Didactique

01Programmation

S1

06 septembre 2024 : La didactique, une brève introduction

23 septembre 2024 : "La littérature en péril"

4 octobre 2024 : L'oeuvre ouverte

- - -Du 7 au 11 octobre : Stage 1- - -

4 novembre 2024 : Les prix littéraires et les actions en faveur de la lecture

- - -Du 25 novembre au 06 décembre : Stage 2- - -

16 décembre 2024 : Scènes de lecture

10 janvier 2025 : La lecture littéraire

S2

17 janvier 2025 : Les textes du lecteur

3 février 2025 : Les copies d'élèves

24 février 2025 : Le passage à l'écriture

- - -Du 3 au 14 mars : Stage 3 - - -

17 mars 2025 : Les brouillons

24 mars 2025 : L'enseignement de l'écriture, passé, présent, futur

25 avril 2025 : Les réécritures

- - -Du 12 au 16 mai : Stage 4- - -

[Ne seront pas traités : la lecture à voix haute, le texte et l'image, Le vocabulaire]

02Suggestions de lecture

Les livres

Lecture Écriture Langue Oral Questions transversales

Les revues

03 Perceval

Ainsi se dirigèrent-ils vers le château en se tenant par la main. Comme ils montaient un escalier, un valet vint de lui-même apporter un manteau court. Il courut en vêtir le jeune homme de peur qu'après avoir eu chaud il ne prît froid et n'attrapât du mal. Le gentilhomme possédait une riche demeure, belle et grande, avec d'alertes serviteurs . On avait préparé un bon et beau repas, bien présenté. Les chevaliers se lavèrent les mains et s'assirent à table. Le gentilhomme plaça le garçon auprès de lui et le fit manger dans la même écuelle que lui. Sur les mets je n'ajouterai rien, ni sur leur nombre ni sur leur qualité. Mais ils mangèrent et burent à satiété. Sur le repas je ne raconterai rien d'autre.

Une fois qu'ils furent levés de table, le gentilhomme, qui était la courtoisie même, pria le garçon assis près de lui de rester un mois entier. Il l'aurait bien volontiers gardé une année entière, s'il avait voulu, pour lui apprendre pendant ce temps, avec son accord, certaines choses qui lui seraient utiles à l'occasion. Mais le jeune homme lui répondit :

« Seigneur, je ne sais pas si je suis près du manoir où habite ma mère. Mais je prie Dieu qu'il me mène à elle et que je puisse la revoir, car je l'ai vue tomber évanouie à l'entrée du pont, devant sa porte : je ne sais si elle est vivante ou morte. C'est du chagrin de me voir partir qu'elle est tombée évanouie, je le sais bien. C'est pourquoi je ne pourrais pas, jusqu'à ce que je sache ce qu'elle est devenue, rester longtemps. Mais je m'en irai demain avec le jour. »

Le gentilhomme comprit qu'il était inutile de le prier, et l'on cessa de parler. Ils allèrent se coucher sans plus de discours, car leurs lits étaient déjà prêts. De bon matin, le gentilhomme se leva et se rendit au lit du garçon qu'il trouva couché. Il lui fit porter comme présent une chemise et des braies de toile fine, des chausses teintes en rouge et une tunique de soie violette qui avait été tissée et fabriquée en Inde. [...]

À mettre les habits il ne perdit pas de temps, après avoir laissé ceux de sa mère. Le gentilhomme se baissa et lui chaussa l'éperon droit. C'était alors la coutume que celui qui faisait un chevalier devait lui chausser l'éperon. Il y avait beaucoup d'autres jeunes gens dont chacun, quand il le pouvait, prêta la main pour l'armer. Le gentilhomme prit l'épée ; il la lui ceignit et lui donna la colée en lui disant qu'il lui avait conféré avec l'épée l'ordre le plus élevé que Dieu eût créé et établi : c'est l'ordre de chevalerie qui n'admet pas de bassesse.

« Cher frère, ajouta-t-il, souvenez-vous-en, s'il arrive qu'il vous faille combattre contre un chevalier, voici ce que je veux vous dire et vous prier de faire : si vous avez le dessus si bien qu'il ne puisse plus se défendre contre vous ni vous résister, et qu'il lui faille demander grâce, ne le tuez pas sciemment. Gardez-vous aussi d'être trop bavard et de trop colporter les bruits. Personne ne peut être bavard sans dire souvent une parole qu'on lui impute à bassesse. Le sage le dit et l'enseigne : “À trop parler, péché on fait.” C'est pourquoi, cher frère, je vous interdis de trop parler, et je vous fais aussi cette prière : si vous trouvez un homme ou une femme, demoiselle ou dame, qui soit dans l'embarras, aidez-le, aidez-la, vous ferez une bonne action, si vous savez le faire et si vous le pouvez. Voici une autre chose que je vous commande, ne la traitez pas par le dédain, car elle n'est pas à dédaigner : allez volontiers à l'église prier Celui qui a tout créé d'avoir pitié de votre âme et de vous garder en ce monde terrestre comme son fidèle chrétien. »

Le jeune homme lui répondit :

« De tous les apôtres de Rome soyez béni, cher seigneur, car ce sont les paroles mêmes de ma mère.

– Désormais, ne dites plus jamais, cher frère, reprit le gentilhomme, que c'est votre mère qui vous l'a appris et enseigné. Je ne vous blâme pas du tout de l'avoir dit jusqu'à présent, mais désormais faites-moi la grâce, je vous en prie, de vous en corriger, car, si vous le disiez encore, on le prendrait pour de la folie. C'est pourquoi je vous prie de vous en garder.

– Que dirai-je donc, cher seigneur ?

– Vous pouvez dire que c'est le vavasseur, celui qui vous a chaussé l'éperon, qui vous l'a appris et enseigné. »

Chrétien De Troyes. Perceval, ou, Le conte du graal. trd. Jean Dufournet. Coll. GF. Éditions Flammarion.

