de la lecture expressive, le moment de la lecture fonctionnelle, le moment de la lecture littéraire
Boivin M.-C., Pinsonneault R. (2012). L'orthographe des homophones : une approche syntaxique. In : La Lettre de l'AIRDF, n°52. pp. 36-40.
"La capacité à identifier le groupe syntaxique et la catégorie grammaticale non seulement permettra de résoudre les problèmes d'homophonie, mais aura des répercussions sur la maîtrise de l'ensemble du système. Notre vision évite d'isoler de l'ensemble du système une difficulté particulière, et rejoint ainsi l'approche générale privilégiée en grammaire moderne."
Bourhis, V. (2012). Situation de lecture en toute petite section : le rôle du paraverbal. Le français aujourd'hui, 179, 85-97.
Ainsi, chaque jour, l’écoute d’histoires offertes, la lecture-cadeau, permet à l’enfant d’entrer dans le récit. Lors de ces moments, l’enseignant ne posera pas de questions mais répondra toutefois à celles des élèves. [...] La lecture du texte par l’adulte est un moment crucial et les programmes officiels notent le lien fondamental entre lecture à haute voix et réception des textes. Ce n’est pas une simple oralisation du texte écrit mais un geste didactique marquant l’intention d’orienter la compréhension du jeune enfant : l’enseignant théâtralise afin de rendre plus limpides les prises de parole des différents personnages et de permettre la distinction entre discours et récit ; il marque brièvement des pauses pour montrer une illustration, en alternant lecture avec l’album face à lui et présentation des images. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’il répond à une question d’élève parce que la compréhension immédiate dépend de son élucidation, auquel cas il résumera le début avant de reprendre la lecture (Brigaudiot op. cit).
L’intonation regroupe 4 paramètres : la mélodie de la voix, ou fréquence fondamentale (Fo), qui relève de la hauteur (haut, bas, modulations) ; l’intensité, le volume perçu (fort, faible) ; le rythme, le débit, la cadence (rapide, lent) ; les pauses : silences, inspirations, expirations, rires. À cela s’ajoute le timbre, la qualité vocale (timbre naturel indépendant de notre volonté, mais aussi timbre créé : chuchotant, grinçant...). Pour ce qui relève de l’accentuation, on considère le français standard contemporain comme atone, sans accent tonique, car seule la dernière syllabe des mots est accentuée. On distingue cependant l’accent démarcatif, en fin de mot ou de syntagme qui permet de délimiter des énoncés, l’accent d’insistance, qui met en relief des unités, et l’accent contrastif qui souligne le choix d’une unité particulière par rapport à d’autres. Ces types d’accentuation rejoignent l’intonation.
Les fonctions de la prosodie sont multiples. Elle permet d’organiser la démarcation, de mettre en perspective l’information (Rossi 1981 ; Martin 1981) : fonction structurale. D’identifier des items particuliers auxquels on peut attribuer une signification sémantique qui dépend de l’identification des composantes pragmatiques de l’interaction (Morel et Danon-Boileau 1992) : fonction de contextualisation. De rendre compte de la manière dont les interlocuteurs interagissent l’un sur l’autre (Morel et Danon-Boileau 1998) : fonction énonciative. De traduire des phénomènes divers relevant de la situation d’énonciation, de l’émotivité, de l’expressivité et de la personnalité du sujet (Fonagy 1983 ; Léon 1993 ; Aubergé 2003) : fonction expressive ou émotive.
Dans la lecture du texte, en production comme en réception, il y a corrélation entre le signifiant prosodique et le signifié émotionnel : l’adoption de certaines stratégies est susceptible d’induire des émotions spécifiques. Tout ce qui relève de la mise en voix a pour effet non de comprendre la structure du récit ou de se centrer sur des mises en relief qui seront la cible d’un questionnement ultérieur, mais au contraire de permettre à l’enfant de reconnaitre une émotion familière dans le texte de fiction lu. Cette idée de résonance émotionnelle (Velleman 2002 cité par Pelletier 2006) permet de construire la signification, la prosodie suggérant un au-delà des mots qui aide l’enfant à comprendre. La voix communique un supplément d’intelligibilité et de signification des évènements narrés.
Bousquet S., Cogis D., Ducard D., Massonnet J., Jaffre J.-P. (1999). Acquisition de l'orthographe et modes cognitifs. Revue française de pédagogie, volume 126, pp. 23-37.
"Rendre compte d'une graphie, c'est donc essayer, par le dialogue, de reconstruire le parcours cognitif qui y a conduit. Pour y parvenir, il faut remettre en mouvement un processus dont on peut supposer qu'il a quelque rapport avec le mouvement initial qui a produit la graphie examinée. Une graphie est en effet le résultat d'un trajet métalinguistique." - "C'est la réflexion — l'entretien en est un puissant moteur —, la confrontation des idées sur la langue, non le rabâchage des règles, qui conduisent à certaines généralisations, lesquelles débouchent sur de nouvelles recompositions."
Brillant Rannou, N. (2016). Le recueil à quatre mains et la lecture dialoguée dans les marges : conception et expérimentation de deux dispositifs de lecture subjective de poésie. In Brillant-Rannou, N., Boutevin, C., & Brunel, M. (Eds.), Être et devenir lecteur(s) de poèmes : De la poésie patrimoniale au numérique. Presses universitaires de Namur. Tiré de http://books.openedition.org/pun/4913
La trentaine de lycéens enquêtés considère que le contraste le plus évident entre la lecture d’œuvres poétiques et celle de romans, touche à l’expérience du temps. Du point de vue des élèves, le temps de lecture de la poésie est plus dense, moins long, mais surtout c’est un temps fractionné, marqué par la rupture en raison de l’organisation du recueil et de l’autonomie de chaque poème. Cette fragmentation vécue comme un obstacle est mal ressentie par les lycéens parce qu’elle leur semble subie. La conséquence est que la lecture devient plus difficile, et plus longue. Cette fragmentation résulte d’abord de la pluralité et de la variété des poèmes dans un recueil. Passer d’une page à l’autre, d’un poème à l’autre, c’est éprouver une forme de discontinuité. Chaque poème réclame la reconfiguration d’un univers entier. Mais on peut se demander si cette temporalité particulière, qui pourrait devenir le terreau du rythme, n’est pas également à l’œuvre, et de façon plus fondamentale, dans le poème lui-même. De fait, la versification isole également des éléments : les strophes, les vers, les unités rythmiques sur la page, dans le vers. Cet effet de fragmentation est vécu en poésie jusqu’au niveau de la syllabe par exemple dans la diérèse : lire un poème, c’est une expérience de remise en cause de la linéarité usuelle du signifiant, de mise en relief d’unités que le langage non poétique unifie en permanence dans un continuum opaque et indistinct. Or la prise de conscience du rythme en reste chez ces jeunes lecteurs à une épreuve de morcellement.
Même si Elodie et Albane estiment que la lecture de poésie est plus rapide, plus immédiate, plus libre, la majorité des réponses assortit la lecture de poèmes d’une sorte de protocole exigeant : les habitudes de lecture intégrées font qu’« il y a une certaine étude que l’on fait un peu automatiquement d’un poème ». Pour ces lycéens, la poésie appelle une démarche analytique et un regard métapoétique quasi systématique. La réflexion intégrée dans le temps de la lecture – et non pas après-coup comme pour le roman – est difficile, voire fastidieuse : le poème invite à la lecture approfondie, celle que l’on « creuse », soucieuse de décoder « les images », l’implicite, l’ironie, le contexte, et jusqu’aux « intentions d’écriture de l’auteur ». La poésie incite à une posture scolaire de décryptage, de prise en compte de la complexité, et donc impose des devoirs au lecteur. Ceux du lecteur de roman semblent mieux acceptés, car l’effort de métalecture peut être différé, modéré, et porteur d’un espoir de compréhension aboutie. Ainsi, la majorité des lycéens interrogés déclarent emprunter la lecture de type identificatoire, le « playing » (Picard, 1986) pour aborder le roman, tandis que le « game », la lecture distanciée, est plus spontanément adopté pour la poésie.
L’incapacité du lecteur de poésie à s’autoriser une réception « flottante », « vagabonde », selon la terminologie d’Annie Rouxel, laisse perplexe. Diverses enquêtes menées en classes de maternelle et même de primaire (Rannou, 2015) montrent que les élèves sont particulièrement réceptifs à la lecture offerte de poèmes livrés sans explication. Pourquoi ce mode de réception sensoriel et immédiat n’est-il pas devenu le modèle réceptif ordinaire des lycéens ? Les façons d’aborder la poésie en classe à partir du collège, la quasi absence de lectures cursives de poésie et la faible fréquentation de ce genre dans le cadre privé expliquent sans doute le fait que l’appréhension des poèmes au gré de la scolarisation devienne spontanément analytique et métatextuelle.
À la manière d’André du Bouchet lisant Victor Hugo, vous réaliserez un recueil à partir de vos lectures des œuvres d’Arthur Rimbaud, qui pourrait s’intituler « Mon Rimbaud », (mais vous pouvez inventer un autre titre). Il s’agit de reporter des passages de l’œuvre de Rimbaud qui vous marquent ou agissent sur vous de façon particulière. Le but n’est pas de faire une collection des citations célèbres de Rimbaud mais d’utiliser son écriture comme la matière de recomposition d’une œuvre inédite. Vous pouvez prendre des extraits de longueurs variées et mélanger les sources (Poésies de jeunesse, du Cahier de Douai, Une Saison en Enfer, les brouillons, Les Illuminations, la correspondance). Vous n’avez pas le droit d’inventer des phrases mais vous êtes libre du découpage que vous opérez dans les textes sources. Numérotez vos fragments (entre 12 et 30 au total par exemple) et indiquez en postface d’où est tiré chaque extrait. Rédigez ensuite une page de préface à votre ouvrage. Elle doit expliciter le nouveau regard que vous proposez de porter sur le poète à partir de vos prélèvements. Ce regard peut être très différent de celui que vous aura laissé l’étude d’Une Saison en enfer. Je vous invite à réaliser ce travail de lecture cursive/invention sur des feuilles d’un format assez petit qui se rapprocherait de la taille d’un livre.
Tout d’abord, les élèves sont invités à manifester les effets d’un poème en intervenant par écrit dans les larges marges ménagées sur la page. Le dispositif a été expérimenté en 2011 à partir d’un poème de Joyce Mansour intitulé « La Porte de la nuit est fermée à clef » assorti de la consigne : Faites une lecture silencieuse du texte en inscrivant dans les marges, avec vos propres mots, tout ce qui se passe dans votre tête en le lisant : ce que vous voyez, ce que vous entendez, ce que vous percevez, ce que ça vous fait, ce à quoi cela vous fait penser, ce qui vous intrigue.
La seconde étape incite chaque élève à porter un regard distancié sur son vécu de lecteur en prenant connaissance des traces de lecture de quelqu’un d’autre. Chacun découvre, à l’écrit, les remarques portées par un pair sur le poème et donne son avis sur les associations et les diverses observations proposées. Il s’agit principalement pour l’enseignant de réactiver la lecture subjective par l’entremise d’un regard autre. L’intérêt pour le chercheur est de voir s’animer un espace dialogique, marque de la singularité des lectures et de la richesse signifiante du texte.
Enfin, dans un troisième temps, les élèves répondent à la consigne suivante qui ne doit pas leur avoir été soumise au préalable : Retournez maintenant la feuille où figure le texte et réécrivez-le individuellement, tel qu’il se présente dans votre mémoire, sans vous aider de l’original. Ce n’est pas une récitation, il s’agit surtout de repérer l’empreinte du texte en vous. Si vous avez l’impression d’avoir tout oublié, recherchez des mots ou les sensations qui vous restent.
Brunel, M. & Guérin-Callebout, C. (2016). « ÉCRIRE DANS » : ÉCRITURE LITTÉRAIRE SUR ÉCRAN. PRÉSENTATION D’UNE EXPÉRIMENTATION EN CLASSE DE 3E ANNÉE DU SECONDAIRE. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 3. https://doi.org/10.7202/1047128ar
Notre expérimentation s’appuie également sur les travaux issus de l’analyse des ateliers d’écriture, dont nous retenons trois éléments  : tout d’abord, les lanceurs d’écriture, que constituent les contraintes ou le texte d’amorce d’écriture, facilitent l’entrée dans l’écriture en limitant les surcharges cognitives et en objectivant les révisions (Oriol-Boyer, 1990). Ensuite, la participation de tous à la réflexion sur les textes produits développe les activités réflexives et métacognitives, constitutives d’apprentissages intégrés (Neumayeur et Neumayeur, 2003/2011). Enfin, le scripteur s’y investit comme sujet, développe une posture d’auteur (Tauveron et Sève, 2005 ; Houdart-Mérot et Mongenot, 2013) et la conscientisation de ses choix scripturaux.
pour suivre les propos de Houdart-Mérot (2006), on peut parler d’une didactique de l’intertextualité, qui envisage des dispositifs d’écriture au plus près du texte littéraire source et permet de «  dialoguer avec ses lectures  » (p. 29). De même, Garcia-Debanc (2007) envisage une écriture de transformation «  dans les interstices  » du texte (p. 64) et réclame le droit au pillage et à l’imitation. Delamotte, Gippet, Jorro et Penloup (2000) montrent également que l’écriture à partir du texte d’auteur peut constituer une ressource didactique pertinente, l’entrée dans écriture pouvant même s’amorcer dans la seule copie du texte, premier signe d’une appropriation. Plus précisément encore, nous nous rapprochons, dans cette démarche, de l’approche intertextuelle que Le Goff (2011) nomme «  écrire dans  », approche liant les textes littéraires d’écrivains à des hypertextes d’élèves procédant par «  le mode de la greffe  » (p. 67). En effet, ce type de dispositif, testé par le chercheur en classe de lycée, promeut «  une écriture située dans un espace fictionnel déterminé et original afin que l’écriture se nourrisse des savoirs acquis au cours des lectures de l’œuvre intégrale notamment  » (Le Goff, 2003, p. 29). Le travail d’écriture est ainsi saisi comme un «  carrefour  » entre l’interprétation et l’appropriation de l’œuvre et de l’espace de créativité personnelle ; il ne constitue pas une activité décrochée, mais le prolongement créatif d’une lecture, en même temps qu’il vise «  la maîtrise linguistique d’une forme littéraire en lien avec ses effets de sens (Le Goff, 2003, p. 35)  ».
La conversion numérique dans laquelle la société est entrée opère une mutation du texte écrit invitant à repenser «  les modalités de production du savoir, sa transmission et son partage  » (Doueihi, 2015, p. 708). Libéré du cadre limité de la page, le texte n’est plus figé dans une unité spatiale. Il devient au contraire le théâtre de transformations multiples permises par les outils informatiques. Le texte numérique, que Saemmer et Tréhondart (2014) définissent comme un «  fichier reproduisant des similitudes avec le texte papier tout en s’ouvrant vers de nouvelles particularités  » (p. 107), se mue en un lieu à explorer et engage ainsi de nouveaux modes d’appropriation littéraciés (Saemmer, 2010 ; Vanderdorpe, 2012a et b). Il est ouvert à l’interactivité, au point qu’il permet au lecteur «  de s’immiscer dans la chaîne du texte  » (Vanderdorpe, 2012a, p. 69) et d’y déplacer ou d’y insérer des contenus. Ainsi se dessinent de nouvelles postures de lecteurs, fureteurs ou chasseurs (Vanderdorpe, 2012b), mais également de nouvelles postures de producteurs, notamment celle du «  pilleur  » (Quet, 2015), qui collecte, recopie et réagence des textes lus dans ses propres productions.
L’écriture numérique engage également de nouvelles manières d’écrire. Elle valorise «  une conception de l’écriture comme work in progress, que l’on peut travailler comme un artisan, collectivement ou individuellement, étoiler, démembrer, recomposer ou mettre en scène  » (Becchetti-Bizot, 2012, p. 44). Balpe et Christin (2010) considèrent également que «  si l’informatique bouleverse la pratique quotidienne et commune de l’écriture, son action est plus profonde encore en ce qui concerne l’écriture littéraire  », le texte pouvant s’ouvrir sur des «  réseaux d’écriture  », c’est-à-dire l’écriture de plusieurs écrivains sur le même texte, qui n’appartient alors plus à un seul, mais à l’ensemble des auteurs.
Le protocole de conduite des séances d’écriture comporte trois phases  : 1. Lancement d’un travail d’écriture dans un texte d’écrivain après une séance de lecture  : une consigne précise d’intervention est donnée, portant sur des opérations d’ajouts, de suppressions et de substitutions de type  : « Vous allez intervenir dans le texte, vous allez écrire avec l’auteur, pour faire de son texte un texte qui sera le vôtre. Ajoutez, coupez, remplacez... ». 2. Phase de retour sur le premier jet, organisée sous la forme d’un échange de groupe au cours duquel les travaux produits sont comparés, et où le débat «  interprétatif/créatif  » s’instaure, comme dans l’atelier d’écriture  : les élèves sont invités à rapprocher le texte produit avec le texte premier, à comparer leurs modifications, à les mettre en relation à leurs propres justifications, à associer ces justifications avec les enjeux du texte mis en évidence pendant la lecture et à proposer des pistes de réécriture. Est ainsi favorisé le développement de formes d’intersubjectivité dont les intérêts ont été montrés par Neumayeur (2003/2011) et Fabre-Cols (2004). La discussion vise à faire émerger l’intention (qu’as-tu voulu écrire  ? Pourquoi  ?) et les moyens (comment as-tu procédé  ?), et à les justifier au regard des orientations de la lecture du texte (t’es-tu engagé dans un dialogue avec l’auteur  ? Perçoit-on un texte collaboratif  ?). 3. Phase de réécriture (individuelle, par groupe sur un nombre de textes réduits, voire à même le texte «  de la classe  ») qui engage une nouvelle réflexion et de nouveaux choix personnels pour l’élève, tant sur le plan du sens que de la forme.
Brunel, M., & Émery-Bruneau, J. (2016). Réciter, dire, écouter, la performance poétique au secondaire en France et au Québec : écarts et convergences, propositions didactiques. In Brillant-Rannou, N., Boutevin, C., & Brunel, M. (Eds.), Être et devenir lecteur(s) de poèmes : De la poésie patrimoniale au numérique. Presses universitaires de Namur. Tiré de http://books.openedition.org/pun/4963
La récitation est fort valorisée, tandis que sont plus discrètement envisagées l’écoute, la mise en voix, la gestuelle ou la mise en espace, qui engagent la dimension corporelle et qui sont évoquées sans que ne soient abordés ni leur dimension créative ou esthétique, ni leur lien à des pratiques sociales de référence. Cependant, penser une mise en voix et en espace d’un texte poétique semble impliquer de s’engager dans une performance, au sens où la définit Zumthor. Ainsi, la performance poétique n’est envisagée qu’en réception au Québec, et seulement dans une perspective de production en France. Pour autant, le terme n’est jamais cité, ni dans les programmes français ni dans les programmes québécois, comme si les prescriptions en restaient au niveau de l’allusion, ne proposant ainsi ni une vision renouvelée des arts de la parole et du spectacle ni une inscription des activités scolaires orales dans une culture vivante contemporaine.
Quant aux objectifs didactiques (compétences à développer ou savoirs à faire acquérir), trois aspects dominent, au Québec comme en France, aspects qui sont, par ordre de prégnance : développer des compétences en compréhension ou interprétation en lecture, acquérir des connaissances sur la poésie (règles de versification, figures de style), créer des poèmes écrits. En ce qui concerne l’oral, en revanche, un écart est manifeste : au Québec, les élèves sont en position d’écoute, mais rarement en position de production orale d’un poème (sous forme de récitation ou de performance, par exemple) alors qu’en France, l’oralisation de la poésie apparait dans les classes à travers la récitation, activité issue de la tradition scolaire française (Chervel, 2006) qui semble ainsi le plus souvent conçue comme une pratique étanche, organisée de manière ritualisée, et conçue pour l’évaluation. Les élèves se succèdent les uns après les autres pour réciter le même texte, et l’enseignant apporte une rétroaction orale sur leur prestation. Cette manière d’enseigner la poésie ne peut alors conduire à la formation d’un élève sujet, engagé dans sa parole, et perd sa valeur d’oralité au profit d’un exercice figé et sédimenté.
Ainsi, la spécificité rythmique de la langue poétique orale, reconnue par les linguistes et critiques littéraires, peut être enseignée : la notion de rythme, déjà abordée dans le texte poétique écrit, peut constituer le « déjà-là » sur lequel peut s’appuyer l’enseignant pour faire analyser et saisir la spécificité du rythme de la langue orale telle que la définit Claude Hagège : Refrains, syllabes de déclenchement, mots d’appel, noms-agrafes, expressions inductrices, profusion de quasi-synonymes, assonances, rimes, allitérations et autres échos phoniques et sémantiques, parallélismes lexicaux et grammaticaux, couples de sens, rythmisation par le geste et par les mouvements de la bouche (1987 : 111).
Les notions pointées par l’enseignante québécoise de 5e secondaire (rythme, rimes, assonances et allitérations) constituent bien en effet certaines des notions à faire identifier dans le texte à performer, et à faire mettre en évidence dans la performance.
Une deuxième notion à aborder concernerait la sollicitation de la voix considérée comme ressource charnelle et physique, ainsi que le souligne R. Barthes : Eu égard aux sons de la langue, l’écriture à haute voix n’est pas phonologique, mais phonétique ; son objectif n’est pas la clarté des messages, le théâtre des émotions ; ce qu’elle cherche (dans une perspective de jouissance), ce sont les incidents pulsionnels, c’est le langage tapissé de peau, un texte où l’on puisse entendre le grain du gosier, la patine des consonnes, la volupté des voyelles, toute une stéréophonie de la chair profonde : l’articulation du corps, de la langue, non celle du sens, du langage (1984 : 88).
L’exploration des ressources vocales, l’inscription du sujet dans l’espace sonore constitue un objet d’étude dans l’écoute et une compétence à travailler dans le cadre d’une prestation des élèves.
Enfin, la performance s’appuie sur des ressources non spécifiquement verbales, d’engagement physique, qui rendent essentiel le rôle de l’exécutant, comme le présente Zumthor : « Dans toute pratique de la poésie orale, le rôle de l’exécutant compte plus que celui du ou des compositeurs. L’action du compositeur, préliminaire à la performance, porte sur une œuvre encore virtuelle » (1983 : 210). La performance devient littéralement une prise en main du texte par un sujet qui, par sa présence, son mode d’intervention, « porte, englobe, déborde » (Meschonnic, 1989 : 62) le sens des mots. La notion d’implication physique du sujet, par sa posture, sa présence, constitue également une caractéristique de la performance, ce que l’expression « avoir quelque chose à dire », que retient l’enseignante québécoise dans le discours d’un élève, tente peut-être d’approcher.
Bucheton, D. (2002). "Devenir l'auteur de sa parole". Ministère de l'éducation nationale - Direction de l'enseignement scolaire - Eduscol.
J’aimerais poser le postulat central qui anime nos recherches : le langage est un instrument psychique supérieur, une fabuleuse machine à penser. C’est un outil pour soi, une prodigieuse machine pour donner forme au réel, à ses perceptions. C’est aussi un outil collectif pour penser et parler ensemble, faire circuler des idées, des émotions. Mais c'est aussi un outil poly-fonctionnel. Iil peut permettre d’aider à percevoir, inventer, prier, chanter, travailler. C’est également un outil flexible : il peut fonctionner à tout petit comme à grand régime.
C’est en outre un outil qui a la faculté de s’associer à d’autres outils, le corps, la voix, le regard, l'expression, de trouver toutes sortes d’extensions. C’est véritablement un outil « intelligent ». Plus le langage fonctionne, plus il a la possibilité de fonctionner dans des situations différentes, plus il se développe. Si un enfant ne parle pas, son langage ne se développe pas.
Des travaux sur l’écriture, sur la lecture montrent que quand on donne une tâche d’écriture, ou de lecture, tous les enfants ne font pas la même chose sur le plan cognitif. Ainsi, on donne à lire une nouvelle un peu sombre sur le plan social, qui parle d’une exclusion, et on demande à des adolescents de troisième, de classes sociales très différentes de commenter ce texte, sans donner de consignes précises sur ce qu’est l’activité de commentaire pour voir justement comment ils vont interpréter la tâche. Les uns répètent le texte, le paraphrasent. Dautres disent : « c’est une sombre histoire de prostituée qui tue un homme parce qu’elle croit qu’il a tué son propre fils », ils portent des jugements très moralisateurs. D’autres disent : « ça me fait penser à une histoire, à un SDF ». D’autres philosophent sur l’exclusion, sur la misère. D’autres disent : « et moi si j’avais été dans cette situation, qu’est-ce que j’aurais fait ? » Dans les classes favorisées les enfants n’adoptent pas une posture mais plusieurs. Dans les classes plus défavorisées, les enfants ont tendance à se limiter à deux postures.
Bucheton, D., & Soulé, Y. (2009b). Les gestes professionnels et le jeu des postures de l’enseignant dans la classe : un multi-agenda de préoccupations enchâssées. Éducation & didactique, 3‑3, 29‑48. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.543
Cinq préoccupations centrales constituent selon nous la matrice de l’activité de l’enseignant dans la classe, ses organisateurs pragmatiques dominants (Pastré, Mayen § Vergnaud 2006) : 1) piloter et organiser l’avancée de la leçon, 2) maintenir un espace de travail et de collaboration langagière et cognitive, 3) tisser le sens de ce qui se passe, 4) étayer le travail en cours, 5) tout cela avec pour cible un apprentissage, de quelque nature qu’il soit. Ces cinq préoccupations qui se retrouvent de la maternelle à l’université, sont cinq invariants de l’activité et constituent le substrat des gestes professionnels. Par geste professionnel, nous désignons de manière métaphorique l’action de l’enseignant, l’actualisation de ses préoccupations. Le choix du terme geste traduit l’idée que l’action du maître est toujours adressée et inscrite dans des codes. Un geste est une action de communication inscrite dans une culture partagée, même a minima. Il prend son sens dans et par le contexte scolaire.
