Didactique de la lecture - INSPE ANGERS - M1 - troisième demi-journée

Didactique de la lecture

2. L'interprétation

Cas pratique

Après avoir mis le point final à sa nouvelle, l'écrivain argentin Jorge Luis Borges prend un moment pour faire un bilan dans son journal : Est-il satisfait de la fin de sa nouvelle ? Du personnage principal et de son comportement ? Qu'a-t-il cherché à dire à travers cette nouvelle ?

Débats interprétatifs et journaux/carnets de lecteurs

"Débat et carnet ne sont pas des nouveautés pédagogiques à l'école, car ils sont mentionnés depuis 2002 dans les programmes pour l'école primaire. [...] Ils doivent permettre de lever les "ambiguïtés d'un texte" et faciliter l'expression des "interprétations divergentes" (Ministère de l'Éducation nationale, 2003 : 8). Nous sommes donc en présence de deux outils complémentaires puisque la posture interprétative fait l'objet d'un dialogue intime et solitaire avec le texte, dans le cas du carnet, et d'un échange collectif, au cours du débat. L'expression d'émotions ou de jugements par le biais de l'écriture personnelle est donc complétée par une validation du sens par la communauté interprétative représentée par la classe (Fisch, Tauveron) et l'enseignant qui veille alors à éviter les propositions trop fantasmatiques des élèves."

Ahr, S. & Joole, P. (2010). Débats et carnets de lecteurs, de l'école au collège. Le français aujourd'hui, 168, 69-82.

Le débat interprétatif

En vous appuyant sur le débat qui vient d'avoir lieu :

1. Sur quels "domaines" de la lecture peuvent porter les débats interprétatifs ?

2. Quelles sont les conceptions de la lecture qui se sont exprimées dans ce débat ?

Le principe de l'oeuvre ouverte

"Une forme est esthétiquement valable justement dans la mesure où elle peut être envisagée et comprise selon des perspectives multiples, où elle manifeste une grande variété d'aspects et de résonances sans jamais cesser d'être elle-même. (Un panneau de signalisation routière ne peut, au contraire, être envisagé que sous un seul aspect; le soumettre à une interprétation fantaisiste, ce serait lui retirer jusqu'à sa définition.) En ce premier sens, toute œuvre d'art, alors même qu'elle est forme achevée et "close" dans sa perfection d'organisme exactement calibré, est "ouverte" au moins en ce qu'elle peut être interprétée de différentes façons sans que son irréductible singularité en soit altérée. Jouir d'une œuvre d'art revient à en donner une interprétation, une exécution, à la faire revivre dans une perspective originale."

Eco, U. (1962). L'oeuvre ouverte.

Des "fragments de monde"

"Une œuvre littéraire n'est jamais complète, ou, si l'on préfère, ne constitue pas un monde complet, au sens où l'est, quelles que soient ses imperfections, celui dans lequel nous vivons. Si elle emprunte des éléments à des mondes déjà existants, dont le nôtre, elle ne donne pas à voir et à vivre un univers entier, mais délivre une série d'informations parcellaires qui ne seraient pas suffisantes sans notre intervention. Il serait plus juste alors de parler, à propos de cet espace littéraire insuffisant, de fragments de monde.

Dès lors, l'activité de la lecture et de la critique est contrainte de compléter ce monde. Ajouter des données là où elles font défaut, finir les descriptions, poursuivre des pensées inachevées, inventer du passé et de l'avenir au texte. Ainsi l'œuvre se prolonge-t-elle chez chaque lecteur, qui, en venant l'habiter, la termine temporairement pour lui-même. Cette clôture personnelle concerne tous les niveaux de l'œuvre, notamment ceux où la littérature est en manque de représentation par rapport à l'image."

Bayard, P. (2014). Enquête sur Hamlet : Le dialogue de sourds.

Quelles limites à l'interprétation ?

"Ainsi les livres dont nous parlons ne sont-ils pas seulement les livres réels qu'une imaginaire lecture intégrale retrouverait dans leur matérialité objective, mais aussi des livres-fantômes qui surgissent au croisement des virtualités inabouties de chaque livre et de nos inconscients, et dont le prolongement nourrit nos rêveries et nos conversations plus sûrement encore que les objets réels dont ils sont théoriquement issus. [...]

[Les lecteurs] pourront d'autant mieux communiquer que le livre les gênera moins et qu'il demeurera un objet plus ambigu. C'est à ce prix que les livres intérieurs de chacun auront quelque chance [...] de se relier un bref moment les uns aux autres.

Ainsi convient-il, pour chaque livre surgi au hasard des rencontres, de se garder de le réduire par des affirmations trop précises, mais bien plutôt de l'accueillir dans toute sa polyphonie, pour ne rien laisser perdre de ses virtualités. Et d'ouvrir ce qui vient de ce livre – titre, fragment, citation vraie ou fausse –, comme ici l'image du couple sur le bateau à Venise, à toutes les possibilités de liens susceptibles, en cet instant précis, d'être créés entre les êtres."

Bayard P. (2007). Comment parler des livres qu'on n'a pas lus.

Les pratiques de classe

"Afin de mesurer l'impact des interactions orales sur la compréhension de la nouvelle par les collégiens, il avait été demandé également que les élèves répondent, par écrit avant et après le débat, aux deux questions suivantes : "Qu'as-tu compris ?" et "Que n'as-tu pas compris ?". Les enseignants ont bien perçu que les lieux d'incertitude sémantique sont des espaces où se jouent les significations du texte littéraire et qu'ils sont particulièrement propices aux échanges intersubjectifs. Mais, s'ils se sont appuyés sur les points qui résistaient à la compréhension des élèves pour lancer le débat, l'identification du sens commun du texte a été très rapidement privilégiée, la parole magistrale, notamment dans deux des trois classes, tendant à occulter la réception effective de la nouvelle par les sujets lecteurs et à imposer une lecture "modèle" : le débat s'est transformé en un cours dialogué traditionnel, les élèves étant invités à répondre aux questions de leur professeur."

Ahr, S. & Joole, P. (2010). Débats et carnets de lecteurs, de l'école au collège. Le français aujourd'hui, 168, 69-82.

Le choix des textes

Lisez les pages 17 à 22 de l'article suivant : Tauveron, C. (1999). Comprendre et interpréter le littéraire à l'école : du texte réticent au texte proliférant. Repères, 19, 9‑38.

Proposez, sur une affiche, une synthèse claire et visuelle des différents types de texte qu'elle distingue, de leurs caractéristiques et des problèmes qu'ils posent.

Vous inclurez, pour chaque type de texte qu'elle évoque, plusieurs exemples de texte littéraire français. .

Prochain rendez-vous

Vendredi 22 septembre 10h-13h : Se former à et par la recherche