04Hors Concours

Choix des extraits

1. Sur l'affiche, quelles couvertures, quels titres vous paraissent intéressants ? Pourquoi ?

2. Par groupes de 3, choisissez un "lot" de 6 ou 7 titres, dont vous lirez les extraits.

Journal de lecteur (60 minutes)

Lisez les extraits, puis prenez un temps pour écrire dans votre Journal de lecteur. Quels ont été votre ou vos coups de coeur ? Qu'est-ce qui vous a plu dans ces extraits ?

Cercle de lecteurs (60 minutes)

1. Sélectionnez, par groupes, un ou deux extraits.

2. Préparez une prise de parole : une brève présentation de votre ou vos extraits préférés, puis, au choix, soit la lecture d'un passage de l'extrait, soit l'explication de ce qui vous a plu.

Présentation des extraits retenus à la promotion (30 minutes)

Présentez à l'ensemble de la promotion le ou les extraits que vous avez préférés.

05Scènes de lecture

Document A

Le personnage principal de ce roman, "le vieux", vit en Amazonie, parmi les indiens Shuars. C'est un passionné de romans "à l'eau de rose".

Après avoir mangé les crabes délicieux, le vieux nettoya méticuleusement son dentier et le rangea dans son mouchoir. Après quoi il débarrassa la table, jeta les restes par la fenêtre, ouvrit une bouteille de Frontera et choisit un roman.

La pluie qui l'entourait de toutes parts lui ménageait une intimité sans pareille.

Le roman commençait bien.

"Paul lui donna un baiser ardent pendant que le gondolier complice des aventures de son ami faisait semblant de regarder ailleurs et que la gondole, garnie de coussins moelleux, glissait sur les canaux vénitiens."

Il lut la phrase à voix haute et plusieurs fois.

Qu'est-ce que ça peut bien être, des gondoles ?

Ça glissait sur des canaux. Il devait s'agir de barques ou de pirogues. Quant à Paul, il était clair que ce n'était pas un individu recommandable, puisqu'il donne un "baiser ardent" à la jeune fille en présence d'un ami, complice de surcroit.

Ce début lui plaisait.

Il était reconnaissant à l'auteur de désigner les méchants dès le départ. De cette manière, on évitait les malentendus et les sympathies non méritées.

Restait le baiser – quoi déjà ? – "ardent". Comment est-ce qu'on pouvait faire ça ?

Il se souvenait des rares fois où il avait donné un baiser à Dolores Encarnación del Santísimo Sacramento Estupiñán Otavalo. Peut-être, sans qu'il s'en rende compte, l'un de ces baisers avait-il été ardent, comme celui de Paul dans le roman.

En tout cas il n'y avait pas eu beaucoup de baisers, parce que sa femme répondait par des éclats de rire, ou alors elle disait que ça devait être un péché.

Un baiser ardent. Un baiser. Il avait découvert récemment qu'il n'en avait guère donné, et seulement à sa femme, car les Shuars ne connaissent pas le baiser.

Il existe chez eux, entre hommes et femmes, des caresses sur tout le corps, sans se préoccuper de la présence de tiers. Même quand ils font l'amour, ils ne se donnent pas de baisers. [...]

Non, chez les Shuars le baiser n'existe pas.

Il se souvenait aussi d'avoir vu, une fois, un chercheur d'or culbuter une femme jivaro, une pauvresse qui rôdait chez les colons et les aventuriers en mendiant une gorgée d'aguardiente. Tous les hommes qui en avaient envie pouvaient l'emmener dans un coin et la posséder. Abrutie par l'alcool, la malheureuse ne se rendait pas compte de ce qu'on faisait d'elle. Cette fois-là, un aventurier l'avait prise sur la plage et avait cherché à coller sa bouche à la sienne.

La femme avait réagi comme un animal sauvage. Elle avait fait rouler l'homme couché sur elle, lui avait lancé une poignée de sable dans les yeux et était allée ostensiblement vomir de dégout.

Si c'était cela un baiser ardent, alors le Paul du roman n'était qu'un porc.

Quand arriva l'heure de la sieste, il avait lu environ quatre pages et réfléchi à leur propos, et il était préoccupé de ne pouvoir imaginer Venise en lui prêtant les caractères qu'il avait attribués à d'autres villes, également découvertes dans des romans.

À Venise, apparemment, les rues étaient inondées et les gens étaient obligés de se déplacer en gondoles.

Les gondoles. Le mot "gondole" avait fini par le séduire et il pensa que ce serait bien d'appeler ainsi sa pirogue. La Gondole du Nangaritza.

Sepúlveda, L. (1989). Le vieux qui lisait des romans d'amour. Éditions du Seuil.

Document B

Dans cet essai, Daniel Pennac réfléchit sur l'enseignement de la lecture dans le monde scolaire. L'essai est rempli de scènes fictives, comme celle qui suit.

Reste la question du grand, là haut, dans sa chambre.

Lui aussi, il aurait besoin d'être réconcilié avec "les livres" !

Maison vide, parents couchés, télévision éteinte, il se retrouve donc seul… devant la page 48.

Et cette "fiche de lecture" à rendre demain…

Demain…

Bref calcul mental :

446 – 48 = 398.

Trois cent quatre-vingt-dix-huit pages à s'envoyer dans la nuit !

Il s'y remet bravement. Une page poussant l'autre. Les mots du "livre" dansent entre les oreillettes de son walkman. Sans joie. Les mots ont des pieds de plomb. Ils tombent les uns après les autres, comme ces chevaux qu'on achève. Même le solo de batterie n'arrive pas à les ressusciter. (Un fameux batteur, pourtant, Kendall !) Il poursuit sa lecture sans se retourner sur le cadavre des mots. Les mots ont perdu leur sens, paix à leurs lettres. Cette hécatombe ne l'effraye pas. Il lit comme on avance. C'est le devoir qui le pousse. Page 62, page 63.

Il lit.

Que lit-il ?