Bucheton D. (2014). Refonder l'enseignement de l'écriture. Retz.
Corpus : Valérie, "Yoko" ; Patrick, "les allumettes"
"Le dialogue avec les autres est au coeur de la dynamique, des ratés ou des arrêts de l'écriture. Ce dialogue, lorsqu'il est scolaire, dans cet espace où l'apprentissage des normes et des règles est un enjeu éducatif aussi important que délicat. L'accompagnement, le regard bienveillant qu'il nécessite, requiert de la part de l'enseignant des gestes professionnels très contrôlés et adaptés. Comment faire construire aux élèves un rapport à la norme qui ne paralyse pas la pensée mais au contraire la facilite ?"
"On a longtemps fonctionné selon l'idée simpliste que, pour savoir écrire, il suffisait d'enseigner la langue, c'est-à-dire l'ensemble des normes orthographiques, phrastiques, textuelles, pour qu'élèves ou adultes, comprennent, apprennent, écrivent et pensent correctement. "On enseigne des règles, on donne un devoir, on corrige les fautes." Comme cela ne marche pas très bien, en particulier pour les élèves les plus en difficulté, on les fait recommencer à l'identique. [...] Pour ces mêmes élèves, pour qui la langue écrite n'a que peu d'attrait, le fossé du refus s'agrandit."
"Le temps, instrument pédagogique essentiel, joue un rôle majeur dans le développement tout à la fois du texte, des compétences d'écriture et du sujet. [...] L'activité d'écriture, intense, a besoin d'arrêts, de reprises, de retours-modifications. Sa dynamique n'est ni linéaire ni facilement gouvernable. C'est aussi le temps de l'exploration, de l'ajustement, des problèmes de langue, de la digestion-appropriation de leçons..."
Buim Arena, D., Pastorello Buim Arena, A. & Meyer, J.-P. (2016). GESTES POUR ÉCRIRE ET LIRE À L’HEURE DES APPAREILS NUMÉRIQUES. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 3. https://doi.org/10.7202/1047129ar
Il est essentiel d’inciter les enseignants à une réflexion plus pointue sur leurs pratiques et leurs ruptures, avant qu’ils ne soient dépassés par des mutations qu’ils n’ont su anticiper. Il s’agit de ne pas mépriser les gestes émergents qui peuvent être pratiqués dans le processus d’alphabétisation, par exemple, lors de l’utilisation de tablettes et smartphones, notamment en utilisant le clavier virtuel à l’intérieur d’un processus profondément discursif. Toucher avec les doigts pour inscrire des lettres et des mots, et apprendre à lire sur les écrans de type interactif, sont des gestes qui prennent déjà une grande partie du temps des enfants dans leurs milieux hors de l’école. L’école ne saurait mépriser ces gestes ou y être insensible, car ce serait alors faire fi de l’histoire de l’écriture et des gestes qui l’accompagnent. D’autre part, la conduite consistant à considérer seulement les mouvements traditionnels des doigts autour du crayon comme intrinsèques à l’apprentissage de la langue écrite révèle l’attachement à un point de vue limité, soit une attitude intenable en notre ère de diversité. Le scénario le plus plausible pour l’avenir est celui de la coexistence de gestes de lecture et d’écriture divers et multiples dans les salles de classe, en vue de la meilleure formation des élèves.
Chabanne, J., & Bucheton, D. (2000). Les écrits « intermédiaires » . La Lettre de la DFLM, 26(1), 23‑27. https://doi.org/10.3406/airdf.2000.1424
Apprendre à écrire vs écrire pour apprendre
Chabanne, J. (2008). Les « écrits intermédiaires » pour penser, apprendre et se construire. Érudit. https://www.erudit.org/fr/revues/qf/2008-n149-qf1100688/1737ac/
Chaliès, S. & Bertone, S. (2015). Les interactions entre les enseignants novices stagiaires et leurs tuteurs : former des enseignants à partir des règles de métier. Dans : Valérie Lussi Borer éd., Analyse du travail et formation dans les métiers de l'éducation (pp. 137-158). Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur. https://doi-org.faraway.parisnanterre.fr/10.3917/dbu.lussi.2015.01.0137
Le manque d'objectivité des tuteurs (T) (Stanulis & Russel, 2000), leur difficulté à extraire la formation de l'urgence des difficultés rencontrées afin de l'inscrire dans la durée (Orland-Barak, 2005) ou encore leur appropriation de la réflexion aux dépens des EN (Crasborn, Hennissen, Brouwer, Korthagen, & Bergen, 2008) par l'adoption plus ou moins volontaire d'une posture prescriptive, invitent à relativiser la participation possible du tutorat traditionnel à la formation des EN. Tel que le note par exemple Bullough (2005) en étudiant l'efficacité du programme de formation des EN proposé à l'Université de Brigham Young (USA), les T interagissent au sein du tutorat traditionnel de façon beaucoup trop modélisante et prescriptive en transmettant aux EN des exemples de pratique professionnelle inexploitables ensuite en situation de classe.
Charlot B. (2000). Le Rapport au savoir en milieu populaire : "apprendre à l'école" et "apprendre la vie ". VEI Enjeux, n° 123.
"Dès le CP, les élèves en difficulté nous disent qu'ils écoutent la maîtresse, alors que les élèves en réussite nous disent qu'ils écoutent la leçon"
Chartier, A. (2015). La logique des compétences dans l'histoire de la lecture scolaire. Le français aujourd'hui, 191, 97-112.
Cela semble chose faite avec les instructions de 1923 : les savoirs spécialisés présents dans les manuels d'histoire, de géographie, de sciences sont désormais séparés du Livre unique de français. Celui-ci instaure une progression en trois niveaux : objectif du déchiffrage au CP, consolidé dans la lecture courante visée au CE, puis travail de la compréhension à travers des lectures expressives au CM et au CS. Au certificat de fin d'études, chaque élève devra lire à voix haute une page inconnue sans trébucher en montrant par son intonation qu'il comprend. Les contenus sélectionnés en fonction de ces objectifs hiérarchisés font entrer les extraits littéraires en force : pour prouver qu'il comprend qu'un récit est émouvant, une description, poétique, un dialogue, amusant, l'écolier doit « mettre le ton », alors qu'en histoire et géographie, il lui suffit de lire couramment pour apprendre.  
Chervel, A. (2015). Histoire de l’enseignement du français du XVIIe au XXe siècle. Retz.
Lire à l'école, c'est toujours lire à haute voix. La lecture silencieuse n'entre pas dans les préoccupations de l'école primaire avant Jean Zay. Jusque-là, l'instituteur enseigne à ses élèves une compétence linguistique qui est à la fois verbale et intellectuelle. Il faut parvenir à la fois à oraliser le texte imprimé et à le comprendre. Si l'élève n'oralise pas le texte, impossible de savoir s'il le comprend : pédagogiquement, l'oralisation est primordiale. Les petites écoles de l'Ancien Régime et les écoles rurales du XIXe siècle enseignent à verbaliser les textes ; mais enseignent-elles à les comprendre ? Nombre de témoignages permettent d'en douter.
La consigne de faire lire le morceau par le maître avant les élèves ne se répand que dans les années 1860. [...] Mais les maîtres lisent trop vite. L'enseignement de la lecture dans les écoles normales semble avoir eu ce résultat, même s'il n'a pas été délibérément recherché. Les élèves maîtres dévorent la moitié des syllabes et ne savent pas respirer, constatent les inspecteurs généraux en visite à l'école normale d'Aix. Devenus maîtres à leur tour, ils ont tendance à faire de la vitesse de lecture un critère de qualité. "La plupart [des instituteurs] ont le tort de s'imaginer que c'est un exercice mécanique et qu'ils ont atteint le but quand ils ont appris à leurs élèves à assembler des lettres, puis des mots, des phrases et finalement lire couramment. Couramment est bien dit, il semble en effet dans certaines écoles que le prix de lecture soit le prix de la course. On lit pour lire, comme s'il ne s'agissait que d'assouplir la langue et le gosier des enfants et, quand chaque élève a lu une douzaine de lignes, on ferme le livre et on respire comme après un exercice gymnastique."
Chiss, J. & David, J. (2018). Didactique du français: Enjeux disciplinaires et étude de la langue. Paris: Armand Colin
"Nos travaux montrent que les productions graphiques des élèves – même très jeunes – révèlent des raisonnements souvent logiques et parfois efficients qui ne peuvent se réduire à l'enregistrement passif des formes de l'écrit." "Dans les écrits des élèves, qu'ils soient spontanés ou contraints, des erreurs apparaissent inéluctablement. Certaines sont parfois analysées de façon externe, dans un rapport simpliste aux formes attendues et non dans une relation aux procédures formulées par les élèves. Certaines erreurs ou solutions graphiques sont également perçues comme des régressions par rapport à des savoirs antérieurs, apparemment installés. Pourtant, l'orthographe produite – nous pourrions dire «inventée» ou «approchée» – suit des logiques souvent déconcertantes. En fait, ces apparentes régressions ou ces réponses contradictoires apparaissent quand les élèves acquièrent de nouveaux principes. Ils trouvent ainsi des solutions intelligentes et réorganisent leurs connaissances sur la base de nouvelles règles ou connaissances. Si l'on n'y prend garde – et surtout si l'on ne s'attache qu'à la surface de leurs productions –, on passe à côté des raisonnements sous-jacents à ces erreurs." "le guidage pédagogique doit en même temps viser le repérage des unités et catégories linguistiques, mais aussi leurs relations morphosyntaxiques. En l'occurrence, la solution du problème exige la mobilisation de raisonnements appliqués aux deux plans paradigmatique (identifier les classes de mots, les catégoriser…) et syntagmatique (repérer les liens grammaticaux, les accords orthographiques…). On verra dès lors qu'il est vain d'enfermer les élèves dans des exercices qui entretiennent voire accentuent les erreurs dans des séries homophoniques hétérogènes. Il convient au contraire de leur montrer que ces homophones lexicaux et/ou grammaticaux (par exemple porte vs portent distingués par Marie) s'opposent parce qu'ils ne peuvent apparaître dans les mêmes contextes linguistiques, parce qu'ils sont l'objet de transformations morphosyntaxiques singulières, et en définitive parce qu'ils appartiennent à des classes de mots différentes."
Clerc, A. S., & Martin, D. W. (2011). L'étude collective d'une leçon, une démarche de formation pour développer et évaluer la construction des compétences professionnelles des futurs enseignants. Pédagogiques (Montréal), 27(2). https://doi.org/10.4000/ripes.514
"La première particularité de l'étude collective d'une leçon est qu'elle permet la « répétition » d'une même action tout en y apportant les améliorations que l'étudiant a pu identifier comme pertinentes. Cette répétition est majorante parce qu'elle est à la fois l'occasion d'améliorer son action et ses connaissances en planifiant et mettant en œuvre plusieurs fois une même tâche et que les modifications apportées sont identifiées, voire décidées par les étudiants à la suite de leur analyse collective. Cette manière de procéder rejoint les principes développés par Marton dans sa théorie de la variation (Marton & Lo, 2007 ; Marton & Tsui, 2004). Un deuxième intérêt de la démarche proposée est qu'il accorde une importance particulière à la qualité de la tâche d'apprentissage. La leçon n'est pas considérée ici comme la performance « artistique » d'un enseignant talentueux mais comme le résultat contrôlé d'une préparation réfléchie par un groupe d'enseignants focalisés sur les apprentissages de leurs élèves (Miyakawa & Winslow, 2009). Un troisième intérêt de la démarche, telle que nous l'avons adaptée, est lié à l'importance donnée au travail en groupe et plus particulièrement à l'évaluation des mises en œuvre d'un étudiant par le groupe. A chaque nouvelle boucle (planification - mise en œuvre – analyse) c'est l'évaluation par le groupe de pairs qui permet l'amélioration de la boucle suivante et les apprentissages des étudiants. Enfin, un dernier point mérite qu'on s'y attarde, c'est le traitement particulier de l'expérience pratique que permet l'étude collective d'une leçon. Le dispositif proposé ici, outre le fait qu'il permet une intégration des dimensions théoriques et pratiques de la formation, prend réellement en compte cette part pratique de la formation. Ainsi, cette démarche forme les étudiants à ne plus se contenter d'apprendre par l'expérience mais à utiliser et réfléchir ces expériences pour qu'elles deviennent réellement formatrices.
Clot, Y. (2015). Le travail à coeur: Pour en finir avec les risques psychosociaux. La Découverte
« Le cours se passe bien » quand les enseignants sont parvenus à affranchir l’objet de ce cours de toutes les activités rivales qui tendent à l’engloutir sous une vie ordinaire mal contenue. La conquête de l’attention des élèves, de leur présence authentique en classe est devenue un « geste de métier » pour parler comme les auteurs. Et la qualité de ce geste n’a pas d’avenir durable dans une compassion suspecte à l’égard des élèves en difficulté. Réussir ce geste le plus souvent possible, ce n’est pas s’installer naïvement dans la reconnaissance en chacun de ces élèves des limites personnelles de quelqu’un. C’est plutôt chercher à provoquer leur étonnement de pouvoir réussir quelque chose. L’exemple donné par J.-L. Roger et D. Ruelland des « racines carrées » apprivoisées n’est qu’un exemple parmi d’autres des « zones de développement potentiel » que l’activité du professeur doit patiemment chercher à découvrir dans la classe pour qu’ils « se prennent au jeu ». Tout est là.
Clot, Y. (2020). Éthique et travail collectif: Controverses. Toulouse: Érès.
Quand existe encore un collectif de travail, la « réflexion » relève alors très rarement d’un travail solitaire de pensée. C’est le plus souvent, dans l’action elle-même, en se mêlant aux différentes manières de faire la même chose dans un milieu professionnel donné que, par le jeu des contrastes, des distinctions et des rapprochements entre professionnels, l’activité propre de chacun se décante. On se défait alors de l’activité d’autrui en passant de l’activité de l’un à l’activité de l’autre, en opposant et en rapprochant ces activités entre elles. Dans cette percolation à laquelle, par exemple, le novice soumet, même à leur insu, l’activité de ceux qui l’entourent, par contraste, le geste se détache de chacun et, finalement, n’appartient plus à personne en particulier. Sans propriétaire exclusif, il devient disponible. On peut alors en disposer, se l’approprier, s’en saisir. Au sens fort, on peut le réfléchir en s’y mesurant.
L’expérience professionnelle n’est pas un état, un produit achevé ou encore une « bonne pratique » à réitérer. Elle se définit moins parce que les professionnels savent faire que par leur façon originale de changer leurs façons de faire face au réel en se mesurant les uns aux autres. Autrement dit, elle se définit moins comme un fonctionnement que comme un développement. Ce n’est pas dans la conservation de leurs pratiques ou de leurs pensées héritées que les hommes manifestent la pérennité de leur expérience mais dans leur manière propre et originale de faire d’une expérience le moyen d’en vivre une autre. L’expérience ne recouvre pas seulement ce qu’on sait faire mais les possibilités qu’on a ou pas de se défaire d’une situation, de s’en affranchir, de s’en détacher en expérimentant plusieurs manières de faire la même chose.
Cogis, D. (2003). L'orthographe, un enseignement en mutation. Le français aujourd'hui, vol. 141, no. 2, p. 118-122.
"Ce qu'on a longtemps méconnu, sans doute prisonnier d'une conception behavioriste de l'apprentissage, c'est la part active et irréductible que prend l'enfant dans la compréhension du système orthographique. Or, quand on demande simplement aux élèves d'expliciter leurs graphies, on est à même de l'entrevoir. Se révèle alors la face cachée de cet apprentissage : les fautes des élèves sont avant tout l'expression de leur niveau de conceptualisation du système graphique à un moment donné."
Colognesi, S. & Deschepper, C. (2018). La relecture collaborative comme levier de réécriture et de soutien aux corrections des textes. Le français aujourd'hui, 203, 63-72.
"Loin d'être antinomique, la double posture de relecteur d'autrui et scripteur, sur une tâche similaire, assure un double gain aux bénéficiaires du processus : la phase de collaboration assure une médiation des connaissances globales et locales, mais également un débat interprétatif sur les attendus du genre et la perception des différents lecteurs/scripteurs à la tâche. Plus encore, le travail sur les textes d'autrui autorise un transfert sur son propre texte, de sorte que c'est bien une double relecture qui est effectuée lors de ce moment de révision (relecture par autrui, relecture par soi-même sur la base de la relecture collaborative des textes d'autrui)."
Cosnier-Laffage, F. (2018). « Vivre poème en classe : Apollinaire et la dinette rose », Pratiques, 179-180. DOI : 10.4000/pratiques.5207
J.-P. Martin nous permet de questionner la théorie d’H. Meschonnic, lorsqu’il dit que « le corps audible dans le texte n’est pas seulement voix, rythme, ton, oralité. Il est tout cela à la fois et en même temps moins que cela. Il est désir de corps et désir de voix incarnée, corps désigné et corps introuvable » (cité par Martin, 2017, p. 75). Insistant sur cette voix du texte qui s’apparente plus à une recherche de voix, il met en avant l’idée d’un désir de corps. S. Martin (2014, p. 112) voit quant à lui les « essais de théâtralisation » comme autant d’occasions pour « jouer l’œuvre pour de bon », afin de « visualiser, d’entendre, de [faire] résonner l’œuvre ». Cette piste semble particulièrement intéressante, d’autant qu’une des élèves a suggéré que les ondes étaient « quelque chose qu’on ne voit pas ». Le travail du corps est primordial pour entendre l’oralité, car elle est un mouvement traversant de l’écrit vers oral et inversement, du corps de l’auteur au corps d’écriture, et vers le corps du lecteur.
Dabène, M. (1991). Un modèle didactique de la compétence scripturale. Repères, 4(1), 9‑22. https://doi.org/10.3406/reper.1991.2030
"Quelle que soit, par ailleurs, la conception que l'on se fait des relations entre l'oral et l'écrit, il est indispensable, dans l'optique de l'élaboration d'un modèle didactique, de caractériser ces deux "objets" d'enseignement en accentuant au besoin leurs spécificités et en faisant l'hypothèse de l'existence de deux ordres de réalisations de l'activité langagière radicalement distincts. Cette hypothèse va dans le sens de l'expérience de l'enfant pour qui le "passage" à l'écrit représente l'entrée dans un monde langagier dont l'étrangeté initiale doit être préservée si l'on veut qu'en soit saisie l'originalité foncière, l'une de nos hypothèses étant que la banalisation de l'écrit au cours des premiers apprentissage peut expliquer les dysfonctionnements observés ultérieurement dans la production des textes écrits."
Il est d'usage de distinguer les écrits «ordinaires» et les écrits littéraires, ces derniers n'ayant cédé que depuis peu une petite place aux premiers dans les pratiques scolaires. Toutes les théories actuelles sur l'écriture admettent sans discussion cette fracture dans l'ordre du scriptural. J'ai montré ailleurs (DABENE, 1 991 ) que, dans une perspective didactique, elle pouvait être remise en question au profit de la notion de «continuum scriptural» organisé autour de l'invariant de l'écriture selon plusieurs axes de variations.
Certes, les représentations sociales ne vont pas dans ce sens : les scripteurs «ordinaires» ne conçoivent pas d'emblée les pratiques scripturales comme un continuum. Par exemple, dans le domaine de la réception des écrits, «lire» signifie, pour la plupart, lire un livre. Lire le journal, chercher un renseignement dans une encyclopédie, ne sont pas des activités perçues comme relevant fondamentalement d'une activité de lecture. «Ecrire», souvent synonyme de «correspondre» n'est pas perçu comme une activité langagière de même nature que celle que pratiquent les «professionnels» de l'écriture, même si, chez certains usagers, existe la tentation d'une écriture d'«écrivain». Il y a dans les représentations du sens commun une barrière invisible, une solution de continuité entre des pratiques scripturales considérées comme «littéraires» donc légitimes et d'autres activités considérées comme triviales. Ces représentations sont évidemment le résultat de l'inculcation scolaire, elle-même reflétant les représentations dominantes qu'elle a pour mission de reproduire.
Si l'objectif d'une didactique de l'écrit est la maîtrise des spécificités de l'ordre du scriptural (4), on peut se demander s'il est de bonne stratégie d'exclure par avance, à partir de présupposés axiologiques, toute une partie du champ concerné. Il semble, au contraire, plus fructueux de s'interroger sur ce que ces pratiques scripturales ont en commun pour mieux situer ensuite ce qui les distingue. Le sens commun nous y invite d'ailleurs : s'il a intériorisé la dichotomie «littéraire/non-littéraire», fruit de l'inculcation scolaire, il est sensible, dans le même temps, au travail langagier que doit accomplir le scripteur, quel que soit l'objet concerné.
Dans le domaine de l'oralité, on peut distinguer, après HAGEGE (1 985), le style parlé caractérisant l'usage que l'on fait de la parole dans des situations d'interlo-cution et le style oral, P«orature», caractérisant la parole ritualisée qui «recourt à toutes sortes de procédés de symbolique gestuelle et articulatoire»(5). Certes, HAGEGE assimile le style parlé au langage «ordinaire» et le style oral à un genre littéraire comparable à l'écriture littéraire. On peut cependant faire abstraction de cette assimilation, somme toute secondaire dans l'analyse qu'il propose, pour ne retenir que la notion de rituel, familière aux socio-linguistes et aux ethnologues.
De ce point de vue, on ne trouve pas dans le scriptural la même distinction. Il n'y a pas de style écrit analogue au style parlé. L'ordre du scriptural impose l'écriture en tant qu'usage ritualisé delà langue, même dans les écrits les plus familiers. Quelle que soit l'analyse qu'on fait des relations entre les deux ordres en termes d'antériorité ou de postériorité, force est de constater, en synchronie, que l'écriture n'est pas l'exercice naturel du langage. Possédant «l'étonnante vertu de métamorphoser le sens en objet, elle tend dès lors à devenir ce qu'à son apparition sa nature portait déjà en germe : une esthétique»(6). Ces réflexions s'appliquent évidemment en priorité aux écritures anciennes mais rien n'interdit de penser qu'elles restent pertinentes pour décrire ce qu'implique aujourd'hui le geste d'écriture.
Paradoxalement cette propriété s'accompagne non pas de la liberté créatrice du scripteur mais d'une certaine uniformisation de l'usage du langage. Face à l'immense variété de la mise en œuvre de l'oralité, l'écriture impose des modèles graphiques (manuscrits ou imprimés), syntaxiques, textuels qui pèsent sur le scripteur en raison inverse de sa compétence à les maîtriser. De ce point de vue, l'écriture, quel que soit son objet, est le lieu d'une tension entre les pulsions de la parole vive et le carcan de la «fabrication » scripturale. Les analyses des représentations des usagers le démontrent de façon claire. Le scripteur «ordinaire» est constam¬ ment à la recherche d'une liberté individuelle que la ritualisation de l'écriture lui rend difficile. En est-il autrement de l'écrivain?
Dans cette perspective, et considérée sous l'angle de l'activité scripturale, l'écriture ne ressortit pas, nous l'avons dit, à un «ordinaire» langagier. Même dans les situations de la vie quotidienne, elle produit des écrits qui peuvent être considérés comme (extra)ordinaires. Ordinaires, ils le sont en ce sens qu'ils ne relèvent pas d'une production légitimée par la tradition. (Extra)ordinaires, ils le sont, dans le même temps, par l'utilisation d'un mode d'existence de la langue, devenu, en dépit de ses origines, éminemment culturel, et par les propriétés de l'écriture qui les engendre et qui constitue une sorte de mise en scène de la langue.
A ce stade de l'analyse, on peut avancer que la tradition scolaire, tout en valorisant le domaine du scriptural, l'a considérablement appauvri en privilégiant une seule de ses variétés, celle qui sert de support à la transmission de l'un des aspects du patrimoine culturel.
On peut relever aussi que cette tradition entretient une ambiguïté fondamentale par rapport aux deux conceptions de l'ordre du scriptural dans ses relations à l'oralité. On connaît à ce sujet la pensée des ethnologues : du Rousseau du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes et de l'Essai sur l'origine des langues où LEVI-STRAUSS voit le premier traité d'anthropologie générale que compte la littérature française, voire même du ROUSSEAU de l'Emile où on peut lire : «Parlerai-je à présent de l'écriture? Non, j'ai honte de m'amuser à ces niaiseries dans un traité de l'éducation», de ce ROUSSEAU-là au LEVI-STRAUSS de La leçon d'écriture dans Tristes tropiques, ils accordent, dans leurs grandes interrogations sur les rapports entre nature et culture, la primauté à la parole vive et ne voient dans l'écriture, selon la tradition platonicienne qu'un supplément, une représentation, infidèle et dangereuse, de la langue, source de toutes les dominations et de tous les asservissements, «conduite d'exil, hors de l'échange vivant des paroles proférées» (HAGEGE, 1985).
On connaît aussi la tradition opposée qui met l'accent sur la raison graphique (GOODY, 1979), et accorde la primauté à l'écrit qui, par sa permanence et sa mobilité, au-delà de la portée de la voix et de l'instant partagé, est le ciment de la construction sociale et le véhicule privilégié du savoir et de la culture.
C'est dans cette dernière tradition que s'inscrit l'institution scolaire, non sans ambiguïté. Elle privilégie l'écrit dès le début. L'entrée à l'école signifie l'entrée dans l'ordre du scriptural. L'oral, domaine de la «nature», n'est souvent toléré que comme préparation de l'écrit et ne devient légitime que s'il peut s'écrire ou s'il provient de l'écrit, que s'il est le «parler» de l'écrit. Et, pourtant, cette suprématie de l'écrit ne s'accompagne pas de l'autonomisation du signifiant graphique. Dès le début de l'apprentissage, et nul doute que ceux qui ont des difficultés avec l'écriture ne soient profondément marqués parcette première étape, le signifiant graphique est présenté comme la transcription du son. Cette relative dépendance de l'écrit, en tant que système graphique, se traduit, dans les stades ultérieurs de l'apprentissage, par une confusion entre les deux ordres de réalisations langagières : l'oral est travaillé dans la perspective de sa transcription graphique; il ne devient acceptable que lorsqu'il peut donner lieu à une «écriture»; conjointement, l'écrit n'acquiert toute sa plénitude que lorsqu'il est oralisé dans la lecture dite expressive.
