Avant d'enseigner quelque chose, il faut le connaître.
Qu'est-ce qui se passe quand on écrit ?
Je vous propose une réflexion en deux temps :
1. Une pratique de l'écriture, afin d'en avoir une
connaissance vécue, personnelle ; nous utiliserons des
consignes de manuels, ce qui nous permettra en même temps
d'étudier ces consignes, leurs qualités, leurs limites.
2. Une réflexion théorique sur l'écriture, ce qu'elle
met en jeu, à partir de modèles théoriques élaborés à la
fin des années 90.
L'Attrape-Livre, 6e, Hatier, 2021 (p. 30-31)
Un sujet très touffu, avec beaucoup, beaucoup de
renvois.
Quel est le rapport entre le sujet de gauche et les
exercices de droite ?
"Entraîne-toi à décrire" : publicité mensongère
pour les exercices 1, 2 et 3.
Un bon inducteur pour la description : l'image de la
masure au fond des bois la nuit. Mais la consigne évoque
l'oral ???
L'Envol des Lettres, 5e, Belin, 2016 (p. 76-83)
Parcours systématique : Lecture > planification >
écriture
Est-ce ainsi qu'on écrit un récit créatif ?
Étude d'un genre : le récit d'aventures. Texte/films/bande
dessinée. Ambiguïté document 1/document 3 ? La bande dessinée
est-elle un récit d'aventure comme les autres ?
Ambiguïté : découvrir un genre littéraire pour composer un
récit créatif (je lis pour écrire) != exploiter des lectures
pour enrichir son écrit (je lis pour enrichir ce que j'ai
déjà écrit).
Pb : comment aider l'élève à écrire un "récit
créatif" en l'entourant de modèles ? L'écriture, après
toutes ces questions, ces contraintes, ne va-t-elle pas être
très fastidieuse ?
Un récit dont l'écriture est très planifiée, une grille
d'auto-évaluation.
Quid du déjà-là ?
Fleurs d'Encre, 4e, Hachette, 2016 (p. 108)
Écriture très planifiée. D'abord des mots, puis des
personnages, puis un récit. Un brouillon d'une vingtaine de
lignes. On insiste sur le vocabulaire du sentiment.
Grande importance donnée au lexique. Beaucoup, beaucoup
d'exercices sur le lexique. Le lexique comme source
d'inspiration.
Modèle de la
production de texte : des critères explicites
d'auto-évaluation. Des techniques d'écriture, du
vocabulaire.
Une charge importante d'exercices, de techniques, de
vérifications. Peu de prise en compte du déjà-là.
Le Livre Scolaire 3e (p. 40-41)
Un ensemble très touffu.
Exercice 1 : JE ME PRÉSENTE
Double consigne (sujet + méthode)
Complexité de la consigne : "Commencez votre
autobiographie", "faites votre portrait", "évoquez la
difficulté qu'il y a à se cerner soi-même"
"Établissez un portrait physique et moral de
vous-même, en toute
simplicité."
Exercice 3 : JE DÉCRIS UN LIEU AUQUEL JE SUIS LIÉ
Triple consigne (sujet + méthode + autoévaluation)
Ambiguïté : "je décris"/"évoquez"/"faire découvrir"/"mon
texte rapporte"
Des paliers de réussite ("Je me situe") pour permettre une
autoévaluation.
Ambiguïté : un parcours (il faut passer par le 1) ou des
destinations différentes ?
Quel est le statut du texte ? Modèle à imiter ou source de
questionnement ? Serait-on dans la rédaction à l'ancienne
?
Cahier de français 2de, Nathan, 2020 (p. 94-95)
L'INTRODUCTION
La méthode propose beaucoup d'étapes. L'introduction
envisagée paraît extrêmement longue.
Elle nécessite des savoirs encyclopédiques hors de portée
des élèves au lycée en devoir (et nous ?) :
- contexte
- présentation de l'auteur
- oeuvre
- extrait
Elle ne propose pas d'alternative : d'autres façons de
faire une introduction.
Le texte proposé, celui d'André Chénier, est
difficile.
LA CONCLUSION
Pour ce qui est de la conclusion, elle est impossible à
faire avec le matériel fourni : trop court, trop
complexe.
Bilan
On constate dans ces sujets d'écriture une volonté de
faire de l'écriture un enseignement explicite. De
nombreuses fiches-conseils, des grilles d'auto-évaluation
visent à expliciter les attendus et à indiquer les
techniques à employer. La tâche d'écriture est souvent
décomposée, préparée par des exercices et accompagnée de
conseils.
On constate aussi la volonté de proposer de nombreux
inducteurs : images, nuages de mots, textes à imiter.
Cependant cette volonté d'explicite rend les consignes
souvent très chargées et aboutit à une forme de
sur-étayage. L'écriture peut vite devenir une tâche
fastidieuse, accompagnée de multiples tâches de
vérification, exercices d'entraînement, etc.
On étudie la théorie avant de passer à la pratique. On
fait du solfège avant de passer à l'instrument. On passe le
code avant de prendre le volant. En français, on explique
beaucoup de choses avant de faire écrire.
L'approche est souvent très répétitive :(lecture >
questions > écriture) et le statut des textes étudiés
est ambigu : s'agit-il de modèles à imiter ?
La rédaction est souvent très planifiée, comme un
parcours linéaire : recherche d'idées, puis ébauche, puis
relecture, puis propre. Pour reprendre une opposition issue
de la critique génétique, on est toujours dans l'écriture à
programme, rarement dans l'écriture à processus.
Les consignes sont parfois très difficiles
(l'autoportrait, l'introduction ou la conclusion).
Et surtout il y a bien peu de prise en compte de la
culture de l'élève, de son imaginaire, du déjà-là.