L'histoire d'Emma Bovary.

L'histoire d'une fille qui a beaucoup lu :

"Elle avait lu Paul et Virginie et elle avait rêvé la maisonnette de bambous, le nègre Domingo, le chien Fidèle, mais surtout l'amitié douce de quelque bon petit frère, qui va chercher pour vous des fruits rouges dans des grands arbres plus hauts que des clochers, ou qui court pieds nus sur le sable, vous apportant un nid d'oiseau. "

Le mieux est de téléphoner à Thierry, ou à Stéphanie, pour qu'ils lui passent leur fiche de lecture, demain matin, qu'il recopiera vite fait, avant d'entrer en cours, ni vu ni connu, ils lui doivent bien ça.

"Lorsqu'elle eut treize ans, son père l'amena lui-même à la ville pour la mettre au couvent. Ils descendirent dans une auberge du quartier Saint-Gervais où ils eurent à leur souper des assiettes peintes qui représentaient l'histoire de mademoiselle de La Vallière. Les explications légendaires, coupées çà et là par l'égratignure des couteaux, glorifiaient toutes la religion, les délicatesses du cœur et les pompes de la Cour."

La formule : "Ils eurent à leur souper des assiettes peintes…" lui arrache un sourire fatigué : "On leur a donné à bouffer des assiettes vides ? On leur a fait becqueter l'histoire de cette La Vallière ? " Il fait le malin. Il se croit en marge de sa lecture. Erreur, son ironie a tapé dans le mille. Car leurs malheurs symétriques viennent de là : Emma est capable d'envisager son assiette comme un livre, et lui son livre comme une assiette.

Pennac, D. (1992). Comme un roman. Éditions Gallimard.

Document C

Il avait commencé à lire le roman quelques jours auparavant. Il l'abandonna à cause d'affaires urgentes et l'ouvrit de nouveau dans le train, en retournant à sa propriété. Il se laissait lentement intéresser par l'intrigue et le caractère des personnages. Ce soir-là, après avoir écrit une lettre à son fondé de pouvoirs et discuté avec l'intendant une question de métayage, il reprit sa lecture dans la tranquillité du studio, d'où la vue s'étendait sur le parc planté de chênes. Installé dans son fauteuil favori, le dos à la porte pour ne pas être gêné par une irritante possibilité de dérangements divers, il laissait sa main gauche caresser de temps en temps le velours vert. Il se mit à lire les derniers chapitres. Sa mémoire retenait sans effort les noms et l'apparence des héros. L'illusion romanesque le prit presque aussitôt. Il jouissait du plaisir presque pervers de s'éloigner petit à petit, ligne après ligne, de ce qui l'entourait, tout en demeurant conscient que sa tête reposait commodément sur le velours du dossier élevé, que les cigarettes restaient à portée de sa main et qu'au-delà des grandes fenêtres le souffle du crépuscule semblait danser sous les chênes.

Phrase après phrase, absorbé par la sordide alternative où se débattaient les protagonistes, il se laissait prendre aux images qui s'organisaient et acquéraient progressivement couleur et vie. Il fut ainsi témoin de la dernière rencontre dans la cabane parmi la broussaille. La femme entra la première, méfiante. Puis vint l'homme, le visage griffé par les épines d'une branche. Admirablement, elle étanchait de ses baisers le sang des égratignures. Lui, se dérobait aux caresses. Il n'était pas venu pour répéter le cérémonial d'une passion clandestine protégée par un monde de feuilles sèches et de sentiers furtifs. Le poignard devenait tiède au contact de sa poitrine. Dessous, au rythme du cœur, battait la liberté convoitée. Un dialogue haletant se déroulait au long des pages comme un fleuve de reptiles, et l'on sentait que tout était décidé depuis toujours. Jusqu'à ces caresses qui enveloppaient le corps de l'amant comme pour le retenir et le dissuader, dessinaient abominablement les contours de l'autre corps, qu'il était nécessaire d'abattre. Rien n'avait été oublié : alibis, hasards, erreurs possibles. A partir de cette heure, chaque instant avait son usage minutieusement calculé. La double et implacable répétition était à peine interrompue le temps qu'une main frôle une joue. Il commençait à faire nuit.

Sans se regarder, étroitement liés à la tâche qui les attendait, ils se séparèrent à la porte de la cabane. Elle devait suivre le sentier qui allait vers le nord. Sur le sentier opposé, il se retourna un instant pour la voir courir, les cheveux dénoués. A son tour, il se mit à courir, se courbant sous les arbres et les haies. A la fin, il distingua dans la brume mauve du crépuscule l'allée qui conduisait à la maison. Les chiens ne devaient pas aboyer et ils n'aboyèrent pas. A cette heure, l'intendant ne devait pas être là et il n'était pas là. Il monta les trois marches du perron et entra. A travers le sang qui bourdonnait dans ses oreilles, lui parvenaient encore les paroles de la femme. D'abord une salle bleue, puis un corridor, puis un escalier avec un tapis. En haut, deux portes. Personne dans la première pièce, personne dans la seconde. ... [La fin du texte a été tronquée.]La porte du salon, et alors, le poignard en main, les lumières des grandes baies, le dossier élevé du fauteuil de velours vert et, dépassant le fauteuil, la tête de l'homme en train de lire un roman.

Cortazar, J. (1959). "Continuité des parcs", Les Armes secrètes, trad. C. et R. Caillois, éd. Gallimard.

Document D

... thy rope of sands...

George Herbert (1593-1633)

La ligne est composée d'un nombre infini de points ; le plan, d'un nombre infini de lignes ; le volume, d'un nombre infini de plans ; l'hypervolume, d'un nombre infini de volumes... Non, décidément, ce n'est pas là, more geometrico, la meilleure façon de commencer mon récit. C'est devenu une convention aujourd'hui d'affirmer de tout conte fantastique qu'il est véridique ; le mien, pourtant, est véridique.