Dans le traitement particulier qu'elle fait de l'écrit par rapport à l'oral, l'école, en tant qu'institution, entretient une ambiguïté qui peut être à l'origine des échecs qu'elle connaît en négligeant de développer chez l'apprenant des connaissances méta-scripturales. La didactique de l'écrit, si elle veut faire de l'écriture un véritable objet d'enseignement, devrait prendre en compte toutes les composantes de la spécificité de cet ordre langagier en vue de faire acquérir progressivement à l'élève une véritable «compétence scripturale».
Delahaye, C. (2008). Lire silencieusement la littérature. Réception et impulsion. Repères, n°37, p. 153-175.
"Ainsi lire silencieusement, c'est mettre en relation les trois pôles (l'œuvre, soi et le monde), dans le silence (on lit pour soi, et la réception se fait à l'abri de tout code que peut imposer la société), dans la solitude, c'est-à-dire au plus profond de soi, où l'on peut "jouir de sa puissance intellectuelle". Comme le disait aussi l'élève, le lecteur est attentif à ce qui est écrit, mais aussi à ce que cela évoque pour lui et lui seul. Il s'agit du "travail de l'esprit sur lui-même" qui commence au moment où, en quelque sorte, on relève les yeux." - "La lecture silencieuse appelle l'engagement du lecteur qui doit prendre en main sa lecture. R. Goigoux a bien montré combien sont démunis les élèves en échec qui ne savent pas comment s'y prendre pour parcourir seuls le texte et qui réclament des consignes précises sur les opérations mentales à effectuer." - "Il est plus rare de voir les séances se terminer par une lecture silencieuse. Relire silencieusement après avoir entendu et participé aux échanges sur le texte, doit pourtant permettre à chaque sujet lecteur de procéder à une nouvelle interrogation personnelle du texte, et de voir si la première impression a bougé ou au contraire a été confortée ; constater au besoin à quel point l'idée d'un autre jugée incompréhensible au moment de son énonciation n'est plus aussi aberrante maintenant qu'on relit le texte… [...] C'est dans cette perspective que le carnet de lecteur trouve tout son sens, dans la consignation d'une pensée souvent fugitive qui nait de la lecture personnelle, silencieuse et solitaire du texte ; et dans celle (peut-être la même) qui nait des échanges lors du débat." - "au-delà du mode d'appropriation du texte à lire, la lecture silencieuse est un dispositif essentiel dans la constitution du sujet lecteur. Elle installe des compétences nécessaires à son autonomie : celles d'entrer personnellement dans le texte, de gérer les obstacles, les résistances du texte et les apprécier, celle encore de circuler dans l'œuvre, de construire une interprétation personnelle résultant d'un parcours singulier et d'exercer la capacité à méditer et à réfléchir avec les autres et aussi pour soi-même." - "Les lectures silencieuses efficaces résultent pour beaucoup de la présentation de l'activité qui doit, en effet, engager l'élève comme être scolaire, singulier, social et culturel à rencontrer personnellement le texte à lire. Tout autant que les tâches demandées aux élèves, la manière dont la lecture est présentée apparait décisive."
Delamotte-Legrand, R., Gippet, F., Jorro, A. & Penloup, M. (2000). Passages à l'écriture: Un défi pour les apprenants et les formateurs. Presses Universitaires de France.
On peut, pour s’en convaincre, observer les métaphores dont usent nos étudiants pour évoquer, dans le cadre d’un atelier d’écriture, les instants qui précèdent l’écriture. Ces métaphores, étonnamment proches d’un texte à l’autre, renvoient à l’écriture en termes de chemin à parcourir, voire d’aventure à vivre, souvent caractérisée comme difficile ou périlleuse et à laquelle on ne se résout pas sans difficulté. Ces diverses dimensions se rencontrent dans la notion de « passage » qu’on trouve associé, dans les dictionnaires, d’une part à la notion de « changement », de « traversée », de « voyage », et qui, d’autre part, connote souvent la difficulté : on doit « se frayer » un passage, ou le « dégager » ; il est susceptible d’être « étroit » ou « encombré ». Face à l’entreprise difficile d’écrire, nos étudiants évoquent un temps nécessaire avant l’écriture, le temps, précisément, du passage. Ce dernier est assez régulièrement décomposé, par le biais des métaphores utilisées, en deux phases : l’une, plus ou moins longue, est une phase de « flottement » ; l’autre, celle de la prise effective d’écriture, vécue comme le franchissement d’un seuil, est évoquée par contraste avec la précédente comme relativement brutale et violente : il faut s’arracher au confort de la période de latence et affronter les contingences d’une écriture réelle et non plus rêvée (on entre dans le vif de l’écriture). La difficulté est telle qu’on fait tout pour retarder le moment fatidique. Ensuite, une fois effectué le passage, l’écriture est présentée comme moins douloureuse, plus fluide : on est sur la lancée.
Arnold Van Gennep propose aussi un modèle de la séquence de passage en trois stades successifs : la séparation, la marge ou le seuil, l’agrégation, ou encore préliminaires, liminaires, postliminaires (du latin limen : « seuil »). Nous empruntons à Marie-Chritine Bonte la présentation qu’elle en fait : « Les rites préliminaires sont les rites de séparation du monde antérieur : l’individu doit être séparé de son passé auquel il doit renoncer définitivement. Les rites liminaires sont les rites exécutés en situation de “marge” ou de “seuil” qui se caractérise par l’abolition du statut antérieur et rend possible l’acquisition d’un statut nouveau ; elle est une condition essentielle du passage en rendant possible le pivotement de statut [...]. Les rites postliminaires [enfin] sont des rites d’agrégation au monde nouveau, c’est en quelque sorte une nouvelle naissance. L’individu a enfin acquis son nouveau statut, il appartient ainsi à son nouveau groupe. »
Il s’agit tout d’abord des recherches menées, dans le champ de la sociolinguistique, sur les représentations qu’a de l’écriture un usager et sur les obstacles au passage à l’écriture qui peuvent en découler. On doit en particulier à Michel Dabène (1987) la description précise de l’incontournable ambivalence du scripteur quant à l’écriture. Il a montré en effet, en le conceptualisant en termes d’ « insécurité scripturale », dans quel réseau de contradictions se trouvait pris tout sujet scripteur, attiré par les pôles positifs de l’écriture (expression de soi, refuge, distinction) et repoussé, dans le même temps, par les pôles négatifs (exposition de soi, non-contrôle de la réception, banalisation). Du point de vue didactique qui nous occupe, il ne s’agit pas de vouloir supprimer cette ambivalence puisqu’elle est constitutive de l’écriture mais de mieux appréhender certains comportements face à l’écriture. La conceptualisation de l’insécurité scripturale incite à agir, d’autre part, dans deux directions : verbalisation de cette insécurité (voir chap. 3) ; réduction maximale des paramètres susceptibles de la renforcer.
On peut assigner aux rituels trois fonctions majeures, note Maisonneuve (1988) : « fonction de maîtrise du mouvant et de réassurance contre l’angoisse », « fonction de médiation avec le divin ou certaines formes et valeurs occultes ou idéales », ; fonctions de communication et de régulation ».
C’est surtout avec la première de ces fonctions qu’ont à voir les rituels de passage à l’écriture, qui expriment et libèrent une inquiétude commune à tous au seuil de l’écriture.
Au-delà de ce constat, on observe qu’ils remplissent, comme les autres ruses, d’ailleurs, un rôle assez ambigu, chargés à la fois d’assurer le passage, de le faciliter mais aussi d’en reculer l’échéance : « Des rituels, dans ce cas-là, je n’en manque pas. Tout pour faire reculer le moment fatidique où, la plume à la main, je m’élance » (Caroline, étudiante, atelier). Les rituels servent donc à la fois d’échauffement, au sens où on l’entend en sport et d’ultime protection (rites propitiatoires) contre l’inconnu vers quoi entraîne l’écriture, contre la difficulté que suppose la tâche d’écriture. Le peintre Pierre Alechinsky explique bien, dans un entretien, la nécessité pour lui d’accomplir des tâches concrètes (assemblage, montage des papiers sur la toile, etc.) qui viennent le protéger de la rudesse de l’entreprise de création et qu’il évoque en termes de « rituel » : « Heureusement que la peinture exige un rituel, quantité de besognes incantatoires (on ne recommanderait à personne de s’attaquer de front à la littérature). Trois parts de corvée pour une part de création. » 
Cette double fonction des rituels est liée à la nature même du passage à l’écriture qui demande à la fois du temps, de la maturation, mais ne s’effectue bien souvent que dans une certaine violence, en état d’urgence : « Seule, la pression du temps permet de commencer. État d’urgence, c’est tout à fait la position dans laquelle je me trouve devant chaque devoir écrit » (Laurence, étudiante, journal de bord).
Les rituels sont une façon de gérer cette double dimension.
Le rôle des premiers mots qu’on inscrit sur la page, de la première phrase (ce peut être la copie du sujet) est souvent présenté comme celui d’enclencher un processus et l’on retrouve souvent des termes comme « déclic » ou des métaphores comme celle de la machine qu’on met en marche. [...] On recourra, pour les évoquer, à la distinction établie par Roland Barthes mais revisitée par Henri Boyer (1988) entre « scription » et « écriture ». Au « principe de scription », Henri Boyer rattache des écrits très réglés (soumis à des normes très contraignantes) sur le plan linguistique et fortement socialisés, dans lesquels « on chercherait en vain des traces de l’énonciation » (p. 17). Des écrits comme les consignes, menus, formulaires, etc. relèvent de ce principe. Les écrits relevant du « principe d’écriture » sont caractérisés, par contraste, par la productivité, la polyphonie, la créativité : « L’écriture relève pleinement de la création [...] ; elle produit des discours dont l’originalité apparaît précisément dans l’instauration d’un fonctionnement relativement autonome, ainsi que dans l’apparition de distorsions par rapport aux codes (culturels, sociaux, etc.) mis en œuvre simultanément » (p. 16). De l’ « écriture » ainsi définie relèvent les écrits littéraires, bien sûr, mais aussi d’autres écrits qui vont de la création publicitaire à des écrits personnels comme la correspondance.
D’un point de vue sociolinguistique, ces deux grands principes s’opposent en ce que le premier « ancre le discours dans le territoire du Groupe, de la Communauté », alors que le second l’ancre « dans le territoire du Sujet » (p. 18).
Le passage à l’écriture, au sens où l’entend Boyer de production d’un Sujet qui s’affirme comme tel, est décrit le plus souvent, par les usagers, comme un lent processus de déprise du principe de scription. Comme si l’on cherchait réconfort, d’abord, dans le « territoire du Groupe », avant de s’aventurer dans celui du Sujet.
Échanger des ruses, dans un cadre collectif, ce peut être se donner les moyens de sortir d’une vision un peu myope de l’écriture et, en confrontant ses pratiques à celles des autres, d’être amené à les modifier. Ce qui ne signifie pas que l’on gomme tout droit au caché de l’action, au privé, à l’intime. Le passage du privé au public, de l’intime au collectif pose quantité de problèmes et l’intervention didactique se doit d’y être attentive (cf. Penloup, 1999, chap. 3). Il y a en fait deux cas de figure. Certaines pratiques ne sont jamais dites, jamais partagées parce qu’elles ne sont pas reconnues socialement et que leurs auteurs ne se sentent pas autorisés à en faire état. L’intervention didactique peut les faire émerger, leur conférer un statut de savoir et les faire connaître. D’autres pratiques ne valent que parce que leurs auteurs leur attribuent une valeur intime, unique et leur aspect privé ne doit pas être remis en cause.
La réflexion sur le passage à l’écriture et le rôle des rites collectifs dans celui-ci nous ramène, par un autre biais, à ces ateliers d’écriture et au secret de leur succès.
Elle nous invite à davantage considérer, au sein de la classe, l’effet du réglage de certains paramètres sur la production d’écrits et, en particulier, l’effet de l’organisation de l’espace, du statut de la parole des apprenants, de la posture de l’enseignant et de sa manière de modaliser ou non les remarques d’ordre évaluatif. L’impact d’une évaluation exclusivement positive, en particulier, qui ne souligne que ce qui paraît réussi, n’a peut-être pas été suffisamment mesuré.
Mais le pire peut aussi se produire, tous les enseignants ont eu l’occasion de l’observer, quand la trace se fait chaotique, illisible, quand le scripteur lui-même ne s’y reconnaît pas, quand le corps se cabre et souffre dans l’écrire : « Car, note la thérapeute Marie-Alice Du Pasquier, toujours l’enfant qui écrit mal est aussi un enfant qui a mal quand il écrit. Mal écrire et avoir mal en écrivant ne font qu’un. Le mal écrire discours de l’autre (tu écris mal) rejoint le mal d’écrire, discours du sujet (j’ai mal quand j’écris). » Celui qui écrit mal cherche alors le plus possible à éviter l’expérience douloureuse de la production d’écrits et la confrontation avec le regard de l’autre. Il n’y a bien souvent pas lieu de chercher ailleurs les raisons d’une inappétence à produire du texte.
Si l’on se tourne, après ces considérations, vers l’enseignement-apprentissage, dans l’institution scolaire, de la production d’écrits, on ne peut que s’étonner de la manière dont y est peu pensée la dimension matérielle de l’écriture. On y invite l’apprenant à automatiser au plus vite l’activité de graphie (en grande section de maternelle et au CP), conçue au fond comme un mal nécessaire, pour pouvoir se consacrer, ensuite, aux « choses sérieuses » : la production du texte. Considérée comme subalterne, la dimension corporelle n’est convoquée qu’à titre technique et n’intervient guère dans la réflexion didactique sur la production de textes. Comme si l’écriture pouvait s’affranchir à si bon compte du lien qu’elle entretient avec le corps, comme si ce dernier n’était partie prenante du processus d’écriture que de manière anecdotique.
Dans ce passage, nous relevons à quel point les registres interprétatifs et cognitifs sont étroitement mêlés. Le scripteur veille à ce que l’écriture ne lui glisse pas entre les mains et pourtant, par le fait d’écrire, il éprouvera l’expérience du déplacement. Son identité de scripteur est comme malmenée, bousculée au point qu’écrire devient un enjeu de négociation avec lui-même. Autrement dit : L’écriture comme passage n’est autre que l’expérience de l’altérité avec ce que cela suppose d’acceptation de ce que l’on laisse et abandonne, et cela au prix d’un détachement si ce n’est d’un arrachement, avec ce que cela suppose aussi de reconnaissance de ses nouveaux déploiements. Cette expérience de l’altérité est tout à la fois perte de mots et d’expressions coutumières, abandon de pensées routinières et création d’une pratique langagière inédite pour le scripteur. Impossible traduction de sa pensée, recherche de jeux de langage pour approcher de son intention d’écrire et de se dire, de se projeter comme écrivant, telle est l’expérience du passage faite d’hésitations, de retours, d’élans, et de tâtonnements.
De fait, l’écriture peut constituer en formation professionnelle un lieu réflexif pour la régulation de l’action. En tant que lieu d’objectivation, elle constitue en ce sens un passage « vers » une professionnalité mieux identifiée et assumée. Par ailleurs, nous faisons l’hypothèse que la prise en compte de l’écriture comme processus en formation d’enseignants conditionne la capacité du futur enseignant à penser/mettre en œuvre une nouvelle didactique de l’écriture, quelle que soit sa discipline.
L’élaboration de l’abécédaire, nous l’avons évoquée plus haut, vise la construction d’une parole personnelle permettant au scripteur de se situer et d’advenir comme sujet écrivant. Il s’agit donc de souligner la part d’implication que suppose l’écriture. Les philosophes dont les travaux ont mis en évidence soit l’importance du dévoilement chez l’être, soit la part de sa responsabilité témoignent de la non-facticité de l’écriture. Ainsi Heidegger (1976) ne dit-il pas que la parole du sujet le situe puisque « nommer, ce n’est pas distribuer des qualificatifs, employer des mots. Nommer, c’est appeler par le nom. Nommer est appel. L’appel rend ce qu’il appelle plus proche... ». Cette parole est pour Sartre (1998) une prise de responsabilité puisque le « langage ôte l’immédiateté et en même temps met la personne en face de ses responsabilités ». On n’effleure pas les choses en les nommant, on les transforme, on se transforme. L’activité d’écriture consiste à faire l’expérience de mutations identitaires, cognitives...
Barré-de-Miniac et Cros soulignent, à partir d’une enquête menée dans plusieurs collèges, le fait que les enseignants de toutes les disciplines – dans les pratiques observées comme dans ce qu’ils disent de leurs pratiques d’écriture en classe – ne renvoient guère à leurs élèves une conception de l’écriture comme processus, de même qu’ils ne considèrent pas leurs préparations de cours comme de l’écriture. Ils « situent le niveau de l’écriture à celui d’une littérarité qu’ils ne peuvent atteindre qu’au prix d’un effort dont peu se déclarent capables » (p. 128). Bourgain fait le même type d’analyse en ce qui concerne le « sens commun » accordé à l’écriture.
« Les écrits à visée de recherche comme le mémoire ou le compte rendu de recherche-action ne posent pas les mêmes problèmes en formation que ceux qui tendent à dire le vécu, parfois l’intime, et à réguler l’implication (journal de classe, récits et analyses de pratiques). Ces derniers entraînent un travail sur soi, sur l’investissement dans la relation pédagogique au moins aussi important que le travail d’écriture lui-même. Parce que cet aspect de la formation des enseignants semble passé de mode, parce qu’on ne lui accorde plus qu’une portion congrue, il importe de souligner la nécessité de cette élaboration intime qui accompagne le développement personnel d’un professionnel de l’éducation » (Clerc, 1999, p. 16)
Tout formateur peut donc se questionner quant à l’exploitation de ce caractère intermédiaire, à la façon dont il peut le donner à voir et à réfléchir. Tel pourrait être le cas des « formes d’écriture humbles, celles du quotidien de la profession », dont parle F. Clerc à propos de la formation d’enseignants, « celles qui s’effacent lorsque l’action pédagogique est accomplie, mais qui sont des clés pour la pertinence de l’action pédagogique, des supports pour le travail collectif (...) » (p. 17). Elle souligne que l’exploitation de tels écrits à d’autres fins que l’évaluation, constituerait « une aide dans ce passage entre l’état d’étudiant et celui de professeur, un moyen de constituer un bagage professionnel ». Encore faut-il considérer avec elle, que ces écrits fonctionnels puissent être envisagés comme « des intermédiaires entre la conception d’un problème professionnel et la mise en œuvre de sa solution ».
Delbrassine, D. (2018). Outils numériques et didactique de l’écriture : travailler les textes sans fin ?. Le français aujourd'hui, 203, 125-134. https://doi.org/10.3917/lfa.203.0125
la distinction brouillon/net n’a plus aucun sens, puisque toute version d’un texte n’est plus que le brouillon de la suivante. « Écrit sur ordinateur, un texte n’est jamais achevé ; sa mutabilité est, si l’on ose dire, définitive » (Plane 2006 : 72). On aboutit ainsi, dans l’instantané de la rédaction, à la concrétisation absolue de la vieille formule de B. Schneuwly : « [...] l’écrit comme outil pour écrire [...]. Les corrections, les notes, les brouillons, les annotations, deviennent des outils de production pour fabriquer des textes. » (1995 : 80). Mais on rappellera qu’ici l’étude des ratures (Doquet-Lacoste 2006 : 46) ou du raturage (Plane 2006 : 67) est rendue impossible. Il ne reste aucune trace du processus d’écriture, et notamment des quatre opérations de la génétique textuelle : ajout, suppression, déplacement, remplacement.
C’est tout le modèle cognitiviste du processus d’écriture axé sur des phases précises de planification, mise en texte, révision/édition (Hayes 1995 ; Gagné, Lalande et Legros 1995) qui se trouve affecté, puisque celles-ci peuvent être réalisées simultanément, voire dans un ordre qui n’est pas celui attendu... Dans notre enquête, la plupart des élèves de Première valident cette conception du travail d’écriture : quand on leur demande « dans quel ordre travaillez-vous ? » (Q8), huit sur vingt-et-un affirment faire « tout en même temps », deux précisent même qu’ils rédigent d’abord « sans [s’] inquiéter de l’ordre des idées », et douze annoncent travailler « sans [se] préoccuper de l’orthographe ».
Le traitement de texte permet à d’autres élèves, rétifs à la planification préalable (typique des dispositifs scolaires), de réaliser celle-ci en cours de processus et de « compenser le déficit structurel de leur premier écrit en opérant des restructurations de leur texte » (Marin et Legros 2006 : 118), facilitées par la fonction « couper/coller ». Ces élèves sont bien présents dans notre échantillon (Q9) puisque neuf d’entre eux déclarent rédiger sans même préparer quelques idées, alors que onze sur vingt-et-un annoncent qu’ils préparent souvent ou parfois la rédaction en prenant des notes (pour dix d’entre eux sur papier !).
L’usage des grilles d’auto-évaluation, assez fréquent en Belgique francophone, incite sans doute au comportement de révision, mais leur conception n’est pas assez souvent orientée vers des stratégies concrètes : dans quelle mesure permettent-elles vraiment d’organiser la révision ? Par exemple, la formula- tion « Ai-je utilisé des connecteurs ? Oui/Non » pourrait devenir « Souligne tous les connecteurs et vérifie s’ils créent les liens logiques nécessaires entre tes idées ».
La « co-révision » (Marin et Legros 2006), qui semble avoir fait ses preuves, se trouve facilitée par l’usage de l’écriture numérique. Le rôle du co-réviseur (Ibid. : 117) consiste à porter un regard neuf sur un texte qu’il découvre et à offrir un feedback plus objectif que celui de l’auteur. Les résultats seraient plus « satisfaisants qualitativement et quantitativement », selon B. Marin et D. Legros (Ibid. : 117), car la co-révision aide aux trois opérations principales : identification, décision, exécution de la modification. Cette co-révision, comme toute lecture par les pairs, est rendue plus aisée par le format numérique, dont la lisibilité est assurée et la circulation facilitée.
Toutes ces activités ont une même conséquence sur la conception de l’enseignement-apprentissage : l’inscription de la rédaction dans un temps long, alors que cette tâche était autrefois conçue pour être réalisée et évaluée en une seule fois. Il s’agit de passer enfin « d’une centration sur le produit à une centration sur la production » (Plane 2006 : 41) et d’exaucer le vœu de G. Boudreau : "Libérer les élèves de l’obligation de produire un premier jet parfait, tolérer les erreurs et en faire la matière première de l’enseignant, développer des compétences stratégiques, tout autant que linguistiques [...]." (1995 : 248) En conclusion, on voit que « l’instrumentation numérique de l’activité [...] transforme la tâche, les conditions de sa réalisation, son résultat et le sujet qui l’effectue » (Cerisier 2016 : 202).
Plus étonnant, on pourrait travailler oralement les textes corrigés, pour les mettre en voix, afin de les améliorer encore. Nous avons naturellement tendance à ne vouloir travailler l’écrit que par l’écrit, alors que le passage par la voix et l’audition est essentiel (Lösener 2018) pour la révision des textes. Faut-il rappeler comment beaucoup d’auteurs (dont Flaubert) évaluent leur propre écriture par la mise en voix ? C’est l’occasion d’inviter les élèves à tester leur texte de cette manière, face à un public réel, pour bénéficier des effets positifs d’une « socialisation de l’écrit » (Bucheton 1996 : 177).
De Peretti, I (2022). « Lectures dramatique, dramaturgique, scénique : essai de modélisation à usage didactique », Pratiques, 193-194. DOI : https://doi.org/10.4000/pratiques.11409
En nous appuyant sur ces travaux comme sur les recherches en didactique du théâtre dans les classes, nous distinguons donc trois modes ou régimes de lecture du texte de théâtre, modes ou régimes qui tendent à se contaminer et s’enrichir les uns par les autres, bien qu’ils soient différents. Ces régimes sont également en tension ou en interaction entre contextualisation et actualisation, compréhension et interprétation, intériorisation et extériorisation ou opérationnalisation. Nous distinguons ainsi les lectures suivantes
La lecture du texte dramatique (désormais lecture dramatique) centrée sur l’étude du texte, entre compréhension et interprétation, sans lien direct ou proche avec une représentation.
La lecture dramaturgique (plutôt que lecture scénique) qui prend le texte « en chemin » vers la scène (Ryngaert, 1995), mentalement ou avec opérationnalisation, qui envisage (rétroactivement ou prospectivement) des éléments de mise en scène et qui comprend également la lecture en acte, le « passage au jeu » (Guénoun, 1998) de l’acteur. Ceci selon un continuum entre lectures silencieuses, pratiques de lecture « à la table », mises en voix, passages au jeu et à la mise en scène, pour tester la validité des propositions dramaturgiques et des propositions de jeu. Elle peut procéder d’un mouvement inverse, de la représentation vers le texte. Si elle peut être mentale, elle est principalement opératoire. Même si le metteur en scène peut être considéré comme un archispectateur, elle prend également en compte le plateau, les interactions entre les différents personnages et la tension entre salle et plateau.
La lecture du spectacle pour laquelle nous réservons le terme de lecture scénique, réception d’un ensemble de choix interprétatifs d’un texte de théâtre. Elle est frontale, multisémiotique, multisensorielle, la temporalité est imposée, elle est influencée par les réactions des autres spectateurs. Dans le cas d’une captation vidéo de spectacle, la lecture scénique est orientée par les propres choix du metteur en scène, la contagion des réactions des spectateurs plus limitée.
Lecture dramatique Lecture dramaturgique Lecture scénique