Je vis seul, au quatrième étage d'un immeuble de la rue Belgrano. II y a de cela quelques mois, en fin d'après-midi, j'entendis frapper à ma porte. J'ouvris et un inconnu entra. C'était un homme grand, aux traits imprécis. Peut-être est-ce ma myopie qui me les fit voir de la sorte. Tout son aspect reflétait une pauvreté décente. II était vêtu de gris et il tenait une valise à la main. Je me rendis tout de suite compte que c'était un étranger. Au premier abord, je le pris pour un homme âgé ; ensuite je constatai que j'avais été trompé par ses cheveux clairsemés, blonds, presque blancs, comme chez les Nordiques. Au cours de notre conversation, qui ne dura pas plus d'une heure, j'appris qu'il était originaire des Orcades.

Je lui offris une chaise. L'homme laissa passer un moment avant de parler. II émanait de lui une espèce de mélancolie, comme il doit en être de moi aujourd'hui.

- Je vends des bibles, me dit-il.

Non sans pédanterie, je lui répondis :

- II y a ici plusieurs bibles anglaises, y compris la première, celle de Jean Wiclef. J'ai également celle de Cipriano de Valera, celle de Luther, qui du point de vue littéraire est la plus mauvaise, et un exemplaire en latin de la Vulgate. Comme vous voyez, ce ne sont pas précisément les bibles qui me manquent.

Après un silence, il me rétorqua :

- Je ne vends pas que des bibles. Je puis vous montrer un livre sacré qui peut-être vous intéressera. Je l'ai acheté à la frontière du Bikanir.

Il ouvrit sa valise et posa l'objet sur la table. C'était un volume in-octavo, relié en toile. Il avait sans aucun doute passé par bien des mains. Je l'examinai ; son poids insolite me surprit. En haut du dos je lus Holy Writ et en bas Bombay.

- Il doit dater du dix-neuvième siècle, observai-je.

- Je ne sais pas. Je ne l'ai jamais su, me fut-il répondu.

Je l'ouvris au hasard. Les caractères m'étaient inconnus. Les pages, qui me parurent assez abîmées et d'une pauvre typographie, étaient imprimées sur deux colonnes à la façon d'une bible. Le texte était serré et disposé en versets. A l'angle supérieur des pages figuraient des chiffres arabes. Mon attention fut attirée sur le fait qu'une page paire portait, par exemple, le numéro 40514 et l'impaire, qui suivait, le numéro 999. Je tournai cette page; au verso la pagination comportait huit chiffres. Elle était ornée d'une petite illustration, comme on en trouve dans les dictionnaires : une ancre dessinée à la plume, comme par la main malhabile d'un enfant.

L'inconnu me dit alors:

- Regardez-la bien. Vous ne la verrez jamais plus.

Il y avait comme une menace dans cette affirmation, mais pas dans la voix.

Je repérai sa place exacte dans le livre et fermai le volume. Je le rouvris aussitôt. Je cherchai en vain le dessin de l'ancre, page par page. Pour masquer ma surprise, je lui dis :

- Il s'agit d'une version de l'Ecriture Sainte dans une des langues hindoues, n'est-ce pas ?

- Non, me répondit-il.

Puis, baissant la voix comme pour me confier un secret :

- J'ai acheté ce volume, dit-il, dans un village de la plaine, en échange de quelques roupies et d'une bible. Son possesseur ne savait pas lire. Je suppose qu'il a pris le Livre des Livres pour une amulette. II appartenait à la caste la plus inférieure; on ne pouvait, sans contamination, marcher sur son ombre. II me dit que son livre s'appelait le livre de sable, parce que ni ce livre ni le sable n'ont de commencement ni de fin.

II me demanda de chercher la première page.

Je posai ma main gauche sur la couverture et ouvris le volume de mon pouce serré contre l'index. Je m'efforçai en vain : il restait toujours des feuilles entre la couverture et mon pouce. Elles semblaient sourdre du livre.

- Maintenant cherchez la dernière.

Mes tentatives échouèrent de même; à peine pus-je balbutier d'une voix qui n'était plus ma voix :

- Cela n'est pas possible.

Toujours à voix basse le vendeur de bibles me dit :

- Cela n'est pas possible et pourtant cela est. Le nombre de pages de ce livre est exactement infini. Aucune n'est la première, aucune n'est la dernière. Je ne sais pourquoi elles sont numérotées de cette façon arbitraire. Peut-être pour laisser entendre que les composants d'une série infinie peuvent être numérotés de façon absolument quelconque.

Puis, comme s'il pensait à voix haute, il ajouta :

- Si l'espace est infini, nous sommes dans n'importe quel point de l'espace. Si le temps est infini, nous sommes dans n'importe quel point du temps.

Ses considérations m'irritèrent.

- Vous avez une religion, sans doute ? lui demandai-je.

- Oui, je suis presbytérien. Ma conscience est tranquille. Je suis sûr de ne pas avoir escroqué l'indigène en lui donnant la Parole du Seigneur en échange de son livre diabolique.

Je l'assurai qu'il n'avait rien à se reprocher et je lui demandai s'il était de passage seulement sous nos climats. Il me répondit qu'il pensait retourner prochainement dans sa patrie. C'est alors que j'appris qu'il était Écossais, des îles Orcades. Je lui dis que j'aimais personnellement l'Ecosse, ayant une véritable passion pour Stevenson et pour Hume.

- Et pour Robbie Burns, corrigea-t-il.

Tandis que nous parlions je continuais à feuilleter le livre infini.

- Vous avez l'intention d'offrir ce curieux spécimen au British Muséum ? lui demandai-je, feignant l'indifférence.

- Non. C'est à vous que je l'offre, me répliqua-t-il, et il énonça un prix élevé.

Je lui répondis, en toute sincérité, que cette somme n'était pas dans mes moyens et je me mis à réfléchir. Au bout de quelques minutes, j'avais ourdi mon plan.