Lecture du texte dramatique

Le texte en tension vers la scène

La réception du spectateur

Principalement centrée sur le texte, les données textuelles

Le texte lu pour être dit, joué, mis en scène dans un espace scénique. Du texte à la scène et de la scène au texte

Le texte, le jeu des acteurs/personnages, l’espace scénique, les mouvements, les décors, les costumes, les éclairages

Importance de la contextualisation par rapport à l’actualisation Entre implication et distanciation du lecteur Entre compréhension et interprétation

Entre contextualisation et actualisation. Avec forte implication du lecteur et distanciation moins importante Entre importance de l’interprétation et compréhension

La réception scénique d’une actualisation/interprétation du texte Entre forte implication émotionnelle et sensible et distanciation. Entre compréhension et interprétation

L’enseignant doit donc apprendre à lire un texte dramatique d’abord comme un « réservoir de jeu », pour savoir y déceler les indices de son devenir scénique, pour être ensuite capable de formuler des consignes de jeu ou d’écriture. Ainsi face à une scène de théâtre dont on envisage la mise en jeu, les premiers réflexes doivent être d’identifier l’espace, de définir l’enjeu initial, de dégager « la situation » […], de dégager le canevas de cette situation, c’est-à-dire d’en séquencer les étapes et de programmer ce qui est à jouer. (p. 127)
Pour Peter Brook (1995) : De la même manière qu’un acteur ne peut absolument pas étudier un rôle assis – la compréhension commence au moment où le corps entre en action – un élève ne peut apprendre tout ce qu’il reçoit sans que son corps soit engagé. Le théâtre donne cette unique possibilité de comprendre dans l’action et dans l’émotion.
l’oralisation du texte, comme sa mise en scène, implique un double mouvement d’identification au personnage et de prise de distance par rapport à lui (Régnaut, 1979 ; Rouxel, 2006), perspective qu’il conviendrait d’approfondir : L’identification de soi à l’autre est donc ce processus par lequel s’identifier à l’autre est en même temps s’identifier soi-même, en même temps se perdre et se trouver : se découvrant soi en tant qu’autre, autre en tant que soi, s’affirmant (s’agissant tout du moins de « l’individu sain ») à la fois un et double […]. Régnaut, 1979, p. 57.
Modélisant en 2008 la démarche du dramaturge ou du metteur en scène selon les étapes suivantes : contextualisation (« lecture littéraire »), décontextualisation (multiplication des sens possibles), recontextualisation (choix, parmi les potentialités ouvertes, d’un projet de mise en scène), elle montre que le rôle du dramaturge consiste à favoriser le lien entre la pièce et le public, soit en fournissant les éléments contextuels nécessaires à sa compréhension, soit en s’appuyant principalement sur l’actualisation de la pièce. Elle considère que le devenir scénique d’un texte n’est pas ou pas uniquement contenu dans le texte. En contexte scolaire, c’est le pôle de la décontextualisation, de questionnement du texte, d’exploration de ses possibilités de sens, qu’elle privilégie : une lecture dramaturgique qu’elle didactise comme « enquête sur le texte » (2008, p. 5-6).
De Vecchi, G. (2021b). Evaluer sans dévaluer : Pour une pédagogie positive. Hachette Education.
« En France, dans le secteur éducatif, nous ne sommes pas encore totalement entrés dans une culture de l’évaluation, contrairement à d’autres pays comme l’Espagne, la Grande-Bretagne, le Canada, les États-Unis ou la Nouvelle- Zélande, pour qui ces modèles de marché se sont étendus largement à l’École. La recherche des bonnes pratiques, le benchmarking2 sont monnaie courante. Les écoles y sont notées, cotées comme sur une place qui pourrait s’apparenter à une place boursière. Ces notes conditionnent à leur tour la manière dont les sponsors vont participer au financement des établissements. Pour les apprenants (à l’école ou en formation continue), la notation est permanente : chaque acquis cognitif est mesuré, chaque performance consignée. Les enseignants sont eux aussi évalués, par les élèves ou les étudiants et la hiérarchie. Cette fièvre des comptes m’amène finalement à une interrogation : qu’est- ce qui n’est pas évalué ? Sans doute l’essentiel : notre degré d’angoisse devant l’incertitude » auquel on pourrait rajouter notre désir individuel et collectif de tout maîtriser !
« Comme tout autre service public, le système éducatif doit rendre compte à ses usagers et aux citoyens de l’atteinte des objectifs qui lui sont fixés. Ses responsables ont besoin d’apprécier ses points forts et ses points faibles, ils ont besoin d’outils qui leur permettent d’envisager des mesures qui permettent d’améliorer ses résultats (et non de justifier des réformes imposées). Tournée vers les élèves, utilisée pour réguler le cours et en partie partagée avec les autres enseignants, l’évaluation a un rôle déterminant à jouer. »
Un questionnaire proposé à des professeurs de collège1 montre que, dans leur grande majorité (95 %), ils considèrent que l’évaluation fait partie du processus d’apprentissage de l’élève et pensent qu’évaluer est une pratique majeure de la professionnalité enseignante. À leurs yeux, l’évaluation paraît avoir pour principales fonctions la mesure et la vérification. Ce sont « les aptitudes à mobiliser, restituer, transférer des savoirs et savoir-faire qui sont essentiellement mises en œuvre, en particulier dans les disciplines où le corpus de connaissances est particulièrement important (en SVT, en histoire- géographie) ou précis (en mathématiques, en physique-chimie), tandis que l’autonomie et la créativité sont surtout sollicitées dans les disciplines artistiques et littéraires. Les compétences transversales et les savoir-être ne seraient que peu pris en compte dans les évaluations ». De fait, environ 95 % des enseignants, toutes disciplines confondues (les taux allant de 84 % dans les disciplines artistiques à 98 % en langues vivantes), déclarent évaluer seulement pour mesurer les acquis des élèves dans une logique d’évaluation sommative.
L’erreur est perçue comme une faute et beaucoup d’élèves préfèrent parfois ne pas répondre plutôt que de risquer de se tromper. Ainsi, dans les enquêtes internationales, « le nombre de non-réponses a été plus important en France que dans la plupart des autres pays de l’OCDE. Les élèves français ont peur de l’erreur ». D’après le baromètre annuel de l’Éducation (2008), se rapportant aux enfants habitant dans des quartiers populaires2, près de 30 % des élèves interrogés « ne lèvent jamais ou pas très souvent le doigt en classe ». Parmi eux, 56 % expliquent cette absence de participation une fois de plus par « la peur de se tromper ou la méconnaissance des réponses ».
« Plus j’avance dans ce métier (thérapeute spécialisé en psychologie scolaire) et plus je suis persuadé que ces enfants ont envie de savoir, qu’ils souhaitent accéder à la connaissance et qu’ils sont prêts à faire beaucoup pour y arriver, excepté une chose, excepté apprendre. Savoir, oui ; apprendre et penser, non […] Et il n’y a pas besoin de les fréquenter longtemps pour s’apercevoir que ce qu’ils ne supportent surtout pas, c’est le flottement, le doute, la suspension du jugement qui accompagnent nécessairement toute recherche aussi élémentaire soit-elle, tout problème posé jusqu’à sa résolution. Ils ne le supportent tellement pas qu’ils vont jusqu’à mettre hors circuit leur fonctionnement mental au moment où ils en auraient le plus besoin, c’est-à-dire quand il faut associer, faire des liens, chercher. Ces enfants sont dans des conduites d’évitement de la pensée parce qu’elle porte en elle les germes de leur déstabilisation. Le chemin de la connaissance que l’on voit essentiellement comme une source de progrès, comme un facteur de mieux être, fait peur à ces enfants et ils l’évitent car il est plein de risques pour leur équilibre psychique qu’ils maintiennent de façon précaire. »
Juger négativement un travail, c’est rendre fautif, c’est parfois culpabiliser, c’est décourager celui qui a peut-être passé du temps et véritablement tenté de produire un travail de qualité sans y parvenir. Sera-t-il toujours décidé à s’engager la prochaine fois ? Je me souviens de mon vécu d’élève en échec. Je me disais : « Ça ne sert à rien de faire ce qu’on te demande, tu n’y arriveras pas »… et je ne le faisais pas ! « La confiance en soi se construit sur la confirmation des ressources et des réussites, et non sur la mise en évidence des manques et des insuffisances, sur la dévalorisation trop fréquente de l’image de soi. La persistance de rapports de dévalorisation constitue certainement une des violences endémiques parmi les plus fréquentes du système scolaire, une des plus tenaces et des plus permanentes. Ce qui laissera des traces durables dans la relation au monde d’un enfant. »
Il est indispensable de distinguer deux types d’activités : les activités d’apprentissage(s) et les activités de contrôle. Les élèves doivent bien en faire la différence et savoir s’ils sont dans l’une ou l’autre de ces situations. Mais cela ne suffit pas. Dans les situations d’apprentissages (qui doivent être quantitativement beaucoup plus importantes), les erreurs seront valorisées ; elles font partie des apprentissages puisqu’on doit s’appuyer sur elles pour repérer les obstacles et travailler à leur remédiation. Ce qui implique de ne jamais les noter. Seules les activités de contrôle peuvent être notées (si on tient absolument aux notes ou si on est obligé d’en donner).
Quels sont donc les critères spécifiques d’une évaluation réellement formative ? •• Elle fait partie du processus d’apprentissage. •• Elle intègre la recherche des représentations mentales et des obstacles contenus dans la tête des élèves (rôle d’indicateur pour le maître et de miroir pour l’apprenant)2. •• Elle est construite sur un statut positif de l’erreur (qui n’est plus une « faute »)… donc évacue toute idée de jugement de la personne. •• Elle implique la connaissance des objectifs par les élèves. •• Comme son nom l’indique, elle est tournée vers la formation (ouvrant par exemple sur une aide plus individualisée). •• Elle débouche sur une remédiation possible (autre qu’une ré- explication)3. •• Elle est construite autour d’une pédagogie de la réussite et d’une valorisation du travail des élèves, en particulier ceux qui sont en difficulté. •• Elle correspond aussi à une évaluation du maître (feed-back permettant de constater les effets de ses choix pédagogiques et de son action)4.
C’est avoir défini des normes et comparer les productions des élèves à ces normes. Lorsqu’un enseignant corrige un devoir, il possède le plus souvent un corrigé dans la tête, parfois écrit et, d’une manière plus ou moins consciente, il compare le devoir à ce corrigé. Mais, fréquemment, les critères de réussite sont relativement flous et implicites. Il faut absolument les expliciter et en informer les élèves. Nous retrouverons cet important problème de définition et de choix de critères quand nous aborderons l’évaluation des compétences2. S’appuyant sur des critères bien identifiés, elle permet d’alimenter un dialogue avec le maître et d’aller vers une autoévaluation plus rigoureuse.
Quant à l’évaluation formatrice, elle mérite un statut à part. Elle s’apparente à une évaluation formative mais l’élève est associé à la définition des objectifs et des tâches, à leur réalisation et à leur évaluation (co-évaluation et autoévaluation). Il s’agit de former l’élève à la régulation de ses propres processus de pensée et d’apprentissage, partant du principe que l’être humain, dès la prime enfance, est capable de se représenter au moins partiellement ses propres mécanismes mentaux.
Dans de nombreux courriers adressés à Okapi, les enfants confient leur désarroi, parfois leur détresse, face à l’importance souvent trop grande que revêtent les notes aux yeux de leurs parents. Même s’ils les utilisent, eux aussi, comme mode de communication avec leurs parents. « À travers cette question des notes, ce qu’ils nous disent – et qu’ils n’arrivent pas à dire à leurs parents –, c’est leur crainte de ne pas être à la hauteur. Ce que l’on ressent très fort surtout, c’est qu’en dehors des notes, les parents ne s’intéressent pas à leur scolarité. » Et qu’ils ne s’intéressent pas assez à eux, à ce qu’ils vivent, à ce qu’ils ressentent. Le jugement de la note est trop dur à porter, surtout à l’adolescence. « Quand les notes tombent c’est comme si leur personne se rétrécissait et n’était plus vue qu’à travers ces chiffres rouges ou noirs écrits sur une copie. Et qui prennent souvent des proportions dramatiques. »
Rappelons les résultats de l’enquête internationale PIRLS1 évoqués dans une synthèse des travaux de la DEP2 : « Il est frappant de constater que les élèves français se sous-estiment par rapport à leurs camarades des autres pays, et surtout par rapport à leurs compétences effectives. Lors de l’enquête PIRLS, ils ne sont qu’un peu plus d’un sur quatre (28 %) à avoir une très bonne opinion de leurs compétences en lecture, alors que c’est le cas de quatre sur dix des élèves (40 %) en moyenne internationale. Le décalage entre ce sentiment, qui les classe en avant-dernière position dans l’ensemble des pays, alors que leur performance les situe en position médiane, est particulièrement important. »
Déjà Confucius précisait que : Ce que j’entends, je l’oublie, Ce que je vois, je m’en souviens, Ce que je fais, je le comprends.
Tout d’abord, je voudrais rappeler ce qu’est, pour moi, une compétence : –– c’est l’aptitude à agir efficacement ; –– dans un type défini de situations complexes ; –– en utilisant des acquis élémentaires (ensemble de capacités, d’attitudes, de connaissances notionnelles)2. Une compétence générale se décline en un ensemble de compétences élémentaires. Dans certains pays, comme le France, on distingue les connaissances, les capacités et les attitudes… ce qui ne signifie pas qu’elles fonctionnent indépendamment les unes des autres !
Tout corriger dans une copie revient à demander à un élève de modifier toutes ses représentations fausses en même temps ; et on sait bien que, dans ce cas, il n’en modifie… aucune ! D’où l’importance de pratiquer une correction différenciée. Les erreurs qui correspondent aux objectifs visés seront simplement signalées (soulignées ou codées pour donner une idée du type d’erreur commise). On peut même fournir simplement une fiche relevant les types d’erreurs sans préciser à quel endroit ils ont été repérés. Il est nécessaire de rectifier directement les autres erreurs, celles qui ne correspondent pas aux objectifs immédiats. En effet, cela permet de ne pas laisser d’éléments erronés sur une copie tout en ne faisant travailler l’élève que sur ce qui est en relation directe avec les objectifs visés.
Dolz, J. & Schneuwly, B. (1998). Pour un enseignement de l'oral : initiation aux genres formels à l'école. Paris : ESF.
On ne peut envisager l’oral en tant que fonctionnement de la parole sans la prosodie, c’est-à-dire l’intonation, l’accentuation et le rythme ; les faits prosodiques étant des faits sonores, on peut donc les analyser en termes quantifiables de hauteur, d’intensité et de durée. Dimensions essentielles de toute production orale, leur maîtrise consciente prend une importance toute particulière quand la voix est mise au service de textes écrits.
Si 70 % des enseignants déclarent avoir recours souvent ou très souvent à la lecture à voix haute, celle-ci n’est pourtant jamais citée comme activité utile au développement et à la maîtrise de l’expression orale. Au contraire, l’activité qui consiste à oraliser un texte écrit est bien souvent non pas liée avec la pratique de l’oral, mais plutôt avec celle de l’écrit : de fait, la lecture à haute voix reste le plus souvent un outil d’évaluation des compétences de déchiffrage de l’écrit, de connaissance des relations grapho-phoniques entre les deux codes de l’oral et de l’écrit, mais ne devient presque jamais « lecture à d’autres », celle qui est censée procurer à ces « autres » un plaisir, à les informer, à les convaincre, à les instruire.
Pour que le lecteur joue à plein son rôle de médiateur entre un auditoire et un texte, sa lecture à d’autres, comme le suggère Falcoz-Vigne (1991), doit être efficace sur trois plans : elle doit être intelligible, pour l’auditoire qui n’a pas le texte sous les yeux ; elle doit être vocalement expressive de manière à en permettre la compréhension, une lecture très monotone pouvant empêcher la bonne réception du texte ; et, pour devenir expressive et compréhensible, elle doit être intelligente, au sens où le texte doit être compris par le lecteur, dans la mesure où l’intelligence du texte en conditionne la transmission.
Le travail sur l’intonation expressive n’est pas facile pour des élèves de 9-10 ans, car il ne suffit pas de comprendre quels sont les sentiments et les intentions des personnages ; encore faut-il apprendre à se décentrer et à imaginer comment exprimer par la voix le désespoir, la colère, l’enthousiasme ou d’autres émotions animant les personnages.
Les critères utilisés sont les suivants : Critères liés au déchiffrage [...] ; Critères liés à la mise en évidence des constituants syntaxiques de la phrase [...] ; Critères liés au plan du texte.
Dufays, J. (1997). Lire au pluriel. pour une didactique de la diversité à l'usage des 14-15 ans. Pratiques, 95(1), 31‑52. https://doi.org/10.3406/prati.1997.1812
Il est clair tout d'abord que les pratiques culturelles et les motivations des élèves de 14-15 ans sont fortement enracinées dans une lecture consommatrice axée sur l'action, l'émotion et l'illusion référentielle, et dans une conception monosémique de la littérature : pour eux, les textes ont un sens unique qui correspond à la volonté de leur auteur. Lire un texte et reconnaitre l'intention de l'écrivain, c'est tout un. S'ajoute à cela, comme le montrent des enquêtes récentes menées auprès d'enseignants et d'élèves, une conception de la lecture comme attitude passive, contemplative, soumise à la célébration d'un sens déjà là. Cette image va de pair avec l'idée que la littérature consiste d'abord dans du « beau langage » et dans une monumentalité quelque peu écrasante. Ces représentations sont d'autant plus difficiles à éradiquer que, loin d'être l'apanage des adolescents, elles sont largement diffusées par les médias et semblent même partagées par un certain nombre d'enseignants. Il n'est pas douteux pourtant qu'elles font obstacle à toute possibilité d'évolution vers une pratique de lecture autonome et diversifiée. Rien ne sert de vouloir éveiller les élèves à la pratique du divers si on n'a pas d'abord développé chez eux l'idée que la diversité du sens est une réalité désirable à exploiter. Une première nécessité s'impose dès lors a priori : celle de décrire, d'analyser et de problématiser avec les élèves leur croyance dans le « sens unique », dans la « lecture-passivité » et dans la « littérature-monument ».
La pratique de la diversité des lectures permet de satisfaire au moins trois principes fondamentaux de la didactique contemporaine : – la ludicité : la comparaison des différentes interprétations se prête, plus que d''autres activités lecturales, à des jeux dont on sait depuis Winnicott la valeur structurante qu''ils revêtent sur le plan didactique ; – le travail collectif : la lecture plurielle favorise des travaux de groupes dans lesquels la classe devient un vrai lieu de gestion des complémentarités ; – la recherche personnelle : dans ce type de lecture, le travail en équipe alterne nécessairement avec des phases de recherche individuelle où les élèves explorent eux-mêmes des documents qui leur serviront à construire leur interprétation.
La lecture plurielle présente enfin un certain nombre d''enjeux épistémologiques qui lui sont propres et qui la rendent particulièrement précieuse. D''abord, elle permet d''initier les élèves à la conscience de la polysémie et donc du relatif, et, ce faisant, elle les exerce à faire de leur lecture à la fois un «jeu » au sens où l''entend Michel Picard et un «braconnage » en marge des pratiques culturelles instituées (42). Ensuite, le fait de lire des textes à plusieurs niveaux est sans doute le plus sûr moyen d''éprouver concrètement la richesse tant des textes que de la lecture elle-même. Cette démarche comprend en outre un enjeu méthodologique : elle exerce l''élève à la fois à distinguer et à nommer différents niveaux de lecture et à relever des indices qui leur permettront de formuler et d''étayer des hypothèses à leur propos. Enfin, en faisant découvrir aux élèves les spécificités et les exigences des différentes grilles de lecture externe, on les introduit aux différentes disciplines des sciences humaines, ce qui constitue un enjeu culturel de première importance.
Dufays, Jean-Louis. (2017) Analyser les pratiques d’enseignement-apprentissage de la lecture des textes littéraires : quelle modélisation pour quels enjeux ?. Recherches en éducation.
Promouvoir la reconnaissance de l’élève lecteur en tant que sujet « libre » permet de mieux connaître ses fonctionnements effectifs et de remédier à ses difficultés. Une telle conception du sujet lecteur permet aussi de libérer la parole des élèves sur la lecture (comme nous y invitait déjà de Certeau) et de les inciter à donner un sens personnel à leurs lectures.
Dufays, J., Gemenne, L., & Ledur, D. (2015). Pour une lecture littéraire. De Boeck Superieur.
Évelyne Charmeux a, quant à elle, insisté sur la nécessité de développer la dimension affective qui est inhérente à l'acte même de lire : l'un des buts essentiels de l'enseignement de la lecture, dit-elle très justement, doit être d'apprendre à l'élève à « se sentir “chez soi” dans le monde du lire/écrire, c'est-à-dire dans un certain environnement physique, fait de lieux et d'objets, et dans un certain environnement langagier caractérisé par la diversité et la différence »
« Qu'elle se prétende “expliquée” ou “dirigée”, la lecture en français est toujours une lecture-sans-projet, une lecture-sans-objet qui poursuit imperturbablement sa mission d'occultation de la lecture véritable »
Dès lors, des déclarations d'élèves comme « quand on a analysé, on n'a plus envie de lire » ou « pourquoi se fatiguer à décortiquer un texte où il ne se passe rien ? » méritent autant d'attention que les slogans du genre « les jeunes ne lisent plus, ne savent plus ou ne veulent plus lire ». Ces croyances divergentes sont clairement l'indice que ce qui a du sens pour le professeur n'en a pas nécessairement ou immédiatement un pour les élèves. Plutôt donc que d'imposer systématiquement des méthodes critiques de lecture, il parait important de commencer par négocier autant que faire se peut des projets communs qui tiennent compte des diverses possibilités et contraintes de la situation concrète d'enseignement (intérêts et propositions des élèves, occasions offertes par l'actualité culturelle, contraintes mais aussi latitudes des programmes scolaires, projets globaux de l'école, etc.).
Pour que devienne possible l'élaboration commune de tels projets, il faut sans doute que chacun des partenaires de la relation éducative puisse faire part de ses attentes et de ses motivations. Au professeur, il reviendra de préciser ce qu'il estime intéressant de faire apprendre et la démarche qu'il compte utiliser pour y parvenir, en se gardant de confondre théorie littéraire et possibilité d'appropriation de la lecture par des adolescents. Les élèves, quant à eux, devraient pouvoir exprimer leurs intérêts ou leur façon de lire, et exercer une liberté, au moins partielle, dans le choix des lectures et des méthodes
Donner l'occasion à l'élève d'évoquer ses lectures et ses représentations l'amène aussi à une forme de métacognition [1]. Il se découvre comme lecteur. Il s'interroge, formule, conceptualise ses gouts, ses attentes, ses critères d'évaluation. Il prend distance par rapport à cette expérience intime et singulière qu'est la lecture.
"Il est probable qu'on lit quand on a un marché sur lequel on peut placer des discours concernant les lectures."
"Ce que nous avons lu de plus beau, c'est le plus souvent à un être cher que nous le devons. Et c'est à un être cher que nous en parlerons d'abord". Ne sommes-nous pas tous un peu habités de livres d'amis ?
Dupas, M. & Garcia-Debanc, C. (2022). S'approprier le fantastique en Quatrième par l'écriture de la peur : stéréotypes et lexique des émotions. Le français aujourd'hui, 216, 73-86.
"La réécriture apparait comme un moment essentiel. Or, souvent les élèves modifient peu leur texte initial. Un changement de support, sous la forme du GB (Le Goff 2011 ; Garcia-Debanc 2020) ménageant de grandes marges blanches, permet de susciter des opérations d'ajout, l'une des quatre opérations de la génétique textuelle (Garcia-Debanc 2018)", "Le format du support particulier que constitue le GB, par l'espace de blanc qu'il ménage, suscite des opérations de réécriture plus nombreuses qu'à l'ordinaire. Un temps d'écriture et de réécriture régulier permet aussi aux élèves de prendre confiance dans leurs capacités à écrire et à réécrire", "ces situations fréquentes d'écriture et de réécriture avec autorisation à l'emprunt conduisent les élèves à considérer les textes littéraires avec le regard de l'artisan ou du bricoleur qui, au-delà de l'objet observé, s'interrogent sur les matériaux et les processus de fabrication."
Eugène, M. & Gennaï, A. (2020). Lectures analytiques et étude d'une œuvre intégrale : articulations et enjeux. Le français aujourd'hui, 210, 31-41.
Qu’elles enseignent en Seconde ou en Première, qu’elles fassent lire une tragédie ou un roman, une œuvre ancienne ou une œuvre récente, les deux enseignantes font le choix d’une lecture fractionnée de l’œuvre par les élèves, lecture menée en parallèle de son étude en classe. Cette pratique s’apparente à la lecture suivie – un temps prédominante à l’école primaire – mais qui n’est pas celle qui a la faveur des instructions pour le lycée, qui encouragent davantage une lecture intégrale en amont de l’étude, de sorte que celle-ci soit une relecture de l’œuvre. Les deux enseignantes justifient leur choix par le même argument : celui de la difficulté des œuvres. Ainsi, il s’agit pour elles d’accompagner pas à pas les élèves dans leur lecture en prenant en compte leurs difficultés – et le peu d’engouement d’une partie d’entre eux pour les lectures scolaires.
L’étude d’Andromaque en Seconde ressemble à un parcours dans l’œuvre dans la mesure où les lectures analytiques des extraits sont autant de jalons dans la traversée de l’œuvre. Elles éclairent certains épisodes clés ou certaines facettes des personnages, et l’on reconnait la technique de « carottage » décrite par S. Aeby Daghé (2014 : 214). Il faut donner à voir l’œuvre en ouvrant certaines fenêtres que constituent les extraits. Les lectures analytiques occupent dans cette classe l’essentiel du temps de travail en classe dans la séquence (57 %) et les activités portant sur l’ensemble de l’œuvre sont très minoritaires (10 %), le reste du temps étant consacré à l’histoire littéraire (apports magistraux sur la tragédie et l’évolution du genre, étude d’un groupement de textes pour définir le classicisme). Les extraits sur lesquels portent les lectures analytiques sont des passages canoniques – trois des cinq extraits se retrouvent par exemple dans le manuel Français 2nde, livre unique – et l’enseignante le confirme : « Pourquoi ces extraits-là ? Là, j’ai fait du classique ». Ainsi, l’extrait donne ici à voir la vitrine la plus célèbre de l’œuvre, assurant la transmission d’une culture commune.
Parmi leurs nombreuses fonctions, les lectures analytiques des extraits construisent une prothèse à la non-lecture éventuelle de l'œuvre intégrale (Langlade 1991). Il se pourrait que ce rôle se renforce face à des œuvres et des parcours désormais imposés aux enseignants et identiques pour tous les élèves de Première ; les premiers corpus, plus canoniques qu'audacieux, ne risquent-ils pas favoriser une traversée « monumentaliste » plutôt qu'une aventure interprétative ?
Émery-Bruneau, J. (2018). « Finalités de l’enseignement de la poésie au secondaire québécois », Pratiques, 179-180. DOI : 10.4000/pratiques.4747
La poésie en tant qu’objet renvoie, pour les enseignants, à des savoirs historiques, stylistiques et formels, à quelques genres (haïku, sonnet, poèmes engagés, chanson et slam), à une pratique scripturale d’imitation et à une pratique lectorale distanciée, analytique et complexe (explication de texte, analyse littéraire, interprétation). Dans tous les cas, nous observons une faible présence accordée à l’émotion poétique ou au poème du lecteur (Favriaud, 2011). Pour les enseignants, la poésie permet d’inculquer des notions évaluables ou de développer des compétences surtout scripturales. Leur vision de la poésie croise les finalités qu’ils poursuivent, car lorsque nous les avons interrogés sur la pertinence d’enseigner la poésie, deux finalités ressortent : 1) la poésie permet de développer la culture, car les élèves n’ont pas ou peu de pratiques poétiques en dehors de l’école, selon eux, hormis l’écoute de chansons – du reste, rarement francophones ; 2) la poésie permet de développer les compétences langagières des élèves, dont l’écriture d’imitation et la lecture expliquée.
s’ils n’accordent pas un véritable espace au poème du lecteur comme l’encouragent les didacticiens, c’est peut-être aussi parce qu’ils déclarent se sentir eux-mêmes peu outillés et même freinés pour enseigner la poésie. En les interrogeant, nous avons été en mesure d’identifier au moins cinq explications à ces limites. 1- Seules deux des 20 enseignants disent avoir des pratiques poétiques personnelles régulières, lesquelles nourrissent leurs réflexions sur les différentes manières de l’enseigner ; les autres se sentent peu enclins à expérimenter la poésie autrement que de la manière dont ils l’ont eux-mêmes étudiée dans leur parcours scolaire, comme l’une d’entre eux le confie : « j’avoue qu’il y a peut-être ma confortabilité […] Je ne suis pas une grande consommatrice de [poésie] alors c’est difficile de transmettre ça après ». 2- Les limites matérielles entrainent aussi un important écart vis-à-vis des pratiques sociales poétiques : des enseignants dénoncent qu’il n’y a pas de recueils de poésie à leur disposition (la loi sur l’instruction publique ne permet pas d’en faire acheter par les parents) contrairement aux séries de romans, alors ils travaillent avec les manuels ou photocopient quelques poèmes à lire en fonction des tâches à réaliser. 3- Tous les enseignants s’imposent de terminer leur séquence sur la poésie par une ou même deux évaluations (production écrite à la manière de…, examen de connaissances), ce qui nous rappelle la critique de G. Fourez (2003) qui dénonce que les systèmes scolaires sont de plus en plus conditionnés par l’évaluation, reléguant au second rang les conditions d’apprentissage, le développement du plein potentiel des élèves et la formation des enseignants. Alors comment pourrait-on mesurer les émotions poétiques ou évaluer un poème du lecteur ? Les pratiques traditionnelles comme le repérage des figures de style et l’écriture d’imitation ou à contrainte servent l’évaluation, car elles offrent des critères objectifs et infaillibles pour juger les capacités des élèves (ex. : Voit-on les mêmes caractéristiques de la fable J. de la Fontaine dans la production de l’élève ? Retrouve-t-on dans le texte de l’élève les trois figures de style exigées, un champ lexical sur le thème choisi, la forme du sonnet, les alexandrins et les rimes croisées ?). Or, ces pièges de l’évaluation conduisent à se demander si ce qui est évalué par les enseignants est davantage tourné vers les capacités des élèves à imiter, reproduire ou repérer plutôt que celles d’interpréter, de créer ou de performer poétiquement… L’un des enseignants est très réaliste à cet effet : « La formule qu’on enseigne [et] qu’on évalue […] est “je te montre une façon d’écrire” […] c’est de la logique [mais] en même temps il n’y a pas de place à la créativité là-dedans pis on ne la permettra pas tant que ça ni au cégep4 ni à l’université cette créativité, on veut un rapport [formel]. Alors, je pense que des fois [l’évaluation] peut être un frein ». 4- La formation initiale insuffisante a aussi été dénoncée par quelques enseignants : « Je ne me souviens pas avoir fait une formation précise sur l’enseignement de la poésie », ce qui va dans le même sens que ce que nous avons décrit dans un autre article (Émery-Bruneau & Leclerc, 2018). 5- Le manque de formation continue souligné entre autres par une enseignante qui affirme voir très peu d’ateliers sur la poésie dans les congrès professionnels : « On va parler de grammaire, grammaire, grammaire. Beaucoup de grammaire. Mais poésie, très peu. » Pourtant cette enseignante de 1re secondaire a soulevé ce paradoxe : « Quand on voit que c’est un des quatre genres qu’on doit enseigner… C’est le quart ! Est-ce qu’en toute logique, il faudrait passer le quart de notre temps [à enseigner la poésie] ? »
Nous proposons cinq pistes didactiques pour y arriver, lesquelles sont complémentaires et organisées selon une progression spiralaire pour bonifier les expériences poétiques vécues par les élèves : 1° Habiter le poème – par la lecture subjective, la réécriture ou la performance – pour en faire son poème de lecteur. 2° Cheminer à travers les expériences poétiques pour progresser en tant que sujet lecteur/ scripteur/performeur. 3° S’approprier des savoirs sociaux, historiques et langagiers permettant de se situer et de s’orienter par rapport aux pratiques poétiques. 4° Apprécier différentes manifestations culturelles (ce qui inclut les perspectives sociales et historiques de la poésie). 5° Prendre conscience des transformations de son rapport aux savoirs, à la langue, à l’expérience poétique…
Falardeau, É. (2003). Compréhension et interprétation : deux composantes complémentaires de la lecture littéraire, Revue des sciences de l'éducation, 29-3, 673-694
"Si la compréhension est construction du sens à partir des éléments explicites et implicites du texte, l'interprétation sera spéculation sur le "pluriel du texte" (Canvat, 1999, p. 103), et exploration herméneutique. Et comme la spéculation et l'exploration n'appartiennent plus au domaine du consensus explicatif vers lequel tend la compréhension, l'interprétation poursuivra plutôt une "signification", qui renvoie étymologiquement à l'action d'"indiquer", de choisir parmi tous les possibles signifiants. Si le sens est en partie intrinsèque au texte, la signification en est extrinsèque, créée par un lecteur interprète qui cherche à produire de nouveaux signes à partir de ceux qu'il perçoit dans le texte. [...] En définitive, "la compréhension correspond à la stabilisation de l'interprétation : non plus "un point de vue sur" mais une interprétation supposée admise, et partagée"
Favriaud, M. & Liu, F. (2018). « Pour une écopoésie de l’apprentissage de la lecture au cycle 2, qui n’oublie pas les élèves en difficulté », Pratiques, 179-180. DOI : 10.4000/ pratiques.5334
Ce rapport fantasmatique à la vie et au langage est figuré originalement en poésie par des lieux et des personnages émergents, quasi détourés, « proto-lieux » et « proto-personnages », qui sont les enveloppes fugitives que chacun peut investir subrepticement, dans des histoires à peine esquissées, souvent mêlées, que l’on appellera « proto-histoires » (réfutant ainsi la fausse antonymie entre poésie et récit), selon des temporalités elles-mêmes intermittentes ou flottantes. Le monde de la poésie n’est pas un monde mis au carré par la psychologie, la chronologie et les repères orthogonaux de la logique et du simili-réel, mais une masse souvent plus indécise, rythmée par des énergies et des intensités alternatives, dont les images (métaphores et comparaisons métaphoriques) sont les parangons insolites : mettant en tension deux éléments hétérogènes, suscitant une étincelle d’histoire, un lambeau de rêve, qui s’ancreraient dans un réel subjectif.
La langue des poèmes et son rythme chaque fois singulier touchent aux couches les plus profondes de l’enfance par ses répétitions, refrains, rimes, allitérations et assonances, jouent et déjouent la signifiance, quasi sans référent explicite (Ricœur, 1975), par des incongruités, des jeux de mots, des polysémies, des suspensions – qui font lanterner – et des clausules – qui font couper court. Nous comprenons alors que cette langue est une création négociée et négociable entre la « lalangue » lacanienne – faite de mouvements corporels, de manducations-succions, de lallations et de cris orientés vers le parent proche – la langue standard, symbolique, sociale, qui à l’écrit devient doublement symbolique, et donc plus abstraite encore, et une langue à venir plus pleine, telle que définie par E. Coseriu (voir les articles de C. Gérard et R. Missire ici même). Certains poèmes au moins, sinon tous, en rejouant probablement le rapport premier (dialogique sinon chaotique) au langage, réassureraient et dynamiseraient ainsi, par régression et progression, aux plans imaginaire, psychologique et cognitivo-schématique, les enfants les plus en difficulté comme tout un chacun.
L’apprentissage de la lecture-écriture correspondrait au passage du langage oral, du corps-émotion de la petite enfance, au langage écrit, normé, décomposé, analysé, recombiné, sous l’injonction supérieure, relayée par les parents, du « devenir grand ». Si on ajoute que certains élèves sont partagés entre deux langues, maternelle et scolaire, et deux cultures et systèmes de croyance, ce deuxième saut symbolique pourrait être durablement traumatique pour plus d’un.
La poésie contemporaine pourrait opérer chez les élèves de GSM, CP, voire CE1, un triple effet : un « effet réparation » sur l’image de soi, un « effet loupe » et « un effet question » sur leur rapport à la langue de l’écrit ; elle aurait l’avantage, quasi définitionnel, de réaccorder harmonieusement le corps-émotion et le cerveau analytique et réflexif. Le passage par le réflexif, donc l’abstraction, quand il est coupé de son imaginaire d’enfant et de l’étayage perspicace du maitre, ne risque-t-il pas d’inhiber beaucoup d’enfants, sinon, à des degrés différents, tous ?
L’émotion en poétique et en réception de poésie s’abouche à l’imagination, tant reproductrice que créative. Narrativiser le poème, comme le font les enfants – ce qui peut laisser pantois certains maitres formés à la distinction radicale des genres littéraires – faire ou vivre les métaphores, c’est entrer dans l’imagination reproductrice et l’imagination créatrice, de frontière poreuse. M. Favriaud et al. (2011) avaient déjà pressenti que les élèves qui, au cycle 2, manifestaient l’imagination créatrice la plus surprenante, apparemment délirante, n’étaient pas, en fait, les moins avancés dans le rapport entre poésie et apprentissage de la lecture et de la langue ; ils investissaient plus de leur imaginaire singulier, faisaient un effort pour le narrativiser, et prenaient des risques, qu’il vaudrait mieux accompagner que censurer.
Le concept d’écopoésie a été inventé par le groupe Alep dans les années 2010 comme milieu d’apprentissage de la lecture et de la langue avec les arts et la poésie, empruntant à l’ergonomie tant du travail (G. Sensevy) que de l’enseignement-apprentissage (A. Jorro, sur les pas de M. de Certeau et de C. Lévi-Strauss) en intégrant l’éthique de la création (H. Meschonnic) et de la relation (S. Martin), et en faisant le lien entre l’imaginaire le plus singulier des apprenants et leur réflexivité sur la langue et les formes sémiotiques (Favriaud, Vinsonneau & Poletto, 2017, p. 223-232).
Les gestes professionnels du maitre y tiennent une place centrale, avec notamment les gestes de sécurisation et de lâcher-prise, d’« altérité » (Liu, 2018), de saisie de l’occasion bonne (kaïros d’A. Jorro) ou mauvaise (Favriaud et al., 2009, p. 175-199) et le geste clé de voûte de bonification, consistant à amener les élèves à un niveau réflexif supérieur (ibid., p. 184).
Le double geste de sécurisation et d’aide au lâcher-prise est essentiel dans toute démarche de création, qui risque d’abord de déstabiliser les apprenants ; on le retrouve notamment dans la « diction expérimentée et musiquée » (Favriaud et al., 2010, p. 49-61) et dans les ateliers d’écriture ; dans notre échantillon, le lâcher-prise est exemplifié par E réassemblant7, avec la bienveillance du maitre, les premiers mots des vers pour en construire un nouveau ou lisant étonnamment un vers à l’envers. Le geste d’altérité concourt alors à la bienveillance des pairs et à la discussion constructive de ceux-ci réunis en comité éditorial, à l’occasion des créations offertes. Le geste de kaïros porte l’énergie de rebond du maitre saisissant l’occasion qui le surprend lui-même (Voir le « Ah ! oui ! » de surenchérissement de D conversant avec P), valorise l’intervention de l’élève et pousse dans de nouvelles voies, d’expérimentation ou de réflexion.
Le geste majeur de bonification part lui aussi des propositions de l’élève pour amener celui-ci à un niveau de réflexion et de conceptualisation supérieure, dans ce que L. Vygotski appelait la « zone proximale de développement », dont l’étendue pourrait être alors plus ambitieusement large qu’on ne le prétend généralement, quand l’imaginaire est convoqué. D met en œuvre ce geste avec P quand elle fait comparer poésie et récit ordinaire ; la comparaison amène la réflexivité, avec les possibilités soit de distinction, soit de généralisation à un niveau de classification supérieure. L’entretien d’élucidation, duel ou collectif, pourrait devenir le genre d’activité majeur de cette aide à la réflexivité et à l’abstraction.
Les comptines et les poèmes – par leur double mouvement de régression-réparation et d’anticipation dynamique au plan psychologique – par leur effet d’écoute, de loupe et de questionnement au plan linguistique – permettraient le nouage des deux plans, mais à des conditions ignorées dans les années 1970-2000, que la recherche didactique et anthropologique devrait explorer systématiquement : des genres d’activité renouvelés, plus implicatifs, créatifs et délibératifs, engendrant l’émotion, le partage, la discussion et la négociation des valeurs, plus linguistiques et discursives que morales ; un milieu éthique, artistique, pré-philosophique, l’écopoésie, fondé sur le « commerce » des différences au sein de la communauté éducative ; une attitude professionnelle du maitre qui, ne pouvant relever de la spécialité littéraire, ne pourrait se situer qu’au niveau éthique, écologique, voire artistique.
Si nous essayons de construire le lien indissoluble et fondateur entre imaginaire et réflexivité au service de la lecture, de la langue et de la vie, c’est que nous estimons, selon le témoignage même des enfants, que l’éducation ne peut se faire sans art ni abstraction. Le métier d’enseignant serait pauvre et harassant s’il n’était qu’une technique ; il doit être requalifié en art, soucieux de soi-même, des autres et du monde. « L’agir professionnel » d’A. Jorro (2006) peut devenir un « agir poétisé », surtout si l’on entend la parole échangée avec D. Maximin : « les enfants en difficulté SONT des poètes ».
Giguère M.-H. & Aldama R. (2019). « Résoudre des problèmes liés à l'orthographe des homophones grammaticaux ». In
Scolagram
n°5, Pédagogie de la règle ou Didactique du truc ?. En ligne : https://scolagram.u-cergy.fr/index.php/content_page/item/280-resoudre- des-problemes-lies-a-l-orthographe-des-homophones-grammaticaux
Pédagogie du "truc" ; activités de négociation graphique ; dictées métacognitives ; importance des stratégies morphosyntaxiques dans le domaine de l'orthographe ; importance de l'observation du contexte syntaxique ; importance de l'étayage enseignant dans la métacognition et l'explicitation des stratégies ; "les trucs sont utilisés localement sur des mots pour résoudre des problèmes liés à une dimension plus large : la phrase."
Godde, E., Bosse, ML. & Bailly, G. (2021). Échelle Multi-Dimensionnelle de Fluence : nouvel outil d’évaluation de la fluence en lecture prenant en compte la prosodie, étalonné du CE1 à la 5e. L’Année Psychologique, 121(2), 19-43.
Ce type d’évaluation et d’entrainement tend à entretenir la confusion entre fluence et vitesse, en particulier chez les plus jeunes. En effet, il n’est pas rare de rencontrer des enfants d’école élémentaire pour qui lire bien, c’est lire le plus vite possible, sans aucun souci de rythme, d’expressivité ou de compréhension. Or, la vitesse et la qualité du décodage sont une base nécessaire, mais non suffisante, au développement d’une lecture fluente.
La bonne utilisation de la prosodie en lecture est en effet très utile, non seulement pour faire entendre une parole fluente à l’auditeur, mais aussi pour faciliter la compréhension du texte entendu. Par exemple, des pauses ou une intonation qui ne respectent pas la structure syntaxique d’un texte nuisent à cette compréhension. Le placement correct des pauses s’appuie énormément sur le repérage des ponctuations et l’intonation sur les ponctuations finales. Cependant, très souvent, cette ponctuation est insuffisante pour permettre une bonne gestion de la respiration, des pauses syntaxiques et de l’intonation. Il est alors nécessaire que le lecteur soit capable de découper le discours en unités syntaxiques, afin de produire des pauses et une intonation respectant cette syntaxe. Cette gestion « en-ligne » de la respiration, des pauses et de l’intonation d’un texte demande de l’anticipation. C’est donc une opération cognitive complexe qui demande du temps et de l’entrainement pour se mettre en place (voir Godde, Bosse & Bailly, 2020, pour une revue des études sur le développement de la prosodie en lecture).
Finalement la prosodie en lecture, i.e. la capacité à avoir une bonne intonation, et a fortiori de l’expressivité, est également très liée à la compréhension du texte par le lecteur. En effet, utiliser le ton adéquat, varier le volume et l’intensité de la voix de façon appropriée, suppose l’accès au sens du texte, car il y a peu d’indices typographiques de ces aspects du langage (Martin, 2011). Plusieurs études montrent un lien entre prosodie en lecture et compréhension écrite (Godde et al., 2020). Quelques études longitudinales semblent valider un lien bidirectionnel qui varie au cours du temps (Calet, Gutierrez-Palma & Defior, 2015 ; Veenendaal, Groen & Verhoeven, 2016 ).
Les définitions récentes de la fluence prennent en compte la prosodie. Une des définitions les plus citées est la suivante : « Une composante critique de la lecture fluente est la capacité à lire de façon prosodique, c’est à dire avec une expressivité et une intonation appropriées, et un phrasé qui permet le maintien de la compréhension » (o.p. Kuhn, Schwanenflugel & Meisinger, 2010, p. 233, traduit de l’anglais). D’autres définitions intègrent les mêmes dimensions prosodiques : phrasé, intonation et expressivité (Dowhower, 1991 ; Rasinski, 2004).
Golder, C. & Favart, M. (2003). Argumenter c'est difficile...Oui, mais pourquoi : Approche psycholinguistique de la production argumentative en situation écrite. Éla. Études de linguistique appliquée, no 130, 187-209.
"En effet, argumenter, c'est, en premier lieu, rendre vraisemblable pour l'interlocuteur ce qui n'était qu'un possible, qu'une supposition; le locuteur devra donc s'efforcer de donner des raisons, d'étayer ses arguments. [...] En second lieu, argumenter, c'est accepter que les choses ne vont pas de soi, qu'on est dans le domaine du contestable; la prise en compte du destinataire est ici une composante cruciale, et probablement davantage dans l'argumentation écrite que dans les autres types de compositions. [...] Une argumentation ne peut en effet avoir lieu sans la reconnaissance d'un désaccord et donc l'expression de plusieurs positions. Pour intégrer la dimension fondamentalement dialogique propre à l'argumentation, le rédacteur doit de ce fait être cognitivement capable de se représenter la multitude des points de vue possibles sur la question à débattre."
"Entre 10 et 17 ans, on assiste à une « dépersonnalisation » des arguments fournis (Golder, 1998; Golder et Pouit, 1999) : les arguments produits à 10-11 ans face à un interlocuteur adulte réfèrent très fréquemment à des valeurs ou expériences personnelles (environ 50 % des arguments produits). Ces arguments personnels ne représentent plus que 25 % des arguments produits à 13-14 ans. À 16-17 ans, on les voit réapparaître mais, cette fois, ils contribuent à spécifier un argument plus général : « moi l'école le samedi, ça me permet de faire du sport le mercredi matin, mais enfin pour les internes ça ne les arrange pas vraiment ». Il faut en effet attendre 16-17 ans pour que l'élève parvienne à défendre une position (la sienne) tout en considérant la possibilité d'autres positions."
"Rédiger un texte consiste à jongler entre d'une part le besoin de transmettre des idées (« quoi dire ? »), et d'autre part des choix à effectuer en fonction de contraintes rhétoriques associées (« comment le dire ? »). Une telle gestion est décrite par Bereiter et Scardamalia (1987), lors de l'application de la stratégie « knowledge transforming » (stratégie de transformation des connaissances). Véritable stratégie de résolution de problème, elle consiste à établir des buts et sous-buts à sa production en fonction des contraintes de l'« espace rhétorique » : destinataire, buts assignés à la production et texte déjà produit. La prise en compte de ces contraintes opère sur les connaissances en mémoire (« espace des contenus »), les « transformant » selon de nouvelles mises en relation qui découlent d'un ajustement perpétuel en fonction des demandes respectives de ces deux espaces et de leur interaction. Les problèmes dans l'espace de contenu, exprimés sous la forme « quoi dire ? », sont traduits en questions nécessitant une solution dans l'espace rhétorique. Dans ce dernier, les problèmes sont exprimés sous la forme « comment le dire ? » et les nouvelles décisions prises dans cet espace créent de nouveaux problèmes dans l'espace des contenus, et ainsi de suite (Scardamalia, Bereiter et Steinbach, 1984)"
"dans les premiers temps, les enfants ont tendance à appliquer à l'écrit le système de l'oral (Bereiter et Scardamalia, 1987). Ils adoptent une stratégie alternative, appelée « kowledge telling » (des connaissances rapportées) qui leur permet de contourner les difficultés liées à la transformation de connaissances propre à la stratégie « knowledge transforming ». Elle est décrite comme une « stratégie adaptative pour le scripteur en développement » (Mc Cutchen, 1996), qui permet à l'écriture de s'installer sans que l'enfant ait à en gérer d'emblée tous les inconvénients, en éliminant les contraintes de la planification et de la révision (Mc Cutchen, 1994). La planification y opère pour l'essentiel dans l'espace des contenus, par cycles de récupération/production. L'accès à l'information s'effectue selon l'ordre conventionnel d'énonciation : quand un item adéquat a été récupéré, il est transcrit et le processus reprend pour l'item suivant. La planification est ainsi effectuée pas à pas (Bereiter et Scardamalia, 1982), par le biais d'une gestion locale (Schneuwly, 1988). Les enfants procèdent au « coup par coup » (Fayol et Schneuwly, 1987), et structurent leur texte comme une liste (Mc Cutchen et Perfetti, 1982). Leur seule préoccupation en cours de production est selon Bereiter et Scardamalia (1987) « quoi dire ensuite ? »."
dès 8 ans, en situation orale, les enfants sont capables de produire des raisons pour soutenir leur point de vue et d'imaginer les raisons qui soutiennent un point de vue adverse lorsque certaines conditions liées au thème sont réunies : le thème doit être familier, le sujet doit se sentir subjectivement impliqué par le thème du débat (avec éventuellement une perspective de gain, qu'il s'agisse d'un gain réel ou symbolique), les données initiales du débat doivent être présentées de façon compréhensible et mémorisable.
Goigoux, R. (1998). Apprendre à lire : de la pratique à la théorie. In : Repères, n°18, pp. 147-162.
"Ces lecteurs croient en particulier qu'il leur suffit de décoder tous les mots d'un texte pour le comprendre [...] Bon nombre d'entre eux s'efforcent de mémoriser la forme littérale des énoncés et procèdent à l'inverse des lecteurs habiles qui centrent toute leur attention sur le contenu et non sur la forme littérale (qui fait toujours l'objet d'un oubli rapide). [...] Ils considèrent la lecture comme une suite d'identifications de mots débouchant naturellement et sans intention particulière de leur part sur une compréhension univoque du sens du texte. [...] C'est en cycle 2 qu'ils ont appris à identifier tous les mots d'un texte avant de chercher à comprendre le sens de ce texte. Et plus ils ont été en difficulté, plus les maitres ont accentué les clivages entre déchiffrage et compréhension, entre compréhension littérale et compréhension inférentielle."
Goody, J. (2006). La technologie de l'intellect. Pratiques, 131(1), 7‑30. https://doi.org/10.3406/prati.2006.2114
Guernier M.-C. (1999) Lire et répondre à des questions au cycle 3. In : Repères, n°19. pp. 167-181.
Les analyses des discours portant sur ce que, d'un commun accord, maîtres et élèves appellent l'activité de lecture silencieuse (5) mettent en évidence, et sans réelle surprise que, pour les élèves, lire en classe c'est avant tout répondre à des questions sur le texte, étant entendu que ces questions sont celles posées par le maitre, et non les questions que les élèves se poseraient sur le texte (6). La description de l'activité « répondre à des questions » domine largement dans les discours que les élèves de primaire construisent sur la lecture scolaire et lors des entretiens, à la question Que faites-vous en lecture en classe ?, les élèves interrogés répondent presque exclusivement Répondre à des questions. Cette similitude des formulations est d'autant plus significative que, par ailleurs, ces élèves produisent des discours sensiblement différents sur la lecture pratiquée hors l'école et sur le rapport qu'ils entretiennent avec l'école (7).
Il en résulte que ce n'est pas tant l'activité pédagogique en elle-même qui pose problème, et ici, en particulier, l'activité de questionnement, mais plutôt l'implicite didactique et symbolique dans lequel elle est maintenue. Il n'y aurait pas en soi de bonnes et de mauvaises questions sur les textes, il n'y aurait pas en soi de bonnes et de mauvaises activités de lecture (les exercices de closure ne sont pas en soi de meilleurs exercices que les questions). En revanche, on peut avancer qu'une activité devient didactiquement pertinente et permet la construction de la compétence lecturale, si on veille à ce que les élèves en construisent le sens dans sa dimension scolaire et socio-culturelle.
Haas G. (1999). Les Ateliers de négociation graphique : un cadre de développement des compétences métalinguistiques pour des élèves de cycle 3. Repères, 20.
Huynh, J. (2008). L'image dans des manuels de collège et de lycée : 1990-2006. Le français aujourd'hui, 161, 21-32. https://doi.org/10.3917/lfa.161.0021
La recontextualisation des images dans les manuels est de deux ordres : le rapport d’illustration préexiste à l’emprunt ou il est établi par les concepteurs du manuel. Dans le premier cas, il procède d’un lien organique, intrinsèque entre le texte source et l’image, il est le résultat de choix artistiques, esthétiques… et il s’inscrit dans une tradition. Ainsi en est-il de l’illustration des contes (gravures de Gustave Doré pour Le petit Chaperon rouge ou illustrations empruntées aux albums de jeunesse – Hac6 90, Hat6 00), de tableaux représentant des scènes bibliques ou encore des affiches de films transposés d’œuvres littéraires ou fictionnelles (Mag6 00). Dans le second cas, il s’agit le plus souvent de tableaux extraits de leur milieu d’origine, de conservation ou d’exposition (musée, chapelle, rue…) pour accompagner les textes selon des objectifs illustratifs ou didactiques décidés par les auteurs des manuels. Le statut de l’illustration dans ces deux cas n’est pas posé, ni son degré de légitimité. Les images sont mises sur le même plan. Certains manuels questionnent de manière indifférenciée les illustrations originales du manuel et les illustrations importées (Hac6 00, 05). Or les différences entre ces rapports d’illustration, gommées dans l’exploitation des images, peuvent-elles être sans effets sur leur réception ou leur lecture ?
Cette culture visuelle historicisée, en même temps qu’elle est construite, est également exploitée pour faire prendre conscience des correspondances entre des formes artistiques d’une même époque, la confrontation littérature et peinture ayant la faveur des manuels : Caspar David Friedrich, Turner ou Delacroix, Caillebotte ou Courbet pour le XIXe siècle, romantisme et réalisme. La place du questionnement sur les illustrations est à cet égard significative et se généralise dans les manuels des années 2000 : l’image, seule ou en groupements, est convoquée en début de séquence, en introduction à l’étude des textes littéraires. Elle est utilisée comme substrat à leur situation temporelle et sociale, comme aide à une réception historicisée et non uniquement actualisée par le lecteur. Ou bien en fin de séquence, en prolongement et ouverture, en confirmation ou bilan des approches thématiques, formelles caractéristiques d’une période ou d’un genre littéraires. L’illustration fait en quelque sorte fonction d’histoire littéraire.
L’image peut également éloigner du texte, ou brouiller l’entrée en lecture, quand le rapport d’illustration manque d’évidence parce que trop ouvert ou trop subjectif. Mais surtout, le rapprochement texte image peut induire une lecture erronée qui extrapole et trahit la lettre du texte : ainsi le tableau évoqué plus haut montre le tremblement de terre à Lisbonne comme un effet de la punition divine, des anges, armes à la main, survolent le désastre terrestre… alors que Panglos dans Candide évoque l’action du Volcan. Certes, le choix de ce tableau n’est pas insensé (il y aura un autodafé pour empêcher la terre de trembler), mais l’illustration, sans exploitation explicite de la tension entre le texte et l’image, risque bien de fourvoyer la compréhension du texte.
Les illustrations recontextualisées posent d’autres problèmes spécifiques dans leur rôle de médiation au texte. Fruit artistique d’autres lectures, d’autant plus prégnantes qu’elles sont organiquement et subjectivement liées au texte, inscrites dans une culture et légitimées, ne privent-elles pas la lecture de l’élève de son potentiel de représentations personnelles, d’images mentales, de visions intérieures ? Lit-on de la même manière le texte de la Genèse selon qu’il est illustré par des enluminures médiévales ou des tableaux montrant le Paradis terrestre ? Comment entre-t-on dans la lecture de l’Exode après avoir vu les affiches ou les photogrammes du péplum de C. B. De Mille Les Dix Commandements avec Charlton Heston brandissant les tables de la loi ou dans la lecture de L’Odyssée avec Ulysse-Kirk Douglas attaché au mât du navire dans le film éponyme de Mario Camerini ? L’imagination et la pluralité du sens textuel sont prises au piège de la représentation visuelle.
Hamez, M. (2015). L'enseignement de l'écriture dans les textes officiels des XIXe, XXe et XXIe siècles pour le français langue première et seconde dans les établissements du secondaire en France : Le rôle de l'enseignant. https://journalhosting.ucalgary.ca/index.php/cjnse/article/view/30671
"L'ensemble de recommandations visant à faire évoluer les pratiques d'enseignement de l'écriture des professeurs de français en classe d'accueil et en classe ordinaire ignorent la réalité des conditions de travail de ces derniers. Elles ne tiennent compte ni des contraintes contextuelles (horaires, durée des séances, nombre d'élèves, niveau des élèves) ni des ressources sémiotiques et matérielles de leur environnement de travail (outils documentaires, matériel disponible, aménagement de l'espace). Elles ne précisent pas non plus comment mettre concrètement en place avec les élèves une démarche d'amélioration de leurs textes, comment enseigner l'écriture."
Jurado, M. (2010). Un autre regard sur la classe de français. Le français aujourd'hui, 171, 61-74. https://doi.org/10.3917/lfa.171.0061
"À quoi sert l'écriture ? [...] La plupart des collégiens conçoivent l'écriture comme "ce qui sert à copier ce qu'il faut retenir, non à s'exprimer", encore moins à réfléchir ou communiquer. Les deux tiers estiment que ce qu'ils écrivent le plus souvent ce sont des leçons, cours, devoirs, ce qui est révélateur d'une vision de l'écriture restreinte aux tâches dominantes (la copie du cours). Rares sont ceux qui citent "l'expression écrite", confirmant qu'ils n'ont pas le sentiment d'en faire souvent. Plus révélateur encore est le malentendu entre les professeurs et les élèves en ce qui concerne la révision de leur écrit : les collégiens sont "peu soucieux d'écrire correctement et ne se relisent jamais", disent les professeurs en réunions pédagogiques ; or 94 % des élèves affirment "relire" leurs écrits et 78 % précisent qu'ils font "attention à la correction de la langue" et à "l'orthographe" en français, au détriment des "idées" et de "l'organisation des idées"."
"80 % des séances observées d'une année sont des lectures analytiques", "si le professeur de littérature se montre rarement professeur d'écriture c'est que celle-ci est souvent reléguée en fin de séquence ou en devoir-maison. Pourquoi écrivent-ils si peu ?"
"Autre habitus, le "discours de la méthode" : si le professeur de littérature se montre rarement professeur d'écriture c'est que celle-ci est souvent reléguée en fin de séquence ou en devoir-maison. Pourquoi écrivent-ils si peu ? Même lorsqu'elle fait partie des tâches prévues, le professeur conduit essentiellement l'apprentissage des préalables à l'écriture (règles et méthode). Outre l'abondance de fiches méthodologiques nourrissant les classeurs, traces du travail considérable de l'enseignant, l'initiation à l'écriture suit un parcours méthodique guidé : après l'analyse du sujet le professeur propose un plan formellement logique, ou un schéma de discours, puis le fait compléter par les exemples, avant de faire rédiger, ce qui reporte l'écriture au mieux en fin de séance, sinon à la maison."
"C'est d'abord dans l'expérience que s'élaborent un certain savoir-faire, et secondairement une prise de conscience de son propre processus d'écriture. Prise de conscience fragmentaire, incertaine et perfectible. Autrement dit : je n'obéis pas à des règles en écrivant, pas même à des règles que j'aurais moi-même définies, et je n'applique aucun modèle ou recette. J'essaye seulement de tenir tous les fils d'un tissage complexe pour lequel je n'ai pas de métier à disposition (et que ce mot "métier" soit entendu dans sa polysémie). Aussi, rien ne m'effraie autant que d'entendre des enfants me dire que, pour écrire, ils appliquent "le schéma narratif"." (Bernard Friot, Comment j'ai écrit certaines des Histoires pressées, 2008)
Laieb, N. (2010). Apprendre à « geaser »: Le gease, une méthodologie pour appréhender l'analyse de situations éducatives complexes. Les Cahiers Dynamiques, 48, 78-83. https://doi.org/10.3917/lcd.048.0078
Le dispositif est scandé par des phases repérées et respecte un timing rigoureux. De façon brève, après le choix d'une situation, il convient de situer classiquement quatre grandes phases suivies d'une phase finale (même si dans la conduite il existe des variantes) : la présentation de la situation-problème par un narrateur, les questions informatives des pairs centrées sur le « comment » et non le « pourquoi », la formulation des hypothèses de compréhension, les propositions d'action. Une autre phase vient clore le dispositif en se détachant de la situation-problème, il s'agit ici de l'évaluation du dispositif lui-même à partir du vécu des stagiaires.
Le Goff, F. (2023). « Les postures de lecture, vingt ans après », Repères, 66 | 2022. DOI : https://doi.org/10.4000/reperes.5387