- Je vous propose un échange, lui dis-je. Vous, vous avez obtenu ce volume contre quelques roupies et un exemplaire de l'Écriture Sainte ; moi, je vous offre le montant de ma retraite, que je viens de toucher, et la bible de Wiclef en caractères gothiques. Elle me vient de mes parents.

- A black letter Wiclef ! murmura-t-il.

J'allai dans ma chambre et je lui apportai l'argent et le livre. Il le feuilleta et examina la page de titre avec une ferveur de bibliophile.

- Marché conclu, me dit-il.

Je fus surpris qu'il ne marchandât pas. Ce n'est que par la suite que je compris qu'il était venu chez moi décidé à me vendre le livre. Sans même les compter, il mit les billets dans sa poche.

Nous parlâmes de l'Inde, des Orcades et des jarls norvégiens qui gouvernèrent ces îles. Quand l'homme s'en alla, il faisait nuit. Je ne l'ai jamais revu et j'ignore son nom.

Je comptais ranger le Livre de Sable dans le vide qu'avait laissé la bible de Wiclef, mais je décidai finalement de le dissimuler derrière des volumes dépareillés des Mille et Une Nuits.

Je me couchai mais ne dormis point. Vers trois ou quatre heures du matin, j'allumai. Je repris le livre impossible et me mis à le feuilleter. Sur l'une des pages, je vis le dessin d'un masque. Le haut du feuillet portait un chiffre, que j'ai oublié, élevé à la puissance 9.

Je ne montrai mon trésor à personne. Au bonheur de le posséder s'ajouta la crainte qu'on ne me le volât, puis le soupçon qu'il ne fût pas véritablement infini. Ces deux soucis vinrent accroître ma vieille misanthropie. J'avais encore quelques amis ; je cessai de les voir. Prisonnier du livre, je ne mettais pratiquement plus les pieds dehors. J'examinai à la loupe le dos et les plats fatigués et je repoussai l'éventualité d'un quelconque artifice. Je constatai que les petites illustrations se trouvaient à deux mille pages les unes des autres. Je les notai dans un répertoire alphabétique que je ne tardai pas à remplir. Elles ne réapparurent jamais. La nuit, pendant les rares intervalles que m'accordait l'insomnie, je rêvais du livre.

L'été déclinait quand je compris que ce livre était monstrueux. Cela ne me servit à rien de reconnaître que j'étais moi-même également monstrueux, moi qui le voyais avec mes yeux et le palpais avec mes dix doigts et mes ongles. Je sentis que c'était un objet de cauchemar, une chose obscène qui diffamait et corrompait la réalité.

... [La fin du texte a été tronquée.]

Je pensai au feu, mais je craignis que la combustion d'un livre infini ne soit pareillement infinie et n'asphyxie la planète par sa fumée.

Je me souvins d'avoir lu quelque part que le meilleur endroit où cacher une feuille c'est une forêt. Avant d'avoir pris ma retraite, je travaillais à la Bibliothèque nationale, qui abrite neuf cent mille livres ; je sais qu'à droite du vestibule, un escalier en colimaçon descend dans les profondeurs d'un sous-sol où sont gardés les périodiques et les cartes. Je profitai d'une inattention des employés pour oublier le livre de sable sur l'un des rayons humides. J'essayai de ne pas regarder à quelle hauteur ni à quelle distance de la porte.

Je suis un peu soulagé mais je ne veux pas même passer rue Mexico.

Borges, J. L. (1978). "Le Livre de sable". Le Livre de Sable.

06Copies d'élèves


Un modèle de la compétence scripturale

L'ordre de la compétence scripturale

Je distinguerai, dans l'ordre de la compétence scripturale, trois grandes composantes : celle des savoirs ; celle des représentations, des investissements et des valeurs ; celle des opérations.

Les savoirs, nécessaires et/ou mis en oeuvre dans la compétence scripturale, appartiennent à quatre grandes catégories :

- les savoirs linguistiques ou textuels qui peuvent porter sur les "sous-systèmes" (lexique, morphologie, syntaxe, orthographe, rhétorique, stylistique...), sur les configurations textuelles (types de textes, types de discours, genres...), sur les relations texte-contexte (dimension pragmatique avec les actes de langage, la communication, les interactions, les situations...) ;

- les savoirs sémiotico-scripturaux qui concernent le fonctionnement des signes linguistiques et, notamment, des signes écrits ;

- les savoirs sémiotico-sociaux qui concernent le fonctionnement de l'écrit dans la société ;

- les savoirs sur le fonctionnement de la lecture et de l'écriture1.

Les représentations, les investissements et les valeurs liées à la tâche, à la situation, à l'émetteur, au récepteur, aux objets textuels, aux contenus, etc. constituent la seconde composante. Plusieurs pôles les organisent, comme nous l'avons déjà vu :

- attraction/répulsion avec expression de soi/exposition à autrui, protection du territoire (isolement/refuge), distinction/banalisation ;

- valorisation/dévalorisation (par exemple autour des relations entre masculinité et féminité) ;

- investissements psychiques plus ou moins conscients.

À ceux-ci déjà évoqués, il conviendrait d'en ajouter trois autres. En premier lieu, un groupe de représentations récurrentes dans les entretiens menés avec des enfants et des adultes dont je pense qu'elles constituent de véritables obstacles cognitifs : l'écriture comme don, comme inspiration, comme premier jet, etc. ; le texte comme expression-représentation. [...] En deuxième lieu, des représentations de soi du rapport de soi à l'écriture ("pour écrire il faut avoir des choses intéressantes à dire, or je ne suis pas intéressant"). En troisième lieu, dans la mesure où je m'intéresse principalement à l'apprentissage scolaire de l'écriture, il me faut sans doute introduire dans cette perspective ce qui concerne les représentations de l'école, du savoir, des disciplines, des exercices, des professeurs dont nombre de recherches ont souligné le poids dans l'apprentissage et les chances de réussite ou d'échec.

La compétence scripturale est encore composée d'opérations, que j'organiserai en quatre catégories.