Familles d'indicateurs dans l'étude originelle…

… pour une identification des postures

Valeur de la posture pour décrire la relation du lecteur avec le texte toujours dans la recherche originelle

Famille d'indicateurs actualisée à l'issue de la nouvelle recherche

Non observée

Texte-obstacle

Non décrite

Expression de la difficulté à lire, à saisir le déroulement de l'histoire et la logique des actions

- nombre de mots

- lecture partielle de la nouvelle

- contresens sur la logique des actions des personnages

Texte-tâche

« L'élève reste en extériorité complète au texte et à la situation qui lui est proposée. Il n'est en activité ni cognitive, ni langagière, ni psycho-affective. »

- nombre de mots

- lecture partielle de la nouvelle

- narrativisation à visée de compréhension

- lecteur absent ou périphérique

- énonciation neutre

- paraphrase simple

- paraphrase explicative

- résumé des actions

- synthèse thématique

Texte-action

« L'élève lit l'histoire qui est racontée », « il met en œuvre son propre système de valeurs morales », « il joue le jeu de la fiction », « la lecture est à dominante psychologique et moraliste, voire moralisatrice », « les élèves restent à l'intérieur de l'histoire »

- narrativisation à visée d'explication

- lecteur présent, impliqué

- identification aux personnages

- hypervalorisation de la fable

- marques du jugement de gout et du jugement de valeur

- émotion du lecteur dite

- identification du lecteur aux personnages

- commentaire, jugement moral, normatif

- mise en relation avec le monde de l'expérience sociale

- méditation philosophique, exploration d'un problème, questionnement

- vocabulaire plus abstrait, généralisant

Texte-signe

« Le texte est lu comme une fable », « Le texte devient problème, énigme », « Le texte est perçu comme le reflet d'une réalité », « La distance avec l'histoire permet de sortir du jeu de l'illusion de réalité »

- vocabulaire abstrait, généralisant

- sens figuré, jeu des connotations

Texte-tremplin

« Les commentaires décollent du texte », « Le texte s'organise autour d'un point de vue », « Le texte est un prétexte »

- actualisationa et utilisationb du texte - orientation argumentative du commentaire

- lecture technique du texte sans construction de sens

- lecture du texte en mettant en relation narré/narration

- lecture critique et du sens du texte (point de vue sur le texte)

- emploi de métalangages

Texte-objet

« Le lecteur expert », « L'élève arrive à mettre en relation le texte, le sens, la lecture », « L'élève se pose en dehors du texte pour pouvoir analyser le texte », « L'élève s'est sorti de “l'agir du texte” », « Le texte est enfin dominé »

- effets rhétoriques et passionnels de la fable

- vocabulaire de spécialité

- citations à valeur de preuve

- énonciation neutre

- lecteur absent ou une abstraction

a. Nous retenons, parmi de nombreuses propositions, cette définition minimale de l'actualisation dans l'exercice de la lecture : « Actualiser, c'est donc d'abord rendre actif et résonnant dans notre environnement présent, pour nos subjectivités présentes, un potentiel de signification porté par les œuvres héritées du passé (proche ou lointain) » (Citton et Massol, 2020, p. 218).

b. Utilisation et interprétation sont chez Umberto Eco (1992) deux modèles abstraits présents dans l'activité de lecture, avec cependant une distinction notable : en tant que sémioticien, il estime que la « libre utilisation [des textes] n'a rien à voir avec leur interprétation, bien qu'interprétation et utilisation présupposent toujours une référence au texte-source, du moins en tant que prétexte » (1992, p. 46). Annie Rouxel, dans une approche didactique des pratiques de lecture, avance que « l'utilisation du texte est avant tout signe d'appropriation du texte par le lecteur et source de sa jouissance. Elle est constitutive de l'expérience de lecture » (2007, p. 53).

Lesage, B. (2021). Un corps à construire: Tonus, posture, spatialité, temporalité. Toulouse: Érès.
La notion même d’expressivité implique son complémentaire l’impressivité ; nous parlons de relation qu’on peut qualifier de pressive avec ses valences centrifuge (ex-pression) et centripète (im-pression). Tous les professionnels de l’expressivité, que ce soit en danse, en théâtre, en mime…, savent que pour développer l’expressivité il faut affiner l’écoute, la sensibilité, la capacité de l’artiste à décrypter et à recevoir l’expression de ses partenaires. De même qu’apprendre à parler c’est aussi savoir entendre la langue et en percevoir les nuances, apprendre à bouger implique de décoder les qualités de mouvement des protagonistes, et de façon plus large savoir se laisser affecter par ce qui nous entoure. C’est donc autant sur l’impressivité que sur l’expressivité que porte le travail. Avec des populations en souffrance, nous sommes amenés à aborder les deux aspects. Si l’on veut enrichir le nuancier expressif d’un individu, il faut lui faire explorer ses ressentis, lui permettre d’amplifier et de clarifier le jeu des résonances qui l’émeuvent par empathie. D’où l’importance des exercices d’écoute et d’accordage.
Lussi Borer, V. & Ria, L. (2016). Apprendre à enseigner. Presses Universitaires de France.
Fuller fut l'une des premières à estimer que l'identification des préoccupations des enseignants devait servir de guide pour la mise en place de leurs plans de formation. Cette auteure a proposé une modélisation de leurs préoccupations en quatre phases de développement : la première pendant laquelle les étudiants en formation n'ont pas de préoccupation spécifique par rapport à l'enseignement ; la seconde constituée de préoccupations focalisées sur « soi-même » et sur sa propre survie lors des premières expériences d'enseignement ; la troisième se caractérise par un déplacement des préoccupations, de plus en plus focalisées sur les situations d'enseignement, puis pour la dernière phase, sur les effets de l'enseignement sur les élèves. Selon Fuller, l'enjeu est de déplacer les préoccupations des enseignants vers des niveaux hiérarchiquement supérieurs : d'une focalisation égocentrée vers une focalisation sur les élèves et leurs apprentissages.
Selon [Durand], cinq niveaux gradués de préoccupations professionnelles structurent hiérarchiquement l'activité enseignante : un premier niveau relatif à « l'ordre en classe », comme premier palier de l'action pédagogique visant le contrôle des élèves, l'obéissance aux règles disciplinaires ; un second niveau relatif à la « participation de tous les élèves », pour engager ceux-ci dans les tâches scolaires ; un troisième niveau relatif au « travail » visant pour les élèves un travail adapté à leurs moyens ; un quatrième relatif à « l'apprentissage » visant le dépassement du caractère immédiat de l'engagement des élèves dans un travail pour évaluer ses effets dans un terme plus lointain et enfin, un cinquième niveau relatif au « développement », correspondant à l'intention d'apprécier l'activité des élèves selon une visée éducative à long terme.
Maulini O. (2004). Un enjeu invisible de l'innovation pédagogique : l'institution du questionnement. In Transformer l'école. De Boeck Supérieur.
Pédagogie du texte, pédagogie de la question, pédagogie du contexte
Mercier A. (1996). La création d'ignorance, condition de l'apprentissage. Revue des sciences de l'éducation, 22.
Miyakawa, T., & Winsløw, C. (2009). Un dispositif japonais pour le travail en équipe d'enseignants : étude collective d'une leçon. Éducation & didactique, 3‑1, 77‑90. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.420
Morel, F., Bucheton, D., Carayon, B., Faucanié, H. & Laux, S. (2015). Décrire les gestes professionnels pour comprendre des pratiques efficientes. Le français aujourd'hui, 188, 65-77. https://doi.org/10.3917/lfa.188.0065
Le maintien d’une certaine atmosphère passe par une multitude de gestes, sourires, déplacements, plaisanteries, interpellations ou regards. Par la qualité et la personnalisation des feedbacks aux élèves, l’enseignant essaie de créer et de maintenir des espaces dialogiques oraux ou silencieux, heureux ou parfois orageux. Il a en charge le maintien non de l’ordre mais d’un climat cognitif et relationnel, d’un ethos qui autorise la singularité de la parole de l’élève dans l’espace protégé de la classe.
Le pilotage est la bête noire du débutant. C’est pour lui un souci matériel constant que de gérer conjointement les diverses contraintes relatives au temps : la succession des tâches prévues, le programme, les évaluations ; celles relatives à l’espace et au matériel : les possibilités offertes par la disposition des tables, affichages, le matériel pédagogique ou technologique disponible. Le pilotage demande des ajustements très variables selon le type de dispositif (travail collectif, en groupes, en atelier dirigé, par binômes, dans des classes à plusieurs niveaux).
Le tissage est une préoccupation assez peu présente chez les novices comme chez les experts (4 % de leurs gestes professionnels). La métaphore renvoie à l’idée que le savoir se construit et prend sens d’abord dans le « déjà là ». Les gestes de tissage traduisent le souci chez l’enseignant de relier l’avant et l’après de la tâche, le dedans et le dehors de la classe, permettant de faire du lien avec ce qui a été appris à l’école ou ailleurs, dans les leçons ou travaux précédents, dans l’expérience personnelle, les lectures. Ces gestes de tissage sont essentiels pour les élèves « décrocheurs », ou « suiveurs passifs » qui « font » consciencieusement les tâches sans en comprendre les finalités.
L’étayage (Bruner 1983) est une préoccupation majeure qui s’actualise en diverses postures. L’étayage manifeste le souci de l’autre, l’empathie nécessaire pour l’accompagner dans son parcours d’apprentissage. On observe que, pendant le déroulement de la leçon ou des tâches programmées, ce souci d’étayage oblige l’enseignant à ajuster et à réorganiser l’ensemble de ses préoccupations : modifier l’exercice prévu, prendre du temps pour revenir sur une notion, focaliser l’attention sur un élément problématique du savoir, le faire repérer, nommer et en même temps maintenir l’engagement des élèves par toutes sortes de tissages, d’encouragements, parfois de menaces.
Orange, C. (2010). Situations forcées, recherches didactiques et développement du métier enseignant. Recherches en éducation, HS2. https://doi.org/10.4000/ree.8864
"Le nom d'ingénierie est choisi par comparaison avec le travail de l'ingénieur qui s'appuie sur les connaissances scientifiques d'un domaine, accepte de soumettre son travail à un contrôle scientifique, tout en étant obligé de travailler sur des problèmes trop complexes pour qu'ils puissent être totalement réduits à des objets scientifiques (Artigue, 1990).", "« Nous entendons par obsolescence le phénomène suivant : les maîtres, d'une année à l'autre, ont de plus en plus de mal à reproduire les conditions susceptibles d'engendrer chez leurs élèves, à travers peut-être des réactions différentes, une même compréhension de la no­tion enseignée. Au lieu de reproduire des conditions qui tout en produisant le même résultat laissent libres les trajectoires, ils reproduisent au contraire une "histoire", un déroulement semblable à celui des années précédentes, par des interventions qui, même discrètes, dénaturent les conditions didactiques garantes d'une signification correcte des réactions des élèves : les comportements obtenus sont apparemment les mêmes mais les conditions dans lesquelles ils ont été obtenus en modifient le sens, plus proche du comportement culturel. »"
Pavis, P. (2018). Dictionnaire de la performance et du théâtre contemporain (pp. 199-202). Paris: Armand Colin.
La grande découverte est peut-être que la lecture est aussi une performance et qu’elle n’est pas radicalement différente de la réception de la représentation par le spectateur
La voix du comédien, note Agnès Desarthe, "éclaire le texte de l’intérieur, l’effet produit est celui d’une loupe, très légère"
"La lecture solitaire et silencieuse d’un texte de théâtre peut être difficile : il y a du vide, des choses qu’on ne comprend pas. Tandis que sa lecture à voix haute peut le rendre lumineux. (…) La lecture donne à l’auditeur l’opportunité d’élaborer sa propre mise en scène, de mettre à l’œuvre son propre imaginaire ou d’être simplement au plus proche de la langue. Lire à voix haute, c’est s’adresser à l’oreille et laisser l’œil, saturé d’informations, en repos."
Penloup, M. (2017). Didactique de l’écriture : le déjà-là des pratiques d’écriture numérique. Le français aujourd'hui, 196, 57-70. https://doi.org/10.3917/lfa.196.0057
Contrairement aux prédictions des années 2000, annonçant la disparition programmée de l’écriture au profit du téléphone, on observe, dans tous les pays développés, que le développement du numérique a coïncidé avec un développement exponentiel des sollicitations à écrire (réseaux sociaux, sites en tous genres) et à l’apparition de nouveaux genres de l’écrit (courriels, blogs, etc.). L’acte même d’écrire se trouve modifié par le contexte numérique : les outils et contextes de communication (synchrone/asynchrone, pour un seul destinataire ou un groupe de « contacts ») se sont considérablement élargis (Liénard 2014 : 116), ainsi que les moments et les lieux d’écriture (Schneider 2014) ; la gamme des relations interpersonnelles à l’écrit s’est diversifiée, en particulier avec l’irruption, dans les forums de discussion, d’une relation écrite dans le même temps intime et faiblement interpersonnelle, mettant en jeu des relations paradoxalement coopératives et inégalitaires, ludiques et agressives (Marcoccia et al. 2014).
Avec le numérique, tout d’abord, comme le souligne J. Gerbault (2012), le champ des compétences dont il faut équiper les enfants et adultes du 21e siècle s’élargit. Au-delà de compétences opératoires, ils ont besoin, en particulier, de compétences d’ordre « métascriptural » pour lire ou écrire sur un écran en prenant conscience, par exemple, des formes invisibles de formatage de l’écrit, des « choix éditoriaux liés à la présentation de soi au sein d’un réseau » (Cailleau et al. 2010) ou encore des guidages dont ils sont l’objet à travers le jeu des hypertextes. Il appartient à l’école d’introduire ces nouveaux objets d’enseignement liés à la littératie numérique, d’aider les élèves à « grandir connectés » (Cordier 2015) en veillant à déterminer, sans tomber dans le mythe de « digital natives » (Fluckiger 2011), ce qu’ils ont acquis dans les pratiques sociales et ce qu’il faut leur enseigner.
Dans le même temps, le numérique renouvèle profondément, on le sait, les outils à disposition pour enseigner des contenus disciplinaires. S’agissant de la discipline « français » et plus précisément de la production d’écrits, il est aujourd’hui indispensable d’explorer les ressources pour lire, écrire, créer avec les TICE au collège et lycée en français. Il est manifeste, par exemple, que les outils numériques offrent des moyens inédits de court-circuiter la difficulté à passer à l’écriture (Liénard et Penloup 2011a), mais aussi de renouveler l’approche de l’enseignement de l’écriture créative sur la base de formes d’écriture collaborative (Gilliot 2012) qui modifient la posture des élèves, leur fournissent un autre biais d’accès au littéraire (Petitjean et Houdart-Merot 2015).
Cette variété du français surgie avec le développement du numérique menace-t-elle la maitrise du français normé ? Les analyses ne vont pas dans ce sens, montrant, pour l’heure, une absence très généralisée de confusion entre les variétés, malgré quelques effets probables sur l’augmentation des erreurs de segmentation (ta pour t’a, enfait pour en fait) ou des erreurs sur les finales en -é (Joannidès 2014). Certaines études montrent même que les élèves qui recourent le plus aux « textismes » propres au langage SMS seraient ceux qui maitrisent le mieux la norme (Bernicot et al. 2014). Il nous parait judicieux de faire de cette variété que tous les élèves comprennent (Joannidès 2014) et qu’ils sont nombreux à produire dans des proportions variées, un objet d’étude et d’échange au sein de la classe. Tout d’abord, cette variété du français qu’est le français numérique a beau être assez largement chronolectale, et donc appelée à disparaitre du répertoire de nombreux sujets, du moins dans sa forme la plus marquée, elle offre l’occasion de faire prendre conscience du fait que, contrairement aux idées reçues, l’existence de variétés est inhérente à la langue, à l’oral comme à l’écrit.
Que nous disent ces extraits ? Ils nous parlent d’abord, indubitablement, d’une identité jeune dont l’alternance codique est le marqueur, d’une forme de métissage joyeux des langues et des cultures qui s’exprime aussi de façon savoureuse dans cet autre extrait de blog où viennent se rencontrer deux univers culturels (celui des quartiers riches des séries américaines et celui de la misère sociale en France) : « Mon quartier c’est Desperate housewives version cotorep ». Mais l’alternance codique peut aussi être le signe d’un bilinguisme et on la trouve alors très volontiers dans les échanges de SMS. Le numérique fait exploser ce genre de messages. Il libère un discours qui offre le moyen au locuteur plurilingue de ne pas devoir effectuer, entre les langues de son répertoire, un choix susceptible d’être problématique, voire douloureux. L’enjeu de l’alternance est alors celui d’une loyauté qu’il peut être très important d’identifier (à partir d’extraits anonymés et jamais d’écrits d’élèves de la classe), pour qu’elle ne constitue pas un obstacle à l’apprentissage du français. C’est aussi l’occasion donnée pour faire réfléchir, de manière plus large, à l’identité plurielle de tout sujet langagier.
Écrire une fanfiction consiste à écrire une histoire en reprenant les éléments d’un produit culturel de masse que l’on apprécie : production littéraire, cinématographique ou artistique. Le phénomène s’est d’abord développé à la fin des années 1960 avec la série télévisée Star-Trek : dans les fanzines, les spectateurs imaginent ce qui se passe une fois l’épisode terminé. Avec le développement d’internet, la « fanfic » devient une pratique communautaire : sur des plateformes spécialisées, les fans publient par chapitre et attendent un retour de leur audience sous forme de commentaires. Elle prend une énorme ampleur avec la saga des Harry Potter : le site < fanfiction.net > comptabilise ainsi, à la fin du mois d’octobre 2016, 753 000 histoires produites, toutes langues confondues, par des fans de Harry Potter. Les lecteurs-auteurs prolongent l’œuvre originale de multiples façons : ils comblent les « trous » laissés dans l’histoire par l’auteur, font vieillir les personnages, développent un personnage secondaire, etc. L’extension de l’œuvre aboutit parfois à une œuvre multimodale, plurimédia voire transmédia, mais nous nous en tenons ici aux modifications de l’ordre du scriptural. À travers l’écriture de fanfiction, le fan retravaille le « canon », c’est-à-dire le contenu officiel, le texte de référence. Il peut aussi écrire un « cross-over », c’est-à-dire croiser des univers, faire se rencontrer la reine des neiges et Harry Potter, Batman et Peter Pan. Ces nouvelles manières de faire des publics élargissent les frontières des œuvres mais brouillent aussi celles qui séparent les lecteurs des auteurs.
L’un des points qui nous parait, par ailleurs, particulièrement intéressant et instructif pour l’enseignement du français, c’est la manière dont s’est effectué pour ces trois jeunes femmes le passage à l’écriture : il a été, dans les trois cas, précédé d’une phase assez longue de lecture seule, et il se fait au sein d’une communauté qui accompagne avec bienveillance l’entrée en écriture. Les étudiantes soulignent toutes les trois cette forme d’étayage par des pairs : « Avant, dit Hortense, j’étais culpabilisée par la "grande" littérature. En fait ça (la fanfiction) déculpabilise beaucoup ». Elles affirment avoir progressé en écriture.
D’un point de vue didactique, ces écrits de fanfiction ouvrent sur de nombreuses pistes et questions dont la première est le constat d’une écriture extrêmement genrée ; les garçons étant pour ainsi dire absents de ces communautés. Cette scission garçons/filles au regard des écrits fictionnels spontanés interroge d’autant plus qu’elle fait écho à une moins grande appétence pour l’écriture dans les sphères personnelles et scolaires et semble en lien avec une moindre réussite scolaire dans le domaine de la production d’écrits. Peut-être serait-il temps de s’en inquiéter. Les stratégies de passage à l’écriture, mais aussi les apprentissages qui s’effectuent sont à analyser, voire à calquer, ainsi que les modes d’étayage qui les accompagnent.
Petitjean, A. (2005). Écriture d'invention au lycée et acquisition de savoir et de savoir faire. Pratiques, 127(1), 75‑96. https://doi.org/10.3406/prati.2005.2078
"L'enseignement du français [...] apparaît comme particulièrement castrateur et réducteur en la matière. Le bilan est assez alarmant : réduction des écrits en vigueur à la glose métatextuelle ou à des délibérations argumentatives sur des objets strictement littéraires ; absence d'un apprentissage progressif de la maîtrise de ces écrits ; non-prise en compte des élèves comme des sujets scripteurs autorisés et dont on ignore les pratiques scripturales extra-scolaires (du journal intime aux nouvelles technologies) ; méconnaissance de la variété des usages scripturaux et imposition subséquente de surnormes linguistiques ou rhétoriques ; valorisation d'un rapport esthético-formel aux textes littéraires au détriment de leurs enjeux ethico-pratiques...Il s'ensuit, comme le montrent les enquêtes, que la discipline dont on vante les finalités émancipatrices génère en fait de l'insécurité scripturale et de l'inappétence lectorale"
Pilorgé, J. (2010). Un lieu de tension entre posture de lecteur et posture de correcteur : les traces des enseignants de français sur les copies des élèves. Pratiques, 145‑146, 85‑103. https://doi.org/10.4000/pratiques.1513
Pleau, J. & Lavoie, N. (2016). CRAYON OU CLAVIER ? EFFETS DE L’OUTIL D’ÉCRITURE SUR LES PERFORMANCES GRAPHOMOTRICES ET RÉDACTIONNELLES D’ÉLÈVES DE SIXIÈME ANNÉE. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 3. https://doi.org/10.7202/1047130ar
Le second résultat concerne les performances des élèves écrivant en cursive au crayon. Les données recueillies par cette étude ont non seulement fait ressortir que ces élèves écrivaient plus rapidement au clavier qu’au crayon (écart de 50,25 lettres/minute), mais qu’ils étaient aussi en mesure de produire des textes d’une longueur plus importante et comportant davantage de détails avec cet outil. Ces résultats, similaires à ceux de Rogers et Case-Smith (2002) de même qu’à ceux d’Alstad et al. (2015), suggèrent que l’élève écrivant en cursive est contraint par le geste moteur de l’écriture cursive  ; écriture reconnue pour sa lenteur et pour la complexité de ses liaisons (Paoletti, 1999). Il faut donc comprendre qu’en sixième année, l’écriture au clavier, geste moteur simple, est très différente de l’écriture cursive, et ce, malgré le fait que l’écriture au crayon soit relativement bien automatisée à cet âge. Les résultats en vitesse d’écriture de cette étude suggèrent donc que cet outil soulage les élèves écrivant en cursive. Ces résultats se distinguent de ceux du groupe script puisque pour ce groupe, l’écart de performance entre  le crayon et le clavier étaient trois fois et demie moins important (écart de 14 lettres/minute) que chez les élèves écrivant en cursive (écart de 50,25 lettres/minute).
Il est également possible d’étendre cette réflexion aux performances rédactionnelles dans le sens où le grand écart de performances en vitesse d’écriture des lettres entre les modalités cursive et clavier pourrait avoir favorisé la production de textes plus longs et mieux détaillés chez les élèves de ce groupe. Autrement dit, l’importance de l’augmentation de la vitesse de production des lettres avec le clavier semble avoir permis à l’élève de produire des textes de meilleure qualité avec cet outil, et ce, malgré les problèmes associés à la gestion des fonctionnalités de celui-ci.
Ces résultats semblent indiquer que la charge cognitive imposée par le geste moteur complexe de l’écriture cursive contraint l’élève lors de la traduction de ses idées en texte (Olive et Piolat, 2005  ; Kellogg, 1996). Au contraire, l’écriture au clavier, associée à une exécution plus simple, semble permettre à l’élève de vouer son attention à l’expression de ses idées en contexte rédactionnel. Bien que son emploi par l’élève de sixième année comporte encore des lacunes, cette modalité d'écriture est intéressante puisque même si la saisie au clavier n’est pas formellement enseignée au primaire, elle entraine de meilleures performances que le crayon.
Reuter, Y. (1989). L'enseignement de l'écriture. Histoire et problématique. Pratiques, 61(1), 68‑90. https://doi.org/10.3406/prati.1989.1503
Reuter, Y. (1996). Imaginaire, créativité et didactique de l'écriture. Pratiques, 89(1), 25‑44. https://doi.org/10.3406/prati.1996.1766
Ce qui relierait ces deux recherches a priori fort éloignées, ce serait selon moi, l'articulation homologue mais dans des espaces différents de trois hypothèses complémentaires : – les attentes de l'institution scolaire portent principalement sur la maîtrise, en production et en réception, du formel, du marquage de surface (il existe, conséquemment, une mise à distance de ce qui est plus « profond »: imaginaire, investissement...) ; – les « bons élèves » sont ceux qui s'adaptent le mieux à ces demandes ; – les élèves les plus jeunes et les élèves en échec perçoivent moins ces demandes et / ou ne veulent / ne peuvent s'y soumettre et sont, souvent, plus en difficulté en production sur le marquage de surface et le contrôle de l'imaginaire, moins réservés quant aux risques interprétatifs en récep- tion, même si, sous certains aspects, leurs productions et leurs interpré- tations peuvent parfois être considérées comme plus originales.
Nombre d'enfants de C.M. trouvent plus facile d'inventer une histoire que d'en raconter une vraie par rapport à laquelle ils ont un souci extrême de vérité et de mémorisation (comme garant de la vérité). Dit en d'autres termes, ils éprouveraient des difficultés à passer du conte au récit de fiction littéraire dans la mesure où celui-ci mélange éléments « réels » et éléments inventés. Ils répugneraient conséquemment à faire croire à la vérité d'un texte « faux ».
Certains travaux ont montré que lorsque les zones concernant imaginaire et créativité étaient sollicitées, les enfants de milieu défavorisé semblaient moins en situation d'échec
Reuter, Y. (2000b). Enseigner et apprendre à écrire : construire une didactique de l'écriture. ESF Editeur.
Reynaud, L. (2022). Faire collectif pour apprendre : des clés pour mettre la coopération au service des apprentissages.
On peut poser quatre jalons d'organisation du travail en groupe pour tenter d'éviter ces écueils et confusions : ne pas prévoir de production finale lors d'un travail en groupe, ou a minima ne pas chercher à l'évaluer de façon sommative. Ce jalon peut permettre d'éviter la répartition spontanée des tâches qui les enferme dans leurs compétences et leurs incompétences. Faire du travail en groupe un objectif d'apprentissage à part entière et le verbaliser. Le faire précéder d'un travail individuel pour que chacun puisse apporter quelque chose au groupe. Organiser le travail en groupe pour éviter la répartition spontanée des rôles.
Il y a d'abord la coopération qui pourrait se résumer à des interactions volontaires où chaque participant retire un bénéfice. On peut, par exemple, évoquer une relation d'aide entre deux élèves autour d'une même tâche. Celui qui se fait aider peut bénéficier du déblocage qui suit l'explication de celui qui aide. Ce dernier progresse davantage en expliquant la notion comprise. [...] Cette générosité réciproque, ici à l'oeuvre, fait la démonstration de l'interdépendance et ouvre à des solidarités étendues. Il y a aussi la collaboration. Dans ce cas, l'ensemble des élèves interagissent poiur produire une tâche commune, où chacun amène sa pierre à l'édifice. En termes d'apprentissages, elle économise du temps de réalisation de la production et peut permettre aux élèves de se sentir utile dans une contribution partagée. Elle prend aussi le risque de la spécialisation des individus et leur enfermement dans leurs compétences assignées, parfois involontairement. La compétition en groupe quant à elle ne s'oppose pas à la coopération ou à la collaboration, contrairement à l'individualisme indifférent ou à l'égoïsme. [...] Elle peut être à l'origine d'une plus grande cohésion entre les individus en mobilisant une solidarité clanique. Paradoxalement, si elle motive à l'engagement par l'émulation liée à la confrontation, elle démotive aussi les élèves qui sont trop rarement parmi les vainqueurs.
La boucle évaluative. Les élèves réalisent individuellement un exercice d'entraînement. Le travail est ensuite repris par l'enseignant pour l'évaluer de manière formative. L'évaluation enseignante repose uniquement sur un symbole de couleur indiquant le niveau de maîtrise, sans autre évaluation. Les productions d'élèves sont rendues accompagnées du code couleur ave une seule indication orale donnée par l'enseignant : "la même évaluation aura lieu la semaine prochaine". Un temps libre de 10 minutes est alors proposé. Aucune autre indication n'est donnée.
Ria L. (2011). https://neo.ens-lyon.fr/neo/formation/analyse/outil2
Roger, J. (2007). Comment faire face aux épreuves du travail et aux dilemmes du métier ?. Dans : , J. Roger, Refaire son métier: Essais de clinique de l’activité (pp. 57-104). Toulouse: Érès.
Comment faire « lorsque rien ne va de soi, lorsqu’un professeur n’a plus en face de lui des élèves travailleurs et dociles, lorsque le sens des savoirs, de la présence en classe, de l’effort, de l’avenir, est constamment en question, lorsqu’il faut recréer laborieusement, tous les jours, les conditions élémentaires du rapport pédagogique » ? (op. cit., p. 55). On cherche donc à mettre à disposition des enseignants de nouvelles manières de faire qui participeraient d’une professionnalisation devant, en tout état de cause, « favoriser le questionnement du sujet sur sa propre démarche et son attitude, et la maîtrise des gestes et attitudes professionnelles » (Marcel, Olry, Rothier-Bautzer et Sonntag, 2002, p. 139).
Ces recherches orientées vers cette théorisation du fonctionnement de l’exercice professionnel enseignant s’appuient sur une distinction affirmée entre ce métier et la plupart des autres métiers, notamment les métiers techniques. Plus précisément, elles sont sous-tendues par une hypothèse forte, à savoir que les métiers de l’enseignement ne peuvent être professionnalisés sans une formation des praticiens à une rationalité professionnelle s’appuyant sur des connaissances fondées sur les sciences humaines et sociales, contrairement aux métiers techniques, où il faudrait davantage de développement du sens commun et de la culture du métier. En d’autres termes, les connaissances dites « d’expérience » ne peuvent être ici directement le fondement de nouvelles ressources pour développer la pertinence et l’efficacité des praticiens, l’analyse ne peut pas être de la compétence et de la responsabilité de ceux qui sont seulement dans l’action.
Ce n’est jamais la connaissance en tant que telle qui va engendrer les modifications de l’action. Au contraire, l’interprétation des situations vécues à partir d’un cadre théorique préalable provoque inévitablement dans les groupes de travail un silence difficile à comprendre si on ne fait pas l’hypothèse, avec Vygotski, que « la pensée ne prend pas naissance dans une autre pensée » (1934-1997, p. 493). Ce ne sont donc pas directement l’interprétation, les représentations, les idées qui peuvent produire du développement. Par contre la confrontation aux dilemmes du métier peut amener celui qui agit à « s’expliquer » avec la connaissance, explication qui peut participer à l’ouverture d’issues nouvelles dans des situations complexes ou difficiles. Or, dans les dispositifs qui sont mis en place dans le genre d’analyse de pratiques que nous mentionnons ici, le risque est grand que ce ne soit pas l’enseignant qui « s’explique avec le savoir », mais que ce soit le chercheur ou/et le formateur qui explique en fin de compte l’action par le savoir. On attend alors du praticien qu’il donne à voir ce qu’il fait ou ce qu’il a fait, certes parfois à un groupe de collègues avec lesquels il y a, plus ou moins, échanges et débats. Mais, au bout du compte, l’interprétation est souvent faite par celui qui est dépositaire des savoirs issus de la recherche. Dans cette conjoncture, la connaissance « délivrée » aux praticiens ne pourra être génératrice d’actions plus pertinentes ; plus encore, elle risque d’être facteur d’inhibition pour l’action à venir.
Quelque chose semble devoir toujours échapper, qui se situe au-delà de ce qui est observable, même dans le cadre d’un dialogue avec le praticien : c’est, entre autres, tout ce qui n’a pas été réalisé dans l’action, qui a été écarté, et qui cherchera à se réaliser comme une ressource ou sera, au contraire, laissé en souffrance au détriment de la vitalité et de la mobilité de l’activité professionnelle. En d’autres termes, c’est ce qui se joue dans ce que nous nommons le « réel de l’activité ». Ainsi, très fréquemment dans les divers dialogues entre pairs [...], la controverse entre les participants a mis au jour ou été la source d’un réinvestissement par un enseignant de ce qui n’avait pas pu être réalisé à un moment donné, réinvestissement orienté, parfois de façon surprenante, loin des façons de faire habituelles. C’est la prise en compte de tels processus qui nous semble pouvoir, dans des dispositifs de travail adaptés, être source d’intelligibilité des pratiques, d’une part, et d’autre part, de développements pour les acteurs.
La virtuosité, quand elle existe, ne s’acquiert pas directement mais par percolation à l’intérieur du travail collectif. L’activité experte personnelle n’aura finalement une virtuosité propre qu’en se retirant des activités expertes menées avec autrui où elle s’est trouvée d’abord nécessairement engagée. « Avoir du métier » suppose de s’affranchir du travail des autres, de se ressaisir à l’égard d’autrui. Mais, paradoxalement, c’est en répétant ses rapports avec eux autant de fois que nécessaire pour trouver « l’autre dans le même » que le sujet peut devenir – en s’y essayant longtemps – un professionnel à titre personnel. De plus, le retrait ou la démarcation de l’activité d’autrui, quand ils se produisent, ne relèvent pas d’un travail solitaire. C’est le plus souvent en se mêlant aux différentes manières de faire la même chose dans un milieu professionnel donné que, par le jeu des contrastes, des distinctions et des rapprochements entre professionnels, l’activité propre se décante. C’est là la fonction du collectif ; donner accès au répertoire générique sous-entendu et non verbalisé en cours d’activité. Je me défais du travail d’autrui en passant de l’un à l’autre, en opposant et en rapprochant les autres entre eux.
Sarrazy B. (1995). Note de synthèse. Revue française de pédagogie, volume 112.
Le cas Gaël, l'origine de la didactique, le contrat didactique, l'effet Diénès.
Sauvaire, M. (2017). Entre errance et erreur : la diversité des lectures subjectives à l'épreuve de la communauté interprétative. In Brunel, M., Emery-Bruneau, J., Dufays, J., Dezutter, O., & Falardeau, E. (Eds.), L'enseignement et l'apprentissage de la lecture aux différents niveaux de la scolarité. Presses universitaires de Namur. Tiré de http://books.openedition.org/pun/5143
Reconnaitre le rôle essentiel de l'investissement subjectif des élèves dans l'interprétation de textes littéraires implique d'accueillir la diversité des interprétations qu'ils sont capables de produire.