Tout d'abord des opérations de planification-maturation de la tâche et du texte qui comprennent, par exemple :

- l'analyse de l'acte à effectuer (situation, buts, enjeux...) ;

- la détermination d'une stratégie discursivo-textuelle (genre, type, position énonciative, contenus, moyens textuels...) avec une activation conséquente des savoirs disponibles et un début de mise en oeuvre (en termes de hiérarchisation et d'organisation) ;

- la détermination d'une stratégie d'action (gestion du temps ; choix des outils et des supports ; précision des outils, des aides, des détours, des recherches à effectuer, etc.).

Les opérations de textualisation concernent l'organisation macro- et micro-structurelle du texte (hiérarchiser, organiser, linéariser, articuler, tisser..., lire, confronter, rectifier...) [...].

Les opérations de scription désignent la gestion du savoir-graphier dans ses dimensions les plus physiques, dans ses composantes psychomotrices et graphovisuelles : postures d'écriture, mouvements corporels, maniement de l'outil et du support, représentations spatio-temporelles de l'écriture, représentation iconique de l'écrit, maîtrise du tracé et de la lisibilité, etc.

Les opérations de révision impliquent la relecture de l'écrit (avec la confrontation du projet aux normes de référence ; le repérage et l'analyse des problèmes), la construction de rectifications possibles (des moyens nécessaires, de la charge de travail...) et les modifications éventuelles.

Cette présentation mérite quelques précisions. Il faut d'abord insister sur le fait que son ordre est absolument arbitraire : ces opérations peuvent intervenir dans des ordres différents et sont récursives (elles reviennent généralement à plusieurs reprises dans un travail d'écriture). Elles sont aussi plus ou moins conscientes. Elles sont, en quelque sorte, la mise en oeuvre opératoire des savoirs, des représentations, des valeurs et des investissements. Le fait qu'il s'agisse de connaissances procédurales spécifiques (savoir comment faire pour écrire) difficilement formalisables de façon déclarative explique d'ailleurs, au moins en partie, la difficulté de l'enseignement de l'écriture, le peu d'intérêt de nombre de guides mais aussi, en revanche, certains bénéfices à tirer de la venue d'écrivains ou de journalistes (avec la dimension de "compagnonnage" dans l'enseignement : montrer comment faire, faire imiter, aider à faire).

Ces opérations consistent donc à activer les savoirs et les processus, à les organiser syncrétiquement, à les linéariser... du mieux possible.

En tout cas, la compétence scripturale n'est sans doute jamais optimale : parfaitement maîtrisée dans toutes les situations et sur tous les objets textuels. Elle est aussi toujours variable :

- de façon extensive : on maîtrise un nombre plus ou moins élevé de composants ;

- de façon intensive : on maîtrise plus ou moins bien chacune de ces composantes ;

- de façon congruente : ces composantes sont plus ou moins en harmonie dans le travail d'écriture.

L'ordre des compétences générales

L'ordre des compétences générales -dans le cadre de cette formalisation- comprend l'ensemble des compétences, aptitudes, capacités, savoirs, valeurs, investissements, représentations des sujets. C'est seulement par une décision théorique et méthodologique qu'on effectue une coupe dans le potentiel du sujet pour distinguer une compétence scripturale spécifique.

La présence de cette dimension dans un modèle de l'écriture me semble nécessaire pour deux raisons. D'abord pour rappeler que les performances et les compétences d'un sujet dans un domaine sont en relation avec celles d'autres domaines, qu'elles s'intègrent dans la totalité organisée de la vie psychique, physique et sociale du sujet, que la compétence scripturale ne cesse de "puiser" dans ce cadre général (savoirs sur le monde, représentations, valeurs, investissements, maîtrise corporelle, saptio-temporelle...), de façon facilitante ou non. La présence de cette dimension me paraît aussi indispensable dans la mesure où ce modèle de l'écriture est construit dans une perspective didactique. Dans ce cadre, la relation qu'elle entretient avec l'ordre de la compétence scripturale doit être posée pour essayer de penser des problèmes cruciaux tels que celui du moment où commencer des apprentissages spécialisés, celui des éventuels "prérequis", celui des transferts ou celui de l'interprétation des dysfonctionnements constatés.

La place des tensions

Ce modèle me semblerait cependant idéalisé, insuffisant et peu opératoire, s'il n'accordait pas une place importante aux tensions et aux conflits qui, selon de nombreuses études convergentes en sociologie, psychologie et psychanalyse, structurent la vie psychique et sociale du sujet et de ses pratiques.

Je distinguerai ici cinq modes potentiels d'inscription de ces tensions.

Il existe déjà des tensions constitutives du système graphique, ainsi que l'ont montré les historiens de l'écriture et les théoriciens de l'écriture. Comme l'écrit Jean-Pierre Jaffré :

"En fin de compte, l'écriture doit donc satisfaire à deux nécessités : elle doit disposer d'une infrastructure économique et pour ce faire, elle n'a d'autres solutions que d'opter pour la notation d'unités phonographiques. Et, comme son but est de produire du sens, elle doit en même temps veiller à ce que les formes significatives qu'elle "donne à voir" soient conformes à des exigences fonctionnelles (discriminer les unités significatives, éviter les ambiguïtés, etc.). C'est ce que De Franis [...] appelle le "principe de dualité" qui est à la base de toute écriture."

Le fait de considérer l'écriture comme le "résultat d'un équilibre toujours nécessaire entre différentes forces de tension" (notamment entre le principe de transcription et le principe sémantique est tout à fait intéressant en ce qu'il permet, entre autres, d'expliquer les phases de conceptualisation de l'écrit chez les enfants, leurs problèmes orthographiques, les différences entre les experts et les novices, ainsi que les évolutions des systèmes graphiques.