la réflexivité est intrinsèquement liée à l'émergence de la subjectivité : l'investissement subjectif du lecteur, loin de signaler un manque de distance par rapport à la supposée objectivité du sens textuel, est la condition de la distanciation de soi à soi. C'est pourquoi, selon nous, la mise à distance devrait s'exercer, certes par rapport au texte, mais aussi par rapport au parcours interprétatif lui-même. [...] Ce moment critique ne constitue pas un saut hors de la subjectivité, mais au contraire la condition de la prise de conscience par un lecteur de la dimension subjective de ses interprétations. L'activité réflexive des élèves peut s'exercer par rapport au texte lui-même (grâce à la relecture) et prendre appui sur leurs interprétations antérieures (explicitées, par exemple, dans des écrits intermédiaires). Elle se développe aussi dans la confrontation intersubjective des interprétations avec les pairs et l'enseignant. Après la médiation du texte, la médiation d'autrui serait la seconde condition favorisant un détour réflexif au soi.
L'analyse croisée de l'activité réflexive et des ressources mobilisées par les lecteurs a fait apparaitre une corrélation entre les degrés de la réflexivité et les capacités interprétatives. Ainsi, les élèves ayant produit des interprétations multiples et complexes atteignent les degrés trois (évaluation) et quatre (généralisation) : ils sont capables de s'interroger sur les critères de validation des interprétations et de dégager la part de leurs propres ressources et de celles de leurs pairs dans l'évolution des interprétations. Certains parviennent à concevoir la complexité du processus interprétatif, en généralisant leur expérience de la confrontation des interprétations dans différents comités de lecture. [...] par contre, les élèves dont l'activité réflexive se concentre sur les degrés 1 et 2 formulent moins d'interprétations et ces dernières sont parfois lacunaires. Ils identifient et expliquent leurs interprétations et leurs propres ressources, mais ils ne s'interrogent pas sur leur pertinence. Moins ils tiennent compte des éléments interprétatifs proposés par leurs pairs et leur enseignant, moins ils interrogent leurs propres hypothèses.
Comme le souligne Hans G. Gadamer, toute compréhension comporte une part féconde d'incertitude, de risque : « Comprendre, exactement comme agir reste toujours un se-risquer et ne permet jamais la simple application d'un savoir général de règles au comprendre d'énoncés ou de textes donnés. […] La compréhension est une aventure et, comme toute aventure, elle est risquée » (Gadamer, 1995 : 251). Pour le sujet lecteur élève, « se risquer » davantage, ce peut être courir la chance de se comprendre mieux, mais aussi courir le risque ne pas répondre aux attentes scolaires. La part d'incertitude inhérente à l'acte de comprendre s'accompagne souvent d'un sentiment d'insécurité interprétative, qui semble accentué par la confrontation des interprétations divergentes, voire contradictoires. Ce sentiment d'insécurité interprétative peut conduire à la frustration, au rejet de la lecture, au refus du dialogue, au mutisme.
Shawky-Milcent, B. (2016). la Lecture, ça ne sert à rien. Presses Universitaires de France.
La fréquentation des oeuvres littéraires offre au lecteur l'opportunité d'un réajustement et d'une redéfinition de soi : chacun peut tout à la fois préciser et affiner le style de son existence, selon l'expression de Marielle Macé, et donner de nouvelles directions à sa vie, notamment au plan éthique.
L'appropriation est au coeur du plaisir de la lecture, mais aussi au coeur du plaisir de la culture. On ne peut pas envisager la culture seulement comme un "bagage", selon l'expression courante, comme un amoncellement de connaissances, ou comme un ensemble de compétences. Une culture qui se réduirait à un bagage, et serait détachée de la subjectivité de du sujet n'aurait pas de valeur pour lui. La culture littéraire s'épanouit et fructifie quand elle peut s'enraciner dans les territoires secrets du sujet et accompagner son histoire. Que l'on se place dans un rapport hédoniste à la littérature, ou dans un rapport plus intellectuel et plus panoramique à la culture littéraire, c'est toujours ce que l'on fait sien, parce que cela a du sens pour soi, qui reste dans la mémoire et participe d'une construction personnelle.
Lire est une occupation. C'est-à-dire non seulement une activité, ce à quoi on consacre temps et énergie, mais encore et surtout un acte d'appropriation. Lire un texte, c'est occuper son territoire. Cela exige d'abord de partir en reconnaissance, d'en explorer les limites et les frontières ; et il faut ensuite l'habiter, en exploiter la surface. Une telle métaphore, tout de même usuelle, fait des textes un sol, un espace à arpenter, à déchiffrer. Elle suggère que le texte n'offre rien d'emblée, qu'il ne se donne pas au lecteur qui n'aurait qu'à le cueillir intact, tel un fruit mûr ; au contraire, qu'il ne se livre qu'à partir du moment où il a été saisi, travaillé comme une terre meuble. Lire, c'est s'emparer d'une place qui doit être aménagée. C'est occuper un terrain qui, si l'on peut dire qu'il a été préparé, doit encore être loti, soumis à des échafaudages de toutes sortes. Littéraires, imaginaires.
Le lecteur donne vie au texte, et le rend "concret". Ce terme de concrétisation a été utilisé pour désigner la réponse spontanée de l'imaginaire aux blancs du texte, à son incomplétude intrinsèque. La concrétisation accompagne aussi toute la lecture, elle participe à l'interprétation du texte. Et elle procède en effet d'un triple tissage : elle puise tout d'abord dans le monde du lecteur. On habille le monde du texte de couleurs, de visages, d'émotions, d'impressions, de souvenirs livresques ou non, de sensations qui nous appartiennent en propre. [...] Plus on s'aventure vers l'interprétation, plus la concrétisation prend des nuances personnelles et singulières. [...] La concrétisation, investissement du texte par l'imaginaire du lecteur, est ce propre du lecteur, qui, rencontrant le propre du texte, permet d'une part au texte d'exister et de se transformer en oeuvre, et d'autre part à l'appropriation personnelle de se produire.
La lecture, puisant dans ce qui appartient en propre au lecteur, est tissage, tressage de connu et d'inconnu, de réactions intellectuelles et de réactions affectives, de mémoire et d'attente. La concrétisation, investissement du texte par l'imaginaire du lecteur, est ce propre du lecteur, qui, rencontrant le propre du texte, permet d'une part au texte d'exister et de se transformer en oeuvre, et d'autre part à l'appropriation personnelle de se produire.
Gérard Langlade propose d'appeler "activité fictionnalisante" toutes ces manifestations de l'investissement du lecteur empirique dans le texte, et il en analyse les différentes modalités : "Le contenu fictionnel d'une oeuvre est en effet toujours investi, transformé, singularisé par l'activité fictionnalisante qui produit des images et des sons en "complément" de l'oeuvre (concrétisation imageante et auditive), réagit à ses caractéristiques formelles (impact esthétique), établit des liens de causalité entre les évènements ou les actions des personnages (cohérence mimétique), (re)scénarise des éléments d'intrigue à partir de son propre imaginaire (activité fantasmatique), porte des jugements sur l'action et la motivation des personnages (réaction axiologique)." [...] En portant des jugements moraux sur tel ou tel personnage, en adhérant ou rejetant leurs valeurs, leurs comportements, leurs normes, le lecteur amorce une activité interprétative, remarque G. Langlade.
De l'appropriation intime d'une oeuvre à laquelle le jeune lecteur se livrera, l'enseignant ne saura sans doute jamais rien. Il existe en effet un versant secret de l'appropriation, proche de l'indicible. On l'a vu : nos lectures littéraires nous habitent et nous façonnent. [...] L'appropriation personnelle des lecteurs se laisse pourtant observer et écouter. Toute la vie sociale et culturelle est en effet marquée par les échos de lectures singulières : par exemple, la mise en scène du texte théâtral, le jeu dramatique, la mise en voix du texte poétique, et de très nombreux discours seconds comme la critique, le commentaire, l'exégèse, le travail éditorial autour d'une oeuvre, la réécriture, l'adaptation ou la transposition cinématographique d'une oeuvre, ou encore les exercices scolaires de la dissertation ou du commentaire, l'autobiographie de lecteur, le cours universitaire ou scolaire sur une oeuvre, etc.
Il existe donc un second versant de l'appropriation, tournée vers autrui, partageable, exprimable, plus visible. Par rapport à la première, cette seconde dimension constitue une stabilisation momentanée de la rencontre singulière avec un livre ; elle se présente comme un "arrêt sur image", nécessairement limité, de l'appropriation inscrite dans la mémoire. Brian T. Fitch note à propos du texte critique : "afin de pouvoir passer de l'acte de lecture à l'acte d'écriture, il faut avoir su s'approprier ce qu'on a lu, car on ne saurait écrire qu'à partir de l'appropriation particulière de ce que l'on commente." Je propose d'élargir ce point de vue, et de considérer que toute production seconde du lecteur sur une oeuvre est la trace d'une appropriation personnelle achevée ou en cours.
"Des écrits nouveaux apparaissent ainsi dans les classes, remplissant des fonctions plurielles, invitant les élèves à mobiliser toutes leurs ressources pour se mettre à l'écoute de leur lecture. Dès lors, un écrit de réception à l'école peut avoir d'autres finalités que d'évaluer les compétences de lecture et d'écriture, et devenir ce "dispositif du lecteur" décrit par M.-J. Fontanier et G. Langlade, qui constituerait la "stabilisation certes toujours mouvante, lacunaire, provisoire et incertaine des déclenchements d'imaginaire produits par la rencontre d'une oeuvre et d'un lecteur"."
Ces écrits offrent des pistes pour mieux comprendre le phénomène d'appropriation du texte littéraire : deux mouvements se sont donnés à lire, comme des reflets de l'appropriation intérieure en cours. Le premier est un mouvement de contemplation du texte et de sa lecture, et de soi dans le texte. Il se caractérise et se manifeste par la présence de très nombreuses impressions, par des émotions, par les indices d'une subjectivité lectrice qui éprouve le besoin de s'exprimer, de déplier et de dérouler les étapes constitutives de l'évènement de lecture. Ce qui prime, c'est l'histoire de la rencontre avec l'oeuvre littéraire, plus que l'aptitude à s'emparer de ses significations. Le second mouvement est un mouvement de création, qui irait dans le sens d'un rassemblement des émotions, et d'un dépassement des impressions brutes de lecture. On observe alors un processus de transformation nourri par la créativité du lecteur, et par son interprétation personnelle de l'oeuvre. Dans ce cas, le discours du lecteur absorbe le texte littéraire, soit fugitivement, soit de façon plus intensive, et il le réinvente.
La culture s'enracine dans la vie affective du sujet dans laquelle les émotions jouent le rôle de balises lumineuses sur les chemins mystérieux empruntés par la mémoire. Les lectures heureuses remplissent également un rôle stimulant, incitatif, et mettent en confiance pour découvrir des oeuvres plus ardues. Elles favorisent la maîtrise du langage : on a envie de dire ce que l'on a ressenti, et en le disant on renouvelle ce plaisir. [...] Plus le lecteur se remémore précisément les émotions ressenties, plus il es enclin à porter et à formuler clairement un jugement d'ordre intellectuel ou esthétique sur le titre évoqué, et plus ce titre semble désormais s'insérer dans une vision du monde.
On mesure ici combien l'évènement de lecture advient par l'écriture : "les évènements de lecture n'existent qu'à travers la narration qui en est faite", souligne G. Langlade. C'es le regard rétrospectif qui fait de la lecture un évènement, en l'inscrivant dans la ligne du temps, et en lui insufflant une épaisseur temporelle et existentielle : l'évènement de lecture raconté concentre en lui un avant -le temps où le lecteur était différent d'aujourd'hui-, un présent -le temps de la lecture- et un après -le temps de la transformation. Par ailleurs, on observe dans ces notations la place tenue par le sensible et l'émotionnel, qui contribuent à l'inscription d'une trace dans la mémoire.
Shawky-Milcent, B. (2017). Transmettre une poétique des valeurs ou la valeur éthique d’une démarche poétique ?. Le français aujourd'hui, 197, 63-71. https://doi.org/10.3917/lfa.197.0063
Plutôt que de mettre l’accent sur les valeurs transmises par l’œuvre, à lire, comme on l’a vu, entre les lignes, on peut interroger avec des élèves la valeur éthique d’une démarche poétique. Car, dans toute œuvre se confrontant à la question du bien et du mal, l’écrivain s’expose, se met en danger, révèle ses interrogations et ses convictions dans les choix stylistiques qu’il accomplit : il s’engage. Comme pour l’enseignant cherchant à transmettre des valeurs à ses élèves, et pour qui s’efface la frontière entre l’homme, le citoyen et le professeur, disparait, dans l’œuvre engagée, la frontière entre l’homme, le citoyen et l’écrivain.
Citoyen confronté aux blessures de l’Histoire, P. Modiano suit dans ce récit une « ligne éthique » (Blanckeman 2009) qui répond aux trois interrogations suivantes : quel lien construire avec autrui par-delà le temps et l’espace ? Le romancier tisse un lien de sympathie et d’empathie avec Dora, victime oubliée de l’Histoire. Comment contribuer à transmettre la mémoire de la seconde guerre mondiale, de ses crimes, de sa barbarie ? L’écrivain répond par un patient et minutieux travail de recherche historique. Quel engagement pour le présent et pour l’avenir ? P. Modiano se présente comme un « gardien » de la mémoire (1997 : 84).
Simard, C., Dufays, J., Dolz, J. & Garcia-Debanc, C. (2010). Chapitre 1. Qu'est-ce que la didactique du français : Quelques notions préliminaires. Dans : , C. Simard, J. Dufays, J. Dolz & C. Garcia-Debanc (Dir), Didactique du français langue première (pp. 9-39). Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur.
Dans son étude des phénomènes d'éducation, la didactique se veut scientifique dans la mesure où elle rompt avec le traditionalisme. Longtemps en effet, les pratiques scolaires ne se sont appuyées que sur la coutume, sur des doctrines ou sur des expériences subjectives. La didactique, quant à elle, obéit à la rigueur et à l'esprit critique, et s'efforce d'étudier de façon scientifique les problèmes touchant à la transmission et à l'appropriation des savoirs scolaires.
La didactique peut être considérée à la fois comme une discipline de recherche et une discipline d'intervention. En tant que discipline de recherche, elle tient essentiellement une posture descriptive ou explicative. Elle examine les contenus et les démarches d'enseignement qui ont cours dans l'institution scolaire et tente d'éclairer le phénomène de transposition des savoirs savants ou des pratiques sociales en savoirs scolaires. Elle explore les conditions et les processus d'acquisition de tel ou tel objet d'étude, en repérant les obstacles que les apprenants doivent surmonter et en tentant de dévoiler leurs conceptions et leurs façons de raisonner. Elle se penche sur les modes d'évaluation des capacités langagières. Elle analyse le rôle de la langue dans les diverses matières scolaires.
Toutes ces analyses fournissent les données de base sur lesquelles peut prendre forme la partie plus pratique du travail des didacticiens, celle de la mise en œuvre d'interventions didactiques. À la lumière de l'information recueillie et des cadres théoriques élaborés, la didactique essaie de guider et d'améliorer les pratiques d'enseignement. Entre autres, elle peut contribuer à définir les buts à atteindre, planifier des progressions ou des programmes d'études, concevoir des situations et des stratégies d'enseignement, mettre au point des dispositifs pédagogiques ainsi que des procédés d'évaluation. Dans tous les cas, elle prend soin de procéder à l'examen critique et empirique de ses propositions afin de s'assurer de leur validité.
Tauveron, C. (1999). Comprendre et interpréter le littéraire à l'école : du texte réticent au texte proliférant. In : Repères, recherches en didactique du français langue maternelle, n°19. pp. 9-38.
"Le monde que produit le texte littéraire narratif est un monde incomplet, même si certaines œuvres proposent des mondes plus complets que d'autres. Il serait plus juste de parler de fragments de mondes, constitués de parties de personnages et de dialogues, où des pans entiers de la réalité font défaut. Et, point essentiel, ces défaillances du monde de l'œuvre ne tiennent pas à un défaut d'information que le travail de recherche, comme en histoire, peut espérer combler un jour, mais un défaut de structure, à savoir que ce monde ne souffre pas d'une complétude perdue, faute d'avoir jamais été complet. De ce fait, le texte n'est pas lisible si le lecteur ne lui donne pas sa forme ultime, par exemple en imaginant consciemment ou inconsciemment, une multitude de détails qui ne lui sont pas fournis. Pour toutes ces raisons, il n'existe pas de texte littéraire indépendamment de la subjectivité de celui qui le lit. [...] C'est le lecteur qui vient achever l'œuvre et refermer le monde qu'elle ouvre, et il le fait chaque fois de manière différente (P. Bayard, 1998)" - "Pour pouvoir apprendre aux élèves que le texte littéraire a pour caractéristique (pour projet, faudrait-il dire) de ne pas se laisser saisir "automatiquement" et pour pouvoir développer leurs compétences interprétatives, il convient de leur présenter, à côté de ces textes faciles qu'on ne peut ni ne veut en aucune manière évincer (10), des textes qui ne se laissent pas résumer aisé¬ ment et / ou des textes qui ne livrent pas leur sens symbolique aisément, en d'autres termes des textes "résistants" (qu'on opposera à leurs contraires, les textes "collaborationnistes"), étant entendu aussi que "la lecture ne devient un plaisir que si la créativité entre en jeu et que si le texte offre une chance de mettre nos aptitudes à l'épreuve" (11). Ces textes "résistants", qui répondent à la définition de la littérature selon Maingueneau (12), ont pour caractéristique d'être réticents et / ou proliférants."
Tauveron, C. (2001). L'écriture littéraire : une relation dialectique entre intention artistique et attention esthétique. Repères, recherches en didactique du français langue maternelle, n°26-27, 2002
"Les mêmes élèves qui, face à la résistance d'un texte d'auteur légitimé, ont appris à affronter l'obstacle, à jouir d'une certaine manière d'avoir à prouver leur sagacité, ou d'avoir à faire proliférer le sens, interprètent en la circonstance leur échec de lecture [du texte d'un de leurs pairs] (on s'y perd un peu) comme un échec d'écriture et non comme la conséquence naturelle, et non mortifiante, d'un défi qui leur est lancé."
"Développer une relation esthétique entre auteur et lecteur suppose une modification du contrat didactique ordinaire. Dans le nouveau contrat, [...] on lit les textes des élèves, non comme des "productions" (manufacturées ?) mais comme des textes d'auteurs. On peut apprécier plus ou moins un texte d'auteur mais on ne le lit pas avec l'idée qu'il présente des dysfonctionnements. Dans le nouveau contrat, les pairs ne sont pas d'abord des évaluateurs mais un public mis à la disposition de l'auteur pour qu'il puisse tester l'effet produit de son écriture et lui permettre, si nécessaire, de mieux conscientiser ce qu'il a fait ou devrait faire."
Tauveron C. (2009). Pratiques ordinaires du brouillon et de ses entours : quelles références aux pratiques des écrivains ? Repères n°40, 79-109.
1. Une classe de CM a étudié en lecture des histoires fantastiques de marionnettes confondues par le spectateur avec des femmes de chair et d'os, des histoires de marionnettes dotées de vie, maléfiques ou qui se retournent contre leur manipulateur. Les élèves, parmi d'autres traits de réussite, ont relevé le choix du point de vue du spectateur, la présence d'indices qui permettent au lecteur de comprendre la méprise ou le danger avant le spectateur même. Évaluez cette production d'élève répondant à la consigne : Écris la scène où ton narrateur rencontre une marionnette qu'il prend pour un être humain ou une marionnette qui prend vie. Ton narrateur parle à la première personne. Écris la scène en essayant qu'un lecteur très malin puisse comprendre avant le narrateur ce qu'il en est exactement. Que mettriez-vous, en marge, en tête de la copie, sur la copie (vous procédez comme à votre habitude) ?
2. Réécrivez vous-même ce texte d'élève (CE2) de façon qu'il vous satisfasse :
Écrit récit fantarstique
Finies les vacances d'été le repos et la tranquilité,
Aujourd'hui c'est l'école enfin presque où je suis, c'est une pension car j'aime pas le travail sa ne changera jamais.
A 8 heures la cloche sona, mais aujourd'hui n'avais jamais été un jour commes les autre jours, je me sentée drôle, bizard.
2 semène après, encor plus bizard, car mon crayon écrivait tout seul. Mais le soir des notes superbes : 20 en anglais, 18 en Mathématique et en Français. La semaines après, tous mes professeurs plus la directrice demande mes parents et moi. Le lendemain mes parent et nous nous rend dans le bureau de la directrice. Des bavardages et des bavardages et la directrice proposa de m'envoyer au pensionnat. mais NON ! Je crie de tout mais force, mais mes parent faisait comme s'il m'entendaient pas.
Einsi je resta dans un pensionnat toute ma jeunesse.
3. Que pensez-vous de la consigne suivante ?
Voici quatre personnages dont on n'a que le portrait :
Personnage A : Il avait une énorme barbe broussailleuse qui lui couvrait la figure, sauf le front, les yeux et le nez. Ses poils formaient des épis hérissés comme les poils d'une brosse à ongles. D'affreuses touffes lui sortaient même des oreilles et des narines. Personnage B : Il était tout de blanc vêtu et se déplaçait très rapidement, se hissant à chaque pas sur la pointe des pieds. Il portait des chaussures de daim blanc parsemées de petits trous d'aération. Son accent pouvait être aussi bien italien qu'espagnol. Vu de près, il était vieux. Il paraissait âgé de soixante-huit à soixante-dix ans. Personnage C : Rien de bon n'illuminait son visage. Elle marchait en s'aidant d'une canne parce que, disait-elle, elle avait des verrues sous la plante du pied gauche. Mais en vérité sa canne lui servait surtout à frapper les chiens, les chats et les enfants. Elle avait un œil de verre qui regardait toujours de travers. Personnage D : Son visage était d'une irritante beauté de bronze et de cuir. C'était le chasseur de fauves, le joueur de polo, le vainqueur de l'Everest, l'explorateur des Tropiques en une seule personne. Des sourcils fournis, un regard d'acier, des dents blanches et fortes qui mordillaient le bout de la pipe. Une voix qui coupait les mots aux ciseaux pour les cracher menu comme un petit pistolet chargé de graines de framboise.
Tu vas construire une histoire qui les rassemblera. Dans cette histoire, tu introduiras les éléments descriptifs qui te sont donnés pour chacun au moment qui te semblera le meilleur. Tu n'es pas obligé d'introduire ces éléments descriptifs tous en même temps.
Toffler, A. (1971). Le Choc du futur.
Une société dans laquelle l'individu change constamment de travail, de lieu de résidence, de relations, etc. doit miser sur les capacités d'assimilation de chacun. Les écoles de demain devront donc non seulement enseigner des faits, mais aussi la façon de les manipuler. [...] En enseignant aux étudiants comment apprendre, désapprendre et réapprendre, on peut ajouter une nouvelle dimension non négligeable à l'éducation. L'analphabète de demain ne sera pas celui qui ne sait pas lire ; ce sera celui qui n'aura pas appris à apprendre.
Vanhulle, S. (1999). Concevoir des communautés de lecteurs : la gestion de la classe dans une didactique interactionniste. Revue des sciences de l'éducation, 25(3), 651–674. https://doi.org/10.7202/032017ar
Pour l'enseignant, une question se pose, qui n'est pas seulement «qu'est-ce que je veux faire passer, qu'est- ce que mes élèves devraient savoir à l'issue de ce cours... » (Fournier, 1999), mais «qu'est-ce que je veux que mes élèves fassent pendant le cours, dans quelles activités vais-je les engager? »
Vibert, A. (2011). "Faire place au sujet lecteur en classe : quelles voies pour renouveler les approches de la lecture analytique au collège et au lycée ?" IGESR, en séminaire national.
"Il faudrait ménager enfin une place importante à la lecture à haute voix comme interprétation subjective des textes (c'est-à-dire ici d'appropriation subjective sensible) : comme le rappelle Michèle Petit, le goût pour la lecture doit beaucoup à la voix 54 et lire à voix haute permet de "retrouver un arrière-pays de sensations et de rythmes"" , "Pour prolonger ce goût des textes, il faudrait aussi que toute lecture donne lieu à une mémorisation d'un passage, même court, mémorisation régulièrement réactivée afin de faire durer le plaisir et de créer des échos supplémentaires."
"Il s'agit donc de jeter désormais un regard positif sur ce qui apparaît comme la marque d'un investissement personnel : identification et illusion référentielle appartiennent à l'expérience littéraire et sont grandement préférables à la posture d'extériorité. Et il ne faut pas hésiter non plus à inviter les élèves à s'exprimer sur leurs plaisirs ou déplaisirs de lecture." ; "L'œuvre ne peut véritablement exister que lorsqu'elle est "produite" par un lecteur. Il y a nécessité fonctionnelle de l'intervention subjective dans l'œuvre. Or, que sait-on de "l'activité liseuse" (M. de Certeau) des élèves ? De la manière dont ils complètent le texte pour lui donner sens ? des images mentales qu'il provoque chez eux ? des scénarios que la lecture active (ou n'active pas) ? Avant même d'engager une analyse littéraire, il faut savoir quel texte singulier chaque élève a élaboré." - "Le sens ne va pas de soi, non parce qu'il serait caché quelque part au fond du texte, mais parce qu'il requiert la coopération du lecteur et que le lecteur modèle n'existe pas" ; "Mais que sait-on avec ces questions de ce que les élèves ont ressenti à la lecture de cette nouvelle ? de leur vision du monde ? de leurs valeurs ? Et si on n'est pas parti de là, à quoi peut-on les amener ?" ; "Si nos élèves sont en difficulté dans les évaluations nationales comme PISA, c'est que les questions qu'on leur pose les invitent rarement à prendre parti, à formuler et justifier une opinion, à réagir personnellement aux textes"
Waszak, C. (2018). « Moi je trouve qu’elle a que ce qu’elle mérite » Que faire des jugements éthiques des lycéens sur leurs lectures ? Repères, 58, 155‑169.
Dans l’enseignement secondaire en France, il est fréquent de ne guère tenir compte des réactions axiologiques des jeunes lecteurs, voire pas du tout. La valeur des œuvres littéraires est désignée le plus souvent comme une valeur esthétique, et leur portée morale traitée comme une thèse que des êtres de papier illustrent en prenant le lecteur dans les rets d’une argumentation souterraine, vision que dénonce Todorov (2007), après y avoir largement contribué. La question éthique est donc très partiellement portée dans les pratiques de classe. Elle relève de ce que Renard (2012) appelle les « réactions lectorales bienvenues » à des moments particuliers des cours, parce qu’elles « donnent un certain dynamisme au déroulement de l’étude des textes » (p. 175-183), mais elles sont invalidées au moment de l’évaluation. Elles sont ainsi traitées comme l’erreur formatrice dans d’autres disciplines, à la fois intéressantes pour la construction des savoirs, mais non souhaitables dans leur restitution. Les enseignants hésitent à intégrer à leurs analyses littéraires les jugements éthiques des élèves parce que ces jugements se réalisent à la faveur d’une identification à certains personnages ou relèvent d’une réaction empathique. La posture « participative » dont ils émanent contrevient à l’idée que certains professeurs de lettres se font de ce que doit être une lecture légitime, savante et distanciée. Dès lors, la réception des œuvres par un sujet lecteur, éthique ou non, est reléguée, comme la lecture cursive, dans le secret du « travail à la maison ».
Au moment de la mise à distance d’une première lecture, l’analyse des textes littéraires au lycée est fondée sur des arguments qui excluent ou laissent implicite le recours aux valeurs. Pour justifier leur interprétation ou leurs « impressions de lecture », les élèves sont invités à convoquer des connaissances sur le genre, sur le mouvement littéraire dans lesquels l’œuvre s’inscrit, ou sur des procédés d’écriture. Nous avons appelé cette modalité de distanciation pratiquée dans les classes « distanciation sur l’axe des textes » (Waszak, 2017), parce qu’elle met en perspective l’œuvre lue en la situant dans une famille de textes, dans une époque, dans un mode de production. Elle présuppose qu’il y ait déjà une forme d’accord sur les interprétations axiologiques de l’œuvre, qu’il y ait une réception commune, et surtout proche de celle qui était programmée par l’œuvre. Cependant, rien n’assure que les lycéens réalisent la lecture « idéale » programmée. L’analyse littéraire est ainsi détachée de la lecture que les élèves ont faite : comment commenter le lyrisme du Dernier jour d’un condamné dans une communauté interprétative qui ne s’interroge que sur le bien-fondé de la condamnation à mort du personnage principal ? L’œuvre de Victor Hugo est programmée pour que le lecteur éprouve de l’empathie pour le condamné, empathie à laquelle certains jeunes lecteurs se refusent parce qu’ils ignorent les limites de la confiance qu’ils peuvent accorder au personnage. Ainsi, une analyse littéraire qui ne tiendrait pas compte de ces réticences vis-à-vis du personnage principal resterait purement formelle.
Nous avons pu constater que la place du jugement moral dans l’interprétation des œuvres est dépendante de la communauté interprétative qu’est la classe, et peut être suscitée par la manière dont l’enseignante mène la séance. Par ailleurs, nous constatons aussi qu’une posture éthique peut être induite par un dispositif (en l’occurrence, l’écriture d’un journal intime), mais que cette posture n’est pas durable. À la fin de la lecture de l’œuvre, en effet, la communauté interprétative se retrouve autour d’une évaluation assez communément partagée. Nous avons pu également mesurer l’effet du débat interprétatif dans la mise à distance d’une évaluation morale partagée dans la communauté. Enfin, nous pouvons souligner l’effet appauvrissant d’un dispositif dans lequel certains élèves ne font que leur métier d’élève, sans participer à l’activité de la communauté interprétative qu’est la classe. Il nous semble donc qu’un dispositif d’accompagnement de la lecture qui induit une lecture immersive (comme l’a été la rédaction d’un journal intime), même si elle oriente fortement l’évaluation morale du lecteur et son interprétation, est plus fructueux qu’un dispositif d’accompagnement qui ne soutienne que l’effort de compréhension et de mémorisation (ce qu’a été la rédaction de l’article de journal)
Wilkinson, K. & Nadeau, M. (2010). La dictée 0 faute : une dictée pour apprendre. Québec français, (156), 71–73.
"Contrairement à la dictée traditionnelle qui est essentiellement évaluative, cette forme de dictée, aussi appelée dictée dialoguée ou dictée sans faute, est centrée sur l'apprentissage. Il s'agit de dicter un court texte mais, à la fin de chaque phrase, les élèves expriment leurs doutes orthographiques, quels qu'ils soient ; ainsi, toutes les questions sont permises. L'enseignant n'y répond pas directement en fournissant la bonne réponse, mais invite les élèves à trouver la solution en verbalisant leur raisonnement."