Les tensions sont aussi constitutives de l'écriture, en tant que marque de l'appartenance à une tradition et à une collectivité et inscription d'une singularité irréductible. Daniel Fabre met l'accent sur ce point lorsqu'il écrit :

"Une fois installé dans le rite, l'écrit décline [...] les diverses facettes du lien social. Contrat, attestation, transmission, mémoire... fondent la constitution d'une histoire commune. Mais, dans le même mouvement, l'acte d'écrire, fût-il réduit à l'apposition d'une signature, enregistre une identité particulière. Que cette dernière adhère souvent à une conformité n'y change rien : c'est toujours un sujet qui écrit de sa main. Ce simple geste le qualifie comme unique, il lui confère au moins l'autonomie du nom propre."

Michel Dabène module cette tension à partir de l'opposition entre la pratique orale et la pratique scripturale :

"Face à l'immense variété de la mise en oeuvre de l'oralité, l'écriture impose des modèles graphiques [...], syntaxiques, textuels qui pèsent sur le scripteur en raison inverse de sa capacité à les maîtriser. De ce point de vue, l'écriture, quel que soit son objet, est le lieu d'une tension entre les pulsions de la parole vive et le carcan de la "fabrication" scripturale."

Le repérage de ces tensions permet d'expliquer les conflits à l'oeuvre dans les représentations des sujets, le rejet de l'écriture comme mode d'expression inapproprié par certains ou encore, chez nombre d'élèves ou d'adultes, les difficultés à s'extraire d'une stéréotypie envahissante.

Les tensions sont encore, comme je l'ai indiqué à plusieurs reprises, à l'oeuvre dans les représentations où deux pôles opposés entrent souvent en conflit : valorisation-dévalorisation ; attraction-répulsion (expression/exposition ; isolement/refuge ; distinction/banalisation), etc. En fait, les entretiens le montrent souvent, les sujets sont moins positionnés, de façon tranché, d'un côté ou de l'autre, qu'hésitant incessamment entre les deux pôles, ce qui peut expliquer des incohérences apparentes (pratiques d'écriture puis arrêt de toute pratique ; choix d'un type de texte puis rejet ; changements de stratégie à l'intérieur du même texte...).

Les tensions émergent encore très fortement et très fréquemment dans l'espace qui sépare le projet de sa réalisation. Par exemple, entre un vouloir-écrire (l'envie d'écrire ; l'idée ; le projet) relativement établi et un pouvoir et/ou un savoir-écrire : le sujet manque de savoirs (déclaratifs, procéduraux) pour réaliser le projet ou est dans l'impossibilité de la faire (entraves politiques, sociales, sentimentales, matérielles...). Ou, à l'inverse, le sujet possède les savoirs nécessaires mais il lui manque l'envie d'écrire, le projet, les idées. On conviendra que ces cas sont bien connus du pédagogue...

Il faut ajouter que les tensions sont aussi possibles à l'intérieur de chacun des pôles désignés : on a envie d'écrire mais cela reste flou, sans idées précises, sans projet déterminé ; on a les savoirs mais on reste inhibé ; on est gêné par une des dimensions du savoir/pouvoir qui entrave les autres (l'acte graphique lui-même pour les jeunes enfants...). Les contradictions, les conflits peuvent émerger dans le mouvement même de l'écriture ou à son issue. C'est le cas lorsqu'on découvre que son projet avait des aspects inconscients qui émergent et gênent le sujet, ou qu'il était banal ou encore qu'il s'est obscurci chemin faisant...

Il faut, enfin, insister, dans une perspective didactique, sur le fait que le maniement de l'écart entre le vouloir et le pouvoir-savoir peut s'avérer risqué pour nombre d'élèves. Ceux qui tentent des textes complexes, en s'aventurant hors des routines qu'ils maîtrisent, sont de fait ceux qui prennent le plus de risques techniques. On conçoit alors que le rôle de l'évaluation, dans l'appréhension ou non de cette "aventure" et dans sa sanction ou son encouragement, est considérable.

Les tensions sont aussi liées à la gestion même des opérations :

- soit parce que le sujet veut pratiquer conjointement deux opérations différentes (par exemple la relecture globale, focalisée sur le sens d'ensemble et la relecture globale, focalisée sur le sens d'ensemble et la relecture locale, centrée sur les microstructures et les unités, qui sont régulièrement confondues dans les injonctions scolaires) ;

- soit parce que certaines opérations sont contre-orientées : ainsi, écrire nécessite un investissement et réviser nécessite une distance ; ainsi planifier peut fonctionner sur le rêve, la croyance qu'un projet est possible et textualiser, c'est concrétiser, se rendre compte d'impossibilités, des limites de certaines idées, etc.

Comme on le voit, les tensions sont au coeur de l'écriture qui ne présente pas l'aspect d'un algorithme bien réglé. Je rejoins ici les propositions des généticiens du texte et, notamment, de Almuth Grésillon, lorsqu'elle écrit :

"Et ce regard-là découvrira que l'écriture, loin de suivre régulièrement une progression linéaire, est tout autant traversée de tensions et de contradictions, de retours et de détours, d'impasses, de fourvoiements, turbulences, faux départs et tarissements, en sorte qu'à la place d'un modèle linéaire, on songe davantage à la théorie des catastrophes."

Reuter, Y. (2000). Enseigner et apprendre à écrire : construire une didactique de l’écriture. p. 66-74. ESF Editeur.


1. Dans la mesure où tout texte contient des contenus, il faudrait y ajouter des savoirs encyclopédiques sur le monde. Je les situe dans l'ordre des compétences générales, chacun des textes à produire nécessitant une sélection spécifique.

Vers une correction assistée ?

La consigne

Je suis enseignant de français, je dois corriger la copie jointe. C'est le texte d'un élève de 6e. Mon barème comprend plusieurs items de valeur équivalente : le respect de la consigne ; l'expression d'une pensée personnelle ; la cohérence et la cohésion du texte ; le respect des normes de l'écrit. Est-ce que tu peux proposer : une note sur 20 justifiée par rapport à ces items ; une appréciation qui met l'accent sur les réussites et les points à travailler ; un conseil pour rendre le texte plus intéressant pour le lecteur.

Le support

Les résultats (13/02/2025)

ChatGPT Claude Le Chat
Note Note sur 20 : 12/20

Note proposée : 13/20

Note totale : 12/20

le respect de la consigne

Respect de la consigne (3/5) : L’élève répond à la question en décrivant une journée type en tant que gendarme, mais le développement reste assez sommaire et manque de détails concrets pour enrichir le récit.

Respect de la consigne (4/5)

L'élève répond bien à la question en décrivant une journée type

Le texte reste dans le sujet (projection dans l'avenir)

La longueur est un peu limitée

Respect de la consigne : 4/5

L'élève a bien compris la consigne et a écrit un texte qui décrit une journée où il aimerait être adulte.

l'expression d'une pensée personnelle

Expression d’une pensée personnelle (3/5) : L’élève exprime ses idées et montre un certain engagement envers son futur métier, mais les phrases restent basiques et peu approfondies.

Expression d'une pensée personnelle (4/5)

Choix précis d'un métier (gendarme)

Description d'activités spécifiques liées à la profession

Vision assez réaliste du métier

Expression d'une pensée personnelle : 3/5

L'élève exprime ses propres idées, mais elles sont assez basiques et manquent de profondeur.

la cohérence et la cohésion du texte

Cohérence et cohésion du texte (3/5) : La chronologie est respectée, mais certaines phrases sont maladroites ou confuses, et les enchaînements entre les idées pourraient être améliorés.

Cohérence et cohésion (3/5)

Progression chronologique claire (réveil → travail)

Quelques connecteurs temporels ("puis", "car")

Manque de transitions entre certaines actions

Répétitions de structure ("je + verbe")

Cohérence et cohésion du texte : 3/5

Le texte est globalement cohérent, mais il manque de transitions entre les idées, ce qui rend la lecture un peu décousue.

le respect des normes de l'écrit

Respect des normes de l’écrit (3/5) : Plusieurs fautes d’orthographe, de grammaire et de conjugaison nuisent à la lisibilité du texte. Il y a aussi des phrases incomplètes ou mal construites.

Respect des normes de l'écrit (2/5)

Nombreuses erreurs orthographiques

Ponctuation approximative

Syntaxe parfois maladroite

Vocabulaire basique mais approprié

Respect des normes de l'écrit : 2/5

Il y a plusieurs fautes d'orthographe et de grammaire, ce qui rend le texte difficile à lire.

Appréciation

Tu as bien compris la consigne et tu as développé une réponse personnelle en imaginant ta journée de travail. Ton texte suit une certaine logique et on comprend bien ton rôle en tant que gendarme. Cependant, il manque de variété dans les phrases et de détails qui permettraient au lecteur de mieux s’immerger dans ton récit. Fais attention à la grammaire et à l’orthographe, et pense à mieux organiser tes idées pour rendre ton texte plus fluide.

Tu as bien respecté le sujet en nous présentant ta future journée de gendarme. Ton texte montre que tu as réfléchi aux différentes tâches de ce métier et que tu as une idée précise de ce que tu veux faire. Les actions sont présentées dans un ordre logique, ce qui rend ton texte facile à suivre. Pour progresser, fais attention à l'orthographe et à la ponctuation. Tu peux aussi enrichir ton vocabulaire pour éviter les répétitions.

Réussites :

L'élève a bien compris la consigne et a essayé d'exprimer ses propres idées.

Le texte est globalement cohérent et suit une structure de base.

Points à travailler :

L'élève doit améliorer son orthographe et sa grammaire.

Il serait bénéfique d'ajouter des transitions entre les idées pour rendre le texte plus fluide.

L'élève pourrait développer ses idées de manière plus approfondie pour rendre le texte plus intéressant.

Conseil pour améliorer le texte

Ajoute plus de détails concrets et dynamiques : décris par exemple une intervention précise ou une situation marquante dans ta journée. Cela rendra ton récit plus vivant et intéressant à lire !

Pour captiver davantage le lecteur, tu pourrais raconter un événement particulier de ta journée, comme une intervention importante ou une situation inhabituelle. Cela rendrait ton texte plus vivant et permettrait de mieux comprendre pourquoi tu as choisi ce métier. Par exemple : "Ce matin-là, je reçois un appel urgent..."

Pour rendre le texte plus intéressant, l'élève pourrait :

Ajouter des détails spécifiques et des exemples concrets pour illustrer ses idées.

Utiliser des descriptions plus vivantes et des verbes d'action pour rendre le texte plus dynamique.

Inclure des dialogues ou des pensées intérieures pour donner plus de profondeur aux personnages et à la situation.

Par exemple, au lieu de dire "Je prendrai ma voiture et je patrouillerai et contrôlerai des véhicules et des personnes," l'élève pourrait écrire : "Je m'imaginais déjà au volant de ma voiture de police, patrouillant dans les rues animées de la ville. J'arrêtais les véhicules suspects et vérifiais les papiers des conducteurs avec une autorité naturelle."

Cela rendrait le texte plus engageant et plus vivant pour le lecteur.

Je voudrais un dessin, dans le style d'une caricature de presse, qui montre, à gauche, un élève, à droite, un enseignant. Les deux personnages sont face à face, à un seul et même bureau. Au milieu d'eux, posée sur le bureau, une feuille avec un texte. Derrière eux, en arrière plan, un peu dans l'ombre, une IA. L'IA doit être plus grande, ses bras doivent passer derrière l'élève et l'enseignant pour revenir au texte, un peu comme si elles les entourait de ses bras. Mais ses deux mains vont à la feuille au milieu du professeur et de l'élève. L'une de ses mains écrit le texte sur la feuille, en bleu, côté élève, et l'autre main corrige, en rouge, ce même texte. C'est l'IA qui doit écrire. L'élève et l'enseignant doivent avoir les mains croisées.